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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 36820/12
Stoyko Kolev STOEV
contre la Bulgarie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 7 février 2023 en un comité composé de :

Peeter Roosma, président,
Yonko Grozev,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 36820/12 contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Stoyko Kolev Stoev (« le requérant ») né en 1954 et résidant à Sofia, représenté par Mes M. Ekimdzhiev et K. Boncheva, avocats à Plovdiv, a saisi la Cour le 30 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme I. Nedyalkova, du ministère de la Justice, les griefs tirés des articles 6 et 8 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne la révocation disciplinaire du requérant de son poste de juge au motif que, dans ses précédentes fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), il avait commis des actes portant atteinte au prestige de l’institution judiciaire. Elle porte, sous l’angle des articles 6 et 8 de la Convention, sur le respect des exigences du procès équitable au cours de cette procédure, ainsi que sur la compatibilité de la sanction imposée au requérant avec son droit au respect sa vie privée.

2. Le requérant fit l’objet de poursuites disciplinaires à la suite de la révélation, en octobre 2009, d’une affaire de trafic d’influence au sein du CSM par un certain K.G., dit Krasyo le Noir, à l’occasion de procédures de promotion de magistrats. Le contexte de cette affaire a été décrit de manière détaillée dans la décision Ivanov c. Bulgarie (déc. comité, no 36946/12, §§ 218, 8 mars 2022).

3. Le requérant, qui était l’un des membres du CSM présentés comme impliqués dans l’affaire, démissionna le 15 octobre 2009 et reprit son poste de juge.

4. À la suite des poursuites disciplinaires engagées le 22 avril 2010, le 6 juillet 2010, le collège disciplinaire du CSM proposa à la formation plénière du CSM de révoquer le requérant de son poste de juge. Le collège disciplinaire constata que le requérant avait maintenu des contacts avec K.G., sur lequel pesaient des soupçons, largement médiatisés, de trafic d’influence à l’occasion des concours de promotion de magistrats. Le 9 juillet 2010, la formation plénière du CSM adopta la proposition.

5. Le recours du requérant contre la décision du CSM fut rejeté par la Cour administrative suprême le 13 juillet 2011. Son pourvoi en cassation fut rejeté le 27 février 2022.

APPRÉCIATION DE LA COUR

  1. Sur le grief tiré de l’article 6 de la Convention

6. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint du caractère inéquitable des poursuites disciplinaire, de l’étendue insuffisante du contrôle juridictionnel opéré par la Cour administrative suprême, ainsi que du défaut d’indépendance et d’impartialité de la haute juridiction vis-à-vis du CSM.

7. La Cour renvoie aux principes généraux de sa jurisprudence concernant, d’une part, les garanties d’indépendance et d’impartialité et, d’autre part, l’étendue du contrôle juridictionnel résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Protugal ([GC], nos 55391/13 et 2 autres, §§ 144150 et §§ 176-184, respectivement, 6 novembre 2018).

8. Elle rappelle que, dans l’arrêt Donev c. Bulgarie (no 72437/11, 26 octobre 2021), elle a récemment examiné des griefs semblables à ceux soulevés en l’espèce concernant le respect des garanties prévues par l’article 6 de la Convention dans le cadre de procédures conduites devant le CSM et la Cour administrative suprême. Elle y a rappelé que les défauts éventuels de la procédure disciplinaire devant le CSM ne pouvaient emporter violation de l’article 6 si le requérant avait ensuite bénéficié d’un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante devant la Cour administrative suprême et que celleci avait elle-même satisfait aux exigences de l’article 6 de la Convention. Elle a ensuite examiné les pouvoirs dont disposait la Cour administrative suprême et l’étendue du contrôle opéré sur les décisions du CSM et a conclu que ce contrôle satisfaisait aux exigences de l’article 6. S’agissant du manque allégué d’indépendance et d’impartialité de la haute juridiction, la Cour s’est penchée sur les garanties prévues par le droit interne pour assurer l’indépendance et l’impartialité des juges, sur les défaillances structurelles de la composition du CSM alléguées par le requérant et sur les pouvoirs de cet organe ou de certains de ses membres à l’égard des juges de la Cour administrative suprême et elle a jugé, à la lumière des principes établis dans les arrêts Ramos Nunes de Carvalho e Sá (précité) et Denisov c. Ukraine ([GC], no 76639/11, §§ 60-80, 25 septembre 2018), que les craintes du requérant à cet égard ne pouvaient passer pour objectivement justifiées. Elle en a conclu à l’absence de violation de l’article 6 concernant ces griefs (Donev, précité, §§ 83-99).

9. Suivant l’approche adoptée dans l’arrêt Donev, la Cour est arrivée à une conclusion identique dans sa décision Ivanov, qui portait sur le même contexte factuel que la présente requête (décision précitée, §§ 47-48).

10. Eu égard à la similitude des griefs formulés par le requérant en l’espèce, la Cour ne voit pas de raison pour arriver à une autre conclusion. Elle constate, en particulier, que la Cour administrative suprême était en principe dotée d’une juridiction d’une étendue suffisante pour contrôler la légalité de la décision du CSM (Donev, précité, 87-90) et qu’elle a, en l’espèce, examiné les principaux moyens soulevés par l’intéressé, sans avoir décliné sa compétence. Comme dans l’arrêt Donev (précité, §§ 91-99), la Cour n’estime pas que les pouvoirs du CSM en matière disciplinaire, budgétaire et administrative permettent de conclure à un manque d’indépendance et d’impartialité des juges de la Cour administrative suprême, eu égard aux garanties institutionnelles prévues par le droit interne, à l’absence de déficiences structurelles graves dans la composition du CSM et à défaut d’éléments concrets faisant ressortir un manque d’impartialité des juges ayant statué en l’espèce.

11. Au vu ces considérations, la Cour conclut que la Cour administrative suprême jouissait en l’espèce d’une juridiction d’une étendue suffisante et ne constate pas de défaut d’indépendance et d’impartialité de la haute juridiction. Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 6 est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

  1. Sur le grief tiré de l’article 8 de la Convention

12. Le requérant soutient que sa révocation reposait sur des conversations téléphoniques qui relevaient de sa vie privée et qu’elle a par ailleurs porté atteinte à sa réputation et à son honneur. Il soutient que cette atteinte à sa vie privée n’avait pas de base légale suffisamment claire et prévisible et qu’elle était disproportionnée.

13. Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 8 au regard des critères définis par la Cour dans l’arrêt Denisov (précité), considérant, d’une part, que les conversations téléphoniques à l’origine de la révocation du requérant ne relevaient pas de sa vie privée et, d’autre part, que l’intéressé n’a pas démontré que les conséquences de cette mesure auraient atteint le seuil de gravité requis pour attirer l’applicabilité de cette disposition. Il soutient en outre que le requérant n’a pas soulevé des arguments en ce sens devant les juridictions internes et n’aurait ainsi pas épuisé les voies de recours internes.

14. La Cour rappelle que les critères à prendre en considération pour déterminer si l’article 8 de la Convention s’applique à un litige d’ordre professionnel ont été établis dans l’arrêt Denisov (précité, §§ 92-117). En l’espèce, elle ne juge pas nécessaire de statuer sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement dans la mesure où elle considère que, même en admettant que l’article 8 trouve à s’appliquer et que les conditions de l’article 35 § 1 ont été satisfaites, le grief est irrecevable pour les raisons exposées ci-après.

15. Ainsi, en supposant que l’article 8 soit applicable en l’espèce, la révocation à titre disciplinaire du requérant serait constitutive d’une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée. Pareille ingérence ne peut se justifier au regard de l’article 8 § 2 que si elle est prévue par la loi, vise un ou plusieurs des buts légitimes énumérés dans ce paragraphe et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce ou ces buts.

16. La Cour rappelle que les termes « prévue par la loi » figurant à l’article 8 § 2 veulent que la mesure incriminée ait une base en droit interne et en respecte les normes de fond comme de procédure (Gumenyuk et autres c. Ukraine, no 11423/19, § 95, 22 juillet 2021). Ils exigent de surcroît l’accessibilité de la loi à la personne concernée, qui doit pouvoir en prévoir les conséquences, et sa compatibilité avec la prééminence du droit (voir, parmi d’autres, Pişkin c. Turquie, no 33399/18, § 206, 15 décembre 2020, et Xhoxhaj c. Albanie, no 15227/19, § 384, 9 février 2021).

17. En l’espèce, le requérant se plaint en particulier que, pour lui imposer une sanction disciplinaire, le CSM a fait une application rétroactive de l’article 307, alinéa 5 de la loi sur le pouvoir judiciaire, qui avait été adopté postérieurement aux faits reprochés à l’intéressé.

18. La Cour relève qu’il ressort des motifs exposés dans la proposition du collège disciplinaire, le procès-verbal des délibérations du CSM et les arrêts de la Cour administrative suprême, que la décision de révoquer le requérant avait pour fondement les normes de conduite professionnelle visées dans le Code de déontologie des magistrats, ainsi que les dispositions de la Constitution (article 129, alinéa 3 (5)) et de la loi sur le pouvoir judiciaire (article 307, alinéa 4 (4)), qui prévoyaient qu’un magistrat pouvait être révoqué au motif d’atteinte au prestige de l’institution judiciaire.

19. Certes, ces documents font également référence à l’article 307, alinéa 5 de la loi sur le pouvoir judiciaire, qui a été adopté en décembre 2009, soit postérieurement aux faits reprochés au requérant, et qui dispose que la responsabilité disciplinaire d’un magistrat peut être recherchée pour des faits d’atteinte au prestige de l’institution judiciaire commis lors de précédentes fonctions de membre du CSM. La Cour observe cependant que la proposition du collège disciplinaire et le procès-verbal des délibérations du CSM indiquent expressément que l’article 307, alinéa 5 n’a pas introduit un nouveau cas de responsabilité, mais a simplement précisé ceux déjà visés dans la loi. Il apparaît dès lors que la référence à l’article 307, alinéa 5 était surabondante et que la sanction imposée au requérant trouvait une base suffisante dans les autres dispositions légales invoquées (paragraphe 18 cidessus). Dans ces circonstances, et rappelant qu’il appartient au premier chef aux autorités internes d’interpréter le droit interne, la Cour considère que la révocation du requérant reposait sur une base légale suffisante.

20. La Cour relève ensuite que le requérant n’a pas fait valoir d’arguments pour contester le caractère accessible et prévisible des normes en cause. Elle observe, en ce qui concerne plus particulièrement la prévisibilité de la loi, que la formulation de l’article 129, alinéa 3 (5) de la Constitution et de l’article 307, alinéa 4 (4) de la loi sur le pouvoir judiciaire, qui visaient les actions « nuis[ant] au prestige de l’institution judiciaire », permettait raisonnablement de prévoir que les faits qui ont été reprochés au requérant seraient considérés comme des fautes disciplinaires. Il ressort par ailleurs d’une jurisprudence constante de la Cour administrative suprême que les actions « nuis[ant] au prestige de l’institution judiciaire » peuvent comprendre des agissements relevant des fonctions de magistrat, mais aussi ceux extérieurs à ces fonctions (voir, par exemple, реш. № 8611 от 24.06.2010 г. по адм. д. № 58/34/2010, ВАС, 5-чл. с-в). Eu égard à ces observations, et au fait que l’imposition d’une sanction disciplinaire pouvait en l’espèce faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, la Cour accepte que celle-ci était basée sur une loi suffisamment « prévisible » (voir, mutatis mutandis, Pişkin, précité, §§ 207209, Xhoxhaj, précité, § 387, et, a contrario, Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 184, CEDH 2013).

21. La Cour accepte par ailleurs que la révocation disciplinaire du requérant visait, comme le soutient le Gouvernement, à garantir l’intégrité de la justice et à préserver la confiance du public dans l’institution judiciaire et peut donc être considérée comme poursuivant l’objectif, visé à l’article 8 § 2, d’assurer la défense de l’ordre.

22. S’agissant de la proportionnalité de la mesure, la Cour observe que le requérant a été révoqué au motif que ses contacts avec K.G., dans le contexte d’une affaire très médiatisée de suspicion de trafic d’influence au sein de la magistrature, avaient porté gravement atteinte au prestige de l’institution judiciaire. Elle relève que le requérant a pu bénéficier, dans le cadre des poursuites diligentées contre lui, d’un examen individualisé des motifs ayant justifié l’engagement de sa responsabilité (voir Xhoxhaj, précité, §§ 405412). En particulier, les autorités internes ont établi l’existence de nombreux échanges téléphoniques entre le requérant et K.G. (plus de 200 appels en cinq mois) à une période où de nombreux concours de promotion étaient en cours et elles n’ont pas jugé convaincantes les justifications fournies par le requérant pour expliquer la nature de cette relation. S’agissant de la proportionnalité de la sanction imposée, elles ont justifié leur décision par une appréciation de la gravité de la faute commise par le requérant, en considérant que les conséquences dommageables sur le prestige et l’image d’indépendance de la justice du fait des liens entretenus entre un membre du CSM et un individu compromis et suspecté de trafic d’influence étaient considérables.

23. Le requérant a en outre bénéficié de l’assistance d’un avocat et a eu l’occasion de présenter ses arguments en défense à la fois devant le CSM, au cours de la procédure disciplinaire, et devant la Cour administrative suprême, dans le cadre d’une double procédure de contrôle juridictionnel. La haute juridiction a examiné les moyens qu’il avait soulevés concernant le respect des normes procédurales et matérielles du droit interne relatives à la légalité de la décision du CSM et a rendu des décisions dûment motivées, dont les conclusions n’apparaissent pas entachées d’arbitraire.

24. Au vu de ces observations, la Cour considère que le requérant a bénéficié de garanties procédurales adéquates et que, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités internes en pareil domaine, la sanction disciplinaire qui lui a été imposée était justifiée par des motifs pertinents et suffisants et était proportionnée aux manquements professionnels constatés, de sorte qu’elle n’a pas constitué une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée. Le grief tiré de l’article 8 est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 mars 2023.

Olga Chernishova Peeter Roosma
Greffière adjointe Président