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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 51433/17
Aliriza CIMEN
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :

Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 51433/17 contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Aliriza Cimen (« le requérant ») né en 1982 et résidant à Mulhouse, représenté par Mes A. Meghriche et A. Dlubak, avocats à Colmar et Carcassonne, a saisi la Cour le 27 décembre 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt d’une cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné le requérant à une peine de trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son ancienne concubine.

2. Par une ordonnance du 10 juillet 2014, le requérant fut mis en accusation pour le meurtre de son ancienne concubine commis en état de récidive, en raison d’une précédente condamnation pour tentative de meurtre prononcée par jugement définitif du tribunal pour enfants de Strasbourg, en date du 22 février 1999.

3. Le 3 juillet 2015, la cour d’assises du département du BasRhin déclara le requérant coupable des faits et le condamna à une peine de trente ans de réclusion criminelle. Par un arrêt rendu le même jour, le retrait total de l’autorité parentale exercée par le requérant sur son fils, né en septembre 2009 de ses relations avec la victime, fut ordonné.

4. Par un arrêt du 17 juin 2016, la cour d’assises du département du Haut-Rhin, statuant en appel, confirma la décision de première instance, tant sur la culpabilité que sur le quantum de la peine. Par un arrêt rendu le même jour, à la requête de l’administrateur ad hoc de l’enfant, le retrait total de l’autorité parentale fut également confirmé.

5. La feuille de motivation annexée à l’arrêt expose, sur deux pages et demie, les principaux éléments suivants :

« - (...) après [cette séparation], l’accusé a surveillé et harcelé [la victime] devant son domicile, sur son lieu de travail et par téléphone ;

- (...) en août 2012, [la victime] a déposé plainte pour violences et contacté un avocat en vue de saisir le juge aux affaires familiales, afin de réglementer la situation de l’enfant commun ;

- (...) l’accusé et la victime ont passé ensemble la journée et la soirée du 3 septembre 2012 et ont affiché leurs différends devant des tiers, l’accusé évoquant son souhait de reformer une famille et [la victime] disant que c’était impossible ;

- (...) l’accusé est la dernière personne connue à avoir vu vivante [la victime], dont le décès, causé par une asphyxie comportant des gestes de strangulation, a été situé entre le 3 septembre à 21 h 31 (dernière utilisation du téléphone) et le 4 septembre à 0 h 45 (estimation du médecin légiste) ; (...) ».

6. Par un arrêt du 28 juin 2017, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, après avoir opéré un contrôle de la motivation relatifs aux faits et aux circonstances aggravantes, dans les termes suivants :

« (...) plusieurs scènes de violence physiques, des menaces avec un couteau, des menaces de mort réitérées ont été décrites par des témoins [membres de la famille de la victime et de l’accusé, amis du couple] qui ont assisté ou ont reçu les confidences de [la victime] ; (...) les violences ont débuté alors que [la victime] était enceinte de [l’enfant qu’elle avait eu avec le requérant] et ont perduré jusqu’à la séparation, marquée par le saccage de l’appartement de [la victime] par l’accusé ; (...) [le requérant] reconnaît les dégradations et avoir commis des violences sur sa compagne (...) ; (...) après la séparation du couple en juin 2012, ces mêmes témoins indiquent que l’accusé n’avait de cesse de surveiller et harceler [la victime] devant son domicile et sur son lieu de travail, la téléphonie de l’accusé venant corroborer ces dires (déclenchement fréquent et parfois tard dans la soirée où la nuit du relai à proximité du domicile de [la victime]) ; (...) le 9 août 2012, [la victime] a porté plainte pour violences et dégradations le 9 août 2012, et a également pris rendez-vous (...) avec un avocat afin de déposer une requête devant le juge aux affaires familiales visant à réglementer la résidence de l’enfant et les droits du père, ce qui témoigne clairement de sa détermination à tourner la page de sa relation avec l’accusé ; ».

7. Répondant à un moyen de cassation relatif à l’absence de motivation de la peine par la cour d’assises d’appel, sur le fondement notamment de l’article 6 de la Convention, elle se prononça comme suit :

« (...) [le requérant] ne saurait reprocher à la cour d’assises de ne pas avoir motivé le choix de la peine prononcée contre lui, dès lors que selon l’article 365-1 du code de procédure pénale, en cas de condamnation par cette juridiction, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé, et qu’en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent (...) ».

8. Enfin, la Cour de cassation rejeta également un moyen tiré du défaut de motivation de la décision de retrait de l’autorité parentale du requérant à l’égard de son fils.

APPRÉCIATION DE LA COUR

9. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Il se plaint à la fois de l’absence de caractérisation des circonstances aggravantes et de l’absence de motivation spécifique de la peine de trente ans de réclusion criminelle prononcée à son encontre.

10. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011-939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).

11. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que le requérant a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015).

12. Par ailleurs, elle constate que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur deux pages et demi dans la feuille de motivation (paragraphe 5 ci-dessus), ainsi que les éléments constitutifs de l’infraction contrôlés par la Cour de cassation (paragraphe 6 ci-dessus), sont de nature à permettre au requérant de comprendre tant les raisons de sa condamnation que le quantum de sa peine.

13. La Cour observe que les circonstances aggravantes tirées du fait qu’il était l’ancien concubin de la victime et que le meurtre a été commis en raison de leurs anciennes relations, contrairement à ce que soutient le requérant, sont largement développées dans la feuille de motivation (paragraphe 5 ci-dessus) et ont fait l’objet d’un contrôle de la part de la Cour de cassation (paragraphe 6 ci-dessus).

14. En outre, elle note que la cour d’assises d’appel a précisé, dans son arrêt, que le requérant se trouvait en état de récidive légale pour avoir été précédemment et définitivement condamné pour tentative de meurtre (paragraphe 2 ci-dessus).

15. La Cour constate que les éléments factuels, les circonstances aggravantes et l’état de récidive ont conduit les juges à prononcer une peine plus forte que celle habituellement retenue, dans le respect de la limite légale fixée par l’article 221-4 du code pénal, expressément visé.

16. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et le prononcé de la sanction (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que le requérant, qui était assisté d’un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict prononcé à son encontre.

17. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

18. Enfin, le requérant soulève d’autres griefs tirés à la fois de l’article 6 § 1 (jonction des deux instances) et des articles 6 et 8 de la Convention (défaut de motivation du retrait de l’autorité parentale).

19. La Cour juge toutefois, à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession, que les faits dénoncés ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles.

20. Il s’ensuit que ces allégations sont manifestement mal fondées et doivent être également rejetées en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente