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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 1281/19
Ousmane KANE
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 1281/19 contre la République française et dont un ressortissant de cet M. Ousmane Kane (« le requérant ») né en 1992 et détenu à Villepinte, représenté par Me W. Julié, avocat à Paris, a saisi la Cour le 19 décembre 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt de la cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné le requérant à une peine de quinze ans de réclusion criminelle pour des faits de meurtre.
2. Le 3 mars 2014, un juge d’instruction ordonna la mise en accusation du requérant, du chef notamment de meurtre en récidive, et son renvoi devant la cour d’assises, ainsi que celui de deux autres personnes pour le délit connexe de violences volontaires aggravées.
3. Par un arrêt du 3 octobre 2015, la cour d’assises du département de Seine-Saint-Denis acquitta l’ensemble des personnes poursuivies devant elle.
4. Le 14 janvier 2017, la cour d’assises du département du Val-de-Marne, statuant en appel, acquitta les autres personnes poursuivies mais déclara le requérant coupable de meurtre. Elle le condamna à une peine de quinze ans de réclusion criminelle, après avoir précisé que le crime avait été commis en état de récidive, en raison de deux précédentes condamnations du tribunal pour enfants de Bobigny.
5. L’arrêt est notamment motivé de la manière suivante :
« [le requérant] est désigné comme étant l’auteur des coups de feu tirés sur la personne de [la victime] par les deux témoins ayant déposé sous couvert de l’anonymat.
Ces deux témoins relient ces faits à ceux survenus la veille (...) où [le requérant], venu en scooter avec un autre individu, a été violemment pris à partie et a reçu un coup de tête.
Les constatations matérielles (...) ainsi que l’expertise balistique permettent d’affirmer que quatre des munitions (...) ont été tirées avec la même arme que les deux balles ayant mortellement touché [la victime]. (...)
La présence [du requérant] sur les lieux du crime (...) a été dénoncée d’autre part par [un autre accusé] lors de ses premières auditions en garde à vue. (...)
Les déclarations des témoins ayant déposé sous identité cachée, et notamment celles du témoin X2, sont particulièrement circonstanciées et sont confortées par d’autres éléments du dossier.
- (...) s’agissant des circonstances dans lesquelles la victime a été tuée (...), la déposition [d’un témoin non anonyme] confirme notamment l’existence de trois coups de feu tirés par un seul et même auteur qui a rebroussé chemin après le troisième tir (...)
L’absence [des deux témoins anonymes] à l’audience ainsi que le refus de l’un d’entre eux d’être confronté à l’accusé au cours de l’instruction s’explique par le contexte de peur qui a entouré les faits étant observé qu’aucun des témoins présents lors du crime n’a osé déclarer avoir vu le visage du tireur, ce que la cour juge peu crédible eu égard au nombre de personnes présentes.
Le déroulement des débats a confirmé la crainte inspirée aux divers témoins par [le requérant] et ses co-accusés. Certains témoins ont clairement évoqué le stress de comparaître, d’autres n’ont pas répondu à la convocation et d’autres ont enfin comparu suite aux mandats d’amener délivrés par la cour et ont quasiment refusé de s’exprimer sur les faits.
La cour a relevé que si [le requérant] a été désigné par la rumeur comme étant l’auteur des coups de feu ayant atteint [la victime], aucun autre nom n’est ressorti du dossier s’agissant du tireur. (...)
L’intention homicide résulte de l’arme utilisée (une arme de guerre), du nombre de coups de feu (trois), de la distance rapprochée de tir ainsi que des zones visées (le thorax et le bas du ventre, zones abritant des organes vitaux) (...) ».
6. Par une décision du 2 mars 2018, sur renvoi de la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité à la demande du requérant, le Conseil constitutionnel déclara contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code pénal, qui ne prévoyait que la motivation de la culpabilité, au motif notamment que « [l]e principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de [la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen], implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » (décision no 2017‑694 QPC du 2 mars 2018, paragraphe 8). Il décida toutefois que cette abrogation ne prendrait effet qu’à compter du 1er mars 2019 et que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la date de publication de sa décision, soit avant le 2 mars 2018, ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
7. Par un arrêt du 20 juin 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant.
8. Répondant à un moyen tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence, des droits de la défense et du droit au procès équitable, la Cour de cassation se prononça comme suit :
« (...) il résulte de la feuille de motivation que, si la cour d’assises a retenu, au titre des principaux éléments à charge résultant des débats et l’ayant convaincu de la culpabilité de l’accusé, les déclarations de deux témoins entendus anonymement durant l’information, après avoir relevé l’impossibilité de les retrouver et de procéder à leur confrontation en raison du contexte de peur entourant les faits, celle-ci fait ressortir que la cour d’assises ne s’est pas fondée exclusivement sur elles mais aussi sur d’autres éléments recueillis au cours des débats ; (...) le procès-verbal mentionne en outre que ces deux témoins, cités en cette qualité à l’audience, n’étaient pas présents malgré les recherches spécifiques entreprises les concernant, de telle sorte que le président a décidé de passer outre à leurs auditions et, sans observations des parties, a donné lecture de leurs déclarations (...) ».
9. S’agissant d’un moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la peine, notamment sur le fondement de l’article 6 de la Convention, la Cour de cassation répondit de la manière suivante :
« (...) si le Conseil constitutionnel, dans sa décision no2017-694 QPC du 2 mars 2018, a déclaré contraire à la Constitution l’article 365-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, en ce qu’il n’impose pas à la cour d’assises de motiver le choix de la peine qu’elle prononce, il a reporté au 1er mars 2019 les effets de cette abrogation et décidé que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la publication de sa décision ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité ;
(...) il ne résulte d’aucune disposition de la Convention européenne des droits de l’homme que la cour d’assises, après avoir statué sur la culpabilité, soit tenue de motiver la peine qu’elle prononce (...) ».
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Il se plaint aussi bien de la motivation de la culpabilité que de l’absence de motivation spécifique de la peine prononcée à son encontre. Il estime que les motifs avancés dans son affaire ne lui permettent pas de comprendre pourquoi une peine de quinze ans de réclusion criminelle a été prononcée à son encontre.
11. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011-939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).
12. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que le requérant a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015).
13. Par ailleurs, elle constate que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur deux pages dans la feuille de motivation sont de nature à permettre au requérant de comprendre tant les raisons de sa condamnation que le quantum de sa peine (paragraphe 5 ci-dessus).
14. La Cour relève également que la cour d’assises d’appel précise, dans son arrêt, que le requérant se trouvait en état de récidive légale pour avoir été précédemment et définitivement condamné deux fois par le tribunal pour enfants (paragraphe 4 ci-dessus).
15. Elle constate ainsi que cet état de récidive, ainsi que les éléments factuels retenus, ont conduit les juges à prononcer une peine de quinze ans de réclusion criminelle, dans le respect de la limite légale fixée par l’article 221‑1 du code pénal, expressément visé.
16. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et le prononcé de la peine retenue (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que le requérant, qui était assisté d’un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict qui a été prononcé à son encontre.
17. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
18. Enfin, le requérant soulève également un grief tiré de l’article 6 § 3 de la Convention (droits de la défense).
19. La Cour juge toutefois, à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession, que les faits dénoncés ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles.
20. Il s’ensuit que ces allégations sont manifestement mal fondées et doivent être également rejetées en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.
Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente