Přehled

Rozhodnutí



SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête No 15080/89

présentée par Massimiliano Magnaghi

contre l'Italie

__________

La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 16 mai 1995 en présence de

MM. C.A. NØRGAARD, Président

H. DANELIUS

C.L. ROZAKIS

E. BUSUTTIL

G. JÖRUNDSSON

S. TRECHSEL

A.S. GÖZÜBÜYÜK

A. WEITZEL

J.-C. SOYER

H.G. SCHERMERS

Mme G.H. THUNE

M. F. MARTINEZ

Mme J. LIDDY

MM. L. LOUCAIDES

J.-C. GEUS

M.P. PELLONPÄÄ

B. MARXER

G.B. REFFI

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

N. BRATZA

I. BÉKÉS

J. MUCHA

E. KONSTANTINOV

D. SVÁBY

G. RESS

A. PERENIC

C. BÎRSAN

M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 29 mars 1989 par le requérant contre

l'Italie et enregistrée le 6 juin 1989 sous le No de dossier 15080/89 ;

Vu la décision de la Commission du 12 octobre 1992 de porter la

requête à la connaissance du Gouvernement défendeur ;

Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

5 février 1993, les observations en réponse présentées par le requérant

le 29 mars 1993 et ses informations des 20 septembre 1994 et

2 février 1995 ;

Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant italien né en 1926 et réside

en Suisse, à Savigny. Il est président de la société en commandite

simple "Isola Rossa di Magnaghi Massimiliano e C." - ci-après la

société I.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Circonstances particulières de l'affaire

A la fin des années 50, la société I. acheta 300 hectares de

terrain à bâtir dans la municipalité de Monte Argentario (Grosseto).

Après plusieurs années de négociations le conseil municipal de

Monte Argentario approuva par décision du 6 juin 1964 un projet de

lotissement de la propriété de la société I.

Une convention fut signée entre la société du requérant et la

municipalité de Monte Argentario le 27 novembre 1964 ; elle prévoyait

la réalisation de deux villages de vacances et d'une oeuvre d'intérêt

public, c'est-à-dire la construction de la corniche qui devait relier

les deux localités les plus importantes de la municipalité de Monte

Argentario, Porto S. Stefano et Porto Ercole.

Conformément à la convention et aux autorisations sus-

mentionnées, la société I. réalisa, au cours de la deuxième partie des

années 60, la construction de plusieurs routes, ponts, aqueducs,

cabines pour l'électricité et une grande partie de la corniche dont le

coût, selon les estimations du requérant, correspondait, en 1986, à 6

milliards de lires italiennes.

Le plan d'urbanisme ("Piano regolatore generale"), comprenant le

projet de lotissement de la municipalité, fut adopté par délibération

du conseil municipal du 12 octobre 1968. Ce projet fut soumis au

conseil supérieur des travaux publics qui, dans sa réunion du

16 février 1971, décida que le plan d'urbanisme pouvait être approuvé

moyennant certaines modifications visant le respect de l'environnement.

Par délibération du 30 octobre 1971, le conseil municipal de Monte

Argentario accepta les modifications du conseil supérieur des travaux

publics.

Le plan d'urbanisme fut définitivement approuvé par décret

(n° 1151) du ministère des Travaux publics du 16 février 1972, sauf en

ce qui concerne le lotissement litigieux. Le ministère des Travaux

publics estima que la zone concernée par le projet de lotissement

devait être protégée et interdit les constructions ("vincolo di

inedificabilità assoluta") considérées préjudiciables à

l'environnement, sous réserve d'études tenant compte des exigences

prévues par l'autorité ministérielle.

La société I. attaqua ce décret devant le Conseil d'Etat. Par

arrêt du 9 juillet 1974, rendue publique à l'audience du

22 octobre 1974, le Conseil d'Etat rejeta le recours. Le Conseil d'Etat

estima que c'était à juste titre que le ministère des Travaux publics

avait choisi d'approuver le plan d'urbanisme tout en interdisant

l'aggravation des constructions, comme le lui permettait la loi, pour

protéger l'intérêt général.

Le Conseil d'Etat releva également qu'il n'était pas compétent

pour le remboursement des frais à la charge de la société du requérant

pour la réalisation des travaux prévus dans la convention et qu'au

demeurant il restait à déterminer si ces frais n'avaient pas déjà

trouvé une contrepartie dans cette réalisation partielle.

Finalement, une variante à la convention initiale fut élaborée :

elle réduisait le volume des constructions de 450.000 mètres cubes à

28.000 mètres cubes. Seuls 12.000 mètres cubes furent réalisés.

Par délibérations successives des 28 novembre 1983 n° 12374,

17 mai 1985 n° 5389 et 2 mai 1988 n° 4139, la région Toscane classa les

terrains, objet de la convention, dans la catégorie des terrains

agricoles.

En raison des faits énoncés ci-dessus, la société I., représentée

par le requérant, intenta plusieurs procédures.

a) Procédure devant le tribunal administratif régional

Le 22 novembre 1985, la société I. déposa au greffe du tribunal

administratif régional de la Toscane un recours en annulation de la

délibération de la région Toscane du 17 mai 1985. La société I. déposa

le même jour une demande de fixation de la date d'audience ("domanda

di fissazione udienza"). Le 25 novembre 1991, elle déposa une demande

de fixation d'urgence de la date d'audience ("domanda di prelievo").

Par un jugement interlocutoire du 26 janvier 1993, dont le texte fut

déposé au greffe le 26 février 1993, le tribunal ordonna aux parties

de déposer au greffe du tribunal un certain nombre de documents.

Le 20 décembre 1993, le greffe du tribunal a informé les parties

que les documents demandés avaient été déposés.

Il ressort de pièces versées au dossier de procédure devant la

Commission que le requérant a déposé au greffe du tribunal une demande

de fixation de la date d'audience et une demande de fixation d'urgence

de la date d'audience, datées du 10 mars 1994, sans pour autant

mentionner la date exacte du dépôt au greffe.

Par jugement du 13 juillet 1994, dont le texte fut déposé au

greffe le 14 novembre 1994, le tribunal rejeta le recours de la

société I. au motif que, contrairement à ce que celle-ci affirmait,

toute aggravation des constructions sur ces terrains avait été

supprimée non par la délibération attaquée mais par le décret (n° 1151)

du ministère des Travaux publics du 16 février 1972 et que cela était

amplement motivé par des raisons de protection de l'environnement.

L'intérêt de la collectivité - le droit à l'environnement - primait

celui de ceux qui ne prennent en considération que l'éventuelle

utilisation des terrains.

b) Procédure devant le tribunal civil de Grosseto

Le 20 décembre 1986, la société I. assigna la municipalité de

Monte Argentario devant le tribunal de Grosseto afin d'obtenir la

résolution de la convention, le remboursement des sommes que la

société I. avait dépensées pour la réalisation des travaux prévus dans

la convention signée avec la municipalité de Monte Argentario le

27 novembre 1964, et la réparation des dommages subis. La municipalité

contesta, pour sa part, la qualification du projet de lotissement

puisque tous les éléments requis n'y figuraient pas et arguait de ce

qu'il s'agissait d'un projet de zone. La municipalité souleva une

exception d'incompétence de la juridiction ordinaire et affirma que de

toute manière l'action de la société I. en réparation des dommages

était prescrite puisque l'interdiction de construire datait du

16 février 1972 et que le terme décennal était amplement dépassé. En

outre, et selon la municipalité, il ne s'agissait pas d'une convention

puisque la municipalité ne prenait aucun engagement.

La première audience se tint le 3 février 1987. Trois audiences

plus tard, le 19 juillet 1988, le juge estima que l'exception

préliminaire relative à la compétence de la juridiction ordinaire

devait être tranchée par la chambre compétente et fixa la présentation

des conclusions des parties au 23 mai 1989. L'audience de plaidoirie

devant la chambre compétente se tint le 22 juin 1990.

Par jugement non-définitif du 27 septembre 1990, dont le texte

fut déposé au greffe le 21 mars 1991, le tribunal - sans trancher la

question de la qualification de la convention - rejeta la demande de

la société I. tendant à obtenir la résolution du contrat pour

inexécution de la part de l'administration et réparation des dommages

en découlant, mais se déclara compétent pour examiner la question de

la prescription, de l'indemnité devant être versée à la société I. pour

les réalisations déjà effectuées et de la libération de la société du

requérant de ses obligations pour "impossibilité survenue"

("sopravvenuta impossibilità"). Par une ordonnance du même jour, le

tribunal retransmit l'affaire au juge de la mise en état pour lui

permettre de poursuivre l'instruction.

L'instruction reprit le 31 mai 1991. Cinq audiences plus tard,

le 2 décembre 1994, le juge de la mise en état renvoya l'affaire au

28 avril 1995.

2. Droit interne et pratique pertinents

La Cour constitutionnelle a développé à travers ses arrêts une

forme de protection de l'individu face à l'imposition de restrictions

à l'usage des biens par l'administration (voir Cour eur. D. H., arrêt

Katte Klitsche de la Grange du 27 octobre 1994, série A n° 293-B,

p. 31 - 32, par. 26).

Aux termes de cette jurisprudence, il apparaît que

l'administration garde le droit d'imposer toutes les restrictions

qu'elle juge utiles, mais si de telles restrictions ont pour effet de

vider le droit de propriété de son contenu, elles sont assimilées à une

expropriation et donnent lieu à l'application de l'article 42 de la

Constitution qui prévoit l'obligation de l'indemnisation.

Est assimilé à une expropriation l'acte administratif qui vise

non pas une catégorie de biens mais un bien déterminé qui, bien que

laissé en propriété à une personne, est soumis à des restrictions

telles, quant à son utilisation, que sa valeur économique, d'usage ou

d'échange, est pratiquement réduite à néant. On a alors une

expropriation dite "de valeur", qui ouvre droit à une indemnisation.

Cette hypothèse se réalise lorsque la restriction est très grave

(interdiction absolue) et qu'elle est prévue pour une période

indéterminée ou se prolonge au-delà des limites raisonnables.

GRIEFS

Le requérant allègue la violation de l'article 1 du Protocole

N° 1 en ce qu'il aurait été porté atteinte à son droit de propriété.

Il se plaint également, sans invoquer l'article 6 par. 1 de la

Convention, de la durée des procédures engagées respectivement devant

le tribunal administratif régional de la Toscane et devant le tribunal

civil de Grosseto.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La requête a été introduite le 29 mars 1989 et enregistrée le

6 juin 1989.

Le 12 octobre 1992, la Commission a décidé de donner connaissance

de la requête au Gouvernement italien et de l'inviter à présenter par

écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le

5 février 1993.

Les observations en réponse du requérant ont été présentées le

29 mars 1993.

EN DROIT

1. Le requérant est président de la société en commandite simple

"Isola Rossa di Magnaghi Massimiliano e C.", société de personne à

laquelle il a donné son nom. Le requérant, associé commandité ayant le

pouvoir d'agir au nom de la société, est solidairement et indéfiniment

responsable et peut donc se prétendre "victime", au sens de l'article

25 (art. 25) de la Convention, des violations alléguées.

2. Le premier grief du requérant porte sur une prétendue ingérence

dans son droit au respect de ses biens causée par l'interdiction

absolue de construire. Il invoque l'article 1 du Protocole N° 1

(P1-1).

Le Gouvernement défendeur considère que le grief du requérant

porte essentiellement sur le décret (n° 1151) du ministère des Travaux

publics du 16 février 1972 dont les effets étaient cristallisés par

l'arrêt du Conseil d'Etat du 22 octobre 1974. Le Gouvernement excipe

à cet égard du non-respect du délai de six mois au regard de l'article

26 (art. 26) de la Convention.

Quant à la délibération de la région Toscane du 17 mai 1985 et

aux demandes de remboursement des dépenses, le Gouvernement excipe du

non-épuisement des voies de recours internes, car les procédures

étaient, au moment de la présentation des observations du Gouvernement,

encore pendantes devant les juridictions internes.

Selon le requérant, les deux procédures internes ne constituaient

pas des voies de recours au sens de l'article 26 (art. 26) de la

Convention. En effet, le tribunal administratif n'examine que la

légalité des actes administratifs et non leur bien-fondé. L'annulation

d'un acte laisse à l'administration la possibilité de le réitérer.

Quant à la procédure pendante devant le tribunal civil de Grosseto,

elle a pour objet le remboursement des dépenses réalisées et non la

réparation des dommages en raison de l'impossibilité actuelle

d'utiliser la zone.

Dans ses observations, le requérant soutient en particulier que

l'interdiction absolue de construire pendant une période indéterminée

constitue une expropriation en ce que son droit de propriété serait

vidé de son contenu. Selon lui, le fait qu'il n'a droit à aucune

indemnité n'est pas justifié par des motifs d'intérêt général. Le

requérant estime que le juste équilibre prévu par l'article 1 du

Protocole N° 1 (P1-1) est de ce fait rompu. Il estime par ailleurs

qu'il n'est pas possible de demander une indemnisation en raison de

cette interdiction.

Dans la mesure où le requérant se plaint de l'interdiction

absolue de construire, la Commission constate que l'arrêt du Conseil

d'Etat du 22 octobre 1974 fixe comme point de départ de l'interdiction

absolue de construire la date à laquelle le décret du ministère des

Travaux publics à été pris, c'est-à-dire au 16 février 1972.

A cet égard, la Commission, à l'instar du Gouvernement, considère

que la décision du Conseil d'Etat du 22 octobre 1974 constitue en

l'espèce la décision interne définitive, rendue publique au-delà de six

mois avant l'introduction de la requête (voir, mutatis mutandis,

N° 11844/85, déc. 29.2.88, D.R. 55 p. 215). Il s'ensuit que cette

partie du grief doit être rejetée conformément aux articles 26 et 27

par. 3 (art. 26, 27) de la Convention.

Quant au grief soulevé par le requérant dans ses observations,

concernant l'expropriation sans indemnisation, la Commission relève que

le requérant n'a pas invoqué la question de l'expropriation devant les

juridictions internes. Le requérant s'est limité à demander devant la

juridiction administrative l'annulation d'une délibération de la région

Toscane et devant la juridiction civile la résolution de la convention,

le remboursement des sommes dépensées et la réparation des dommages

subis. Il n'a pas demandé aux juridictions de constater l'existence

d'une expropriation "de valeur" et de lui accorder l'indemnisation à

laquelle il avait droit (voir Cour eur. D. H., arrêt Katte Klitsche de

la Grange, du 27 octobre 1994, série A n° 293-B, p. 31 - 32, par. 26).

La Commission constate que le requérant a omis de soulever

expressément ou même en substance devant les juridictions internes le

grief qu'il présente maintenant devant elle et qu'il n'a donc pas

satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes.

Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée conformément

aux articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention.

3. Le second grief du requérant porte sur la durée de deux

procédures litigieuses, l'une devant les juridictions administratives,

l'autre devant les juridictions civiles.

La première procédure a débuté le 22 novembre 1985 et s'est

terminée le 14 novembre 1994 par le dépôt au greffe du jugement du

tribunal administratif régional de la Toscane.

La seconde procédure a débuté le 20 décembre 1986 et était encore

pendante au 28 avril 1995 devant le tribunal civil de Grosseto.

Selon le requérant, la durée de ces procédures, qui est

respectivement de plus de huit ans et onze mois et d'un peu plus de

huit ans et quatre mois, ne répond pas à l'exigence du "délai

raisonnable" (article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention). Le

Gouvernement s'oppose à cette thèse.

La Commission estime qu'à la lumière des critères dégagés par la

jurisprudence des organes de la Convention en matière de "délai

raisonnable" (complexité de l'affaire, comportement du requérant et des

autorités compétentes), et compte tenu de l'ensemble des éléments en

sa possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.

Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief

tiré de la durée excessive des procédures engagées

respectivement les 22 novembre 1985 et 20 décembre 1986

devant les juridictions italiennes,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

Le Secrétaire Le Président

de la Commission de la Commission

(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)