Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
9.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 53526/18
N.L.
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme cinquième section, siégeant le 9 février 2023 en un comité composé de :

Carlo Ranzoni, président,
Mattias Guyomar,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 53526/18 contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme N.L. (« la requérante ») née en 1954 et résidant à Décines-Charpieu, représentée par Me E. Tête, avocat à Lyon, a saisi la Cour le 8 novembre 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de ne pas divulguer l’identité de la requérante, conformément à l’article 47 § 4 du règlement,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne une procédure relative à l’internement psychiatrique de la requérante qui se plaint d’avoir été dans l’impossibilité de faire appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (« JLD ») ordonnant son maintien en hospitalisation complète sans consentement, en violation des articles 6 et 13 de la Convention.

2. Avant les faits à l’origine de la présente requête, la requérante avait été hospitalisée à plusieurs reprises sous un régime de soins sans consentement. Elle indique avoir par la suite consulté son avocat, Me Tête, les 1er et 15 septembre 2017, afin de préparer un éventuel recours en cas de nouvelle hospitalisation.

3. Le 20 septembre 2017, le préfet du Rhône prit un arrêté portant maintien d’une mesure de soins psychiatriques (sous la forme d’une hospitalisation complète) à l’égard de la requérante, pour la période du 23 septembre 2017 au 23 mars 2018.

4. La requérante indique que, le 2 octobre 2017, elle fut hospitalisée d’office au centre hospitalier du Vinatier de Bron (« l’hôpital »).

5. Le 3 octobre 2017, le préfet prit un nouvel arrêté portant réintégration en hospitalisation complète.

6. Le 10 octobre 2017, le JLD du tribunal de grande instance de Lyon, saisi par le préfet sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique (« CSP »), informa ce dernier, l’hôpital et le procureur de la République, ainsi que l’avocat de permanence, que l’audience concernant l’hospitalisation de la requérante était prévue le 13 octobre suivant, dans une salle spécialement aménagée de l’hôpital.

7. Le jour de l’audience, l’avocat de permanence déclara au juge que la requérante avait refusé de lui parler ainsi que de se présenter à l’audience. Par une ordonnance du 13 octobre 2017, le JLD ordonna le maintien en hospitalisation complète sans consentement de la requérante au motif que les conditions prévues par l’article L. 3213-1 du CSP étaient remplies. Pour ce faire, il se fonda sur un avis motivé d’un médecin en date du 9 octobre 2017, selon lequel l’hospitalisation « devait se poursuivre nécessairement », l’état mental de l’intéressée imposant des soins assortis d’une surveillance médicale constante. À l’issue de l’audience, le JLD transmit une copie de l’ordonnance à l’avocat de permanence, en main propre, ainsi qu’au directeur de l’hôpital pour notification à la requérante.

8. Le 20 octobre 2017, Me Tête envoya des télécopies au greffe du tribunal, au préfet, ainsi qu’à l’hôpital, afin de se voir communiquer une copie du dossier d’hospitalisation de sa cliente. Il précisa que cette dernière avait chargé un tiers, venu lui rendre visite à l’hôpital, de lui transmettre une lettre datée du 16 octobre dans laquelle elle l’informait d’avoir été hospitalisée contre son gré.

9. Le même jour, le préfet lui adressa une copie des trois arrêtés préfectoraux relatifs respectivement à l’admission à l’hôpital, en date du 24 mai 2016, au maintien des soins psychiatriques, en date du 20 septembre 2017, et à la réintégration en hospitalisation complète, en date du 3 octobre 2017.

10. Le 23 octobre 2017, jour de l’expiration du délai d’appel contre l’ordonnance du 13 octobre, Me Tête adressa une télécopie au greffe du JLD, afin d’obtenir en urgence l’ordonnance du 13 octobre, dont il allègue avoir appris l’existence le jour même en téléphonant au tribunal.

11. Par un courrier du même jour, le JLD lui répondit qu’en l’absence de désignation d’un avocat, la requérante avait été représentée par un avocat de permanence à l’audience du 13 octobre 2017. Le juge demanda dès lors à Me Tête que la requérante le désigne expressément comme son conseil, afin de pouvoir lui communiquer les pièces du dossier.

12. L’avocat, qui soutient avoir obtenu une copie du dossier le 6 novembre 2017, fit une déclaration d’appel par télécopie du 8 novembre 2017, précisant que la requérante l’avait mandaté et consulté dès le mois de septembre pour préparer un éventuel contentieux avec l’hôpital. Dans son recours, il invoqua un défaut de motivation des arrêtés préfectoraux et de l’ordonnance du JLD quant à la justification du maintien en hospitalisation, l’impossibilité de déterminer la dangerosité de sa cliente, l’irrégularité de la procédure, ainsi que l’interdiction faite par l’hôpital à la requérante de communiquer avec l’extérieur.

13. Au cours de l’audience d’appel du 13 novembre 2017, le représentant de l’hôpital produisit un acte de notification de l’ordonnance du JLD à la requérante en date du 13 octobre 2017, comportant les signatures de deux professionnels de l’hôpital, la requérante ayant refusé de signer ce document.

14. Par une ordonnance du 16 novembre 2017, la cour d’appel de Lyon déclara l’appel irrecevable comme tardif pour les motifs suivants :

« (...) ]L]’appel n’est pas recevable pour avoir été fait au-delà du délai de 10 jours qui expirait (...) le 23.11.2017 à 24 heures.

(...) La notification faite le 13.10.2017 était régulière (...) pour avoir été [faite] à la patiente qui n’avait pas comparu en personne dans les meilleurs délais par tout moyen permettant d’en établir la réception. (...)

[La requérante] dont il ne peut être admis qu’elle n’avait pas été convoquée devant le juge devant lequel elle a refusé de comparaître le 13.10.2017 puisqu’elle a refusé de parler à l’avocate de permanence qui a cherché à dialoguer avec elle, a bien été mise en mesure d’exercer le droit effectif de faire appel puisque l’ordonnance en copie indique bien que l’appel doit être fait dans un délai de 10 jours (...). »

La requérante forma un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

15. Le 11 mai 2018, la Cour de cassation déclara son pourvoi irrecevable en tant qu’il était dirigé contre l’hôpital, au motif que ce dernier n’avait pas été partie à l’instance, et le rejeta pour le surplus, en retenant notamment les motifs suivants :

« (...) attendu qu’après avoir constaté que [la requérante], régulièrement convoquée, n’a pas comparu, l’ordonnance relève que la décision du [JLD] a été effectuée par deux professionnels de l’établissement d’accueil, qui, en raison du refus de la patiente de signer l’accusé de réception, ont attesté lui avoir remis la décision le 13 octobre 2017 et retient que, dès lors, la notification, effectuée dans les meilleurs délais par tout moyen permettant d’en établir la réception (...) est régulière ; que de ces énonciations et appréciations, le premier président a exactement déduit que l’appel interjeté le 8 novembre 2017 était irrecevable, le délai de recours ayant couru à compter de la notification (...). »

16. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la requérante se plaint du rejet pour tardiveté de son appel contre l’ordonnance du maintien en hospitalisation, dont elle soutient qu’il l’a indûment privée de la possibilité de contester la légalité de son internement psychiatrique.

APPRÉCIATION DE LA COUR

17. En matière de privation de la liberté, l’article 5 § 4 de la Convention contient des garanties procédurales particulières distinctes de celles de l’article 6. Il s’ensuit que, même à supposer que ce dernier article soit applicable dans son volet civil, l’article 5 § 4 constitue une lex specialis (Manzano Diaz c. Belgique, no 26402/17, § 26, 18 mai 2021, et les références citées). Il en est de même s’agissant de l’article 13 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 69, CEDH 1999-II). Maîtresse de la qualification juridique, la Cour examinera donc le grief de la requérante sous l’angle de l’article 5 § 4.

18. Les principes généraux relatifs aux garanties découlant de l’article 5 § 4 sont notamment résumés dans les arrêts Ilnseher c. Allemagne ([GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 251, 4 décembre 2018) et Venet c. Belgique (no 27703/16, §§ 31-34, 22 octobre 2019). La Cour rappelle également que les parties sont tenues d’accomplir avec diligence les actes de procédure relatifs à leur affaire (Unión Alimentaria Sanders S.A. c. Espagne, 7 juillet 1989, § 35, Série A no 157, Teuschler c. Allemagne (déc.), no 47636/99, 4 octobre 2001, et Bąkowska c. Pologne, no 33539/02, § 54, 12 janvier 2010).

19. En l’espèce, tout en relevant que la requérante était placée dans une situation de particulière vulnérabilité, la Cour constate qu’elle a néanmoins pu s’organiser, en sollicitant Me Tête pour la défense de ses intérêts, pour préparer un contentieux au cas où elle ferait l’objet d’une hospitalisation sans consentement. La Cour note par ailleurs que le jour de l’audience devant le JLD, la requérante, qui n’avait pas formellement désigné un avocat pour la représenter, a refusé tout contact avec l’avocat de permanence ainsi que de comparaître en personne. En outre, bien qu’elle dénonce l’interdiction de communiquer avec l’extérieur dont elle fait l’objet, il apparaît qu’elle a été en mesure de transmettre une lettre à son avocat, par l’intermédiaire d’un tiers qui lui a rendu visite durant son hospitalisation d’office, sans d’ailleurs le tenir au courant de la tenue d’une audience le 13 octobre 2017 (paragraphe 8 ci-dessus).

20. En outre, la Cour note que l’avocat désigné par la requérante doit être regardé comme ayant nécessairement appris l’existence de la procédure litigieuse au plus tard le 20 octobre 2017, compte tenu des diligences qu’il a effectuées ce jour-là (paragraphe 8 ci-dessus). Or, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des écritures de la requérante qu’il aurait cherché à contacter son confrère, désigné au titre de la permanence le jour de l’audience, ni qu’il se serait déplacé directement au greffe du tribunal, afin d’obtenir une copie de l’ordonnance du JLD avant l’expiration du délai d’appel qui doit être regardé comme ayant été régulièrement déclenché par la notification effectuée auprès de l’avocat de permanence. Enfin, la Cour constate que l’avocat de la requérante n’a pas fait usage de la possibilité de présenter, dès le 20 octobre 2017, une déclaration d’appel succincte, à titre conservatoire, dans l’attente de recevoir une copie du dossier, voire une déclaration d’appel motivée, dans le cadre de laquelle il aurait été en mesure d’invoquer l’irrégularité qui, selon lui, entache la notification de l’audience tenue devant le JLD.

21. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour ne voit pas de raison de remettre en cause la solution retenue par la cour d’appel, qui après avoir admis la régularité de l’acte de notification de l’ordonnance du JLD à la requérante, a rejeté son appel comme tardif, une telle irrecevabilité n’étant en rien imputable aux autorités internes (Ivanova et Ivashova c. Russie, nos 797/14 et 67755/14, §§ 49-51, 26 janvier 2017, et les références citées).

22. Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

Martina Keller Carlo Ranzoni
Greffière adjointe Président