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QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 58598/21
Diamantino FREIRE LOPES
contre le Portugal

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 31 janvier 2023 en une Chambre composée de :

Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Tim Eicke,
Faris Vehabović,
Branko Lubarda,
Armen Harutyunyan,

Anja Seibert-Fohr,
Ana Maria Guerra Martins, juges,

et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 novembre 2021,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Diamantino Freire Lopes, est un ressortissant portugais né en 1944 et résidant à Tomar. Il a été représenté devant la Cour par Me A. Estanqueiro, avocat à Tomar.

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

  1. Contexte de l’affaire
    1. La relation commerciale liant le requérant à la BES

3. À une date non précisée, le requérant ouvrit avec son épouse un compte courant auprès d’une agence de la banque Banco Espírito Santo (la « BES ») à Tomar.

4. Le 24 août 2012, il acquit 3 700 actions privilégiées de la société Poupança Plus Investments Jersey Limited pour un montant total de 185 000 euros (« EUR ») que la BES, en qualité d’intermédiaire financier, s’était engagée à lui racheter, à la date du 24 août 2014, avec un complément de 20 202 EUR d’intérêts rémunératoires (paragraphe 28 ci-dessous).

  1. La mesure de résolution appliquée à la BES par la Banque du Portugal

a) Les faits à l’origine de la mesure de résolution

5. La BES était l’une des principales banques commerciales au Portugal. Au moment des faits, elle appartenait au Groupe Espírito Santo (le « GES »), une structure d’holdings en cascade complexe. Plus de 20 % des actifs de la BES étaient détenus par Espírito Santo Financial Group, S.A. (« ESFG »), une société holding enregistrée au Luxembourg, détenue à 49 % par Espírito Santo Irmãos SGPS, une société enregistrée au Portugal qui, elle, était détenue à 100 % par Rio Forte Investments, S.A. (« Rio Forte »), cette dernière étant détenue à 100 % par la société holding mère Espírito Santo International (« ESI »), enregistrée elle aussi au Luxembourg.

6. En mai 2014, les autorités luxembourgeoises détectèrent des irrégularités comptables dans les comptes de la société ESI.

7. En juillet 2014, ESI, ESFG et Rio Forte demandèrent aux autorités luxembourgeoises d’être placées en redressement judiciaire au motif qu’elles n’étaient plus en mesure de payer leurs dettes.

8. Le 24 juillet 2014, R.S., le président du conseil d’administration de la BES fut mis en examen dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent et fraude fiscale. Il présenta sa démission et fut alors remplacé.

9. Le 30 juillet 2014, la BES publia son bilan financier semestriel, révélant une perte record de 3,57 milliards d’euros en raison de son exposition à la dette du GES (paragraphe 5 ci-dessus).

10. Le 31 juillet 2014, la BES informa la Banque du Portugal (la « BdP »), la banque centrale du pays (paragraphe 51 ci-dessous), qu’elle n’était pas en mesure de recapitaliser l’entreprise dans les conditions et les délais requis par la BdP.

11. Le 1er août 2014, la Banque Centrale Européenne (la « BCE ») décida de suspendre la qualité de contrepartie de la BES, dans le cadre de la politique monétaire de l’Eurosystème, ce qui obligeait la BES à rembourser les 10 milliards EUR de dettes qu’elle avait contractées vis-à-vis de l’Eurosystème.

12. Le 13 juillet 2016, la BCE retira l’autorisation pour l’exercice de l’activité bancaire qui avait été octroyée à la BES.

13. À la suite de la décision de la BCE, la BES fut mise en liquidation d’office par la BdP conformément aux dispositions du décret-loi 1no 99/2006 du 25 octobre 2006, qui avait transposé au niveau interne la directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (paragraphe 66 ci-dessous). La procédure de liquidation est depuis lors pendante devant le tribunal du commerce de Lisbonne.

b) La décision de la BdP du 30 juillet 2014

14. Le 30 juillet 2014, compte tenu de la situation financière de la BES, la BdP adopta une décision (deliberação). Elle y faisait les constations suivantes :

« (...)

b) La situation des liquidités de la banque se révèle fragile et présente des risques d’aggravation ;

c) L’évaluation complète des engagements et responsabilités existants entre la BES et les autres entités se trouvant liées à celle-ci dans une situation de contrôle (domínio) ou de groupe, ainsi que les personnes qui se trouvent avec elle spécialement liées, exige des mesures de prudence pour ce qui est des paiements que la BES doit faire à ces personnes ou ces entités afin de prévenir les risques inhérents à la situation actuelle des liquidités ;

d) Les risques inhérents à la situation décrite ci-dessus exigent en outre, dans la mesure du strict nécessaire, pour protéger les intérêts des déposants et des autres clients de la BES et sauvegarder la stabilité du système financier, l’imposition de restrictions à la réalisation par la BES de paiements ne correspondant pas à des obligations légales ou contractuelles dont elle doit s’acquitter ;

e) Le paiement par la BES de montants dus aux entités du Groupe Espírito Santo qui ont demandé l’ouverture de procédures de gestion contrôlée, notamment Espírito Santo Financial Group, S.A. (ESFG), Espírito Santo International, S.A. (ESI), Rio Forte Investments, S.A. (Rio Forte), ou les personnes qui se trouvent avec elle spécialement liées ou tout autre entité qui se trouve liée à la banque dans une situation de contrôle (domínio) ou de groupe ne doit être effectué que lorsque la responsabilité du BES pour le paiement en question se trouve étayée de façon solide par des justificatifs.

(...)»

15. En tenant compte de ces constatations, conformément à l’article 141 § 1 a) et i) du Régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (le « RGICSF ») (paragraphe 53 ci-dessous), la BdP décida, avec effet immédiat :

- d’interdire à la BES de rembourser de façon anticipée tout crédit, et le cas échéant, tout rachat de crédit sur la BES et tout prêt souscrit par la BES, toute valeur mobilière émise par la banque ou tout autre instrument financier résultant de contrats auxquelles elle était partie, sauf obligation légale ou contractuelle ;

- de soumettre à l’autorisation préalable de la BdP tout remboursement total ou partiel ou même toute opération bancaire simple de débit d’un compte de dépôt relativement à un compte courant ainsi que tout paiement de créances de toute personne physique ou morale liée à la BES, l’ESFG, l’ESI, Rio Forte ou toute autre entité se trouvant dans une relation de contrôle ou de groupe avec la BES, l’ESFG, l’ESI, Rio Forte ;

- d’interdire le paiement par la BES de tout montant dû par l’ESFG, l’ESI, Rio Forte ou toute entité liée à ces sociétés.

16. Par ailleurs, dans sa décision, ayant observé que des opérations d’émission et de rachat de valeurs mobilières avaient eu des conséquences négatives sur les comptes de la BES et ayant relevé de graves failles dans l’exercice des fonctions de gestion de risques, d’audit interne et de « compliance » relativement à la mise en vente de billets de trésorerie dans les agences de la banque, elle suspendit de leurs fonctions les administrateurs de la BES ainsi que les membres de la commission en charge de l’audit (Comissão de Auditoria) au motif que ceux-ci auraient dû atténuer ou éliminer les risques pour la BES et informer la BdP des pertes subies par la BES en raison de ces irrégularités, et que la solidité financière de l’institution et la confiance des déposants s’en étaient trouvé atteintes.

c) La décision de la BdP du 3 août 2014

17. Le 3 août 2014, la BdP décida d’appliquer une mesure de résolution à l’égard de la BES, conformément à l’article 145-C du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessous), pour remédier à la situation financière de la banque et préserver la stabilité du système financier portugais. Dans sa décision, la BdP relevait que les pertes subies par la banque avaient perturbé les ratios de solvabilité de la banque au point de les placer en deçà des exigences minimales fixées par la BdP quant aux fonds propres de la banque. Elle notait aussi que la décision de la BCE du 1er août 2014 (paragraphe 11 ci-dessus) avait aggravé la situation des liquidités de la BES. Elle estimait que, dans ces circonstances, la BES risquait sérieusement à bref délai de ne plus pouvoir s’acquitter de ses dettes ni, par voie de conséquence, remplir les conditions requises pour le maintien de l’autorisation d’exercer son activité, tel qu’établies à l’article 145-C §§ 1 et 3 c) du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessous). Elle jugea qu’il fallait permettre à la BES de poursuivre ses activités financières en l’isolant des risques créés par l’exposition aux sociétés qui faisaient partie du GES (paragraphe 5 ci-dessus).

18. Dans le cadre de cette mesure de résolution, en vertu de l’article 145-G § 5 du RGICSF, la BdP créa une banque-relais, la Novo Banco, S.A. (la « N.B. »), à laquelle elle transféra un ensemble d’actifs, de passifs, d’éléments patrimoniaux et d’actifs gérés par la BES qui étaient énumérés dans un document annexé à sa décision (paragraphe 21 ci-dessous), chargeant une société réviseuse de comptes d’en faire l’évaluation. Par ailleurs, elle nomma les membres du nouveau conseil d’administration et de contrôle de la BES, conformément à l’article 145-D § 2 du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessous).

19. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la décision se lisait comme suit :

« (...)

12. La banque [relais] ainsi constituée, libérée de l’exposition qui a abouti aux pertes enregistrées dans les résultats semestriels de la |BES], ainsi qu’à la dévalorisation accentuée de ses actions en bourse, permettra à ses déposants de maintenir un rapport stable avec l’institution et de continuer à pouvoir accéder à ses services.

13. (...) le Fonds de résolution restera détenteur du capital social du nouvel établissement, afin de permettre l’entrée postérieure de nouveaux capitaux et de constituer une base d’actionnaires pour cette banque, avec le remboursement inhérent des capitaux mis à présent à disposition.

14. Dans le cadre de cette solution, les ressources que l’État mobilisera auront seulement la nature d’une opération de financement de fond et non pas d’une capitalisation (...)

15. Les raisons mentionnées montrent que cette solution, outre le fait qu’elle permet de répondre aux fins poursuivies de protection des déposants, de prévention des risques pour le système et de promotion du crédit à l’économie, est aussi celle qui sauvegarde le mieux les intérêts des contribuables, par rapport notamment à une hypothétique mesure de recapitalisation publique (...).

16. La finalité de cette décision d’intérêt public manifeste et urgent est d’éloigner les risques pour la stabilité financière et de libérer la nouvelle banque des actifs de mauvaise qualité qui ont mené à cette situation (...). La voie est ainsi ouverte à la vente de l’établissement à des investisseurs privés.

(...) ».

  1. Les statuts de la banque-relais, N.B.

20. Les statuts de la banque N.B. (Estatutos do Novo Banco) étaient joints à la décision. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, ceux-ci se lisaient comme suit :

Article 1

Dénomination, nature et durée

« 1. La N.B. est une banque constituée conformément à l’article 145 G § 3 du régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (« RGICSF ») (...).

2. La N.B. est constituée pour une durée indéterminée (...) »

Article 3

Objet

« 1. La banque N.B. a pour objet l’administration d’actifs, de passifs, d’éléments extrapatrimoniaux et d’actifs sous gestion transférés de la BES à la N.B. et le développement des activités transférées, afin de poursuivre les finalités prévues à l’article 145-A du RGICSF et en vue de permettre la vente postérieure desdits actifs, passifs et éléments extrapatrimoniaux et actifs sous gestion à un ou plusieurs établissements de crédit.

2. Dans l’exercice de son activité, la N.B. doit obéir à des critères de gestion qui permettent d’assurer le maintien de bas niveaux de risque et la maximisation de la valeur des actifs ayant été transférés (...) »

Article 4

Capital social

« Le capital social de la banque N.B. est de 4 900 millions d’euros. Aux termes de la loi, celui-ci appartient dans l’intégralité au Fonds de Résolution. »

Article 23

Dissolution et liquidation

« 1. La N.B. se dissout, par décision de la BdP (...), après la vente de la totalité des actifs, passifs et éléments extrapatrimoniaux et des actifs sous gestion ayant été transférés (...).

2. La BdP peut décider de dissoudre la N.B. avant la vente de la totalité du patrimoine indiqué au paragraphe précédent si elle conclut que la vente n’est pas possible (...).

3. Dans la situation prévue au paragraphe précédent, la N.B. entre immédiatement en liquidation conformément aux règles applicables à la liquidation extrajudiciaire des établissements de crédit (...).

4. La Banque N.B. se dissout également par la vente de la totalité de son capital social. »

  1. La liste des produits transférés de la BES à la banque N.B.

21. D’après le paragraphe 1 du document 2 annexé à la décision de la BdP du 3 août 2014 (paragraphe 17-18 ci-dessus), les produits suivants étaient transférés à la banque N.B. :

« (...)

(a) tous les actifs, licences et droits, y compris les droits de propriété de BES, seront transférés dans leur intégralité à Novo Banco, S.A., à l’exception des suivants :

(...)

v. Les créances envers Espírito Santo International et ses actionnaires (...)

(...)

(b) Les responsabilités de BES envers des tiers qui constituent des passifs ou des éléments extrapatrimoniaux de cette dernière seront transférés dans leur intégralité à Novo Banco, S.A. à l’exception des suivants (« passifs exclus ») :

(...)

ii. Obligations prises auprès d’entités ayant intégré le Groupe Espírito Santo, à l’exception des entités intégrées au groupe BES (...)

iii. Obligations prises ou garanties accordées à des tiers par rapport à tout type de responsabilités d’entités intégrées au Groupe Espírito Santo, à l’exception des entités intégrées au groupe BES ;

iv. Toute responsabilité pour des crédits subordonnés résultant de produits (intrumentos) utilisés dans le décompte (cômputo) des fonds propres de BES, dont les conditions ont été approuvées par la BdP ;

v. Toute responsabilité ou tout aléa nés d’un dol, d’une fraude ou d’une violation de dispositions réglementaires, pénales ou administratives (contraordenacionais).

vi. Toute responsabilité ou tout aléa de BES relatifs à l’émission d’actions ou d’une dette subordonnée ;

vii. Toute responsabilité ou tout aléa relatifs à la commercialisation, l’intermédiation financière et la distribution de produits de dette émis par des entités intégrées au domaine du Groupe Espírito Santo.

(...)

Les responsabilités de BES qui ne seront pas transférées resteront dans le domaine patrimonial de la BES.

(...)

Après les transferts prévus aux paragraphes précédents, la BdP peut à tout moment transférer ou retransmettre entre la BES et la N.B, des actifs, des passifs, des éléments patrimoniaux et des actifs sous gestion, aux termes de l’article 145-H § 5 du RGICSF (...). »

22. Dans sa décision, la BdP estima nécessaire d’injecter 4,9 milliards d’euros dans le capital social de la banque N.B.

d) La décision de la BdP du 11 août 2014

23. Le 11 août 2014, la BdP clarifia quels étaient les actifs et les passifs énumérés à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’annexe 2 de sa décision du 3 août 2014 (paragraphe 21 ci-dessus) qui devaient être transférés à la N.B. En l’occurrence, elle précisa que les alinéas concernant les passifs de la BES qui ne seraient pas transférés à la N.B. devaient être lus comme suit :

« (...)

ii. Obligations prises auprès d’entités intégrées au Groupe Espírito Santo constituant des créances subordonnées[1] (...), à l’exception des entités intégrées au groupe BES (...)

iii. Obligations prises ou garanties accordées à des tiers par rapport à tout type de responsabilités d’entités intégrées au Groupe Espírito Santo, à l’exception des entités intégrées au groupe BES dont les participations sociales ont été transférées à Novo Banco, S.A. ;

iv. Toute responsabilité résultant de produits (intrumentos) qui sont ou qui ont été éligibles dans le décompte (cômputo) des fonds propres de BES et dont les conditions ont été approuvées par la BdP ;

v. Toute responsabilité ou tout aléa nés notamment d’une fraude ou d’une violation de dispositions réglementaires, pénales ou administratives (contraordenacionais).

vi. Toute responsabilité ou tout aléa de BES relatifs à des actions, des produits ou des contrats résultant en des créances subordonnées auprès de la BES ;

vii. Toute obligation, garantie, responsabilités ou tout aléa assumés dans la commercialisation, intermédiation financière et la distribution de produits de dette émis par des entités qui intègrent l’univers du Groupe Espírito Santo, sans préjuger des éventuelles créances non subordonnées découlant de clauses contractuelles, antérieures au 30 juin 2014 et étayées par des documents dans les archives de BES permettant de suivre et contrôler les décisions ayant été prises

(...)».

e) La décision de la BdP du 29 décembre 2015

24. Alors que de nombreuses actions civiles étaient en train d’être intentées contre la banque N.B., la BdP adopta une nouvelle décision pour clarifier de nouveau sa décision du 3 août 2014. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, cette décision se lisait comme suit :

« (...)

Le Conseil d’administration de la BdP, en vertu de la compétence qui lui a conférée le RGICSF de sélectionner les actifs et passifs à transférer à la banque-relais, décide ce qui suit :

A) Clarifie que, aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’annexe 2 de la décision du 3 août, n’ont pas été transférés de la BES à la N.B. les passifs et les éléments extrapatrimoniaux de la BES qui, au 3 août 2014 à 20 heures étaient incertains ou inconnus (y compris les responsabilités litigieuses relatives au contentieux pendant et les responsabilités ou aléas nés de la fraude ou de la violation de dispositions réglementaires, pénales ou administratives), indépendamment de leur nature (...) et de ce qu’ils fussent ou non enregistrés dans la comptabilité de la BES ;

B) Plus particulièrement, il est précisé que n’ont pas été transférés de la BES à la N.B. les passifs de la BES suivants :

(...)

viii. Toute responsabilité objet de l’une quelconque des procédures mentionnées à l’Annexe I.

C) Dans la mesure où, nonobstant les clarifications effectuées ci-dessus, ont effectivement été transférés à la N.B. des passifs de la BES qui, aux termes (...) de la décision du 3 août, auraient dû rester dans son domaine patrimonial, ces passifs seront retransmis de la N.B. à la BES, avec effet au 3 août 2014 à 20 heures.

D) (...) la N.B. et la BES doivent :

a) Adopter les mesures d’exécution nécessaires à l’application adéquate de la mesure de résolution appliquée par la BdP à la BES, ainsi que de toutes les décisions de la BdP qui la complètent, la changent ou la clarifient, y compris la présente décision.

b) Entreprendre toutes les actions, qu’elles soient administratives ou juridictionnelles, dans le cadre de procédures où elles sont parties aux fins de la bonne exécution de toutes les décisions de la BdP mentionnées à l’alinéa a), y compris celles qui sont nécessaires à l’annulation des actes antérieurs contraires à ces décisions ;

c) Afin de se conformer à ce qui est prévu à l’alinéa b), demander que la présente décision soit jointe de façon immédiate aux procédures dans lesquelles elles interviennent en qualité de parties.

(...)

d) S’abstenir de tout comportement pouvant mettre en cause les décisions de la BdP indiquées à l’alinéa a). ».

  1. L’action en responsabilité civile introduite par le requérant
    1. L’action civile devant le tribunal de Santarém

25. À une date non précisée, le requérant intenta contre la banque N.B. une action en remboursement d’une somme de 185 000 EUR, qui selon lui correspondait au montant qu’il avait investi dans des actions qui lui avaient été vendues par la BES, ainsi que de 20 202 EUR d’intérêts au 24 août 2014 (paragraphe 4 ci-dessus). Il alléguait avoir acquis lesdites actions sans avoir été informé de la nature et des risques d’un tel investissement financier, ajoutant que la BES lui avait vendu ce produit comme une épargne sûre avec un taux de rémunération avantageux.

26. La défenderesse contesta l’action en soutenant que le requérant savait que les produits en cause étaient des actions. Elle ajouta que la question litigieuse constituait un « aléa » au sens de la décision de la BdP du 29 décembre 2015 et qu’à ce titre cet aléa ne lui avait pas été transféré, de sorte qu’elle n’avait pas qualité pour agir en l’espèce.

  1. Le jugement du tribunal de Santarém du 7 juillet 2016

27. Par un jugement du 7 juillet 2016, le tribunal de Santarém fit droit aux prétentions du requérant et condamna la banque N.B. au paiement des 205 202 EUR qu’il avait réclamés.

28. Dans son jugement, le tribunal considéra comme établi ceci :

- entre le 30 juillet 2009 et le 26 septembre 2013, en vertu d’un contrat d’intermédiation financière passé avec la BES, le requérant avait acquis et vendu, dans le marché Over the Counter (« OTC »)[2], à la BES, des actions privilégiées des sociétés Euro Aforro, Poupança Plus et Top Renda, lesquelles détenaient des obligations (dettes) du GES (paragraphe 5 ci-dessous) ;

- le 24 août 2012, le requérant avait acquis 3 700 actions de la société Poupança[3] Plus pour le prix de 185 000 EUR après avoir été informé par la BES qu’il s’agissait d’un investissement sûr avec un taux de rentabilité avantageux et qu’il récupérerait ce montant majoré de 20 202 EUR le 24 août 2014, soit la somme totale de 205 202 EUR.

29. Le tribunal considéra que la BES avait violé vis-à-vis de ses clients le devoir d’information auquel elle était tenue s’agissant de la nature des produits financiers en cause, en vertu des articles 77 du RGICSF et des articles 304 et 312 du code des valeurs mobilières (paragraphes 53 et 54
ci-dessous), ainsi que l’engagement qu’elle avait pris envers le requérant et qu’elle était par conséquent responsable de la perte du capital que ces derniers avaient subie. D’après le tribunal, le fait que la perte avait pour origine la mesure de résolution de la BdP du 3 août 2014 (paragraphes 17-19 ci-dessus) n’y changeait rien étant donné que cette mesure avait été appliquée précisément parce que la BES s’était placée dans une situation de grave déséquilibre financier.

30. Par ailleurs, le tribunal considéra que la responsabilité de la BES vis-à-vis du requérant avait été transférée à la N.B., jugeant inconstitutionnelle l’interprétation des dispositions découlant de l’article 145-H du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessous), qui figuraient à l’annexe 2 de la résolution de la BdP du 3 août 2014 (paragraphe 21 ci-dessus), selon laquelle n’étaient pas transférés à la N.B. les créances de la BES vis-à-vis de particuliers qui, d’une part, n’avaient pas été informés du risque que présentaient les produits financiers auxquels ils avaient souscrits, dès lors qu’ils s’agissait d’actions d’entreprises détentrices d’obligations du GES, et auprès de qui, d’autre part, la BES s’était engagée à leur rendre le capital investi majoré d’intérêts. Il ajouta que le non-transfert d’« aléas » visé dans la décision de la BdP du 29 décembre 2015 (paragraphe 24 ci-dessus) était également frappé d’inconstitutionnalité et de nullité étant donné qu’il portait atteinte à la séparation des pouvoirs.

31. Pour ce qui est de la proportionnalité de la mesure, le tribunal se prononça comme suit :

« (...) quant à la proportionnalité, nous ne voyons pas comment l’intérêt des épargnants, le système financier et la préservation de la viabilité de la N.B. pourraient être affectés par les créances de consommateurs particuliers souscrites dans les mêmes conditions que celles des demandeurs. Exclure du transfert [de ces créances à la N.B.] n’est pas non plus indispensable à la finalité poursuivie. À supposer même que cela fût nécessaire, il n’est pas raisonnable de faire presque totalement disparaître ou de compromettre sérieusement le règlement de la créance d’un particulier consommateur qui a cru en l’établissement financier, dans le but de préserver ce qui précisément dépend de la confiance des consommateurs.

Sur la question de la protection de la confiance, la BdP a permis, dans le cadre de son activité de contrôle, la commercialisation d’un produit complexe, pour la vente d’actions sur le marché OTC – non réglementé – et la réacquisition future de celles-ci, constituant ainsi un moyen de financement du Groupe Espírito Santo, présenté à des clients éventuels comme un placement sûr dont le remboursement est garanti. [Le requérant a] investi [son] épargne dans ce produit parce que la BES [lui] avait dit qu’[il] récupérait [son] argent, alors que celle-ci était sous le contrôle de la BdP. Eu égard à ce qui précède, il [a] donc cru de façon entièrement légitime que la BdP ne mettrait jamais en cause la disponibilité de cette épargne. Enfin, la raison qui a déterminé la décision [de la BdP] ne justifie pas la perte subie par [le demandeur], étant donné que celle-ci apparaît comme trop lourde par rapport à l’avantage supposément recherché, lequel est beaucoup trop marginal si tant est qu’il existe.

En outre, les décisions [de la BdP] postérieures au 3 août 2014 (...) mettent en cause la prévisibilité, et, par conséquent, les espérances fondées des personnes visées. En effet, par sa décision du 29 décembre 2015 (soit un an et demi après la première décision), la BdP cherche à atteindre directement ceux qui ont engagé des actions judiciaires pour faire valoir leurs intérêts. En l’occurrence, la BdP a assumé la position de « grand décideur » : ainsi, le litige prend fin non pas par l’effet d’un jugement prononcé par un tiers impartial, sur la base de règles définies par un autre, après la présentation et l’appréciation de preuves dans un contexte où les positions sont confrontées pleinement et ouvertement, mais par l’élimination de l’objet du litige ou, mieux, par le changement des règles du jeu (...). Il existe donc bien une atteinte claire à l’État de droit, par l’ingérence ainsi commise dans la compétence du tribunal.

(...) »

  1. Les recours devant le Tribunal constitutionnel et la décision du 22 juillet 2017

32. Les 1er, 14 et 19 septembre 2016, le ministère public, la BdP et la banque N.B. présentèrent des recours constitutionnels devant le Tribunal constitutionnel contre le jugement du tribunal de Santarém du 7 juillet 2016. Ils contestaient le refus par ce dernier d’appliquer l’article 145-H § 5 du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessous) à la présente espèce au motif qu’il était inconstitutionnel entendu au sens où les créances de consommateurs particuliers ignorant les risques que présentaient les produits qu’ils avaient acquis n’étaient pas transférées à la banque-relais.

33. Par une décision sommaire du 22 juillet 2017, le Tribunal constitutionnel déclara les recours irrecevables. Il observa que l’article 145-H § 5 du RGICSF ne visait nulle part la situation particulière de certains créanciers ni aucun établissement financier en particulier. Il constata ensuite qu’il n’apparaissait pas que le tribunal de Santarém eût refusé d’appliquer l’article 145-H § 5 du RGICSF ou l’interprétation donnée à cette disposition et considéra qu’il s’agissait plutôt de l’application à un cas concret d’une partie de la décision de la BdP du 3 août 2014, clarifiée par la suite dans d’autres décisions.

34. Le requérant ne forma aucune opposition (« reclamação ») contre cette décision devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel (« conferência »).

  1. Le recours devant la cour d’appel d’Évora et l’arrêt du 26 avril 2018

35. À une date non précisée, la BdP et la banque N.B. interjetèrent appel du jugement du tribunal de Santarém du 7 juillet 2016 (paragraphe 27 ci-dessus) devant la cour d’appel d’Évora. Ils excipaient d’un défaut de compétence ratione materiae des juridictions civiles pour statuer sur la mesure de résolution appliquée par la BdP à l’égard de la BES et pour décider de ne pas appliquer l’exclusion qui était prévue à l’annexe 2 de la décision du 3 août 2014 et de l’article 145-H du RGICSF sur lequel se fondaient les décisions de la BdP (paragraphes 21 ci-dessus et 53 ci-dessous). Ils contestaient aussi les inconstitutionnalités qui avaient été constatées par le tribunal de Santarém (paragraphes 30-31 ci-dessus), ce pour les raisons suivantes. Ils estimaient tout d’abord que les décisions de la BdP en cause étaient légitimes et proportionnées aux fins poursuivies eu égard à la situation de la BES au moment des faits et qu’il n’y avait pas eu d’atteinte au principe de la confiance du requérant, au sens qu’en avait donné le tribunal de Santarém. Ils arguaient ensuite que la décision de la BdP du 3 août 2014 stipulait clairement aux alinéas v. et vii. de l’alinéa b) de son annexe 2 que les produits litigieux n’avaient pas été transférés à la banque N.B. Ils contestaient enfin la conclusion à laquelle avait abouti le tribunal en ce qui concernait l’atteinte portée par la décision du 29 décembre 2015 au principe de la séparation des pouvoirs (paragraphes 24 et 30-31 ci-dessus)

36. Par un arrêt du 26 avril 2018, la cour d’appel d’Évora fit droit à l’exception. Elle annula le jugement du tribunal de Santarém au motif que celui-ci n’était pas compétent pour statuer sur les faits étant donné que, premièrement, les faits dénoncés étaient nés d’une mesure de résolution adoptée par une autorité administrative et que, deuxièmement, les prétentions du requérant étaient dirigées contre la N.B., dont le seul actionnaire était le Fonds de Résolution, c’est-à-dire une personne morale de droit public. Elle en conclut que les questions litigieuses relevaient des juridictions administratives. Eu égard à cette conclusion, elle ne se prononça pas sur la deuxième exception, tirée par la BdP et la défenderesse d’un défaut de légitimité des décisions à l’origine de la mesure de résolution.

  1. Le pourvoi en cassation, le renvoi du pourvoi devant le tribunal des conflits et l’arrêt du tribunal des conflits du 25 juin 2020

37. À une date non précisée, le requérant contesta l’arrêt de la cour d’appel d’Évora au moyen d’un pourvoi en cassation formé devant la Cour suprême.

38. Par un arrêt du 25 octobre 2018, la Cour suprême renvoya le pourvoi devant le tribunal des conflits.

39. Par un arrêt du 1er juillet 2020, le tribunal des conflits fit droit au recours du requérant et décida que le tribunal de Santarém avait bien compétence pour statuer au sujet des faits de l’espèce. À cet égard, il considéra que l’action en responsabilité civile en cause avait été introduite par le requérant contre la banque N.B., et non pas contre le Fonds de Résolution, et qu’il s’agissait de savoir si la N.B. avait repris les créances de la BES qui étaient en cause, à l’aune des décisions qui avaient été prises par la BdP les 3 et 11 août 2014 (paragraphes 17 et 23 ci-dessus). D’après le tribunal des conflits, le fait que le seul actionnaire de la N.B. était le Fonds de Résolution, une personne morale de droit public, n’était donc pas pertinent pour se prononcer sur la compétence du tribunal.

40. L’affaire fut ensuite renvoyée devant la cour d’appel d’Évora afin qu’elle statue sur la question de fond qu’il restait à trancher.

  1. L’arrêt de la cour d’appel d’Évora du 25 février 2021

41. Par un arrêt du 25 février 2021, la cour d’appel d’Évora infirma le jugement du tribunal de Santarém quant au fond et débouta ainsi le requérant de ses prétentions.

42. Dans son arrêt, elle considéra que les créances du requérant constituaient des passifs de la BES qui n’avaient pas été transférés à la N.B., au sens des sous-alinéas v. et vii. de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’annexe 2 de la décision de la BdP du 3 août 2014 (paragraphe 21 ci-dessus). Elle ajouta que, eu égard aux clarifications apportées par la décision de la BdP du 29 décembre 2015 (paragraphe 24 ci-dessus), les responsabilités ou les aléas découlant de l’activité d’intermédiaire financier de la BES n’étaient pas entrés dans le domaine patrimonial de la défenderesse. Elle se référa à plusieurs arrêts de la Cour suprême ayant abouti à la même conclusion. Elle rappela par ailleurs que les décisions de la BdP liaient toute institution, y compris les tribunaux.

43. Pour finir, la cour d’appel d’Évora rejeta les conclusions du tribunal de Santarém quant à l’inconstitutionnalité de la mesure de la BdP découlant de la violation des principes de la confiance, de la proportionnalité et de la séparation des pouvoirs, en se référant, entre autres, aux arrêts de la Cour suprême du 23 mars 2018, du 22 mai 2018 et du 19 juin 2019 (paragraphes 59, 60 et 62-63 ci-dessous).

  1. Le pourvoi en cassation du requérant et l’arrêt de la Cour suprême du 30 juin 2021

44. À une date non précisée, le requérant forma un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Il contestait la conclusion de la cour d’appel d’Évora selon laquelle la responsabilité qui découlait du manquement au devoir d’information par la BES à son égard n’avait pas été transférée à la banque-relais, la N.B. Il maintenait ensuite que sa créance vis-à-vis de la BES avait été transférée à la N.B. et que les décisions prises par la BdP à partir du 3 août 2014 au sujet de la BES étaient illégales et inconstitutionnelles parce qu’elles portaient atteinte aux principes de la protection de la propriété, de la confiance, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs.

45. La BdP et la N.B. présentèrent leurs mémoires en réponse.

46. Par un arrêt du 30 juin 2021, la Cour suprême confirma l’arrêt qui avait été rendu par la cour d’appel d’Évora.

47. En s’appuyant sur des arrêts qu’elle avait déjà rendus sur la question (paragraphes 56 et 60 ci-dessous), elle considéra que les responsabilités de la BES pour les dommages causés par son activité d’intermédiation financière constituaient des « aléas » au sens du sous-alinéa vii. de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’annexe 2 de la décision de la BdP du 3 août 2014, tel que clarifiée dans la décision de la BdP du 29 décembre 2015 (paragraphes 21 et 24 ci-dessus) et que, par conséquent, elles n’avaient pas été transférées à la N.B.

48. Se référant à des arrêts qu’elle avait déjà rendus sur la question, la Cour suprême confirma ensuite que ni les résolutions de la BdP ni l’article 145-H du RGICSF n’étaient inconstitutionnels ou illégaux (paragraphes 59, 61 et 63 ci-dessous).

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES et européenS PERTINENTS

  1. La Constitution

49. L’article 62 de la Constitution garantit le droit de propriété.

50. Le système financier est structuré par la loi de façon à garantir la formation, la captation et la sécurité des épargnes (poupanças) ainsi que l’application des moyens financiers au développement économique et social (article 101).

51. La Banque du Portugal est la banque centrale nationale. Elle exerce ses fonctions dans le cadre de la loi nationale et des normes internationales par lesquelles l’État portugais est lié (article 102).

  1. Le régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (Regime geral das instituições de crédito e sociedades financeiras- « RGICSF »)

52. Le régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (le « RGICSF ») a été approuvé par le décret-loi no 298/92 du 31 décembre 1992. Il a été modifié par le décret-loi no 31-A/2012 du 10 février 2012 qui avait été adopté à la suite de la crise financière internationale de 2008 et de ses effets dans le secteur bancaire, et prévoit, entre autres, un ensemble de mesures permettant à la BdP de prévenir les situations de défaillance ou de difficultés financières des établissements de crédit se trouvant sous sa surveillance, ou d’y répondre. Entre autres, ce décret-loi a mis en place une procédure de résolution pour répondre à la situation de tout établissement ne satisfaisant plus aux exigences minimales du maintien de sa licence et pour éviter le recours au redressement judiciaire. Un fonds de résolution a également été créé pour contribuer à l’application de telles mesures par la BdP.

53. Au moment des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce, du RGICSF, dans sa rédaction issue du décret-loi no 114-B du 4 août 2014 se lisaient comme suit :

Article 77

Devoir d’information et d’assistance

« 1. Les établissements de crédit doivent informer clairement les clients sur (...) les éléments qui caractérisent les produits offerts, ainsi que sur le prix des services offerts et sur les autres frais à la charge du client.

(...)

6. La BdP fixe (...) les règles impératives relativement au contenu des contrats entre les établissements de crédit et leurs clients en vue de garantir la transparence des conditions de prestation des services correspondants.

7. Le manquement aux devoirs énoncés dans la présente disposition est passible d’une amende administrative (...). »

Article 139

Principes généraux

« 1. Afin de sauvegarder la solidité financière de l’établissement de crédit, les intérêts des épargnants ou la stabilité du système financier, la BdP peut adopter les mesures prévues dans le présent chapitre.

2. L’application des mesures prévues dans le présent chapitre est sujette aux principes de l’adéquation et de la proportionnalité, en tenant compte du risque et du degré de non-respect, par l’établissement de crédit, des règles légales et réglementaires qui régissent son activité, ainsi que de la gravité des conséquences respectives sur la solidité financière de l’établissement en cause, les intérêts des épargnants et la stabilité du système financier. »

Article 141

Mesures d’interdiction corrective

« 1. Lorsqu’un établissement de crédit ne respecte pas ou risque de ne pas respecter les normes légales ou réglementaires qui régissent son activité, la BdP peut décider (...) d’appliquer l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) Des mesures correctives (...)

(...)

i) La soumission de certaines opérations ou de certains actes à l’approbation préalable de la BdP.

(...)”

Article 144

Régime de résolution ou de liquidation

« Dans le cas où les mesures d’intervention correctives ne permettraient pas de récupérer l’établissement de crédit ou s’il est considéré que celles-ci seraient insuffisantes, la Banque du Portugal, peut autrement :

a) Nommer une administration provisoire (...) ;

b) Appliquer une mesure de résolution si cela s’avère nécessaire pour garantir le respect des finalités prévues à l’article 145-A et si les conditions prévues à l’article 145 C sont remplies ;

c) Retirer l’autorisation d’exercice de l’activité en question, ce qui ouvre la voie au régime de liquidation prévu dans la loi applicable. »

Article 145-A

Finalités des mesures de résolution

« La BdP peut appliquer, relativement à des établissements de crédits siégeant au Portugal, les mesures prévues au présent chapitre dans l’un quelconque des buts suivants :

a) Assurer la continuité de la prestation des services financiers essentiels ;

b) Prévenir le risque systémique ;

c) Sauvegarder les intérêts des contribuables et du Trésor Public ;

d) Préserver la confiance des épargnants. »

Article 145-B

Principes directeurs (orientadores) de l’application des mesures de résolution

« L’application des mesures de résolution doit tenir compte de leurs finalités énumérées dans l’article précédent et viser à s’assurer :

a) Que les actionnaires de l’établissement de crédit assument de façon prioritaire les pertes de l’institution en cause ;

b) Que les créanciers de l’établissement de crédit assument ensuite, dans des conditions équitables, les pertes restantes de l’institution en cause, conformément à l’ordre de priorité des diverses catégories de créanciers ;

c) qu’aucun créancier ne puisse assumer une perte supérieure à celle qu’il aurait subie si l’établissement avait été mis en liquidation.

2. Ce qui est prévu au paragraphe précédent ne vise pas les dépôts garantis (...).

3. S’il est avéré que, à la clôture de la liquidation de l’établissement de crédit objet de la mesure de résolution, les créanciers de cet établissement qui possédaient des créances n’ayant pas été transférées à un autre établissement de crédit ou à une autre banque de transition, ont subi une perte supérieure au montant estimé (...) par rapport à celle qu’ils auraient subie si l’établissement avait été placé en liquidation immédiatement avant l’application de la mesure de résolution, ces créanciers ont le droit de percevoir la différence auprès du Fonds de Résolution. »

Article 145-C

Application de mesures de résolution

« 1. Lorsqu’un établissement de crédit ne satisfait pas, ou risque de ne pas satisfaire, aux exigences du maintien de l’autorisation d’exercice de son activité, la BdP peut appliquer les mesures de résolution suivantes, si cela est indispensable à la poursuite de l’un quelconque des objectifs visés à l’article 145-A :

a) Vente partielle ou totale de l’activité à un autre établissement autorisé à exercer l’activité en cause ;

b) Transfert, partiel ou total, de l’activité à une ou plusieurs banques relais.

2. Les mesures de résolution sont appliquées si la BdP considère qu’il n’est pas prévisible que l’établissement de crédit parvienne, dans un délai approprié, à exécuter les mesures nécessaires pour revenir aux conditions adéquates de solidité et de respect des ratios prudentiels.

3. Aux fins du paragraphe 1, un établissement de crédit est considéré comme présentant un risque sérieux de ne pas satisfaire aux exigences du maintien de l’autorisation d’exercer son activité lorsque, parmi d’autres faits pouvant être retenus, dont la BdP appréciera la pertinence à la lumière des objectifs énoncés à l’article 145-A, l’une des situations suivantes est constatée :

a) L’établissement de crédit a subi ou risque raisonnablement de subir à bref délai des pertes risquant de consommer son capital social ;

b) Le montant des actifs de l’établissement de crédit est devenu inférieur à celui de ses obligations ou risque raisonnablement de le devenir à bref délai ;

c) L’établissement de crédit se trouve dans l’impossibilité de remplir ses obligations ou risque raisonnablement de s’y trouver à bref délai.

4. L’application de mesures de résolution ne dépend pas de l’application préalable de mesures d’intervention correctrice.

5. L’application d’une mesure de résolution ne porte pas atteinte à la possibilité d’application, à tout moment, d’une ou de plusieurs mesures d’intervention correctrice. »

Article 145-D

Suspension des organes d’administration et de contrôle

« 1. Lorsque la BdP décide d’appliquer une mesure de résolution, les membres des organes d’administration et de contrôle de l’établissement en cause sont suspendus de leurs fonctions (...).

2. Dans le cas prévu au paragraphe précédent, la BdP désigne pour l’établissement de crédit concerné les membres de l’organe d’administration (...) et une commission de contrôle ou un agent de contrôle unique (...) ».

Article 145-F

Vente totale ou partielle de l’activité

« 1. La BdP peut décider de la vente, partielle ou totale, d’actifs, de passifs, d’éléments extrapatrimoniaux et d’actifs sous la gestion d’un établissement de crédit à l’une ou plusieurs des institutions autorisées à développer l’activité en cause.

2. Aux fins du paragraphe précédent, la BdP invite les acquéreurs potentiels à présenter des propositions d’acquisition en cherchant à assurer, selon la célérité imposée par les circonstances, la transparence de la procédure et le traitement équitable des intéressés.

3. La BdP sélectionne l’établissement acquéreur en tenant compte des finalités prévues à l’article 145-A.

(...)

5. Aux fins de la vente visée au paragraphe 1, les actifs, passifs, éléments extrapatrimoniaux et actifs placés sous gestion sélectionnés par la BdP doivent faire l’objet d’une valorisation réalisée par une entité indépendante désignée par la BdP, dans un délai que celle-ci fixera, aux frais de l’établissement de crédit, au moyen d’une méthode de valorisation fondée sur les conditions du marché et, subsidiairement, à la juste valeur, laquelle doit tenir compte de la valeur intrinsèque, positive ou négative, résultant de la vente pour l’établissement acheteur.

(...)

7. La BdP détermine la nature et le montant du soutien financier que le Fonds de résolution doit accorder si cela est nécessaire, ce qui inclut notamment la prestation de garanties et l’octroi de prêts à l’établissement de crédit vendeur ou à l’établissement acquéreur, afin de préserver la valeur des actifs et passifs et de faciliter la vente prévue au paragraphe 1.

(...)

12. La décision qui statue sur la vente prévue au paragraphe 1 produit des effets indépendamment de toute disposition légale ou contractuelle contraire (...).

13. La décision de vente prévue au paragraphe 1 n’est pas soumise à l’accord préalable des actionnaires de l’établissement de crédit ni des parties à des contrats liées à des actifs, a des passifs, à des éléments extrapatrimoniaux ou à des actifs sous gestion à vendre (...).

(...) »

Article 145-G

Transfert partiel ou total de l’activité à des banques relais

« 1. La BdP peut décider du transfert, partiel ou total, d’actifs, de passifs, d’éléments extrapatrimoniaux et d’actifs sous la gestion d’un établissement de crédit à une ou plusieurs banques-relais, constituées à cet effet, en vue de permettre sa vente postérieure à un autre établissement autorisé à exploiter l’activité en cause.

(...)

3. La banque-relais est un établissement de crédit qui a la nature juridique d’une banque et dont le capital social est entièrement détenu par le Fonds de résolution.

4. Le capital social de la banque-relais est apporté par le Fonds de résolution et prélevé sur les ressources de ce dernier.

5. La banque-relais est constituée par une délibération de la BdP qui en approuve les statuts (...).

6. Après la délibération prévue au paragraphe précédent, la banque-relais reçoit l’autorisation d’exercer les activités [d’un établissement de crédit].

(...)

11. Il incombe à la BdP, sur la proposition de la commission directive du Fonds de résolution, de nommer les membres des organes d’administration et de contrôle de la banque-relais, qui doivent obéir à toutes les orientations et recommandations transmises par la BdP, notamment en ce qui concerne les décisions de gestion de la banque de transition.

12. La banque-relais est désignée pour une durée limitée de deux ans, renouvelable pour des durées d’un an pour des raisons d’intérêt public, notamment si les risques demeurent pour la stabilité financière ou si des négociations sont en cours en vue de la vente des respectifs actifs, passifs, éléments extrapatrimoniaux et actifs sous sa gestion. [Les renouvellements] ne peuvent dépasser une durée maximale de cinq ans.

13. La banque-relais doit obéir, dans l’exploitation de son activité, à des critères de gestion qui assurent le maintien de bas niveaux de risques. »

Article 145-H

Patrimoine et financement de la banque-relais

« 1. La BdP sélectionne les actifs, passifs, éléments extrapatrimoniaux et actifs placés sous gestion à transférer à la banque-relais à la date de sa constitution.

2. Ne peuvent être transférées à la banque-relais les obligations souscrites par l’établissement originaire avec :

a) Les actionnaires de l’établissement originaire dont la participation à la date du transfert est égale ou supérieure à 2 % du capital social, les personnes ou les entités qui deux ans avant le transfert avaient une participation égale ou supérieur à 2 % dans le capital social, les membres des organes d’administration ou de contrôle (...) ;

b) Les personnes ou entités qui étaient actionnaires (...) et dont l’action ou l’omission est à l’origine des difficultés financières de l’établissement de crédit ou qui ont contribué à l’aggravation d’une telle situation ;

(...)

3. Ne peuvent être transmis à la banque-relais les instruments utilisés dans le calcul des fonds propres de l’établissement de crédit dont les conditions ont été approuvées par la BdP.

4. Les actifs, passifs, éléments extrapatrimoniaux et actifs placés sous gestion choisis conformément au paragraphe 1 doivent faire l’objet d’une valorisation, reportée à la date du transfert, par une entité indépendante désignée par la BdP, dans un délai fixé par cette dernière, aux frais de l’établissement de crédit.

5. Après le transfert prévu au paragraphe 1, la BdP peut, à tout moment :

a) Transférer d’autres actifs, passifs, éléments patrimoniaux et actifs sous gestion de l’établissement de crédit originaire à la banque-relais.

b) Transférer des actifs, passifs, éléments patrimoniaux et actifs sous gestion de la banque à l’établissement de crédit originaire.

(...)

9. Après le transfert prévu au paragraphe 1 doit être garantie la continuité des opérations liées aux actifs, passifs, éléments extrapatrimoniaux et actifs sous gestion ayant été transférés, la banque-relais devant être considérée, à toute fin légale et contractuelle, comme ayant succédé aux droits et obligations transférés de l’établissement de crédit originaire.

(...)

11. La décision de transfert prévue au paragraphe 1 produit des effets indépendamment de toute disposition légale ou contractuelle contraire (...).

12. La décision de transfert prévue au paragraphe 1 n’est pas soumise à l’accord préalable des actionnaires de l’établissement de crédit ni des parties à des contrats liés aux actifs, passifs, éléments extrapatrimoniaux et actifs sous gestion à transférer (...).

(...). »

Article 145-M

Régime de liquidation

« Si, après l’application de toute mesure de résolution, la BdP considère que les finalités prévues à l’article 145-A sont atteintes et si elle constate que l’établissement ne remplit pas les conditions du maintien de l’autorisation pour l’exercice de son activité, elle peut retirer l’autorisation de l’établissement ayant fait l’objet de la mesure en cause en appliquant le régime de liquidation prévu dans la loi applicable. »

Article 145-N

Recours et intérêt public

« 1. (...) les décisions par lesquelles la BdP adopte des mesures de résolution sont soumises aux procédures prévues dans la législation du contentieux administratif, sauf en ce qui concerne les dispositions spéciales prévues dans les paragraphes suivants, en tenant compte des considérations pertinentes d’intérêts public qui déterminent son adoption.

(...)»

Article 145-O

Évaluation et calcul des indemnités

« 1. (...) dans le cadre de tout recours contentieux où est discuté le paiement d’une indemnité découlant de l’adoption des mesures prévues au paragraphe 1 de l’article 145-C, ne doit pas être prise en compte la plus-value résultant de tout soutien financier public, notamment celui accordé par le Fonds de résolution (...).

2. Indépendamment de son éventuelle intervention en qualité de partie, il incombe à la BdP de présenter, dans les procédures indiquées au paragraphe précédent, un rapport d’évaluation englobant tous les aspects de nature préjudicielle à retenir pour le calcul de l’indemnité, notamment quant à la capacité future de l’établissement de crédit à respecter les conditions générales de l’autorisation (...).

3. Le paiement des indemnités visées au présent article est pris en charge par le Fonds de résolution, sauf dans les cas où la BdP engage sa responsabilité civile pour un acte illicite. »

  1. Le code des valeurs mobilières

54. Aux termes de l’article 304 du code des valeurs mobilières, approuvé par le décret-loi no 486/99 du 13 novembre 1999, les intermédiaires financiers doivent exercer leurs activités de bonne foi, avec loyauté et transparence. Ils ont le devoir d’informer leurs clients, en particulier les investisseurs non qualifiés, quant à la nature des produits financiers proposés et à leurs risques. Ces informations doivent leur être communiquées par écrit (article 312).

  1. Le code de l’insolvabilité et du redressement des entreprises (le « CIRE »)

55. Aux termes de l’article 128 du CIRE, approuvé par le décret-loi no 53/2004 du 18 mars 2004, toute créance pesant sur une société en liquidation, quand bien même son existence aurait été reconnue par une décision judiciaire, doit être déclarée dans le cadre de la procédure de liquidation.

  1. La pratique interne pertinente
    1. L’arrêt de la Cour suprême du 26 septembre 2017

56. Dans un arrêt du 26 septembre 2017 (procédure no 3499/16.0T8VIS.S1), la Cour suprême s’est exprimée comme suit :

« (...) il appartient expressément à la Banque du Portugal, en tant qu’autorité de contrôle, d’adopter les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’établissement de crédit, des épargnants et du système financier, pourvu qu’elles soient adéquates et proportionnées. Pour ce faire, elle dispose d’une ample liberté de décision dans le choix des mesures les plus adéquates et efficaces. Dans l’hypothèse où elle opterait pour une mesure de résolution, elle peut sélectionner les actifs, les passifs, les éléments extrapatrimoniaux et les actifs sous gestion à transférer à la banque-relais au moment de sa constitution, comme le dispose l’article 145-H § 1 du RGICSF ; elle peut aussi postérieurement renvoyer ces actifs et passifs à l’établissement originaire (§ 5).

Aussi, il ne s’agit pas de mesures statiques dès lors que l’autorité de contrôle peut à tout moment les modifier et renvoyer ces actifs et passifs d’une institution à l’autre.

Ces pouvoirs conférés aux autorités de régulation et de contrôle bancaire découlent aussi de la directive relative à la résolution et la récupération bancaire qui a en partie été transposée au niveau national par la loi no 23-A/2015 du 26 mars 2015, qui est en vigueur depuis le 31 mars 2015.

(...)

La certitude juridique et la sécurité du système financier garanties par l’article 101 de la Constitution ont précisément été à la base desdites décisions, en ce qu’il fallait chercher à s’éloigner de ce qui était incertain.

Conformément à ces décisions, qui sont en vigueur dans l’ordre juridique, le critère de choix visait à prévenir ces mêmes situations sources de responsabilités et de aléas encore non déterminés de la nouvelle banque ainsi constituée, en tenant compte des finalités de la nouvelle banque mentionnée et de sa vente. En outre il n’apparaît pas que les créanciers relevant de la même catégorie de créanciers soient soumis à un traitement différent et non justifiable.

(...)

Ainsi, le 3 août 2014, la Banque du Portugal a appliqué à la [BES] une mesure de résolution, dans le cadre de la création d’une banque-relais, de sorte que le capital de la première, ainsi que son activité, ont été transférés à une entité créée ex novo, à cet effet, [la N.B.], laquelle a la nature juridique d’un établissement de crédit (...). Les deux banques ont donc ainsi été décomposées de façon cohérente : l’ancienne BES, considérée comme la « mauvaise banque » assumerait le passif et les actifs toxiques, dont les pertes devraient être supportées par ses actionnaires et ses créanciers, et la « bonne banque », dénommée [N.B.], qui serait libérée des actifs toxiques et financée par le Fonds de Résolution.

(...)

La mesure de résolution est ainsi apparue comme une solution exceptionnelle et comme une alternative à la liquidation « tout court » (en français dans le texte) (...)

Ce régime a eu, et a, pour objectif primordial d’éviter que le Trésor Public soit touché par des mesures de « bail out », intégrant les coûts de la faillite bancaire (« bail in »), en faisant prendre en charge ces coûts par ceux qui dans ce cas de figure sont censés assumer les pertes, de manière à ce que les contribuables ne soient pas lésés par la mauvaise gestion de l’établissement bancaire (...).

(...). »

  1. L’arrêt de la Cour suprême du 2 novembre 2017

57. Dans un arrêt du 2 novembre 2017 (procédure no 11674/16.0T8LSB.S1), la Cour suprême s’est prononcée comme suit :

« (...) en théorie, les établissements de crédit pourraient être assimilés à toute autre entité privée exerçant une activité à but lucratif. Ainsi, sans retenir d’autres circonstances et sans prendre en considération d’autres conséquences, elles seraient soumises aux règles générales en matière de responsabilité patrimoniale.

(...)

Ce n’est pourtant pas le régime qui a été institué (...). Avant même l’adhésion du Portugal à l’Union Européenne et à l’Union Monétaire, la liquidation des établissements financiers était déjà soumise à un régime spécial (...) impliquant l’intervention de la BdP en sa qualité d’organe de contrôle du système bancaire (...).

Et si c’est ce régime qui était en vigueur avant l’intégration dans un espace économique et monétaire commun, on comprend que, en défense du système bancaire européen, il ait été attribué à la [Banque Centrale Européenne - BCE] un rôle important dans le contrôle des entités qui exercent, dans l’espace de l’Union, l’activité bancaire. Or celle-ci requiert une autorisation qui, si elle est annulée par la BCE, au moyen d’une décision devenue définitive, a pour conséquence de placer l’entité en question dans une situation de faillite, nécessitant en conséquence sa mise en liquidation.

C’est précisément ce qui s’est passé dans la présente espèce. Compte tenu des problèmes graves qui avaient été détectés dans le fonctionnement et la solvabilité de la [BES] (...), la BCE lui a retiré l’autorisation dont elle bénéficiait pour exercer l’activité bancaire. Elle a ensuite transmis à l’autorité nationale, la BdP, le pouvoir d’ouvrir la procédure de liquidation (...).

(...) eu égard aux implications qui découlent d’une procédure qui se traduit par la faillite et la liquidation pure et simple d’établissements financiers dans l’espace de l’Union, un modèle spécial a été créé. Celui-ci a notamment pour spécificité d’accepter que soit déclarée la résolution de l’institution bancaire et que dans ce cadre, soient répartis les actifs et les passifs, afin d’assurer le maintien de l’activité bancaire dans une banque-relais. À cette fin, des pouvoirs ont été accordés à la BdP lui permettant d’identifier, parmi les actifs et les actifs détenu par l’institution bancaire, ceux qui doivent être transférés à une éventuelle banque-relais et ceux qui doivent rester rattachés à l’institution financière en liquidation.

(...) nous ne pouvons pas oublier la nature spécifique et les circonstances qui entourent l’exercice de l’activité bancaire et la nécessité de traiter différemment des situations qui sont véritablement différentes. Nous comprenons parfaitement que, pour assurer la crédibilité du système financier en général, un traitement différent soit imposé notamment à ceux qui détiennent des dépôts bancaires et à ceux qui se trouvent dans une autre situation juridique.

Il y a par exemple, le traitement différencié des actionnaires : en tant que titulaires du capital social, il est naturel que la liquidation bancaire les touche complètement, en première ligne. Ensuite, les détenteurs d’obligations se trouvent dans une situation de créanciers nettement différente de celle des épargnants communs qui, croyant en la solvabilité des institutions financières et dans les mécanismes de régulation et de contrôle, se bornent à confier leurs économies aux institutions bancaires. La distinction est naturellement justifiée aussi en ce qui concerne les individus qui ont été liés à l’institution bancaire dans sa fonction d’intermédiation financière, encore plus lorsque les « produits » commercialisés sont en définitive des titres émis par des entreprises qui intègrent le même groupe économique, comme ce qui s’est produit en l’espèce.

En bref, il est naturel que, dans le cadre d’une solution qui vise maintenir le fonctionnement d’une banque-relais, ce qui est inégalitaire soit traité de façon inégalitaire.

L’alternative (...) qui consisterait à liquider totalement la [BES] pour vendre l’ensemble de l’actif afin de régler (dans la mesure du possible) l’ensemble du passif, grâce à la clôture de toute l’activité, sans tenir compte des autres conséquences, porterait trop lourdement atteinte à différents intérêts et en particulier à ceux des détenteurs de dépôts bancaires qui ont confié leurs économies à l’institution bancaire, à ceux des personnes dont l’activité dépend de l’attribution de crédits ou même à ceux des employés de l’établissement de crédit.

(...) »

58. En ce qui concerne la mesure de résolution, la Cour suprême a dit ce qui suit :

« (...) conformément [au] cadre légal (et communautaire), l’autorité de contrôle, la BdP, peut adopter des mesures pour sauvegarder la solidité financière des établissements de crédit, les intérêts des épargnants et la stabilité du système financier. Parmi les diverses mesures prévues figure la mesure de résolution et, plus précisément la faculté de sélectionner les actifs, les droits et les passifs à transmettre à la banque-relais et la faculté de renvoyer ces mêmes actifs ou passifs, à condition que ces décisions s’orientent vers la protection de l’intérêt général, du système financier et des épargnants.

(...)

Un tel modèle attribue à la BdP un rôle central qui peut se refléter de manière positive ou négative dans le cadre de chaque catégorie de créancier. Cependant, outre le fait que la contestation des actes réglementaires relève de la compétence des tribunaux administratifs, la répartition entre les situations litigieuses qui ont été transférées ou non à [la banque-relais] n’apparaît pas arbitraire. Elle obéit à des critères qui apparaissent raisonnables, distinguant ce qui de toute évidence mérite d’être distingué.

Conformément auxdites résolutions, le critère choisi visait à éloigner de la [banque-relais] ce qui constituait des responsabilités et des aléas qui n’étaient pas encore déterminées. Il n’apparaît pas exister un traitement différent et non justifié dans le cadre de la même catégorie de créanciers.

(...) ».

  1. L’arrêt de la Cour suprême du 22 mars 2018

59. L’arrêt de la Cour suprême du 22 mars 2018 (procédure no 220/16.6T8PVZ.P1.S1) se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...)

La décision relative à la résolution prise par la BdP et les clarifications et concrétisations opérées par elle concernant la [BES] et la banque-relais - la banque [N.B.], ont toutes (...) un fondement légal incontestable.

En outre, tel qu’il ressort du contenu lui-même des décisions prises, la BdP n’a pas cherché à accorder des droits à qui n’en avait pas, ni à restreindre des droits existants, d’autant plus d’ailleurs que le régime de garantie des créanciers potentiels d’un établissement financier repose sur son capital social respectif (...), à l’instar de n’importe quelle société anonyme (...).

Or, étant donné que l’annulation d’une autorisation d’exercice d’activité vaut déclaration de faillite définitive de l’entité bancaire en l’espèce et qu’il incombe à la BdP de demander sa liquidation devant les tribunaux compétents, c’est dans le cadre de cette même procédure que l’actif restant sera liquidé, dont le produit servira à combler le passif qui sera déterminé et classé.

(...) les demandeurs doivent donc déclarer leurs créances dans les délais et dans le cadre de la procédure de liquidation/faillite qui est pendante (...).

(...)

En bref, le régime juridique de résolution bancaire concilie les intérêts et les valeurs constitutionnels qui sont en jeu. En effet :

a) Il promeut la préservation de la fonction bancaire de l’établissement de crédit objet de la résolution, assurant la continuité de la prestation des services financiers essentiels à l’économie (...) ;

b) Il prévient les conséquences graves qui existeraient pour la stabilité financière, notamment la contagion entre institutions du système financier (...) ;

c) Il sauvegarde les intérêts des contribuables et du Trésor Public, en minimisant le recours à des soutiens public extraordinaires (...) ;

d) Il protège les épargnants (...) ;

e) Il n’aggrave pas la situation juridique des créanciers de l’établissement de crédit faisant l’objet de la résolution, étant donné qu’ils ne pourraient pas subir un préjudice plus grave à celui qu’ils subiraient si l’institution était entrée en liquidation (...) ; il n’y a donc violation ni de la garantie énoncée à l’article 62 § 2 de la Constitution ni du principe de l’égalité entre les créanciers (...).

  1. L’arrêt de la Cour suprême du 22 mai 2018

60. Dans un arrêt du 22 mai 2018, la Cour suprême a dit que les responsabilités ou les aléas découlant de l’activité de la BES comme intermédiaire financier avaient d’emblée été exclus de l’opération de transfert à la N.B. en vertu du sous alinéa vii. de l’alinéa b) de l’annexe 2 de la décision de la BdP du 3 août 2014 (paragraphe 21 ci-dessus), la décision rendue le 29 décembre 2015 (paragraphe 24 ci-dessus) n’ayant aucune portée autonome à cet égard et s’étant limitée à clarifier la décision initiale de la BdP.

61. Elle a également jugé que la sélection des passifs de la BES qui devaient être transférés à la N.B. étaient pleinement justifiée dans les décisions de la BdP et qu’il ne semblait pas que cette dernière eût pu agir d’une autre façon pour limiter les conséquences sur les clients de la BES.

  1. L’arrêt de la Cour suprême du 19 juin 2019

62. Dans un arrêt du 19 juin 2019 (procédure no 4140/14.0YYLSB.L1.S1), la Cour suprême a rappelé que les décisions de la Banque du Portugal constituaient des actes normatifs réglementaires ne pouvant être attaqués que devant les juridictions administratives.

63. Par ailleurs, elle a considéré que les résolutions de la Banque du Portugal relatives à la mesure de résolution appliquée à la BES et les normes du RGICSF ne portaient pas atteinte aux principes constitutionnels de la confiance, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs.

  1. Les éléments pertinents de droit de l’Union Européenne et de jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (la « CJUE »)
    1. La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (la « Charte »)

64. L’article 17 § 1 de la Charte est ainsi libellé :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

65. L’article 47 de la Charte se lit comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...)

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. (...) »

  1. Les directives et règlements de l’Union européenne

66. La directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit a posé le principe de la reconnaissance mutuelle des mesures d’assainissement ou des procédures de liquidation adoptées par les États-membres de l’Union européenne (Article 3 § 2). Toutefois, aux termes de l’article 32 de cette directive, les effets de mesures d’assainissement ou d’une procédure de liquidation sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont l’établissement de crédit est dessaisi sont régis exclusivement par la loi de l’État membre dans lequel cette instance est en cours.

67. Au lendemain de la crise financière de 2008, l’Union européenne a adopté un certain nombre de mesures visant à harmoniser et à améliorer les instruments de règlement des crises bancaires dont disposaient ses États membres. Les mesures en question comprenaient :

a) des mécanismes complets et efficaces de traitement des faillites bancaires au niveau national, qui se sont notamment traduits par la mise en place de compétences réglementaires considérables, ainsi que des dispositifs de coopération destinés à faire face aux défaillances bancaires transfrontières (directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, dite « BRRD[4] »),

b) d’importantes modifications des normes relatives aux fonds propres et aux liquidités que les banques peuvent détenir, appelées « exigences prudentielles » (directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, et règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement, dits « CRD[5] IV/CRR[6] »), et

c) en ce qui concerne les États membres participant à l’Union bancaire, d’une part, l’instauration d’un mécanisme de résolution unique prévoyant notamment la création d’une agence de l’Union européenne totalement indépendante chargée d’exercer les fonctions d’autorité centrale de résolution au sein de l’Union bancaire et d’administrer le Fonds de résolution unique et, d’autre part, la création, dans chacun des États membres, d’une autorité publique responsable de la procédure de résolution (règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, dit « règlement MRU[7] »).

68. La BRRD devait être transposée dans le droit interne des États membres de l’Union européenne au plus tard fin 2014. Le règlement MRU est entré en vigueur le 19 août 2014, et les institutions compétentes devaient appliquer la CRD IV/CRR à partir du 1er janvier 2014.

69. Transposée au niveau interne par la loi no 23-A/2015 du 26 mars 2015 qui est entrée en vigueur le 31 mars 2015, portant amendement au RGICSF (paragraphe 52 ci-dessus), la BRRD dans ses parties pertinentes en l’espèce se lit ainsi :

Article 73

Traitement des actionnaires et des créanciers en cas de transfert partiel et d’application de l’instrument de renflouement interne

« Lorsqu’un ou plusieurs instruments de résolution ont été appliqués et, en particulier, (...), lorsque les autorités de résolution ne transfèrent qu’en partie les droits, actifs et engagements de l’établissement soumis à une procédure de résolution, les actionnaires et les créanciers dont les créances n’ont pas été transférées reçoivent en règlement de leurs créances un montant au moins égal à celui qu’ils auraient reçu si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait été liquidé dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, et ce au moment où la décision visée à l’article 82 a été prise;

(...) »

Article 74

Valorisation de la différence de traitement

« 1. Afin de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à la procédure de résolution avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité, notamment mais pas exclusivement aux fins de l’article 73, les États membres veillent à ce qu’une valorisation soit réalisée dans les meilleurs délais par une personne indépendante après l’exécution de la mesure ou des mesures de résolution. Cette valorisation est distincte de celle réalisée au titre de l’article 36.

2. La valorisation visée au paragraphe 1 établit :

a) Le traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et les créanciers, ou le système de garantie des dépôts, si l’établissement soumis à une procédure de résolution par rapport auquel une ou plusieurs mesures de résolution ont été exécutées avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité au moment où la décision visée à l’article 82 a été prise ;

b) Le traitement réel dont les actionnaires et les créanciers ont bénéficié dans la résolution de l’établissement soumis à une procédure de résolution ; et

c) S’il existe une différence entre le traitement visé au point a) et celui visé au point b).

(...) »

  1. La jurisprudence de la CJUE

a) Arrêt Banco de Portugal et autres du 29 avril 2021 (affaire C-504/19, EU:C:2021:335)

70. Dans son arrêt Banco de Portugal et autres du 29 avril 2021 (affaire C-504/19, EU:C:2021:335), la CJUE s’est prononcée, à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux (paragraphe 65 ci-dessus) et du principe général de la sécurité juridique, sur une question préjudicielle de la Cour suprême espagnole. La question avait été soulevée dans le cadre d’une procédure civile qui avait été engagée, le 4 février 2015, devant le tribunal de première instance de Vitoria (Espagne), par une ressortissante espagnole contre la N.B. Espagne qui cherchait à faire annuler, pour vice de consentement, un contrat de vente d’actions privilégiées qu’elle avait passé avec la BES Espagne, succursale espagnole de la BES, des prétentions auxquelles le tribunal de première instance avait fait droit par un jugement du 15 octobre 2015. En l’occurrence, dans le cadre du recours interjeté devant l’Audiencia Provincial d’Álava, la N.B. Espagne avait fait valoir que l’élément litigieux avait été retransmis à la BES par l’effet de la décision de la BdP du 29 décembre 2015 et qu’elle n’avait donc pas engagé sa responsabilité vis-à-vis de la demanderesse. La question qui se posait devant la CJUE était de savoir si on pouvait considérer que la retransmission de l’élément passif en cause, à savoir le contrat de vente d’actions, de la N.B. Espagne à la BES Espagne par l’effet de la décision de la BdP du 29 décembre 2015 (paragraphes 20 et 24 ci-dessus), au vu des circonstances de l’affaire, était compatible avec le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte, le principe de l’État de droit visé à l’article 2 du Traité sur l’Union Européenne et le principe général de sécurité juridique.

Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la CJUE s’est prononcée comme suit :

« (...)

61. Certes, la directive 2001/24 ne fait pas obstacle à ce que l’État membre d’origine modifie, même avec effet rétroactif, le régime légal applicable aux mesures d’assainissement (...).

62. Toutefois, en l’occurrence, il importe de souligner que (...) les décisions du 29 décembre 2015, qui ont modifié, avec effet rétroactif, la décision du mois d’août 2014, et tout particulièrement l’imputation de la responsabilité inhérente à la conclusion avec VR du contrat de vente d’actions, sont intervenues dans le contexte d’une procédure judiciaire en cours, qui a été introduite afin de faire constater une telle responsabilité. En effet, ces décisions visent précisément à rendre inopérant le jugement du Juzgado de Primera Instancia de Vitoria (tribunal de première instance de Vitoria) du 15 octobre 2015, en remettant en cause l’interprétation que cette juridiction avait faite de la décision du mois d’août 2014. Ainsi qu’il ressort du point 19 du présent arrêt, elles se réfèrent expressément à l’action introduite par VR afin d’établir, contrairement à ce jugement, que la responsabilité pouvant découler de cette action n’avait pas été transmise de BES à Novo Banco.

(...)

66. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 2, et l’article 32 de la directive 2001/24, lus à la lumière du principe de sécurité juridique et de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la reconnaissance, sans autre condition, dans une procédure judiciaire au fond en cours dans un État membre autre que l’État membre d’origine, portant sur un élément du passif dont un établissement de crédit avait été dessaisi par une première mesure d’assainissement prise dans ce dernier État, des effets d’une seconde mesure d’assainissement visant à retransmettre, avec effet rétroactif, à une date antérieure à l’ouverture d’une telle procédure, cet élément du passif audit établissement de crédit lorsqu’une telle reconnaissance conduit à ce que l’établissement de crédit auquel le passif avait été transmis par la première mesure perde, avec effet rétroactif, sa qualité pour être attrait en justice aux fins de cette procédure en cours, remettant ainsi en cause des décisions judiciaires déjà intervenues au profit de la partie requérante faisant l’objet de cette même procédure.

(...) »

b) Arrêt BPC Lux 2 et autres du 5 mai 2022 (affaire C-83/20, EU:C:2022:346)

71. Dans son arrêt BPC Lux 2 et autres du 5 mai 2022 (affaire C-83/20, EU:C:2022:346), saisie d’une question préjudicielle de la Cour suprême administrative (Portugal) qui avait été soulevée dans le cadre d’une procédure administrative intentée, pour contester la mesure de la résolution de la BdP, par des sociétés qui détenaient des obligations émises par la BES ou des parts sociales de la BES, la CJUE s’est prononcée comme suit, à la lumière de l’article 17 § 1 de la Charte (paragraphe 64 ci-dessus), au sujet de la mesure de résolution appliquée à l’égard de la BES par la BdP :

« 48. (...) la perte de valeur des actifs susceptibles de bénéficier de la protection garantie à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte découle non pas de la mesure de résolution, mais de l’état de défaillance ou du risque de défaillance dans lequel se trouve l’établissement de crédit.

49. Il s’ensuit qu’une mesure de résolution adoptée conformément à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal n’est pas constitutive d’une privation de propriété, au sens de l’article 17, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte. Il n’y a, dès lors, pas lieu d’examiner, comme le soutiennent les requérantes au principal, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, si une telle mesure répond aux conditions prévues à cette deuxième phrase, relatives, notamment, à l’existence d’une cause d’utilité publique pour la privation de propriété et au paiement en temps utile d’une juste indemnité.

50. Il n’en demeure pas moins que l’adoption d’une mesure de résolution conformément à la réglementation en cause au principal, qui prévoit, notamment, le transfert d’éléments d’actifs d’un établissement de crédit à une banque-relais, constitue une réglementation de l’usage des biens, au sens de l’article 17, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte, susceptible de porter atteinte au droit de propriété des actionnaires de l’établissement de crédit, dont la position économique est affectée, et à celui des créanciers, tels que les détenteurs d’obligations, dont les créances n’ont pas été transférées à l’établissement-relais.

51. Ainsi qu’il ressort du libellé de cette disposition, l’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. À cet égard, il découle de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte que des limitations peuvent être apportées à l’exercice de droits consacrés par celle-ci, pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui [arrêts du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C 235/17, EU:C:2019:432, point 88 et du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C 597/18 P, C 598/18 P, C 603/18 P et C 604/18 P, EU:C:2020:1028, point 155 ainsi que jurisprudence citée].

52. En l’occurrence, premièrement, il est constant que les limitations à l’exercice des droits visés à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte que comporte la mesure de résolution sont prévues par la loi, conformément aux dispositions applicables du RGICSF, telles que modifiées par le décret-loi no 114-A/2014.

53. Deuxièmement, pour autant qu’une mesure de résolution adoptée conformément à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal n’entraîne pas une privation de propriété, mais constitue une réglementation de l’usage des biens, ainsi qu’il a été relevé aux points 49 et 50 du présent arrêt, elle ne saurait porter atteinte à la substance même du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef e.a., C 686/18, EU:C:2020:567, point 89).

54. Troisièmement, force est de constater qu’une telle mesure répond à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’adoption de mesures de résolution dans le secteur bancaire répond à un objectif d’intérêt général poursuivi par l’Union, à savoir celui d’assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C 8/15 P à C 10/15 P, EU:C:2016:701, point 71 ainsi que jurisprudence citée) de même que celui d’éviter un risque systémique (arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef e.a., C 686/18, EU:C:2020:567, point 92 ainsi que jurisprudence citée).

55. Quatrièmement, en ce qui concerne la question de savoir si les limitations que comporte la mesure de résolution à l’exercice des droits visés à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général en cause au principal, il importe de rappeler que, compte tenu du contexte économique particulier, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent des décisions en matière économique et qu’ils sont les mieux placés pour définir les mesures susceptibles de réaliser l’objectif poursuivi (arrêt du 13 juin 2017, Florescu e.a., C 258/14, EU:C:2017:448, point 57).

56. En outre, certes, la Cour a déjà jugé qu’il y a un intérêt général clair à garantir à travers l’Union une protection forte et cohérente des investisseurs, toutefois, elle a précisé que cet intérêt ne peut pas être considéré comme primant en toutes circonstances l’intérêt général consistant à garantir la stabilité du système financier (arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, point 91). Or, la défense d’un tel intérêt par les États membres requiert que ceux-ci se voient reconnaître, dans ce contexte, une marge d’appréciation [Cour EDH, 7 novembre 2002, Olczak c. Pologne, CE:ECHR:2002:1107DEC003041796, § 77 ; Cour EDH, 10 juillet 2012, Grainger et autres c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2012:0710DEC003494010, § 36].

57. En l’occurrence, il apparaît, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que la réglementation applicable à la mesure de résolution en cause au principal comportait des dispositions qui tenaient suffisamment compte de la position des actionnaires et des créanciers de l’établissement de crédit concerné et de leurs intérêts dans le cadre des procédures de résolution menées conformément à cette réglementation.

58. S’agissant, en premier lieu, des créanciers de l’établissement en cause au principal, il ressort en effet des informations fournies par la juridiction de renvoi que les créanciers dont les créances n’ont pas été transférées ont le droit de recevoir un montant non inférieur à ce qu’ils seraient censés recevoir si l’établissement avait été totalement mis en liquidation en vertu des procédures normales de faillite.

(...)

60. D’autre part, il découle de l’article 145-I du RGICSF que cette disposition comporte un mécanisme spécifique de sauvegarde des droits des actionnaires, le paragraphe 4 de cet article prévoyant que le reliquat du produit de la vente de la banque-relais, après que les montants mis à disposition ont été versés au fond de résolution et aux fonds de garantie, est retourné à la banque objet de la résolution ou à sa masse de faillite. Or, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît qu’une telle disposition permet, en principe, d’assurer la neutralité économique de l’action de résolution et de ne pas priver l’établissement de crédit d’origine ou sa masse de la faillite du montant résultant de la vente des actifs de la banque-relais après restitution des sommes versées à titre de prêts par les différents fonds.

61. Dans ces conditions, et eu égard à la marge d’appréciation visée aux points 55 et 56 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l’article 17, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne contient pas de disposition expresse garantissant que les actionnaires ne subissent pas de pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies si l’établissement avait été liquidé à la date à laquelle a été adoptée la mesure de résolution (principe « no creditor worse off »)

62. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 17, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale applicable dans le contexte d’une mesure de résolution, qui permettant, en principe, d’assurer la neutralité économique de cette mesure de résolution et dont l’objet est de créer un établissement-relais et un instrument de séparation d’actifs, ne prévoit pas, dans une disposition expresse :

– la réalisation d’une valorisation juste, prudente et réaliste des actifs et des passifs de l’établissement objet de la mesure de résolution avant son adoption ;

– le paiement d’une éventuelle contrepartie, en fonction de la valorisation mentionnée au tiret précédent, à l’établissement objet de la résolution ou, selon le cas, aux titulaires des actions ou d’autres titres de propriété ;

– que les actionnaires de l’établissement objet de la mesure de résolution ont le droit de recevoir un montant non inférieur à ce qu’ils seraient censés recevoir si l’établissement avait été totalement mis en liquidation en vertu des procédures normales de faillite, ce mécanisme de sauvegarde n’étant prévu que pour les créanciers dont les créances n’ont pas été transférées, et

– une valorisation, indépendante de la valorisation visée au premier tiret, destinée à apprécier si les actionnaires et les créanciers auraient reçu un traitement plus favorable si l’établissement objet de la résolution avait été soumis à la procédure normale de liquidation.

(...) »

GRIEFS

72. Invoquant les articles 1 et 17 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaint d’avoir perdu la totalité de l’argent qu’il avait confié à la BES, dans le cadre d’un contrat d’intermédiation financière, alors qu’il croyait avoir fait un placement sans risque, par l’effet de la mesure de résolution de la BdP, qu’il juge disproportionnée, illégale et contraire aux principes de la confiance des déposants, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs. Il dénonce aussi les décisions par lesquelles la cour d’appel d’Évora et la Cour suprême ont infirmé à cet égard le jugement du tribunal de Santarém qui avait fait droit à ses prétentions.

EN DROIT

73. Le requérant expose avoir placé à la BES l’argent qu’il avait économisé toute sa vie, alors qu’il travaillait en Allemagne, soit 185 000 EUR, en achetant des produits financiers, en vertu d’un contrat d’intermédiation financière passé avec la BES, sans connaître la nature et les risques qu’ils présentaient car on lui aurait assuré qu’un tel investissement était sans risque et très rentable. Il allègue avoir perdu cet argent par l’effet de la mesure de résolution appliquée à la BES par la BdP. Il argue que cette mesure est illégale et disproportionnée et viole le principe de la confiance des épargnants. Il soutient aussi que, en décidant de retransférer à la BES des passifs qui avaient été initialement transmis à la N.B., la BdP a porté atteinte, d’une part, au principe de la sécurité juridique et, d’autre part, au principe de la séparation des pouvoirs. Il se plaint de ce que les décisions rendues par la cour d’appel d’Évora et la Cour suprême n’aient pas fait droit à ces thèses (paragraphes 42 et 47-48 ci-dessus).

74. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, CEDH 2018). Elle estime approprié d’examiner les griefs du requérant sous l’angle du seul l’article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

  1. Sur l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

75. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut se plaindre d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu’il dénonce se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « bien » évoquée à la première partie de l’article 1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I).

76. L’article 1 du Protocole no 1 ne vaut que pour les biens actuels. Un revenu futur ne peut ainsi être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il fait l’objet d’une créance certaine. En outre, l’espoir de voir reconnaître un droit de propriété que l’on est dans l’impossibilité d’exercer effectivement ne peut non plus être considéré comme un « bien », et il en va de même d’une créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non‑réalisation de la condition (ibidem, § 64).

77. Cependant, dans certaines circonstances, l’« espérance légitime » d’obtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection de l’article 1 du Protocole no 1. Ainsi, lorsque l’intérêt patrimonial est de l’ordre de la créance, l’on peut considérer que l’intéressé dispose d’une espérance légitime si un tel intérêt présente une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux. Toutefois, on ne saurait conclure à l’existence d’une « espérance légitime » lorsqu’il y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (ibidem, § 65).

78. En l’espèce, les juridictions internes ont jugé établi que la BES s’était engagée à racheter le 24 août 2014 pour la somme totale de 205 202 EUR les 3 700 actions que le requérant détenait (paragraphe 28 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour est prête à accepter qu’à cette date, le requérant était détenteur, vis-à-vis de la BES, d’une créance suffisamment établie pour constituer un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, en comparaison, Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 91, CEDH 2002-VII, Mamatas et autres c. Grèce, nos 63066/14 et 2 autres, § 91, 21 juillet 2016, et Pintar et autres c. Slovénie, nos 49969/14 et 4 autres, § 92, 14 septembre 2021). Elle en déduit que l’article 1 du Protocole no 1 est applicable aux faits de la présente espèce.

  1. Sur l’observation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention
    1. Rappel des principes généraux

79. Comme la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, qui figure dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au respect des biens, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 98, CEDH 2014).

80. L’article 1 du Protocole no 1 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre toute atteinte injustifiée de l’État au respect de ses biens. L’article 1 de la Convention dispose quant à lui que chaque État contractant « reconnaî[t] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...) [dans] la (...) Convention ». Cette obligation générale peut impliquer des obligations positives inhérentes à la garantie d’un exercice effectif des droits consacrés par la Convention. En ce qui concerne l’article 1 du Protocole no 1, de telles obligations positives peuvent conduire l’État à devoir prendre les mesures nécessaires à la protection du droit de propriété, même dans le cadre de relations horizontales (voir Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 143, CEDH 2004-V, et Kotov c. Russie [GC], no 54522/00, § 109, 3 avril 2012).

81. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 1 du Protocole no 1 ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Que l’on analyse l’affaire sous l’angle d’une obligation positive à la charge de l’État ou sous celui d’une ingérence des pouvoirs publics demandant une justification, les critères à appliquer ne sont pas différents en substance. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble. Il est vrai également que les objectifs énumérés au paragraphe 2 peuvent jouer un certain rôle dans l’appréciation de la question de savoir si un équilibre entre les exigences de l’intérêt public et le droit de propriété fondamental du requérant a été ménagé (Broniowski, précité, § 144 et Ališić et autres, précité, § 101).

82. Toute ingérence dans la jouissance d’un droit reconnu par la Convention doit poursuivre un but légitime. De même, dans les affaires impliquant une obligation positive, il doit y avoir une justification légitime à l’inaction de l’État. Le principe du « juste équilibre » inhérent à l’article 1 du Protocole no 1 lui-même suppose l’existence d’un intérêt général (Ališić et autres, précité, § 101).

83. Dans chaque affaire où une allégation de violation de l’article 1 du Protocole no 1 est en cause, la Cour doit vérifier si, en raison de l’action ou de l’inaction de l’État, la personne concernée a dû supporter une charge disproportionnée et excessive. Pour apprécier la conformité de la conduite de l’État à cette disposition, la Cour doit se livrer à un examen global des divers intérêts en jeu, en gardant à l’esprit que la Convention vise à sauvegarder des droits « concrets et effectifs » (ibidem, § 108).

84. La Cour doit aller au-delà des apparences et rechercher la réalité de la situation litigieuse. Cette appréciation peut porter non seulement sur les modalités d’indemnisation applicables – si la situation s’apparente à une privation de propriété – mais également sur la conduite des parties, y compris les moyens employés par l’État et leur mise en œuvre. À cet égard, il faut souligner que l’incertitude – qu’elle soit législative, administrative, ou tenant aux pratiques appliquées par les autorités – est un facteur qu’il faut prendre en compte pour apprécier la conduite de l’État. En effet, lorsqu’une question d’intérêt général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (voir Sovtransavto Holding, précité, §§ 97-98 et Broniowski, précité, § 151).

85. En matière de mesures d’ordre général en matière économique ou sociale, la Convention accorde d’ordinaire aux États une ample marge d’appréciation (Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 115, 5 septembre 2017, Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 109, CEDH 2014, et Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 83, CEDH 2009). Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’utilité publique en matière économique ou en matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont le législateur conçoit les impératifs de l’utilité publique, sauf si son jugement se révèle « manifestement dépourvu de base raisonnable » (Broniowski, précité, § 149, voir aussi Olczak c. Pologne (déc.), no 30417/96, § 77, CEDH 2002-X (extraits)).

  1. Application à la présente espèce

a) Sur la norme applicable

86. La Cour constate qu’à l’origine des faits de l’espèce se trouve une relation commerciale entre un particulier et une banque commerciale ayant fait l’objet d’une mesure de résolution appliquée par la BdP en vertu des articles 144 alinéa b) et 145-C du RGICSF (paragraphes 17-19 et 53 ci-dessus). Elle note que dans le cadre de cette mesure de résolution, aux termes de l’article 145-G § 3 du RGICSF, une banque-relais, N.B., fut créée pour assurer la continuité de l’activité bancaire de la BES, assainie de l’exposition au GES, qui était responsable de la situation déficitaire de la BES (paragraphes 5-9, 19 et 56 ci-dessus). Conformément à l’article 145-H du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessus), un ensemble d’actifs et de passifs appartenant à la BES furent transférés par la BdP à la banque-relais, N.B., dont le capital social, renfloué par l’État à hauteur de 4,9 milliards d’euros, était détenu par le Fonds de résolution mis en place par l’État aux termes de l’article 4 des statuts de la N.B. (paragraphe 18, 20 et 22 ci-dessus). Les éléments considérés comme toxiques par la BdP restèrent quant à eux dans le patrimoine de la BES (paragraphe 56 ci-dessus), devenue ainsi une structure de défaisance qui, par la suite, fut mise en liquidation d’office (paragraphe 13 ci-dessus).

87. Au vu de ces constations, la Cour estime que la mesure de résolution prise par la BdP, selon les modalités décrites au paragraphe précédent, relevait du pouvoir de contrôle exercé par celle-ci sur le système bancaire national et visait à en assurer le bon fonctionnement (paragraphes 51-52 ci-dessus). Faisant sienne la conclusion à laquelle a abouti la CJUE dans l’arrêt BPC Lux 2 et autres (arrêt du 5 mai 2022, C-83/20- point 50 ; paragraphe 71 ci-dessus), elle estime donc que la situation litigieuse relevait de la réglementation de l’usage des biens au sens du second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Süzer et Eksen Holding A.Ş. c. Turquie, no 6334/05, § 146, 23 octobre 2012, § 146, et Project-Trade d.o.o. c. Croatie, no 1920/14, § 76, 19 novembre 2020).

b) Sur la nature de la violation alléguée

88. Le requérant se plaint de ce que la cour d’appel d’Évora et la Cour suprême (paragraphes 42 et 47 ci-dessus) n’aient pas reconnu que sa créance vis-à-vis de la BES avait été transférée à la N.B., la banque-relais. Il soutient que la perte de sa créance a pour origine la mesure de résolution appliquée par le BdP, une mesure qu’il juge illégale et inconstitutionnelle (paragraphes 71-73 ci-dessus). Le requérant dénonce ainsi tant un manquement de l’État à ses obligations positives pour garantir son droit de propriété qu’une ingérence dans celui-ci.

89. Si à l’origine de la présente espèce se trouve une relation commerciale entre un particulier et une banque privée (paragraphes 3-5 ci-dessus), la Cour estime qu’on peut effectivement considérer que les mesures que la BdP a prises vis-à-vis de la BES en vertu de son pouvoir de contrôle sur le secteur bancaire ont eu des conséquences sur la créance du requérant. En effet, tout d’abord, la BES s’est vu interdire dès le 30 juillet 2014 de rembourser de façon anticipée toute valeur mobilière émise par la banque (paragraphes 14-15 ci-dessus), ce qui a touché ainsi directement la créance du requérant vis-à-vis de la BES. Ensuite, en vertu de la mesure de résolution appliquée le 3 août 2014, les actifs, passifs et autres éléments patrimoniaux considérés comme sains de la BES ont été transférés à la banque-relais, N.B. (paragraphes 17-19 ci-dessus). Par conséquent, la BES est devenue une structure de défaisance réservée aux actifs et passifs douteux, parmi lesquels se trouvait, selon les juridictions internes, la créance du requérant. La Cour relève enfin que la BES a finalement été mise en liquidation par la BdP consécutivement au retrait par la BCE de son autorisation d’exercice de l’activité bancaire (paragraphes 12-13 ci-dessus). La Cour estime qu’on ne saurait spéculer quant à la somme que le requérant aurait reçue si la mesure de résolution n’avait pas été appliquée. En effet, comme tout investissement financier, les produits en cause étaient sujets aux aléas du marché dans un contexte de crise économique générale (à cet égard, voir Mamatas et autres, précité, § 94), d’autant plus qu’en l’occurrence, il s’agissait d’un marché non réglementé (paragraphe 28 ci-dessus).

90. Dans ces conditions, la Cour juge inutile de déterminer précisément s’il faut aborder la cause sous l’angle des obligations positives de l’État ou sur le terrain de l’obligation négative pesant sur celui-ci de s’abstenir d’ingérences injustifiées dans le droit au respect des biens. Elle examinera donc si la conduite des autorités portugaises – que celle-ci puisse être considérée comme une ingérence ou comme un manquement à agir, ou encore comme une combinaison des deux – se justifiait à la lumière des principes applicables exposés ci-dessous (voir, en comparaison, Broniowski, précité, § 146, et Ališić et autres, précité, § 102).

c) Sur le respect du principe de la légalité et l’intérêt légitime poursuivi par les autorités internes

91. Le requérant allègue que la mesure de résolution est illégale et inconstitutionnelle. La cour d’appel d’Évora et la Cour suprême ont toutefois rejeté ces thèses (paragraphes 42 et 47 ci-dessus).

92. La Cour renvoie aux principes généraux concernant le principe de la légalité exposés dans l’arrêt Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie ([GC], no 71243/01, §§ 95-98, 25 octobre 2012).

93. En l’espèce, la Cour constate que, d’une part, la mesure de résolution litigieuse a été adoptée en vertu des articles 144 b) et 145-C du RGICSF et que, d’autre part, la liquidation de la BES décidée d’office par la BdP a pour base l’article 145-M du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessus). Les mesures litigieuses étaient donc bien conformes au droit interne (voir, a contrario, Cıngıllı Holding A.Ş. et Cıngıllıoğlu c. Turquie, nos 31833/06 et 37538/06, § 50, 21 juillet 2015).

94. Il ne fait pas non plus de doute que ces mesures s’inscrivaient également dans le cadre des mesures mises en place par l’Union européenne, au lendemain de la crise financière de 2008, pour harmoniser et améliorer les instruments de règlement des crises bancaires au niveau européen (paragraphe 67 ci-dessus).

95. Comme l’a d’ailleurs relevé la CJUE dans son arrêt BPC Lux 2 et autres (arrêt du 5 mai 2022, C-83/20 -point 54 de l’arrêt ; paragraphe 71 ci-dessus), il ne fait pas davantage de doute qu’elles poursuivaient un objectif d’intérêt général puisqu’elles visaient à assurer la continuité de la prestation des services financiers essentiels, à prévenir le risque pour le système, à préserver les intérêts des contribuables et du Trésor Public et à sauvegarder la confiance des épargnants (paragraphes 13, 18 et 19 ci-dessus), alors que la BCE venait de suspendre la qualité de contrepartie de la BES dans le cadre de la politique monétaire de l’Eurosystème (paragraphe 11 ci-dessus).

d) Sur le respect d’un juste équilibre par les autorités internes

96. Vu le contexte économique (à cet égard, voir les constatations faites dans la décision Da Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), no 13341/14, §§ 43-44, 1er septembre 2015) et la situation financière défaillante de la BES au moment des faits, la Cour reconnaît d’emblée que l’État, au travers de la BdP, disposait d’une marge d’appréciation pour déterminer les mesures à prendre au niveau tant préventif que réparatoire envers la BES. En l’occurrence, tel qu’il a déjà été relevé précédemment (paragraphe 89 ci-dessus), la mesure de résolution visait à débarrasser la BES de tous les produits jugés toxiques dès lors qu’ils étaient exposés à la dette du GES qui avait plongé la BES dans un grand marasme financier (paragraphe 9 ci-dessus), évitant ainsi, comme l’a bien relevé la Cour suprême dans son arrêt du 26 septembre 2007 (paragraphe 56 ci-dessus),une faillite totale de la BES qui aurait eu des conséquences générales sur l’ensemble du système bancaire interne voire européen. La Cour comprend que le non-transfert de la créance du requérant à la banque-relais qui venait d’être renflouée par des fonds publics a réduit les chances pour lui d’obtenir le remboursement de sa créance vis-à-vis de la BES. Cela dit, elle rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 ne peut être interprété comme faisant peser sur les États contractants une obligation générale d’assumer les dettes d’entités privées (voir Kotov, précité, § 111 et les références qui y sont citées). Par ailleurs, étant donné la situation financière hautement déficitaire de la BES au moment des faits (paragraphe 9 ci-dessus), il n’est pas certain que la BES eût pu honorer sa dette vis-à-vis du requérant.

97. En ce qui concerne l’appréciation des faits litigieux par les juridictions internes saisies de l’action civile engagée par le requérant contre la N.B., la Cour note que le tribunal de Santarém a fait droit aux prétentions de l’intéressé en jugeant que sa créance vis-à-vis de la BES avait été transférée à la banque-relais consécutivement à la mesure de résolution appliquée par la BdP à la BES (paragraphes 27 et 30 ci-dessus), mais que la cour d’appel d’Évora et la Cour suprême ont abouti à la conclusion inverse en se fondant sur les clarifications apportées le 11 août 2014 et le 29 décembre 2015 à la mesure de résolution de la BdP du 3 août 2014 (paragraphes 41-42 et 47
ci-dessus).

98. Le requérant conteste la conclusion à laquelle ont abouti les juridictions internes. La Cour ne saurait toutefois remettre en cause l’interprétation des faits et du droit en l’espèce. En effet, celle-ci appartient au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux nationaux, son rôle à elle se limitant à vérifier la compatibilité des effets d’une telle interprétation avec la Convention (voir, mutatis mutandis, Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018 et les références qui y sont citées). Par ailleurs, l’interprétation retenue n’apparait ni arbitraire ni déraisonnable et s’aligne avec la jurisprudence de la Cour suprême dans le cadre d’affaires similaires (paragraphes 56-62 ci-dessus).

99. En ce qui concerne l’argument tiré par le requérant d’une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au principe de la sécurité juridique qu’aurait entraînée la décision de la BdP de retransférer vers la BES des passifs qui avaient été initialement transmis à la N.B. (paragraphe 73
ci-dessus), la Cour constate que, à la date du jugement du tribunal de Santarém au sujet des faits de la présente espèce, la décision de la BdP du 29 décembre 2015 avait déjà été publiée (paragraphe 24 ci-dessus). Elle ne voit donc pas en quoi, en adoptant cette décision, la BdP aurait porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au principe de la sécurité juridique. Aussi, la présente affaire est à distinguer sur ce point de l’affaire Banco de Portugal et autres, sur laquelle la CJUE a statué dans son arrêt du 29 avril 2021 (C- 04/19- point 62 de l’arrêt- paragraphe 70 ci-dessus).

100. Pour finir, la Cour observe que le requérant aurait pu déclarer sa créance dans le cadre de la procédure de liquidation relative à la BES pendante devant le tribunal de commerce de Lisbonne, comme l’a relevé la Cour suprême dans un arrêt rendu le 22 mars 2018 (paragraphe 59 ci-dessus). En effet, il paraît clair que, dans ce cadre, le requérant n’aurait pas pu subir une perte supérieure à celle qu’il aurait connue si la BES avait été immédiatement mise en liquidation, comme le prévoit l’article 145-B § 1 c) du RGICSF conformément à l’article 73 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (paragraphes 53 et 69 ci-dessus et point 58 de l’arrêt de la CJUE BPC Lux 2 et autres du 5 mai 2022 (affaire C-83/20) au paragraphe 71 ci-dessus). La Cour note que, dans le cas contraire, conformément à l’article 145-B § 3 du RGSFIC, le requérant aurait pu réclamer au Fonds de résolution la réparation de tout préjudice subi dans le cadre du remboursement de sa créance (paragraphe 53 ci-dessus).

101. La Cour en conclut que, dans la présente espèce, un juste équilibre a été ménagé entre l’intérêt public poursuivi et le droit de propriété du requérant et de toutes les personnes se trouvant dans la même situation que lui (voir, mutatis mutandis, Trajkovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (déc.), no 53320/99, CEDH 2002-IV)

  1. Conclusion

102. Compte tenu des observations qui précèdent (paragraphes 93-95 et 101 ci-dessus) et de la marge d’appréciation dont jouissait l’État au vu des circonstances exceptionnelles qui étaient en cause, la Cour estime que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 23 février 2023.

Ilse Freiwirth Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffière adjointe Présidente


[1] Une créance subordonnée est une créance dont le remboursement n’est pas prioritaire en cas de faillite ou de liquidation du débiteur : elle est subordonnée au remboursement des autres créanciers détenteurs d’obligations de rang supérieur. Compte tenu du niveau élevé de risque, la rémunération de ces titres est plus élevée que celle d’une obligation conventionnelle.

[2] Marché non réglementé où la négociation est effectuée directement entre l’acheteur et le vendeur.

[3] Poupança est un mot portugais qui signifie « économie » ou « épargne ».

[4] BRRD est l’acronyme de « Bank Recovery and Resolution Directive ».

[5] CRD est l’acronyme de « Capital Requirements Directive ».

[6] CRR est l’acronyme de « Capital Requirements Regulation »

[7] MRU est l’acronyme de « Mécanisme de Résolution Unique ».