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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.2.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 34161/14
METAXOURGIA SOUFLIOU I. EFTERPI B. EL. TZIVRE EPE
contre la Grèce

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 7 février 2023 en un comité composé de :

Yonko Grozev, président,
Peeter Roosma,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu la requête no 34161/14, dirigée contre la République hellénique et dont une société en liquidation ayant son siège dans cet État, Metaxourgia Soufliou I. Efterpi B. EL. Tzivre Epe (« la requérante »), représentée par Me G. Gesoulis, avocat à Thessalonique, a saisi la Cour le 29 avril 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »), représenté par les déléguées de son agent, Mmes S. Papaïoannou et Z. Chatzipavlou, assesseures au Conseil juridique de l’État,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne l’expropriation, décidée aux fins de l’ouverture d’une partie du canal périphérique de dégagement des eaux de Thessalonique, d’un terrain qui appartenait à la requérante.

2. En 1971, le tribunal de grande instance de Thessalonique (« le TGI ») fixa le montant de l’indemnité d’expropriation définitive (arrêt no 985/1971), et en 1972 le tribunal de première instance de Thessalonique reconnut la requérante comme bénéficiaire de l’indemnité (arrêt no 2507/1972).

3. En 1972, la ville de Thessalonique versa une partie (à savoir 36,10%) de l’indemnité due à la requérante, et en 1973 elle prit possession du terrain de celle-ci afin de procéder à la construction de l’ouvrage. Par la suite, elle approuva le paiement du montant restant de l’indemnité, lequel ne put toutefois jamais être versé à l’intéressée.

4. En 1981, le TGI (arrêt no 2333/1981) révisa le montant de l’indemnité d’expropriation. Sa décision fut confirmée par la cour d’appel de Thessalonique (arrêt no 358/1982).

5. En 1983, le TGI condamna la ville de Thessalonique à verser à la requérante le montant réévalué (arrêt no 2560/1983).

6. En 1991, la cour d’appel de Thessalonique, statuant sur une demande de l’intéressée, constata que l’indemnité n’avait pas été versée dans sa totalité dans le délai légal des dix-huit mois à compter de la publication de l’arrêt no 985/1971 et, en tout cas, de l’arrêt no 2560/1983, et elle reconnut que l’expropriation s’en trouvait levée de plein droit (arrêt no 170/1991).

7. En 2004, la requérante invita l’administration à lever la charge urbanistique qui pesait sur le terrain litigieux, puis introduisit contre le refus implicite de celle-ci un recours en annulation devant le tribunal administratif de Thessalonique. Elle s’en désista en 2007.

8. La même année, la requérante saisit la cour d’appel de Thessalonique, se plaignant d’être privée de son bien depuis fort longtemps du fait que, alors même que le terrain avait été occupé aux fins de la construction de l’ouvrage, l’expropriation n’avait été ni achevée dans les délais légaux avec le versement d’une indemnité complète, ni formellement révoquée par l’administration, faute d’une modification par celle-ci du plan d’urbanisme. Relevant que le terrain ne pouvait plus lui être restitué et déclarant renoncer à son droit à la révocation de l’expropriation, elle demandait, d’une part, la fixation, à titre principal, d’un nouveau montant d’indemnité d’expropriation qui refléterait la valeur contemporaine du terrain exproprié, ou, à titre subsidiaire, d’une indemnité calculée sur la base de celle fixée par l’arrêt no 2560/1983, majorée d’intérêts, et, d’autre part, une indemnisation du dommage matériel et moral qu’elle estimait avoir subi du fait du comportement illicite que l’administration avait selon elle adopté dans le cadre de l’expropriation.

9. Par un arrêt no 2646/2009, la cour d’appel de Thessalonique rejeta ladite action, considérant que l’acte introductif d’instance cumulait deux demandes, l’une de fixation d’une indemnité d’expropriation, l’autre d’indemnisation pour fait illicite de l’administration. Relevant que l’arrêt no 170/1991 avait reconnu la levée de plein droit de l’expropriation, elle conclut que les prétentions tendant à la réactualisation de l’indemnité n’étaient pas fondées. Elle jugea par ailleurs que la demande d’indemnisation pour fait illicite devait être renvoyé au TGI.

10. La requérante se pourvut en cassation. Par un arrêt no 1484/2013, la Cour de cassation, approuvant la décision de la cour d’appel, rejeta le pourvoi. Tout d’abord, elle jugea que si l’indemnité d’expropriation fixée de manière provisoire ou définitive n’a pas été versée, le propriétaire n’est pas en droit de demander la réactualisation de cette indemnité, mais il peut uniquement, à l’issue de la période des dix-huit mois, demander la levée de plein droit de l’expropriation. Ensuite, elle releva que la levée de plein droit d’une expropriation était consacrée dans l’intérêt du propriétaire, qui seul pouvait l’invoquer afin de libérer son bien de toute charge pour être en mesure d’exercer ses droits dessus. Elle ajouta que pareille levée ne pouvait être renversée ni par le fait que l’administration ne se serait pas conformée à son obligation légale d’adopter un acte révoquant formellement l’expropriation et de modifier le plan d’urbanisme, ni par le fait qu’un ouvrage aurait été construit sur le terrain exproprié par le bénéficiaire de l’expropriation. La Cour de cassation estima qu’à la suite de l’arrêt no 170/1991 (paragraphe 6 ci-dessus), ni le défaut d’adoption par l’administration d’un acte de révocation, ni la renonciation de la requérante à son droit à la révocation n’étaient de nature à fonder au profit de l’intéressée un droit à la réactualisation de l’indemnité d’expropriation. Elle a par ailleurs relevé que lorsqu’un terrain exproprié a été détruit ou rendu inutilisable par une faute de l’administration, le propriétaire est fondé à demander une indemnisation en vertu des articles 914, 297, 298 du code civil et des articles 104 et 105 de la loi d’accompagnement du code civil et que l’occupation d’un terrain exproprié avant le versement d’une indemnité complète constitue un comportement illicite faisant naître une obligation de réparation. Enfin, elle jugea que le principe de la procédure unique ne s’appliquait pas aux demandes d’indemnisation pour le dommage découlant du comportement illicite de l’administration dans le cadre d’une expropriation qui relèvent du juge administratif.

11. Devant la Cour, la requérante se plaint du fait qu’elle n’a perçu aucune indemnisation depuis 1973, date à laquelle son terrain a été exproprié de facto, à cause du refus par les juridictions internes, d’une part, de réactualiser l’indemnité d’expropriation initialement fixée pour ce terrain, et d’autre part, d’examiner dans le cadre d’une procédure unique sa demande d’indemnisation pour perte d’usage dudit terrain due à un comportement illicite des autorités. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 et, s’agissant du volet du grief tiré de la procédure unique, l’article 6 § 1 de la Convention (droit d’accès à un tribunal).

APPRÉCIATION DE LA COUR

12. La Cour rappelle les principes généraux découlant de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 60, 5 septembre 2017). En l’espèce, le terrain litigieux a été occupé par les autorités de l’État défendeur aux fins de la construction d’un ouvrage alors que l’indemnité d’expropriation n’avait pas été versée dans sa totalité, et que l’expropriation a par la suite été reconnue comme étant levée de plein droit. À ce titre, la situation litigieuse relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, qui énonce de manière générale le principe du respect des biens.

13. Concernant le premier volet du grief, la Cour relève d’emblée que la période comprise entre le début, en 1973, de l’occupation du terrain litigieux et le 20 novembre 1985, date de reconnaissance du droit de recours individuel par la Grèce, échappe à sa compétence ratione temporis.

14. La Cour a conscience du fait que le terrain litigieux a été occupé et détruit par les autorités de l’État défendeur sans que le paiement d’une indemnité d’expropriation complète eût été effectué. Elle estime toutefois, avec le Gouvernement, que l’impossibilité pour la requérante d’obtenir réparation du dommage étant résulté de la privation du terrain litigieux est imputable à ses choix procéduraux.

15. En premier lieu, la Cour ne peut souscrire à la thèse de la requérante selon laquelle la reconnaissance de la levée de plein droit de l’expropriation n’était pas de nature à affecter son droit à percevoir une indemnité d’expropriation réactualisée. C’est en effet en raison du fait que l’expropriation n’avait pas été achevée avec le versement d’une indemnité complète dans les délais légaux que la cour d’appel de Thessalonique a reconnu qu’elle se trouvait levée de plein droit en vertu du droit national applicable. La Cour souscrit sur ce point au raisonnement détaillé de la Cour de cassation (paragraphe 10 ci-dessus). Il s’ensuit qu’ayant obtenu la reconnaissance de la levée de plein droit de l’expropriation, la requérante ne pouvait plus prétendre, plusieurs années après, à une réactualisation de l’indemnité d’expropriation. À ce titre, la solution retenue dans l’affaire Bibi c. Grèce (no 15643/10, 13 novembre 2014), dont se prévaut la requérante, ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. En effet, dans cette affaire, où la Cour a jugé que l’écoulement d’un laps de temps important entre le moment de la fixation de l’indemnité et celui où les requérantes auraient pu la recevoir justifiait sa réactualisation, l’expropriation litigieuse n’avait pas été reconnue comme étant levée de plein droit à la demande des intéressées.

16. En second lieu, la Cour souligne que la demande de réactualisation de l’indemnité d’expropriation ne pouvait pas en l’occurrence remplir la fonction des recours ouverts à l’intéressée par les dispositions pertinentes du droit national aux fins d’obtenir réparation du dommage provoqué par l’occupation et la destruction du terrain litigieux. Elle rappelle que la requérante n’a introduit qu’en 2004 un recours en annulation contre le refus implicite par l’administration de révoquer formellement l’expropriation en levant la charge urbanistique qui grevait sa propriété, et qu’elle s’est désistée de ce recours en 2007. Il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur l’issue qu’aurait pu connaître ce recours, d’autant que le fait qu’un ouvrage avait été construit rendait impossibles la restitution du terrain litigieux ou la modification du plan d’urbanisme. Ce point ne fait du reste l’objet d’aucune controverse entre les parties. Il suffit à la Cour d’observer qu’indépendamment d’un tel recours, qui pouvait seulement aboutir, le cas échéant, à une annulation du refus implicite par l’administration de lever la charge qui pesait sur le terrain exproprié, la requérante aurait dû introduire devant les tribunaux administratifs une action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. La Cour rappelle que cette action permet à un propriétaire de demander une réparation quand l’administration bloque un terrain au-delà d’un délai raisonnable, tarde à se conformer à un arrêt du tribunal administratif annulant son refus de lever pareil blocage ou occupe illégalement un terrain (voir Panagiotis Gikas et Georgios Gikas c. Grèce, no 26914/07, §§ 24-26 et 4648, 2 avril 2009, Fix c. Grèce, no 1001/09, §§ 29-31, 12 juillet 2011, Ventouris et Ventouri c. Grèce, no 45290/11, §§ 32-33, 14 janvier 2016). Or l’intéressée n’a jamais introduit pareille action relativement au comportement qu’elle estimait illicite de l’administration, à savoir l’occupation du terrain litigieux et la construction de l’ouvrage nonobstant le défaut de versement de l’indemnité d’expropriation. Elle s’est par ailleurs abstenue, en dépit du renvoi ordonné par la cour d’appel de Thessalonique (paragraphe 9 ci-dessus), d’introduire devant le TGI une action indemnitaire fondée sur le droit civil. La requérante, qui n’a exercé aucun des recours mentionnés par la Cour de cassation (paragraphe 10 ci-dessus) ne saurait donc reprocher aux autorités nationales de ne pas l’avoir indemnisée pour la privation du terrain litigieux.

17. Il s’ensuit que ce volet du grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

18. Quant au second volet du grief, la Cour rappelle, avec le Gouvernement, que dans l’affaire Ioannis Anastasiadis c. Grèce ((déc.), no 51391/09, §§ 30-44, 17 octobre 2017) elle a conclu qu’eu égard à la marge d’appréciation dont les autorités internes jouissaient en matière de répartition des compétences entre les différents ordres de juridiction, le rejet de la demande du requérant qui visait à l’obtention d’une indemnité pour le préjudice subi à raison d’une perte d’usage de son bien n’avait pas porté atteinte au principe de la procédure unique, au sens des arrêts Azas c. Grèce (no 50824/99, 19 septembre 2002) et Bibi c. Grèce, précité, et qu’il n’avait donc pas enfreint l’équilibre entre la protection du droit des particuliers au respect de leurs biens et les exigences de l’intérêt général. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette approche en l’espèce. Quant au grief relatif à l’article 6 § 1, elle note qu’il se confond avec celui basé sur l’article 1 du Protocole no 1, et qu’il ne révèle par suite aucune apparence de violation du droit d’accès à un tribunal.

19. Compte tenu de ces considérations, la Cour conclut que ce volet du grief doit, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention, être rejeté comme étant manifestement mal fondé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 mars 2023.

Olga Chernishova Yonko Grozev
Greffière adjointe Président