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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 45444/16
Mircia CHELARU
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 28 février 2023 en un comité composé de :
Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 45444/16, dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Mircia Chelaru (« le requérant »), né en 1949 et résidant à Bragadiru, représenté par Me L. Lixăndroiu, avocat à Bucarest, a saisi la Cour le 28 juillet 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, les griefs relatifs au droit à être assisté par un défenseur de son choix, de ne pas adopter de décision partielle quant aux autres griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. En 2013, le requérant, ancien cadre militaire, fut renvoyé en jugement du chef d’abus de fonctions. Il était soupçonné d’avoir acheté illégalement, en 2007, un appartement de fonction qu’il avait loué auparavant, également de manière illégale, au ministère de la Défense. Le parquet lui reprochait de n’avoir rempli les conditions légales ni pour recevoir en location, en 2000, ni pour acheter ledit appartement, en ce qu’il avait caché aux fonctionnaires du ministère de la Défense, lors des deux opérations, qu’il était propriétaire d’un autre logement construit avec des fonds publics, qu’il avait acheté en 1991 également après y avoir été locataire. De plus, selon le parquet, son épouse avait fait don à leur fils, peu de temps avant l’achat de l’appartement litigieux, d’une maison dont elle avait hérité.
2. La procédure se déroula en première instance devant le tribunal départemental de Bucarest, juridiction devant laquelle le requérant fut assisté par plusieurs avocats qu’il avait choisis :
- N.C. : cet avocat contesta les poursuites en soulevant, le 16 avril 2014, plusieurs exceptions d’illégalité, qui firent l’objet d’une décision de rejet motivée rendue le 6 mai 2014 par un juge de chambre préliminaire ; le 16 septembre 2014, il assista le requérant lors d’interrogatoires d’audience et sollicita une nouvelle expertise comptable aux fins d’établissement de l’étendue du préjudice allégué ; il assista le requérant le 28 octobre 2014 lors d’une audition de trois témoins, et les 9 décembre 2014, 6 et 20 janvier 2015 et 3 février 2015, lors de débats sur la demande d’expertise comptable.
- F.A. : cette avocate intervint en remplacement de N.C. lors de l’audience du 5 août 2014,
- E.E.T. : cette avocate, qui fut engagée par le requérant le jour même de l’audience du 25 novembre 2014, sollicita un report d’audience afin de pouvoir étudier le dossier ;
- V.L.I. : cette avocate assista le requérant le 3 mars 2015 lors de débats visant à définir les objectifs (obiectivele) du nouveau rapport d’expertise comptable que sollicitait l’intéressé.
3. Au cours de cette dernière audience, V.L.I. remit au tribunal une liste d’objectifs visés par l’expertise, parmi lesquels figurait le prix du bien litigieux. Le requérant indiqua toutefois qu’il contestait non pas le prix, mais la valeur comptable du bien. L’avocate expliqua alors avoir conseillé, sans succès, son client quant à l’élaboration de la liste à soumettre, et s’être vu imposer un document réalisé par l’intéressé. La situation conduisit le tribunal à proposer à celui-ci un report d’audience afin de lui permettre de reformuler les objectifs, et il lui enjoignit d’en verser la version finale au dossier. V.L.I. ayant précisé qu’elle assisterait son client dans la mesure du possible, le tribunal décida, dans le souci d’assurer à celui-ci une défense effective, de solliciter du barreau de Bucarest la désignation d’un avocat commis d’office. Le requérant s’y opposa, estimant que la défense que V.L.I. assurait à son profit était effective.
4. À compter du 17 mars 2015, l’avocat M.D., commis d’office, assista le requérant en plus de V.L.I.
5. Le 3 avril 2015, le requérant renonça à sa demande initiale tendant à la réalisation d’une nouvelle expertise comptable. M.D. demanda au tribunal de prendre note du souhait du requérant et plaida l’acquittement de son client, arguant que les contrats litigieux étaient conformes au droit en vigueur, que le requérant connaissait bien, et qu’au demeurant la thèse adverse était peu crédible, en ce qu’il était difficile d’imaginer que des fonctionnaires du ministère de la Défense, qui savaient très bien accomplir leurs tâches, eussent pu être si facilement trompés par l’intéressé.
6. Lors de la même audience, V.L.I. plaida également l’acquittement du requérant, expliquant que celui-ci avait acquis légalement le bien litigieux et que la donation par l’épouse du requérant d’une maison héritée par elle à leur fils, ou le fait d’avoir possédé un autre appartement dont la construction avait été financée par des fonds publics, étaient sans effet sur la légalité de la transaction en cause. Elle précisa qu’en tout état de cause, le requérant n’avait pas connaissance du caractère illégal de celle-ci et s’était mépris sur la teneur du droit, tout comme les fonctionnaires qui avaient conclu les contrats en question. Le requérant quant à lui déclara qu’il avait légalement loué, puis acheté, le bien litigieux et qu’il n’avait en tout cas jamais eu conscience de commettre un acte illégal. Il versa au dossier des conclusions écrites par ses soins.
7. Par un jugement du 24 avril 2015, le tribunal départemental, après avoir examiné les preuves figurant au dossier (des témoignages, la déclaration du requérant et plusieurs documents, dont un rapport d’expertise comptable), constata que le requérant était coupable d’abus de fonctions pour avoir d’abord loué d’une manière illégale, en 2000, l’appartement litigieux au ministère de la Défense (en ce que son bail sur celui-ci et ses prolongations successives avaient été conclus sur la base d’une déclaration mensongère éludant l’existence du droit de propriété dont il disposait sur un appartement similaire) et pour l’avoir ensuite acheté, en 2007, toujours d’une manière illégale (alors qu’il avait déjà été propriétaire d’un appartement du même type et que son épouse avait fait don d’une maison à leur fils, peu de temps avant l’achat du bien litigieux). Le tribunal départemental considéra que le requérant avait méconnu les normes régissant la location, la prolongation de la location (l’arrêté M156 du 29 novembre 2000) et la vente des logements de fonction (la loi no 562/2004, modifiée par la loi no 357/2006) et qu’il avait induit en erreur les fonctionnaires du ministère de la Défense. Le requérant fut condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis, et au paiement de 851 385 lei roumains (soit environ 193 000 euros) en faveur du ministère de la Défense pour préjudice matériel.
8. Il interjeta appel du jugement, critiquant, d’une part, la manière dont le tribunal avait interprété les témoignages et les autres éléments de preuve et, d’autre part, la motivation du jugement, et arguant que la simple circonstance qu’un bien immeuble avait été donné à son fils juste avant l’acquisition de l’appartement litigieux ne constituait pas une infraction.
9. La cour d’appel de Bucarest entendit le requérant, qui était assisté par les avocats de son choix L.L. et B.C. Il eut la possibilité de soumettre des documents, y compris des conclusions écrites, mais sa demande tendant à faire interroger trois témoins qui avaient déjà été entendus en première instance fut rejetée au motif qu’il contestait non pas le contenu desdits témoignages, mais l’interprétation qui en avait été faite par les premiers juges. Le 27 janvier 2016, la cour d’appel rejeta l’appel du requérant et confirma le jugement de condamnation.
APPRÉCIATION DE LA COUR
- sur la violation de l’article 6 §§ 1 ET 3 c) de la convention
10. Le requérant soutient que la ligne de défense adoptée par l’avocat commis d’office, M.D., différait de celle établie par l’avocate qu’il avait engagée, V.L.I., et il estime qu’elle lui a porté préjudice et qu’elle a nui à l’équité de la procédure dans son ensemble (article 6 §§ 1 et 3 c)).
11. La Cour renvoie aux principes bien établis concernant le droit, en matière pénale, à l’assistance d’un avocat et à l’équité de la procédure prise dans son ensemble, qui ont été réitérés dans les arrêts Dvorski c. Croatie ([GC], no 25703/11, §§ 76-82, CEDH 2015) et Beuze c. Belgique ([GC], no 71409/10, §§ 119‑150, 9 septembre 2018).
12. En l’espèce, la Cour observe tout d’abord que le requérant a bénéficié de l’assistance successive de plusieurs avocats de son choix lors des demandes de preuves, des exceptions procédurales, des interrogatoires, de la présentation des argumentaires et de l’audition des témoins (paragraphes 2 et 9 ci-dessus).
13. Concernant ensuite l’audience du 3 avril 2015, au cours de laquelle le tribunal départemental a jugé nécessaire de recourir, contre le gré du requérant et malgré la présence d’un conseil désigné par celui-ci, à un avocat commis d’office (paragraphe 3 ci-dessus), la Cour rappelle que si les autorités nationales doivent tenir compte des souhaits de l’accusé quant à son choix de représentation en justice, elles peuvent passer outre s’il existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent (Dvorski, précité, § 79). En l’espèce, compte tenu des difficultés de coordination évidentes entre le requérant et l’avocate de son choix quant à la préparation de la défense, le tribunal départemental a justifié sa décision de désigner un avocat commis d’office par le besoin de garantir l’effectivité de la représentation de l’accusé, ce qui représente, aux yeux de la Cour, des motifs pertinents et suffisants de passer outre ou de contrecarrer le souhait de l’accusé (voir, mutatis mutandis, Croissant c. Allemagne, 25 septembre 1992, § 30, série A no 237-B, concernant la désignation d’un avocat supplémentaire pour assurer la bonne marche de la procédure, et, a contrario, Dvorski, précité, §§ 94-99).
14. En outre, force est de constater qu’à la différence du requérant dans l’affaire Dvorski (arrêt précité, §§ 21-23), qui s’était vu attribuer un avocat de permanence alors qu’il souhaitait bénéficier d’un avocat de son choix, le requérant a bénéficié en l’espèce, lors de l’audience en question, d’une défense assurée par les deux avocats (M.D et V.L.I.). Ceux-ci ont tous deux demandé l’acquittement de l’intéressé, plaidant la légalité des contrats litigieux et soutenant que leur client avait, avant de signer les contrats en question, la conviction d’une situation de légalité (paragraphes 5-6 ci‑dessus). Bien que présent seulement à l’audience précédant le délibéré, l’avocat M.D. a joué un rôle actif dans la défense du requérant (voir, mutatis mutandis, Croissant, précité, §§ 11, 28‑32 et, a contrario, Mihai Moldoveanu c. Roumanie, no 4238/03, §§ 74-76, 19 juin 2012) et a présenté une argumentation basée sur des éléments factuels et légaux (paragraphe 5 ci‑dessus).
15. De surcroît, la Cour note que l’allégation selon laquelle la ligne de défense choisie par l’avocat commis d’office a porté préjudice au requérant et a nui à l’équité de la procédure n’est corroborée par aucun élément au dossier. Elle observe qu’à l’exception de l’audience du 3 mars 2015, pour laquelle la défense du requérant a été assurée en partie par l’avocat M.D., l’intéressé a été exclusivement représenté par des avocats de son choix (paragraphes 2-9 ci‑dessus). L’intéressé a été présent à toutes les audiences, au cours desquelles il a présenté sa version des faits et son interprétation des dispositions juridiques pertinentes (paragraphes 6-9 ci‑dessus), et il n’y a fait état d’aucune erreur procédurale qu’aurait pu commettre l’avocat M.D.
16. Enfin, les juridictions nationales ont examiné en détail les arguments du requérant relatifs à la légalité des contrats, et elles les ont rejetés en s’appuyant sur les circonstances concrètes de l’affaire (paragraphe 7 ci‑dessus). La condamnation de l’intéressé était fondée sur un ensemble d’éléments de preuve corroborés, auxquels il a eu accès et qu’il a pu discuter dans le respect du principe du contradictoire. Le tribunal départemental a notamment entendu plusieurs témoins et a examiné plusieurs preuves écrites avant de conclure à sa culpabilité. Eu égard à ce qui précède, la Cour constate qu’aucun élément ne permet de conclure au caractère inéquitable de la procédure pénale ayant visé le requérant.
17. Partant, la Cour estime que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
- sur les autres violations alleguÉes de l’article 6 de la convention
18. Le requérant formule d’autres griefs sur le terrain de l’article 6 de la Convention concernant l’équité de la procédure dont il a fait l’objet.
19. Pour autant qu’elle est compétente pour connaître de ceux-ci et au vu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour ne constate aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 23 mars 2023.
Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président