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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 7598/16
Marius JIANU
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 7 février 2023 en un comité composé de :

Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête no 7598/16 dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Marius Jianu (« le requérant »), né en 1968 et résidant à Valu lui Traian, représenté par Me A.E. Hanu, avocate à Constanţa, a saisi la Cour le 1er février 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, le grief concernant la méconnaissance alléguée de la présomption d’innocence et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. En septembre 2007, après avoir réussi un concours, le requérant fut recruté sur un poste de pompier. À une date ultérieure, des plaintes pénales furent déposées qui accusaient les responsables du concours d’avoir falsifié des épreuves pour favoriser certains candidats.

2. Trois procédures distinctes s’ensuivirent. Le requérant ne fut partie qu’aux deuxième et troisième procédures (paragraphes 5-8 et 9-14 cidessous).

  1. La procédure pénale Menée contre les responsables de l’organisation et du déroulement du concours

3. Par un réquisitoire émis par la direction nationale anticorruption (« DNA ») le 20 juillet 2009, plusieurs personnes furent renvoyées en jugement pour des soupçons de fraude dans l’organisation et le déroulement du concours en cause. Il fut également décidé de disjoindre le volet du dossier qui concernait 205 candidats dont le requérant soupçonnés d’avoir été favorisés lors de ce concours, et d’ordonner à leur égard la poursuite de l’enquête pour des faits de corruption active (paragraphes 5-8 ci-dessous).

4. Par un arrêt du 18 mai 2012, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») condamna plusieurs tiers pour des faits de faux, d’abus de service ou d’association en vue de la commission d’infractions. Par le même arrêt, la Haute Cour annula les épreuves du concours qui avaient été falsifiées – dont celle à laquelle avait participé le requérant ainsi que les actes établis lors du recrutement des candidats dont les épreuves avaient été falsifiées. Saisie d’un recours par les intéressés, la Haute Cour confirma sa décision par un arrêt définitif du 24 janvier 2014.

  1. La procédure pénale Menée contre les candidats

5. Le requérant fit l’objet, avec 204 autres candidats au concours en cause, d’une enquête pénale des chefs de corruption active, de faux et d’abus de service.

6. Le 26 février 2013, la DNA rendit relativement au chef de corruption active un non-lieu en faveur des 205 candidats au motif que les allégations n’étaient pas prouvées. Quant aux chefs de faux et d’abus de service, elle renvoya l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Constanţa (« le parquet ») aux fins de continuation de l’enquête.

7. Par une ordonnance du 10 février 2014, le parquet classa l’affaire comme prescrite pour autant que le chef d’incitation au faux était concerné et comme non étayée concernant le chef d’incitation à l’abus de service.

8. Sur contestation du requérant, qui plaidait l’acquittement pour l’ensemble des faits, l’ordonnance fut confirmée par le procureur en chef du parquet le 31 mars 2014, puis par le tribunal de première instance de Constanţa le 17 octobre 2014.

  1. La procédure administrative relative à l’affectation du requérant à l’armée de réserve

9. Par une décision de son employeur en date du 28 janvier 2014, le requérant fut affecté à l’armée de réserve. Il ressort du dossier que cette décision se fondait sur les arrêts qui avaient été rendus par la Haute Cour les 18 mai 2012 et 24 janvier 2014 (« les arrêts de la Haute Cour » ; paragraphe 4 ci-dessus).

10. Le 28 février 2014, le requérant demanda l’annulation de cette décision et sa réintégration sur le poste auquel il avait été affecté à la suite du concours litigieux. Faisant valoir qu’il n’avait pas été partie à la procédure pénale devant la Haute Cour, il arguait que la décision était illégale (paragraphes 3-4 ci-dessus).

11. Par une décision du 19 février 2015, le tribunal départemental de Constanţa rejeta l’action de l’intéressé et jugea que l’affectation de celui-ci à l’armée de réserve avait été décidée en conformité avec la législation applicable. Le tribunal nota que les actes relatifs au concours organisé en 2007 et au recrutement du requérant avaient été annulés par les arrêts de la Haute Cour, et il rejeta comme infondés les arguments tirés par l’intéressé du fait qu’il n’avait pas été partie à la procédure pénale devant la Haute Cour et qu’il avait lui-même bénéficié d’une ordonnance de classement.

12. Le requérant forma contre cette décision un recours dans lequel il persistait à dire que son affectation à l’armée de réserve avait été décidée illégalement et que, dans la mesure où ni lui ni son employeur n’avaient été parties à la procédure devant la Haute Cour, les arrêts de celle-ci n’avaient pas l’autorité de la chose jugée à l’égard de son contrat de travail.

13. Par un arrêt du 21 septembre 2015, la cour d’appel de Constanţa (« la cour d’appel ») rejeta son recours. Elle s’exprima notamment comme suit :

« Compte tenu de ces circonstances, le requérant ne peut plus invoquer en sa faveur une situation de fait autre que celle retenue par le procureur, à savoir que son épreuve a été falsifiée et que son recrutement dans une fonction publique sur la base du concours (...) est le résultat d’une action pénalement répréhensible (este rezultatul unei fapte pénale). »

14. La cour d’appel conclut que l’affectation à l’armée de réserve avait été décidée légalement et qu’elle avait été la conséquence des arrêts de la Haute Cour, que le requérant était tenu de respecter.

APPRÉCIATION DE LA COUR

15. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant voit dans la procédure administrative ayant mené à l’arrêt rendu par la cour d’appel le 21 septembre 2015 une atteinte à son droit à la présomption d’innocence.

16. Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que le requérant aurait pu engager soit une action fondée sur les dispositions de la procédure pénale qui reconnaissent à toute personne s’estimant victime d’une erreur judiciaire le droit de demander réparation du préjudice censé en être résulté pour elle, soit une action en responsabilité civile délictuelle.

17. Le requérant réplique qu’il a utilisé les voies de recours ordinaires que la loi mettait à sa disposition dans le cadre des procédures auxquelles il a été partie.

18. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner en détail les exceptions soulevées par le Gouvernement, la requête étant en tout état de cause manifestement mal fondée pour les raisons exposées ci-dessous.

19. Les principes généraux relatifs à l’application du droit à la présomption d’innocence dans des procédures judiciaires consécutives ont été résumés dans l’arrêt Allen c. RoyaumeUni [GC] (no 25424/09, §§ 103-105, CEDH 2013).

20. La Cour est sensible à l’argument du Gouvernement selon lequel le lien entre la procédure pénale à l’issue de laquelle l’affaire pénale contre le requérant a été classée et la procédure administrative suivie devant la cour d’appel n’est qu’apparent. Elle note que cet argument procède de la considération que la décision de la cour d’appel, en se référant à la situation de fait retenue par le procureur, renvoyait en réalité à la procédure pénale devant la Haute Cour, laquelle avait jugé, par un arrêt définitif, que les épreuves du concours avaient été falsifiées et les avait annulées. Elle convient que cette interprétation conduit à douter de l’existence d’un lien entre la procédure pénale menée à l’encontre du requérant, laquelle s’est achevée par le classement de l’affaire, et la procédure administrative suivie devant la cour d’appel et qui concernait la question de l’occupation par le requérant d’un poste en vertu d’un concours annulé par la suite (voir, en ce sens, Allen, précité, § 104).

21. Quoi qu’il en soit, la Cour estime que la cour d’appel, dans son arrêt du 21 septembre 2015, ne s’est pas prononcée sur la responsabilité pénale du requérant (paragraphes 13-14 ci-dessus). Elle note que des tiers ont bien été condamnés au pénal pour s’être rendus coupables de fraude lors de l’organisation et du déroulement du concours en question (paragraphe 4 cidessus).

22. La Cour considère que le motif retenu par la cour d’appel, aux termes duquel « le recrutement [du requérant] dans une fonction publique (...) était le résultat d’une action pénalement répréhensible » (paragraphe 13 cidessus), bien que maladroit dans sa formulation, doit être compris dans le contexte plus général de l’affaire, où la falsification des épreuves du concours avait bien été établie par une décision de justice définitive (paragraphe 4 cidessus). Il n’apparaît pas que la cour d’appel ait suggéré que le requérant se fût rendu coupable de faux ou d’incitation au faux lors de l’organisation ou du déroulement du concours en question. En conséquence, l’argument de l’intéressé selon lequel la cour d’appel l’avait directement désigné comme coupable doit être écarté.

23. La situation factuelle de la présente affaire diffère donc de celle de l’affaire Teodor c. Roumanie (no 46878/06, § 44, 4 juin 2013), où la Cour a jugé que les juridictions civiles avaient utilisé des termes qui outrepassaient le cadre civil et avaient ainsi jeté un doute sur l’innocence du requérant.

24. Quant aux autres arguments formulés par le requérant, à savoir, d’une part, que dès lors qu’il n’a pas été partie à la procédure devant la Haute Cour les arrêts rendus par celle-ci ne lui sont pas opposables et, d’autre part, que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences correctes du classement de l’affaire pénale à son égard, la Cour estime qu’ils relèvent plutôt de l’application de la loi par les juridictions nationales et de l’examen de l’équité de la procédure administrative prise dans son ensemble. Or rien n’indique selon elle que celleci n’ait pas été équitable : au cours de débats dûment contradictoires, le requérant a pu proposer les arguments qu’il estimait utiles à sa cause et les tribunaux y ont répondu, en jugeant notamment que les arrêts de la Haute Cour avaient produit des effets juridiques et que le requérant était tenu de les respecter (paragraphes 13 et 14 ci-dessus).

25. Dès lors, la Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas méconnu le principe de la présomption d’innocence dans la procédure visée en l’espèce.

26. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président