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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 32555/19
Dana-Laura-Rita CAPRĂ
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 7 février 2023 en un comité composé de :

Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête no 32555/19 dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Dana-Laura-Rita Capră (« la requérante »), née en 1972 et résidant à Bârlad, représentée par Me Diana-Elena Dragomir, avocate à Bucarest, a saisi la Cour le 7 juin 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. Le 27 mai 2015, peu après 21 heures, R.T., le fils de la requérante, qui était alors âgé de 24 ans, fut victime d’un accident de la circulation. La voiture qu’il conduisait entra en collision frontale avec un poids lourd sur une route à deux voies. Le jeune homme décéda sur place, de même que la passagère qui se trouvait dans son véhicule.

2. La police ouvrit aussitôt une enquête pénale sur les circonstances de l’accident, procédure dans laquelle la requérante se constitua par la suite partie civile.

3. Les policiers se rendirent immédiatement sur les lieux. Selon les procès-verbaux du rapport établi à cette occasion, ils prirent des mesures et des photographies, ils notèrent la description détaillée des lieux de l’accident, ils identifièrent les conducteurs impliqués et ils firent prélever par des membres du personnel médical des échantillons de sang sur le conducteur du camion afin de pouvoir déterminer son alcoolémie. Ils réalisèrent également, avec l’assistance d’un témoin, un croquis de l’accident, et versèrent au rapport la description de divers objets trouvés sur place.

4. S.L., le conducteur du camion, fut entendu par la police le même jour. Il déclara que la voiture conduite par R.T. était sortie de sa voie de circulation et entrée en collision frontale avec le camion qu’il conduisait et que, bien qu’il eût donné un coup de volant tel que son véhicule était sorti de la route du côté droit, il lui avait été impossible d’éviter l’accident.

5. Le 28 mai 2015, un médecin légiste pratiqua une autopsie des deux victimes de l’accident.

6. La voiture accidentée fut entreposée dans une ferme qui se trouvait à proximité des lieux de l’accident. Le poids lourd fut restitué à son propriétaire, lequel, à une date ultérieure, le répara et le vendit avec l’autorisation de la police, ce qui s’accompagna de l’effacement des données électroniques relatives à la localisation du camion et à sa vitesse de circulation.

7. Entre novembre 2015 et janvier 2016, la police compléta plusieurs fois entre autres à la demande de la requérante le procès-verbal des constats qu’elle avait faits sur place, lequel présentait des lacunes à certains égards.

8. Le 12 janvier 2016, la police demanda une expertise technique propre à permettre de déterminer les circonstances de l’accident et l’endroit de la collision.

9. Le 30 avril 2017, l’expert du bureau local d’expertises techniques judiciaires rendit un rapport qui, dans ses conclusions, établissait à quel endroit de la route nationale l’accident avait eu lieu et quels avaient été les véhicules endommagés à cette occasion ; le rapport précisait par ailleurs que « l’impact entre le camion (...) et l’automobile (...) s’était produit sur la voie de droite dans la direction Târgu Mureș Luduș » prise par la voiture conduite par le fils de la requérante, et que la vitesse des deux véhicules au moment de la collision était de 90 km/h pour le camion et de 95 km/h pour la voiture.

10. Pour parvenir à ces conclusions, l’expert technique se fonda sur les traces relevées sur la carrosserie de la voiture conduite par le fils de la requérante et sur l’emplacement des objets retrouvés sur les lieux, parmi lesquels, notamment, des éclats de verre provenant de la voiture et qui indiquaient, selon l’expert, le lieu de la collision. Il estima que les traces sur l’asphalte relevées sur la voie de circulation du camion n’avaient aucun lien avec l’accident et n’indiquaient pas l’endroit de la collision. L’expert déplora certaines négligences ayant entaché l’enquête menée sur les lieux par la police au moment de l’accident, en particulier les conditions impropres de transport et de stockage de la voiture en cause, l’impossibilité où il s’était trouvé d’examiner le camion et le fait que la police n’eût pas procédé sur place à des prélèvements sur les véhicules impliqués aux fins de vérifier s’il était possible que la collision se fût produite sur la voie de circulation du camion.

11. Le 29 mai 2017, l’expert fut entendu par la police, « étant donné que le contenu du rapport d’expertise technique ne faisait pas apparaître clairement (...) la dynamique de la survenue de l’accident routier, le lieu précis de l’impact des deux véhicules automobiles (...) [et] la position de ceux-ci au moment de l’impact (...) », selon les termes du jugement du 1er février 2019 du tribunal de première instance de Luduș. L’audition ne permit pas de faire la lumière sur ces divers aspects.

12. Le 17 juillet 2017, le parquet près le tribunal de première instance de Luduș ordonna la poursuite de l’enquête pénale contre S.L., désormais suspect (suspectul) du chef d’homicide involontaire (ucidere din culpă).

13. Étant donné que S.L. contestait les conclusions de l’expertise technique et affirmait que la collision avait eu lieu sur la voie de circulation du camion, la police requit le 18 août 2017 une expertise du bureau régional d’expertises criminalistiques.

14. Dans un rapport du 27 mars 2018, l’expert en criminalistique conclut que c’était la voiture du fils de la requérante qui s’était déportée sur la voie de circulation opposée et qui avait heurté le camion à l’endroit où des traces avaient été relevées sur l’asphalte.

15. La requérante demanda la réalisation d’une nouvelle expertise destinée à résoudre les contradictions existantes entre les deux rapports d’expertise susmentionnés.

16. Le 27 août 2018, le parquet de Luduș rejeta la demande de l’intéressée au motif que l’expertise criminalistique avait dûment établi les circonstances de l’accident en en déterminant la dynamique. Il ordonna le classement de l’enquête tant à l’égard de S.L., qu’on ne pouvait selon le parquet accuser d’homicide involontaire, qu’à l’égard de R.T., dont la responsabilité pénale ne pouvait plus être engagée du fait de son décès.

17. Sur recours de la requérante, le tribunal de première instance de Luduș, après examen des arguments des parties, confirma le classement par un jugement définitif du 1er février 2019. Il se fonda sur les conclusions de l’expertise criminalistique, dont la force probante, établie par le code de procédure pénale, l’emportait sur celle de l’analyse effectuée par l’expert technique, dont le rôle se limitait à la détermination de l’étendue des dommages et à l’appréciation de l’incidence éventuelle dans un accident donné des caractéristiques techniques des véhicules impliqués.

18. Invoquant les articles 2 et 6 de la Convention, la requérante se plaint d’un défaut d’enquête effective en l’espèce, les autorités nationales ayant, selon elle, commis des erreurs dans l’administration des preuves.

APPRÉCIATION DE LA COUR

19. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Glor c. Suisse, no 13444/04, § 48, CEDH 2009), la Cour estime que les griefs soulevés en l’espèce doivent être examinés exclusivement sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention.

20. Elle renvoie aux principes généraux relatifs aux obligations procédurales pesant sur l’État sous l’angle de l’article 2 de la Convention, tels qu’ils ont été résumés dans l’arrêt Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie ([GC], no 41720/13, §§ 157-171, 25 juin 2019).

21. S’agissant en particulier de blessures mortelles infligées de manière non intentionnelle, l’obligation procédurale découlant de l’article 2 exige uniquement que l’ordre juridique de l’État offre au requérant un recours devant les juridictions civiles, mais elle n’impose pas qu’une enquête pénale soit menée sur les circonstances de l’accident. Cela étant, rien n’empêche le droit interne de prévoir une telle possibilité en pareil cas (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 172).

22. À cet égard, la Cour relève qu’immédiatement après l’accident, les services de police ont ouvert une enquête pénale sur les circonstances de l’accident et ont recueilli des éléments de preuve notamment des mesures, des échantillons de sang, des photographies et des documents médicaux susceptibles de faire la lumière sur ces circonstances (paragraphe 3 ci-dessus).

23. Les autorités d’enquête ont en outre identifié les conducteurs dont le fils de la requérante impliqués dans l’accident et ont entendu promptement le conducteur du camion de même que les témoins de l’événement. La requérante a pu participer activement à la procédure. Ainsi, tant au stade de l’enquête que dans les phases successives du processus judiciaire, l’intéressée a eu accès au dossier et a pu contester les actes et mesures mis en œuvre par les autorités compétentes, et demander le versement d’éléments supplémentaires au dossier (paragraphes 7 et 15 cidessus). Elle a pu faire appel des décisions du parquet. Le rejet de certains de ses recours et demandes n’indique pas que les autorités d’enquête et les juridictions nationales étaient réticentes à établir les circonstances de l’accident et la responsabilité des personnes impliquées (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 181).

24. Au vu des éléments disponibles et en dépit des conclusions auxquelles le rapport d’expertise technique est parvenu relativement aux irrégularités qui auraient entaché l’enquête menée sur les lieux (paragraphe 10 cidessus), la Cour estime ne pas avoir de motifs suffisants pour conclure que l’enquête ou la collecte d’éléments de preuve n’a en définitive pas été assez approfondie. La décision des autorités nationales d’abandonner les poursuites n’a été prise ni hâtivement ni arbitrairement, et elle est intervenue après plusieurs années de travail d’enquête qui ont produit une accumulation d’éléments de preuve. Ces preuves portaient sur les questions soulevées dans le cadre de l’enquête pénale, notamment sur le comportement des conducteurs impliqués et les causes de l’accident. Au demeurant, les autorités nationales doivent se voir reconnaître une certaine latitude pour déterminer quels éléments de preuve sont pertinents pour une enquête donnée (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 182-183).

25. La Cour relève du reste que l’enquête conduite sur les circonstances de l’accident a duré moins de quatre ans et qu’elle n’a pas connu de retards (voir, a contrario, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 184).

26. Elle rappelle enfin que l’article 2 ne garantit pas un droit à obtenir une condamnation pénale à l’égard d’un tiers. Elle considère donc que, dès lors que rien n’indique que les autorités n’aient pas procédé à un examen suffisamment approfondi des circonstances de l’accident, leur décision de ne pas poursuivre ne suffit pas à faire conclure à la responsabilité de l’État défendeur au titre de l’obligation procédurale découlant pour lui de l’article 2 de la Convention.

27. Eu égard à son appréciation générale de l’enquête pénale litigieuse, la Cour ne peut considérer que le système juridique roumain tel qu’appliqué en l’espèce n’a pas permis de traiter correctement l’affaire de la requérante.

28. Partant, la Cour ne décèle dans les circonstances de l’espèce aucune raison de penser que l’État défendeur n’a pas satisfait aux obligations d’enquête effective découlant pour lui de l’article 2 de la Convention.

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président