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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 37642/19
Jean-Claude CUSSAC
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 février 2023 en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 37642/19 contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean-Claude Cussac (« le requérant ») né en 1953 et détenu à Mainguais, représenté par Me G. Thuan Dit Dieudonné, avocat à Strasbourg, a saisi la Cour le 9 juillet 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la question de la motivation de l’arrêt de la cour d’assises, statuant en appel, ayant condamné le requérant à une peine de dix ans de réclusion criminelle pour des faits de meurtre à l’occasion d’un différend de voisinage.
2. Le 29 novembre 2011, un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nantes ordonna la mise en accusation du requérant du chef de meurtre.
3. Par un arrêt du 26 février 2014, la cour d’assises du département de Loire-Atlantique déclara le requérant coupable des faits et le condamna à dix ans de réclusion criminelle ainsi qu’à une interdiction de porter une arme.
4. Le 29 juin 2017, la cour d’assises du département du Morbihan, statuant en appel, déclara le requérant coupable des faits et le condamna à dix ans de réclusion criminelle, assorti d’un suivi socio-judiciaire et d’une interdiction de porter une arme. L’arrêt est notamment motivé de la manière suivante :
« Le caractère volontaire du tir résulte :
- des déclarations de [deux] témoins directs des faits, qui ont vu [le requérant] lever le canon de son fusil puis tirer, après leur avoir dit qu’il savait n’en avoir pas le droit mais qu’il allait le faire.
- de la préparation de l’arme dans les heures précédant les faits.
L’intention homicide résulte :
- de l’utilisation d’une arme à feu munie de cartouches à plomb à très faible distance, dans une région vitale du corps que constitue l’abdomen.
- des témoignages des personnes auprès desquelles [le requérant] s’est confié avant les faits pour dire qu’il finirait par tuer [la victime] (...).
Sur la légitime défense :
(...)
[le requérant] indique n’avoir eu d’autre choix que de tirer sur [la victime] en ce que celui-ci venait de défoncer sa porte à coups de hache et menaçait de le tuer, cette déclaration étant par ailleurs peu compatible avec le caractère prétendument accidentel du tir. ».
5. Parallèlement, dans une autre affaire, la Cour de cassation décida de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’absence de motivation de la peine par les cours d’assises. Par une décision du 2 mars 2018, ce dernier déclara contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code pénal, qui ne prévoyait que la motivation de la culpabilité, au motif notamment que « [le] principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de [la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen], implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » (décision no 2017‑694 QPC du 2 mars 2018, paragraphe 8). Il décida toutefois que cette abrogation ne prendrait effet qu’à compter du 1er mars 2019 et que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la date de publication de sa décision, soit avant le 2 mars 2018, ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
6. Par un arrêt du 9 janvier 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant.
7. Répondant à un moyen tiré de l’inconstitutionnalité de l’article 365-1 du code pénal et de son inconventionnalité au regard de l’article 6 de la Convention, la Cour de cassation se prononça comme suit :
« d’une part, par décision du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 365-1, deuxième alinéa du code de procédure pénale ; (...) cette décision a reporté au 1er mars 2019 la date de cette abrogation et dit que les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la publication de cette décision et ceux rendus à l’issue d’un procès ouvert avant la même date ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité ; (...) [du requérant] a été condamné, par l’arrêt attaqué, avant la publication de la décision du Conseil constitutionnel, le 3 mars 2018 ;
(...) d’autre part, il ne résulte d’aucune disposition de la Convention européenne des droits de l’homme que la cour d’assises, après avoir statué sur la culpabilité, soit tenue de motiver la peine qu’elle prononce ; ».
8. S’agissant d’un moyen soulevé notamment sur le fondement de l’article 6 de la Convention, tiré de l’absence de procès équitable en raison du refus de renvoyer l’affaire, alors que les expertises médicales n’auraient pas permis à la cour d’assises de s’assurer de la capacité de l’accusé à suivre les débats, la Cour de cassation répondit de la manière suivante :
« (...) il résulte des pièces soumises au contrôle de la Cour de cassation que l’interrogatoire préalable [du requérant] par le président de la cour d’assises a été fixé au 22 mai 2017 ; (...) il devait se dérouler par le moyen de la visioconférence, l’avocat de l’accusé étant présent à ses côtés à la maison d’arrêt ( ...) ; (...) [le requérant], invité par le personnel pénitentiaire à se rendre dans la salle de visioconférence, a refusé, invoquant une indisposition ; (...) l’administration pénitentiaire a établi, à la demande du président, un rapport indiquant que [le requérant] estimait ne pas pouvoir comparaître du fait de son état de santé, mais ne voulait pas exposer ses motifs par écrit ; (...) le président de la cour d’assises a dressé un procès-verbal constatant s’être trouvé dans l’impossibilité de procéder à l’interrogatoire préalable de l’accusé, et a joint le rapport de l’administration pénitentiaire ;
(...) pour, rejeter le premier grief de la défense, la cour retient, par arrêt incident, que compte-tenu des circonstances, l’absence de l’accusé à l’interrogatoire préalable s’analyse en un refus de comparaître et qu’aucune nullité de la procédure subséquente n’est encourue ;
(...) en prononçant ainsi la cour a justifié sa décision, dès lors que ni l’accusé, ni son avocat, n’ont produit à l’administration pénitentiaire un document médical attestant de l’impossibilité pour [le requérant] de rejoindre la salle de visioconférence, et n’ont pas sollicité la venue immédiate d’un médecin afin de constater une telle impossibilité ; ».
APPRÉCIATION DE LA COUR
9. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel ne répond pas aux exigences de cet article. Il se plaint de l’absence de motivation spécifique des peines prononcées à son encontre.
10. La Cour renvoie aux principes bien établis résumés dans l’arrêt Lhermitte c. Belgique du 29 novembre 2016 ([GC], no 34238/09) et, concernant la France, présentés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/10) du 10 janvier 2013. En particulier, elle rappelle avoir confirmé cette jurisprudence depuis l’adoption en France de la loi no 2011-939 du 10 août 2011, insérant un nouvel article 365-1 dans le code de procédure pénale, qui prévoit dorénavant une motivation des arrêts rendus par une cour d’assises dans une feuille de motivation annexée à la feuille des questions (Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015).
11. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que le requérant a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16, et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015).
12. Par ailleurs, elle constate que le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur une page et demie dans la feuille de motivation annexée à l’arrêt de la cour d’assises d’appel sont de nature à permettre au requérant de comprendre tant les raisons de sa condamnation que le quantum de sa peine. En particulier, elle constate que la légitime défense qu’il invoquait n’a pas été retenue (paragraphe 4 ci-dessus).
13. La Cour relève également que ces éléments factuels ont conduit les juges à prononcer une peine de dix ans de réclusion criminelle, dans le respect de la limite légale fixée par l’article 221-1 du code pénal, expressément visé.
14. La Cour, qui ne décèle aucun arbitraire dans la procédure et le prononcé de la peine retenue (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017), estime que le requérant, assisté d’un avocat, a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict qui a été prononcé à son encontre.
15. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
16. Enfin, sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3, le requérant soutient qu’une atteinte aurait été portée à ses droits de la défense, dans la mesure où son état de santé ne lui aurait pas permis de se défendre et de comparaître devant la cour d’assises.
17. La Cour constate, ainsi que l’ont relevé les juges internes, que le requérant, alors qu’il avait été invité par le personnel pénitentiaire à se rendre dans la salle de visioconférence, a refusé de s’y rendre, invoquant une indisposition liée à son état de santé, mais sans en justifier dans le cadre d’écritures à destination de la juridiction. Elle note également que la Cour de cassation a par ailleurs souligné que ni l’accusé ni son avocat n’ont produit un quelconque document médical attestant de l’impossibilité pour le requérant de rejoindre la salle de visioconférence. Ils n’ont pas davantage sollicité la venue immédiate d’un médecin, afin de constater une telle impossibilité. Enfin, elle relève que la cour d’assises s’était également appuyée sur les conclusions des deux dernières expertises médicales et ne faisant apparaître aucune impossibilité de comparution pour des raisons de santé, dont le contenu et les préconisations avaient été soumis à débat contradictoire (paragraphe 8 ci-dessus).
18. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.
Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente