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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 589/06
présentée par Rita BORN
contre l'Italie
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 7 octobre 2008 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 20 décembre 2005,
Vu la décision de la Cour d'examiner conjointement la recevabilité et le fond de l'affaire, comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Rita Born, est une ressortissante allemande, née en 1954 et résidant à Palerme. Elle est représentée devant la Cour par Me F. Tortorici, avocat à Palerme. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent M. F. Crisafulli.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
La requérante était locataire d'un appartement sis rue Alloro, à Palerme.
Le 25 mai 2000, Mme B., intermédiaire pour la gestion du bail de l'appartement, informa la requérante de l'intention du propriétaire de mettre fin à la location en raison de certains loyers impayés et la pria de libérer les lieux.
Par une ordonnance du 3 avril 2001, le tribunal de Palerme, faisant droit à la demande de Mme B., confirma formellement le congé du bail et décida que l'appartement devait être libéré au plus tard le 23 avril 2001.
L'expulsion avait été ordonnée à titre provisoire et urgent, la procédure d'exécution étant pendante devant le tribunal à la suite de l'opposition de la requérante, pour permettre au propriétaire de réaliser des travaux de rénovation de l'appartement.
L'exécution de l'expulsion provisoire fut fixée au 17 avril 2001, par voie d'huissier de justice. Le jour venu, la requérante quitta l'appartement. Cependant, il ne fut pas possible d'établir un inventaire complet répertoriant les biens appartenant à la requérante, car il était difficile d'accéder aux deux pièces principales de l'appartement. L'huissier de justice, après avoir obtenu l'accord conjoint de la requérante et de l'avocat de Mme B., Maître Lo Voi, décida de nommer ce dernier gardien temporaire des biens et de reporter la finalisation de l'inventaire à une autre date.
Parmi les biens que l'huissier avait pu répertorier figuraient un réfrigérateur, un lave-linge, six tableaux, un lit, deux tables, six chaises, plus de deux cents livres, quatre armoires, deux fauteuils, un téléviseur, une chaîne stéréo, un magnétoscope, un tapis persan ancien, des lithographies, des lustres en fer forgé, un chauffe-eau ainsi que des meubles de cuisine.
L'huissier retourna sur les lieux le 25 mai 2001. A cette occasion, la requérante était absente. L'huissier prit acte du fait que des travaux de rénovation de l'appartement étaient en cours et qu'il n'était donc pas possible d'y accéder et de compléter l'inventaire.
Par une lettre du 28 septembre 2001 envoyée à l'avocat de la requérante, Maître Lo Voi invita cette dernière à récupérer les biens qui se trouvaient dans l'appartement. Le gardien des biens allégua l'impossibilité de retrouver la requérante, car la dernière adresse déclarée était celle de la rue Alloro, et fit état de la nécessité de libérer l'appartement afin d'accomplir les travaux de restauration. Il prévint l'avocat de l'intéressée qu'en cas d'absence de réponse dans un délai de cinq jours, il demanderait au juge de l'exécution l'autorisation de transférer les objets dans un dépôt.
Le 16 octobre 2001, Mme B., représentée par Maître Lo Voi, introduisit devant le juge de l'exécution près le tribunal de Palerme une demande tendant à obtenir l'autorisation de transférer les biens de la requérante dans un dépôt qui avait été loué à ces fins. Elle affirma que la requérante était introuvable et qu'il était nécessaire de libérer l'appartement des biens qu'elle y avait laissés.
Le 18 octobre 2001, le juge de l'exécution fit droit à la demande de Mme B. Une copie de cette décision fut envoyée à l'avocat de la requérante. Cependant, les tentatives de notifier l'acte à l'intéressée à l'adresse de la rue Alloro, ainsi qu'au domicile de la fille de celle-ci, échouèrent.
Par une lettre du 31 octobre 2001, Maître Lo Voi informa la requérante qu'il avait obtenu l'autorisation de transférer les biens et l'invitait à les récupérer avant le 7 novembre 2001.
Par un acte du 8 mars 2002 (« atto dichiaratorio e di diffida »), Maître Lo Voi intima la requérante de récupérer ses biens dans un délai de dix jours en la prévenant que dans le cas contraire le juge de l'exécution pourrait décider la vente ou la destruction des biens. La requérante étant toujours introuvable, l'acte fut notifié à son avocat le 13 mars 2002, et affiché dans les locaux de la Mairie et du tribunal au sens de l'article 143 du code de procédure civile.
Le 15 avril 2002, l'avocat de la requérante envoya une lettre à Maître Lo Voi. Il affirma que la requérante avait reçu notification de la sommation le 13 mars 2002 et déclara l'intention de sa cliente de succéder à Mme B. dans la location du dépôt, tout en sollicitant la finalisation de l'inventaire des biens en présence d'un huissier de justice.
Selon la requérante, Maître Lo Voi ne donna pas suite à ce courrier.
Le Gouvernement a produit une lettre reçue par l'avocat de la requérante le 30 avril 2002, par laquelle Maître Lo Voi informait la requérante qu'elle ne pouvait pas succéder dans la location du dépôt et l'invitait à récupérer les biens et à payer les frais de garde anticipés par Mme B.
N'ayant pas reçu de réponse, le 24 mai 2002, Maître Lo Voi réitéra à la requérante la sommation de récupérer les biens gardés dans le dépôt avant le 18 juin 2002, l'informant qu'en cas de non-comparution, le tribunal pourrait en disposer la vente aux enchères. Cet acte fut notifié aux termes de l'article 143 CPC.
Le 28 juin 2002, Mme B. demanda au juge de l'exécution près le tribunal de Palerme d'autoriser la vente aux enchères des biens de la requérante conformément à l'article 1211 du code civil, faisant valoir le coût excessif de la garde des biens.
Par une ordonnance du 8 juillet 2002, le juge fit droit à cette demande et nomma un expert pour répertorier et estimer les biens qui se trouvaient dans le dépôt. L'expert évalua les biens à 2 405,50 EUR.
A l'audience du 5 novembre 2002, le juge de l'exécution, après avoir pris connaissance du rapport de l'expert et avoir constaté la régularité de la sommation adressée à la requérante, ordonna la mise aux enchères des biens. L'annonce de la vente fut publiée dans un journal spécialisé.
A l'issue des enchères, qui se tinrent le 28 février 2003, X acquit l'ensemble des biens contenus dans le dépôt au prix de 50 EUR.
En même temps, dans le cadre de la procédure d'exécution, par un jugement rendu le 28 février 2003 et déposé au greffe le 20 septembre 2004, le tribunal de Palerme prononça la résolution du contrat de location en raison de l'inexécution des obligations contractuelles de la part de la requérante et condamna celle-ci à payer à Mme B. une somme correspondant aux loyers impayés. Le tribunal confirma ainsi l'ordonnance d'expulsion qu'il avait décrétée à titre provisoire le 3 avril 2001.
La requérante interjeta appel. Par un arrêt du 16 décembre 2005, la cour d'appel de Palerme accueillit l'appel de la requérante. Elle releva que Mme B., en tant qu'intermédiaire pour la gestion de la location, ne pouvait pas agir contre la requérante au nom du propriétaire de l'appartement. Par conséquent, la cour d'appel annula le jugement de première instance et condamna Mme B. à payer les frais de procédure. Le texte de l'arrêt de la cour d'appel ne contient aucune référence au sort des biens de la requérante.
La procédure demeure aujourd'hui pendante devant la Cour de cassation à la suite du pourvoi introduit par Mme B.
La requérante affirme d'avoir appris que ses biens avaient été vendus en septembre 2005.
Par une lettre recommandée envoyée le 19 septembre 2005 à Maître Lo Voi et à X., la requérante demanda la restitution de ses biens, soutenant qu'ils avaient été aliénés irrégulièrement.
Ladite lettre ne fut pas remise à X., car celui-ci était inconnu des services postaux. Par la suite, la requérante essaya de retrouver l'acheteur de ses biens, sans toutefois y parvenir.
B. Le droit interne pertinent
L'article 143 CPC établit que la notification d'actes judiciaires à une personne dont le domicile est inconnu se fait par le biais de dépôt de l'acte à la Mairie du lieu de sa dernière résidence et par le biais d'un affichage sur le tableau de l'organe juridictionnel responsable.
Selon les articles 1209 et 1210 du code civil, la personne qui détient des biens d'autrui et a l'obligation de les restituer doit adresser une sommation à l'ayant droit. Si ce dernier ne se présente pas pour prendre livraison des biens, le débiteur peut les entreposer dans un dépôt.
Aux termes de l'article 1211 du code civil, si la conservation des objets est trop onéreuse, la personne qui les détient peut, après avoir intimé au propriétaire de les retirer, peut se faire autoriser par le juge à les vendre.
GRIEF
Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, la requérante allègue une violation du droit au respect de ses biens car la vente aux enchères de ses meubles et objets personnels aurait eu lieu à son insu.
EN DROIT
La requérante se plaint d'une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa propriété dérivant de la vente aux enchères de ses biens. Elle invoque l'article 1 du Protocole no 1, qui se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
1. Arguments des parties
La requérante soutient avoir été privée de ses biens et objets personnels à son insu. Dans ses observations en réponse, elle reconnaît avoir reçu les communications envoyées à son avocat par Maître Lo Voi les 29 septembre et 31 octobre 2001, l'invitant à libérer l'appartement. Elle estime cependant que, puisque l'accès aux lieux était impossible à cause des scellés apposés par l'huissier de justice, ces invitations n'étaient pas en mesure de résoudre l'affaire.
Elle affirme que, quoi qu'il en soit, elle n'a jamais été informée de la procédure de vente aux enchères des biens, entamée sans définir l'inventaire des biens au préalable et ayant entraîné une ingérence irréversible dans son droit de propriété.
En outre, selon la requérante, l'ordre judiciaire de libérer les lieux constituait une mesure d'urgence motivée exclusivement par la nécessité d'accomplir les travaux de rénovation de l'immeuble, ce qui ne mettait pas en cause son droit de garder son domicile dans l'appartement.
Le Gouvernement conteste la version des faits de la requérante. Il soutient que Maître Lo Voi essaya à plusieurs reprises de contacter la requérante tout au long de la procédure d'exécution, en ayant même recours à un investigateur privé. Cependant, la requérante n'ayant pas déclaré sa nouvelle adresse, toute tentative de la retrouver demeura sans effet. En tout état de cause, celle-ci fut informée de la procédure à travers les nombreuses communications adressées à son avocat et les notifications accomplies aux termes de l'article 143 du CPC dans le cadre de la procédure d'exécution.
Le Gouvernement souligne que la requérante a omis de se conformer à l'obligation de libérer l'appartement dérivant de la décision du juge de l'exécution du 30 avril 2001, et de collaborer à ces fins avec Maître Lo Voi, le gardien judiciaire des biens.
2. Appréciation de la Cour
La Cour estime que la vente aux enchères des biens de la requérante constitue une ingérence dans le droit au respect des biens de celle-ci, qui s'analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1.
Cette ingérence était prévue par la loi, soit les dispositions du code civil italien en matière de mise en demeure du créancier (voir « droit interne pertinent ci-dessus »), et poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d'autrui eu égard au principe de la sécurité des rapports juridiques (mutatis mutandis, Străin et autres c. Roumanie, no 57001/00, § 50, CEDH 2005‑VII).
La Cour rappelle qu'une mesure d'ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Les Saints Monastères c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-A, § 70).
Elle note que la vente aux enchères des biens fut ordonnée par le tribunal de Palerme dans le cadre de la procédure d'exécution de l'expulsion de la requérante de l'appartement dont elle était locataire, procédure dans laquelle l'intéressée avait été régulièrement citée.
La requérante se plaint des développements de la procédure d'exécution et allègue ne pas avoir été avisée de la vente de ses biens.
A ce propos, la Cour constate que, d'après la version des faits du Gouvernement et non contestée par la requérante, Maître Lo Voi, nommé gardien des biens par le juge de l'exécution, avait tenté à plusieurs reprises de contacter la requérante et de la mettre au courant des démarches entreprises afin de libérer l'appartement des objets litigieux.
Par les lettres envoyées à l'avocat de la requérante les 28 septembre et 31 octobre 2001, Maître Lo Voi faisait état des difficultés à repérer la requérante et de la nécessité de libérer l'immeuble. La requérante admet avoir reçu lesdites communications. Toutefois, elle demeura introuvable pendant toute la procédure.
N'ayant pas communiqué sa nouvelle adresse à Maître Lo Voi ainsi qu'aux autorités compétentes, toute notification personnelle s'avéra impossible. Par conséquent, la sommation judiciaire du 8 mars 2002 fut notifiée, à deux reprises, par le biais de la procédure de notification à une personne ayant un domicile inconnu.
La requérante invoque son droit de maintenir son domicile dans l'appartement dont elle avait été expulsée à titre provisoire. Cependant, la Cour est de l'avis que l'intéressée, qui savait qu'il existait à son encontre une procédure susceptible d'avoir des conséquences sur ses biens, a fait preuve, en omettant d'indiquer une adresse valide, d'une passivité et d'une négligence dont les conséquences ne sauraient pas être imputées à l'Etat (Consuelo García Navarro c. Espagne, (déc.), no 22767/03, 19 octobre 2004 ; a contrario, Lacárcel Menéndez c. Espagne, no 41745/02, § 33, 15 juin 2006).
De plus, force est de constater que l'intéressée reçut tout de même notification de la sommation du 8 mars 2002 à travers son avocat. Ladite sommation prévenait la requérante de l'éventualité d'une vente judiciaire des biens en cas de non-comparution de sa part, conformément à l'article 1211 du code civil. Selon la Cour, en choisissant de ne pas comparaître, la requérante a renoncé à la possibilité de faire valoir ses arguments, y compris le fait que l'inventaire des biens n'avait pas été complété, et de s'opposer à la vente aux enchères.
Au vue des éléments de l'affaire, la Cour estime que la manière dont le gardien judiciaire des biens et les autorités judiciaires compétentes ont conduit la procédure litigieuse a respecté le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit au respect des biens et les exigences de l'intérêt général de la communauté (a contrario, Tsironis c. Grèce, no 44584/98, §§ 40 et 41, 6 décembre 2001).
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. En conséquence, il convient de mettre fin à l'application de l'article 29 § 3 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente