Přehled
Rozhodnutí
CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 17968/16
Waldeline CHRÉTIEN
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 17968/16 contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Waldeline Chrétien (« la requérante ») née en 1978 et détenue à Nancy, représentée par Me T. Hellenbrand, avocat à Metz, a saisi la Cour le 22 mars 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt d’une cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné la requérante à quinze ans de réclusion criminelle pour des faits de violences volontaires ayant entraîné, d’une part, la mort de son premier enfant M., alors âgé de trois mois, et, d’autre part, une incapacité totale de travail (ITT) supérieure de huit jours pour son second enfant V., alors âgé de deux mois.
2. À la suite du refus des services hospitaliers de délivrer un certificat de décès de M., une enquête fut diligentée. Le dossier fut toutefois classé sans suite.
3. En 2007, V. fut hospitalisée à la demande d’un pédiatre, en raison d’un hématome au bas de la jambe et de la découverte de fractures plus anciennes. Deux informations judiciaires furent ouvertes, puis jointes.
4. Par une ordonnance du 24 avril 2012, la requérante fut mise en accusation devant la cour d’assises du département de la Moselle pour avoir volontairement commis des violences, ayant entraîné d’une part, la mort de M. sans intention de la donner et, d’autre part, une ITT supérieure à huit jours sur l’enfant V. Le juge d’instruction précisa que, compte tenu des absences du père du domicile familial, les violences commises sur les deux jeunes enfants ne pouvaient avoir été commises que par leur mère.
5. Par deux arrêts du 9 février 2013, la cour d’assises déclara la requérante coupable des faits reprochés et la condamna à une peine de dix ans de réclusion criminelle.
6. Le 17 décembre 2014, la cour d’assises du département de Meurthe‑et‑Moselle, statuant en appel, rejeta un incident de procédure soulevé par la requérante.
7. Par un arrêt en date du 18 décembre 2014, elle déclara la requérante coupable des faits et la condamna à une peine de quinze ans de réclusion criminelle.
8. S’agissant des violences volontaires ayant entraîné la mort de M., la feuille de motivation annexée à l’arrêt est rédigée de la manière suivante :
« - tous les experts médicaux ont conclu que le décès [de l’enfant M.] a été causé par de mauvais traitements du type de l’enfant secoué. (...)
- (...) selon [deux experts désignés] l’association d’un hématome sous-dural à des contusions cérébrales permet de diagnostiquer que l’enfant a été victime du syndrome de l’enfant secoué (...).
- les déclarations répétées [du père] qui dit que sa concubine le 17 novembre 2006, lui a confié qu’excédée par les pleurs du bébé, elle l’avait secoué dans la nuit du 15 au 16 novembre 2006.
- [la requérante] a reconnu à plusieurs reprises pendant l’instruction avoir secoué l’enfant d’avant en arrière, dans la nuit du 15 au 16 novembre 2006, (...).
- qu’après avoir nié les causes traumatiques du décès [de l’enfant M.], [la requérante] les admet à l’audience mais les impute intégralement à son ex-concubin.
- (...) ces accusations tardives envers son ex-concubin sont imprécises et ne sont corroborées par aucun élément du dossier ».
9. Par un arrêt du 10 février 2016, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante. Répondant à un moyen de cassation tiré du défaut de motivation de la peine, elle répondit ce qui suit :
« (...) la cour et le jury, qui, aux termes de l’article 132-18 du code pénal, ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix d’une peine de réclusion criminelle, disposent en outre du pouvoir d’apprécier souverainement, dans les limites fixées par la loi et sans méconnaître les principes conventionnels invoqués, la durée d’une telle peine ; (...) ».
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante estime que la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Elle se plaint de l’absence de motivation spécifique de la peine de quinze ans de réclusion criminelle prononcée à son encontre.
11. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011- 939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).
12. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que la requérante a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015).
13. Par ailleurs, elle constate que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur une page et demie dans la feuille de motivation (paragraphe 8 ci-dessus), qui correspondent d’ailleurs aux constats relevés dans l’acte de mise en accusation (paragraphe 4 ci-dessus), sont de nature à permettre à la requérante de comprendre tant les raisons de sa condamnation que le quantum de sa peine.
14. La Cour relève également que les circonstances aggravantes, en relation avec la qualité d’ascendant et le très jeune âge des victimes, ont fait l’objet de questions individualisées (Cherpion c. Belgique (déc.), no 47158/11, 9 mai 2017, § 43), et sont rappelées dans l’arrêt. Elle note que ces circonstances aggravantes ont conduit les juges à prononcer une peine plus forte que la sanction normalement encourue pour des faits de violence volontaire, dans la limite légale fixée par l’article 222-8 du code pénal, expressément visé.
15. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et la motivation de la décision (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que la requérante, qui était assistée d’un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict prononcé à son encontre.
16. Il s’ensuit que le grief tiré de l’absence de motivation de la peine est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
17. Enfin, la requérante soulève un autre grief tiré de l’article 6 de la Convention relatif à la présentation des modes de preuve.
18. La Cour juge toutefois, à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession, que les faits dénoncés ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles.
19. Il s’ensuit que ces allégations sont manifestement mal fondées et doivent être également rejetées en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.
Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente