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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 418/19
SCI BARAKA
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 418/19 contre la République française et dont une personne morale de droit français, la Société Civile Immobilière Baraka (« la société requérante ») représentée par Me G. Thuan Dit Dieudonné, avocat à Strasbourg, a saisi la Cour le 19 décembre 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt d’une cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné la société requérante à une peine de confiscation du bien immobilier lui appartenant et ayant servi au délit d’associations de malfaiteurs en bande organisée.
2. Au terme d’une information concernant l’écoulement et la transformation de bijoux et d’or volés, neuf personnes physiques furent mises en accusation pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime, vols en bande organisée avec arme au préjudice de différentes bijouteries de la région parisienne, et association de malfaiteurs en vue de la préparation de délits punis de dix ans d’emprisonnement.
3. La société requérante fut également mise en accusation pour association de malfaiteurs en vue de la préparation de recels en bande organisée, « pour avoir à Castillon du Gard, Drancy, dans le Val d’Oise, en Seine Saint Denis (...), participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de recels en bande organisée ».
4. Par un arrêt du 12 décembre 2014, la cour d’assises du département du Val d’Oise déclara les personnes physiques coupables des faits reprochés et les condamna à des peines d’emprisonnement. Par ailleurs, la société requérante fut également déclarée coupable et condamnée à la confiscation d’un bien immobilier lui appartenant, situé à Castillon-du-Gard.
5. Le 23 mai 2017, la cour d’assises du département des Yvelines, composée uniquement de magistrats professionnels et statuant en appel, confirma la culpabilité de la société requérante et la confiscation du bien immobilier. Elle retint notamment les éléments à charge suivants :
« - le transport des bijoux dérobés effectués entre la région parisienne et Castillon du Gard (notamment par l’autoroute entrainant un paiement des péages via un badge cofiroute)
- les perquisitions faites tant au domicile de Drancy [nouveau siège social de la société requérante depuis le 21 novembre 2021] que dans la maison de Castillon du Gard où seront découverts des pierres précieuses, des résidus de bijoux, un brouilleur d’onde, une comptabilité ;
- l’expertise attestant de la présence dans les creusets découverts de résidus d’or et de pierres précieuses, établissant que cette villa de Castillon du Gard servait d’atelier pour fondre les bijoux ;
- la présence de marque sur l’un des murets de la propriété de Castillon attestant de l’utilisation sur place des fours ; (...)
- la mise à disposition certaine des lieux à des individus fondant sur place l’or dans la mesure où aucun justificatif de location à des tiers ou d’intrusions irrégulières de personnes étrangères n’est rapportée ;
- la représentante de la [société requérante] en participant à cette association de malfaiteurs a pu ainsi tirer des revenus occultes lui permettant d’assurer le paiement de l’entretien du bien immobilier et des taxes afférant à ce bien ;
- les revenus et train de vie (...) [de la] représentante de la [société requérante] en inadéquation avec la quasi-absence de revenus de l’intéressée (...) ».
6. Parallèlement, dans une autre affaire dans laquelle la Cour de cassation décida de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’absence de motivation de la peine par les cours d’assises, la société requérante déposa des observations en intervention. Par une décision du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel déclara contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code pénal, qui ne prévoyait que la motivation de la culpabilité, au motif notamment que « [l]e principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de [la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen], implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » (décision no 2017‑694 QPC du 2 mars 2018, paragraphe 8). Il décida toutefois que cette abrogation ne prendrait effet qu’à compter du 1er mars 2019 et que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la date de publication de sa décision, soit avant le 2 mars 2018, ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
7. Par un arrêt du 20 juin 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la société requérante.
8. Répondant à un moyen relatif à l’insuffisance de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel, notamment sur le fondement de l’article 6 de la Convention, la Cour de cassation se prononça comme suit :
« pour déclarer la [société requérante] coupable du délit d’association de malfaiteurs, la feuille de motivation retient notamment le résultat de surveillances policières, l’exploitation de la mémoire d’un ordinateur, les conditions de transport de bijoux volés, la mise à disposition d’une maison, le résultat de perquisitions et d’expertises, des traces figurant sur un muret, les conditions de mise à la disposition des malfaiteurs d’une villa ainsi que le comportement de la représentante de la société, en particulier ses revenus et son train de vie ;
(...) se déterminant ainsi (...) la cour d’assises, a caractérisé les principaux éléments à charge, résultant des débats, qui l’ont convaincue de la culpabilité de [la société requérante] du chef d’association de malfaiteurs, et ainsi justifié sa décision, conformément aux dispositions conventionnelles invoquées (...) ».
9. S’agissant des moyens tirés de l’inconstitutionnalité du deuxième alinéa de l’article 365-1 et de son inconventionnalité au regard de l’article 6 de la Convention, la Cour de cassation répondit de la manière suivante :
« (...) si le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 2017-694 QPC du 2 mars 2018, a déclaré contraire à la Constitution l’article 365-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, en ce qu’il n’impose pas à la cour d’assises de motiver le choix de la peine qu’elle prononce, il a reporté au 1er mars 2019 les effets de cette abrogation et décidé que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la publication de sa décision ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité ;
(...) il ne résulte d’aucune disposition de la Convention européenne des droits de l’homme que la cour d’assises, après avoir statué sur la culpabilité, soit tenue de motiver la peine qu’elle prononce (...) ».
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante estime que l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Elle se plaint de l’absence de motivation spécifique de la peine de confiscation prononcée à son encontre.
11. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011- 939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).
12. Elle rappelle également que, s’agissant des procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, la compréhension par un accusé de sa condamnation est assurée au premier chef par la motivation des décisions de justice. L’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce, l’accusé devant être à même de comprendre le verdict qui a été rendu (Ramda c. France, no 78477/11, §§ 59-60, 19 décembre 2017).
13. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que la société requérante a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015)
14. Par ailleurs, elle constate que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur une page dans la feuille de motivation sont de nature à permettre à la société requérante de comprendre tant les raisons de sa condamnation que le quantum de sa peine. En particulier, elle relève que la cour d’assises d’appel a notamment caractérisé le fait que le bien immobilier confisqué avait servi à stocker les bijoux volés, ainsi qu’à fondre l’or provenant de ces bijoux (paragraphe 5 ci-dessus).
15. La Cour observe également qu’à supposer même que la Convention garantisse un principe général de proportionnalité des peines (Göktan c. France, no 33402/96, § 58, CEDH 2002-V), la société requérante n’étaye pas son grief quant au prétendu caractère disproportionné ou déraisonnable de la sanction, lorsqu’elle allègue que le bien immobilier confisqué serait le seul bien qu’elle possèderait.
16. Au contraire, il ressort de la lecture des pièces produites par la société requérante que celle-ci a pour activité la location de terrains et d’autres biens immobiliers. La Cour note à ce titre que, sur le site du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc), il apparaît que, depuis le 12 novembre 2021, elle a transféré son siège social à une adresse, correspondant dorénavant à celle de son établissement principal et où demeuraient déjà trois des accusés ayant participé à l’association de malfaiteurs en cause. La Cour constate donc qu’elle disposait de plusieurs immeubles et que, après la confiscation litigieuse du bien immobilier ordonnée en 2017, cette sanction n’a pas mis fin définitivement à sa personnalité morale, comme elle le prétend.
17. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et la sanction retenue (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que la société requérante, qui était assistée par un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict prononcé à son encontre.
18. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
19. Enfin, la société requérante soutient également, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, qu’elle n’aurait pas bénéficié d’un recours effectif, la Cour de cassation n’ayant tenu aucun compte de la décision du Conseil constitutionnel en ce qui la concerne (paragraphe 6 ci-dessus).
20. La Cour rappelle que l’article 13 s’applique seulement lorsqu’un individu peut se prétendre de manière défendable victime d’une violation d’un droit protégé par la Convention (Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 106, CEDH 2005-IX, et De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 180, 23 février 2017).
21. Or, en l’espèce, la Cour a déjà constaté l’absence de violation au titre de l’article 6 de la Convention. Elle observe, outre le fait que la société requérante a bénéficié d’une procédure effective et contesté l’ensemble des preuves à charge, au cours de laquelle, assistée par un avocat, elle a pu faire valoir ses arguments, que la société requérante ne soulève aucun autre « grief défendable » au regard de l’article 13 de la Convention, lequel n’est donc pas applicable.
22. Il s’ensuit que cette partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.
Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente