Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 41524/18
Jérôme LEPERE
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :

Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 41524/18 contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jérôme Lepere (« le requérant ») né en 1977 et détenu à Beauvais, représenté par Me P. Spinosi, avocat à Paris, a saisi la Cour le 28 août 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt d’une cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné le requérant à dix ans de réclusion criminelle pour des faits de viol incestueux.

2. Le 24 mai 2011, la belle-sœur du requérant, devenue majeure, déposa plainte contre ce dernier pour des faits de viol et d’agressions sexuelles commis entre 1996 et 2002, alors qu’elle était âgée de 6 ans à 12 ans.

3. Par une ordonnance du 24 février 2015, le juge d’instruction mit le requérant en accusation du chef de viols sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité. Il releva notamment que le requérant avait toujours nié avoir pu garder seul la victime les mercredis, en raison de ses obligations scolaires et professionnelles, alors que l’instruction avait permis de constater le contraire, ce qui tendrait « à renforcer la crédibilité des propos de la victime tenus plusieurs années après, qui ne pouvait avoir une connaissance précise de l’emploi du temps [du requérant], sauf à être justement gardée par lui ces jours-là ».

4. Le 10 juin 2016, la cour d’assises du département de l’Oise déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine de huit ans d’emprisonnement. Parmi les éléments à charge débattus, elle retint notamment les points suivants :

« Les déclarations constantes et concordantes de [la victime] s’agissant des faits de pénétration sexuelle dénoncés comme ayant été commis par [le requérant] (...)

Les mêmes déclarations, constantes s’agissant des formes de ces pénétrations sexuelles et leur concordance avec les éléments contextuels relatifs à la description et à l’agencement des différentes habitations où ils se sont produits.

(...), les déclarations [des parents de la victime], selon lesquelles leur gendre gardait effectivement [seul la victime] certains mercredis matins, les déclarations [de sa sœur] confirmant ces circonstances avant qu’elle ne se rétracte (...) ».

5. Par un arrêt du 10 mars 2017, la cour d’assises d’appel du département de l’Aisne déclara à nouveau le requérant coupable des faits et le condamna à une peine de dix ans de réclusion criminelle.

6. Sur la question de la culpabilité pour des faits de viols aggravés, la cour d’assises d’appel exposa les points suivants « discutés contradictoirement lors des débats » :

« - les déclarations circonstanciées (sur des détails des situations de fait) et constantes dans leur globalité (pendant presque six ans) de la jeune femme, (...), réitérées lors de l’audience criminelle par cette dernière, âgée à ce jour de presque 27 ans, qui a toujours indiqué n’avoir pas été consentante pour les dits actes, s’étant vu surprise puis contrainte de les subir en raison du climat de confiance préalablement instauré par l’accusé au sein de la "cellule familiale",

- la victime (...) a vécu, dans les premiers temps, à tout le moins ponctuellement, avec l’accusé au sein du domicile familial de ses parents, (...) lesquels acceptaient d’héberger ce dernier, petit ami puis concubin de [la sœur de la victime], caractérisant en cela une autorité de fait de l’accusé sur la jeune enfant (...)

- les confidences [de la victime] dans le courant du second semestre de l’année 2010, à son amie (...) ce que cette dernière a expressément confirmé lors des débats criminels, confidences (quant à la réalité des abus sexuels subis), faites antérieurement à la révélation judiciaire des faits, excluant dès lors l’existence d’un quelconque complot (...),

- les déclarations concordantes des parents de la partie civile, notamment lors des débats criminels, sur les circonstances de révélation des faits en mai 2011 à l’occasion d’une visite de leur fille (...), sauf à penser qu’ils feraient partie d’un complot qui aurait pour conséquence de prendre parti pour l’une de leurs filles (...),

- les investigations menées et les pièces versées tant lors de l’instruction que pendant les débats criminels, notamment à l’initiative des parties elles-mêmes, lesquelles ont démontré d’une part "l’omerta familiale" (...) et d’autre part l’existence d’une rupture complète de la [victime avec sa sœur], épouse de l’accusé (...),

- les investigations consistant en diverses auditions de l’entourage familial ou amical et les renseignements obtenus suite aux réquisitions faites lors de l’instruction, lesquelles (...) ont permis de conclure à la possibilité matérielle de la commission des faits (à savoir d’avoir pu garder seul [la victime les mercredis]), (...)

- les conclusions de l’expert légiste (...), ne contredisant pas les déclarations de la [victime), étant (...) souligné qu’il a pu préciser, (...) qu’une sodomie sur une enfant de six ans sans saignement était possible (...),

- les conclusions de l’expertise psychologique de la [victime] faisant état tant d’un récit concernant les faits apparaissant comme cohérent et authentique que des difficultés psychologiques ressenties par cette dernière (...) ».

7. Par un arrêt du 28 février 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant.

8. Répondant à un moyen de cassation relatif à l’insuffisance de motivation de l’arrêt de la cour d’assises, la Cour de cassation se prononça comme suit :

« les énonciations de la feuille de questions et celles de la feuille de motivation mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’assises, statuant en appel, a caractérisé les principaux éléments à charge, résultant des débats, qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé, et justifié sa décision, conformément aux dispositions conventionnelles invoquées et à l’article 365-1 du code de procédure pénale ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par la cour et le jury, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis (...) ».

APPRÉCIATION DE LA COUR

9. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Il se plaint tant de la motivation de la culpabilité que de l’absence de motivation spécifique de la peine prononcée à son encontre.

10. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011- 939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).

11. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que le requérant a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015).

12. Par ailleurs, elle note que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur presque deux pages dans la feuille de motivation ne constituent pas des formules « dubitatives » ou reposant sur la simple possibilité matérielle d’avoir commis les faits (paragraphe 6 ci-dessus). Elle considère au contraire que ces éléments, exposant la nature des faits et leur durée, ainsi que les déclarations constantes et cohérentes de la victime quinze ans après les faits, tant en première instance qu’en appel (paragraphes 4 et 6 ci-dessus), qui correspondent d’ailleurs aux constats relevés dans l’acte de mise en accusation, sont de nature à permettre au requérant de comprendre les raisons de sa condamnation.

13. La Cour relève également que les circonstances aggravantes, en raison de l’autorité du requérant sur la victime et l’âge de cette dernière au moment des faits, ont fait l’objet de questions individualisées (Cherpion c. Belgique (déc.), no 47158/11, 9 mai 2017, § 43) et d’un contrôle de la Cour de cassation (paragraphe 8 ci-dessus). Elle note que ces circonstances aggravantes ont conduit les juges à en tenir compte pour déterminer le quantum de la peine, dans le respect de la limite maximale fixée par l’article 222-24 du code pénal, dans sa rédaction alors applicable.

14. Elle constate enfin qu’en droit interne, l’appel permettait à la cour d’assises du second ressort de réexaminer l’affaire en son entier, l’appel incident du ministère public permettant par ailleurs d’aggraver la peine prononcée en première instance.

15. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et le prononcé de la peine retenue en appel (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que le requérant, qui était assisté d’un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict qui a été prononcé à son encontre.

16. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

17. Enfin, le requérant soulève d’autres griefs tirés de l’article 6 § 2 (présomption d’innocence) et des articles 6 § 1 et 14 (interdiction de discrimination).

18. La Cour juge toutefois, à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession, et pour autant que les faits litigieux relèvent de sa compétence, que les faits dénoncés ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles.

19. Il s’ensuit que ces allégations sont manifestement mal fondées et doivent être également rejetées en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente