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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 60804/19
Oltea ȘERBAN-PĂRĂU
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 28 février 2023 en un comité composé de :

Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête no 60804/19 dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Oltea Șerban-Părău (« la requérante »), née en 1969 et résidant à Bucarest, représentée par Me T.A. Chiuariu, avocat à Bucarest, a saisi la Cour le 8 novembre 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requérante a occupé les postes de rédactrice en chef de la chaîne de radio România Cultural et de directrice artistique de la Société roumaine de radiodiffusion (« la SRR »).

2. En cette qualité, elle fit l’objet en 2013 d’un contrôle effectué par l’Agence nationale d’intégrité (« l’ANI ») sur le fondement de la loi no 176/2010 sur l’intégrité dans l’exercice des fonctions et des charges publiques (« la loi no 176/2010 » ; pour plus de détails sur cette loi, voir Cătăniciu c. Roumanie (déc.), no 22717/17, §§ 16-19, 6 décembre 2018).

3. Le 3 avril 2014, l’ANI rendit un rapport d’évaluation (« le rapport d’évaluation ») dans lequel elle concluait que la requérante, ayant signé au nom de la SRR des contrats de cession de droits d’auteur avec son époux, s’était trouvée dans une situation de conflit d’intérêts. Estimant que ces faits étaient constitutifs d’une infraction à la loi pénale, l’ANI saisit le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest.

4. Renvoyée en jugement par un réquisitoire présenté par le parquet le 12 novembre 2014, elle fut condamnée le 8 juin 2015 par le tribunal de première instance de Bucarest à une peine d’un an de prison avec sursis assortie, à titre de peine accessoire, de l’interdiction d’occuper, pendant la durée de l’exécution de la peine principale, toute fonction impliquant l’exercice de l’autorité publique. Notant qu’elle avait signé pour le compte de la SRR, entre 2006 et 2013, soixantetrois contrats avec son époux, le tribunal jugea que ces faits étaient constitutifs de l’infraction de conflit d’intérêts réprimée par le code pénal. Sur appel de la requérante, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») confirma ce jugement par une décision du 17 décembre 2015.

5. Il ressort du dossier qu’en raison de cette condamnation pénale, la SRR mit fin le 23 décembre 2015 au contrat de travail de la requérante.

6. En 2014, la requérante saisit à son tour les tribunaux d’une action en contentieux administratif, contestant le contenu du rapport d’évaluation justifiant la cessation du contrat de travail et demanda son annulation.

7. Par une décision du 8 mars 2016, la section du contentieux administratif de la cour d’appel rejeta l’action de l’intéressée. Elle jugea en effet que la SRR était une institution publique, que la requérante y occupait au moment des faits une fonction de direction, si bien que les circonstances constitutives d’une situation de conflit d’intérêts au sens de la loi no 176/2010 étaient réunies. Elle ajouta que la procédure pénale et la procédure administrative poursuivaient des buts différents et que la requérante n’avait pas de raison pour se plaindre d’une violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention au motif qu’elle aurait été poursuivie ou condamnée deux fois pour les mêmes faits.

8. Saisie d’un recours par la requérante, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») confirma le jugement de la cour d’appel par un arrêt du 20 juin 2018, communiqué à l’intéressée le 20 mai 2019. La Haute Cour écarta l’argument de la requérante tendant à démontrer qu’elle ne tombait pas sous le coup de la loi no 176/2010, jugeant que l’intéressée exerçait bien une fonction de direction et que le statut d’institution publique de la SRR, qui était une société destinée à fournir un service public, placée sous le contrôle d’une autorité publique (en l’espèce le Parlement) et financée par des fonds publics, ne pouvait être contesté. Quant à l’argument tiré par la requérante de la méconnaissance alléguée du principe non bis in idem, la Haute Cour le rejeta également, au motif qu’il n’y avait pas eu cumul de sanctions pénales en l’espèce et que les procédures pénale et administrative avaient poursuivi des buts différents.

9. La Haute Cour précisa dans son arrêt qu’en application de la loi no 176/2010 la requérante se verrait infliger, une fois le rapport d’évaluation devenu définitif, les sanctions administratives prévues par cette loi. Les éléments du dossier ne font pas état de sanctions à l’égard de la requérante (voir aussi paragraphe 5 ci-dessus).

APPRÉCIATION DE LA COUR

  1. SUR le grief fondé sur l’article 6 de la convention

10. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante se plaint d’un manque d’équité de la procédure menée contre elle sur le fondement de la loi no 176/2010. Elle estime que les dispositions de cette loi ne lui étaient pas applicables, qu’elles manquent de clarté et de prévisibilité et qu’il en résulte une incertitude juridique. Elle considère que cette procédure, compte tenu de la gravité des sanctions qu’elle prévoit, notamment le licenciement, revêt un caractère pénal au sens de la Convention.

11. La Cour rappelle que l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la Convention s’apprécie en fonction des trois critères suivants, définis dans l’arrêt Engel et autres c. Pays-Bas (8 juin 1976, §§ 82-83, série A no 22) et repris notamment dans Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC] (nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003X) : la question de savoir si l’infraction ressortit, dans la législation nationale, au droit pénal ; la nature de l’infraction ; le degré de sévérité de la sanction. Or aucun de ces critères n’est rempli en l’espèce. En effet, la procédure en cause est, en droit interne, d’ordre administratif (paragraphe 7 ci-dessus) ; quant à la nature de l’infraction, la loi no 176/2010 vise exclusivement les personnes qui exercent des fonctions ou des charges publiques, étant donc applicable uniquement à un groupe déterminé de personnes, ce qui fait naître de sérieux doutes quant au caractère pénal des faits en cause (Cătăniciu, décision précitée, § 39) ; enfin, même si la procédure pouvait aboutir au licenciement, pareille sanction reste de nature disciplinaire (Čivinskaitė c. Lituanie, no 21218/12, § 98, 15 septembre 2020 ; et Kamenos c. Chypre, no 147/07, § 51, 31 octobre 2017).

12. Il s’ensuit que l’article 6 n’est pas applicable sous son volet pénal.

13. Par ailleurs, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si l’article 6 est applicable sous son volet civil (voir, mutatis mutandis, Cătăniciu, décision précitée, §§ 33-36), ce grief étant, quoi qu’il en soit, manifestement mal fondé.

14. Il faut noter que les tribunaux internes ont, après examen, rejeté de manière motivée l’argument de la requérante tendant à démontrer qu’elle ne tombait pas sous le coup de la loi no 176/2010, dont les dispositions, selon elle, n’étaient pas claires et prévisibles (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). En l’absence de toute apparence d’arbitraire dans leurs décisions, la Cour ne saurait mettre en cause la manière dont les juridictions nationales ont appliqué la loi interne (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999I).

15. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

  1. sur les griefs fondés sur les articles 6 et 7 de la convention et sur l’article 4 du protocole no 7

16. Invoquant les articles 6 et 7 de la Convention, la requérante se plaint que la procédure fondée sur la loi no 176/2010 prévoie l’application ope legis des sanctions disciplinaires une fois le rapport d’évaluation devenu définitif. Elle argue que dans ces conditions, l’interdiction pendant trois ans d’occuper une fonction ou une charge publique constitue une sanction qui s’applique par l’effet de la loi sans aucune possibilité d’individualisation judiciaire de la peine. Elle y voit une méconnaissance du principe de la proportionnalité des peines.

17. Estimant par ailleurs avoir été poursuivie et sanctionnée deux fois pour les mêmes faits la procédure fondée sur la loi no 176/2010 revêtant à ses yeux, compte tenu de la gravité des sanctions applicables, un caractère pénal (paragraphe 9 ci-dessus) –, la requérante se plaint d’une méconnaissance du principe non bis in idem et invoque à cet égard l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.

18. La Cour rappelle qu’elle a conclu à l’inapplicabilité en l’espèce de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal (paragraphes 11 et 12 cidessus). Il s’ensuit que les articles 7 de la Convention et 4 du Protocole no 7 à la Convention ne trouvent pas non plus à s’appliquer, la procédure qui a pris fin avec l’arrêt de la Haute Cour du 20 juin 2018 ne constituant pas une « procédure pénale » au sens de la Convention.

19. Dès lors, ces griefs sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 23 mars 2023.

Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président