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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 23/19
Kodjo Ben HODOR
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :

Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 23/19 contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Kodjo Ben Hodor (« le requérant ») né en 1980 et détenu à Harfleur, représenté par Me H. Farge, avocate à Paris, a saisi la Cour le 19 décembre 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt de la cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné le requérant à la peine de vingtdeux ans de réclusion criminelle pour des faits de meurtre avec préméditation (assassinat).

2. Par un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 3 juillet 2013, le requérant fut mis en accusation pour avoir volontairement donné la mort, le 26 septembre 2009, à F. et, le 8 juin 2011, à C., avec préméditation.

3. Le 20 juin 2014, la cour d’assises du département de Seine-Saint-Denis acquitta le requérant du meurtre de F., après avoir retenu un état de légitime défense. Elle le déclara cependant coupable de l’assassinat de C. et le condamna à une peine de vingt ans de réclusion criminelle.

4. Par un arrêt du 27 janvier 2017, la cour d’assises du département de Seine-et-Marne, statuant en appel, acquitta à nouveau le requérant concernant F., tout en le déclarant coupable des faits d’assassinat à l’égard de C., le condamnant à une peine de vingt-deux ans de réclusion criminelle.

5. Rappelant que les éléments à charge furent discutés lors des débats et exposés au cours des délibérations, préalablement aux votes sur les questions, la cour d’assises d’appel retint notamment les éléments à charge suivants :

« Le 8 juin 2011, [le requérant] disposait de deux armes à feu très dangereuses (armes de guerre selon l’expert), chargées d’un très grand nombre de cartouches, présentant toutes une capacité létale incontestable ;

Il a pris soin de revêtir un gilet pare-balles ce qui signifie qu’il envisageait clairement d’en découdre ; il a convenu à la barre avoir voulu "que la peur change de camp" ;

Casqué et ganté, il a suivi le véhicule conduit par [C.] sur un scooter volé (...) afin de garantir sa fuite ;

Les témoins policiers (...) ont confirmé à l’audience que [le requérant] a de suite tiré à trois reprises après avoir immobilisé son scooter ; il a ainsi marqué sa volonté, délibérée et sans appel, de ne pas menacer mais de tuer l’occupant [du véhicule].

[Le requérant] à lui-même confirmé à la barre ses propos tenus au cours de l’information selon lesquels il n’avait rien vu dans les mains de [C.] avant de tirer ; aucune arme n’a été par ailleurs, retrouvée dans la voiture conduite par ce dernier. En outre, il s’est rendu sur le "territoire" de la victime lourdement armé, alors que rien ne l’y obligeait et ne s’est pas enfui après avoir identifié les policiers avant ses tirs. Or il pouvait facilement fuir avec son scooter puissant s’il s’était senti en danger.

Deux des trois tirs mortels ont atteint [C.] dans le dos, lequel se trouvait donc dans une position de défense et non d’attaque.

Les trois coups de feu à courte distance, dont deux dans des zones vitales, avant même que [C.] ne prononce la moindre parole, traduisent par leur répétition et par les organes atteints, l’intention homicide ; (...)

Les menaces de mort invoquées par [le requérant] n’ont été confirmées à aucun moment ; or ce dernier pouvait à tout moment se rendre aux services de police mettant ainsi fin à d’éventuelles représailles ; (...)

Enfin, la préméditation est caractérisée par la filature de [C.] avant l’assassinat, muni d’armes de guerre approvisionnées, d’un gilet pare-balles, sur un scooter puissant et maquillé lui facilitant la fuite (...).

En organisant sa venue lourdement armé il a accompli une multitude d’actes préparatoires pour faciliter, tant le meurtre de [C.] que sa fuite sans laisser de traces, caractérisant la préméditation. »

6. Par une décision du 2 mars 2018, sur renvoi de la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité à la demande du requérant, le Conseil constitutionnel déclara contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code pénal, qui ne prévoyait que la motivation de la culpabilité, au motif notamment que « [le] principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de [la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen], implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » (décision no 2017694 QPC du 2 mars 2018, paragraphe 8). Il décida toutefois que cette abrogation ne prendrait effet qu’à compter du 1er mars 2019 et que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la date de publication de sa décision, soit avant le 2 mars 2018, ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

7. Par un arrêt du 20 juin 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant.

8. Répondant à un moyen de cassation tiré de l’absence de motivation de l’arrêt sur la peine, la Cour de cassation se prononça comme suit :

« si le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 2017-694 QPC du 2 mars 2018, a déclaré contraire à la Constitution l’article 365-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, en ce qu’il n’impose pas à la cour d’assises de motiver le choix de la peine qu’elle prononce, il a reporté au 1er mars 2019 les effets de cette abrogation et décidé que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la publication de sa décision ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité ;

(...) il ne résulte d’aucune disposition de la Convention européenne des droits de l’homme que la cour d’assises, après avoir statué sur la culpabilité, soit tenue de motiver la peine qu’elle prononce (...) ».

APPRÉCIATION DE LA COUR

9. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Il se plaint de l’absence de motivation spécifique de la peine prononcée à son encontre.

10. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011-939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).

11. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que le requérant a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015).

12. Par ailleurs, elle constate que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur une page et demie dans la feuille de motivation, qui caractérisent notamment l’existence d’une préméditation, sont de nature à permettre au requérant de comprendre les raisons de sa condamnation et le quantum de sa peine (paragraphe 5 ci-dessus).

13. La Cour constate également que ces éléments ont conduit les juges à prononcer une peine de vingt-deux ans de réclusion criminelle, dans le respect de la peine maximale prévue à l’article 221-13 du code pénal.

14. Elle observe enfin qu’en droit interne l’appel permettait à la cour d’assises du second ressort de réexaminer l’affaire dans son entier, l’appel incident du ministère public lui permettant par ailleurs d’aggraver la peine prononcée en première instance.

15. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et le prononcé de la sanction (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que le requérant, qui était assisté d’un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict qui a été prononcé à son encontre.

16. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

17. Enfin, le requérant soutient également, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, qu’il n’aurait pas bénéficié d’un recours effectif, la Cour de cassation n’ayant tenu aucun compte de la décision du Conseil constitutionnel en ce qui le concerne (paragraphe 6 ci-dessus).

18. La Cour rappelle que l’article 13 s’applique seulement lorsqu’un individu peut se prétendre de manière défendable victime d’une violation d’un droit protégé par la Convention (Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 106, CEDH 2005-IX, et De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 180, 23 février 2017).

19. En l’espèce, la Cour a déjà constaté l’absence de violation au titre de l’article 6 de la Convention. Elle observe, outre le fait que le requérant a bénéficié d’une procédure effective, au cours de laquelle, assisté par un avocat, il a pu faire valoir ses arguments et contester l’ensemble des preuves à charge, que le requérant ne soulève aucun autre « grief défendable » au regard de l’article 13 de la Convention, lequel n’est donc pas applicable.

20. Il s’ensuit que cette partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente