Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
31.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 1210/10
Stanislav SORBALO
contre la République de Moldova

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 31 janvier 2023 en une chambre composée de :

Arnfinn Bårdsen, président,
Jovan Ilievski,
Egidijus Kūris,
Pauliine Koskelo,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu,
Davor Derenčinović, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,

Vu :

la requête no 1210/10 contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Stanislav Sorbalo (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement ») les griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention relatifs au manque allégué d’indépendance et d’impartialité des instances disciplinaires des magistrats et de déclarer irrecevable le grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne une procédure disciplinaire dirigée contre un juge. Dans sa requête initiale, le requérant s’est plaint de plusieurs défauts de procédure prétendument contraires à l’article 6 § 1 de la Convention. Après la communication de la requête au Gouvernement, les tribunaux nationaux ont décidé de rouvrir la procédure interne et ont ensuite réexaminé l’affaire. Les parties devant la Cour s’opposent quant à la question de savoir si le requérant a perdu ou non sa qualité de victime.

EN FAIT

2. Le requérant, M. Stanislav Sorbalo, est un ressortissant moldave né en 1971 et résidant à Bălți.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. O. Rotari.

4. Par un décret du 17 juin 2004, le Président de la République de Moldova nomma le requérant juge d’instruction pour un mandat de cinq ans.

  1. Faits survenus avant la communication de l’affaire au Gouvernement

5. Le 9 octobre 2008, le Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») accéda à la demande du Procureur général de lever l’immunité du requérant et donna son accord pour l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre de ce dernier. Le Procureur général, qui était également membre du CSM, reprochait notamment au requérant d’avoir commis l’infraction de délivrance à bon escient d’une décision de justice contraire à la loi. Le Procureur général estimait, entre autres, que la décision en question était favorable à un avocat qui défendait les intérêts du requérant dans une autre procédure.

6. Le 15 octobre 2008, le président du CSM disposa d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre du requérant pour les mêmes faits. Dans cette procédure, il était reproché au requérant d’avoir rendu une décision de justice partiale.

7. Le 23 décembre 2008, le collège disciplinaire jugea que le requérant avait failli à son devoir d’impartialité et porté gravement atteinte à l’éthique judiciaire. Il lui infligea un avertissement. Cette décision était susceptible de recours dans un délai de dix jours.

8. Le 13 janvier 2009, le président du CSM contesta la décision du collège disciplinaire.

9. Le 22 janvier 2009, le CSM accueillit ce recours, modifia la sanction et décida de proposer au Président de la République de Moldova de révoquer le requérant de ses fonctions de juge. Cette décision était signée par le président du CSM.

10. Le 26 janvier 2009, le requérant assigna en justice le CSM afin d’obtenir l’annulation de la décision du 22 janvier 2009. Il alléguait, entre autres, que le président du CSM et le Procureur général avaient pris part aux délibérations du CSM dans l’affaire disciplinaire le concernant.

11. Par un arrêt du 21 avril 2009, la cour d’appel de Chișinău rejeta l’action comme mal fondée. S’agissant de l’argument du requérant, mentionné ci-dessus, elle notait qu’il ne ressortait pas des éléments du dossier que le président du CSM avait participé aux délibérations et qu’il n’existait en revanche aucun motif légal d’exclure le Procureur général de ces délibérations.

12. Par une décision définitive du 7 juillet 2009, la Cour suprême de justice confirma, sur recours du requérant, la décision du CSM ainsi que l’arrêt de la cour d’appel.

13. Par un décret du 31 juillet 2009, le président de la République de Moldova révoqua le requérant de ses fonctions de juge.

14. Le 14 avril 2010, la Cour suprême de justice rejeta comme irrecevable une demande en révision de la décision définitive du 7 juillet 2009, introduite par le requérant. Dans sa demande en révision, celui-ci s’était plaint, entre autres, de la tardiveté du recours du président du CSM contre la décision du collège disciplinaire.

15. Pour ce qui est de la procédure pénale dirigée contre le requérant, les juges décidèrent de classer l’affaire. Ils estimèrent que l’infraction reprochée n’était pas caractérisée et qu’en outre, la procédure était entachée de plusieurs irrégularités, dont notamment la participation du Procureur général aux délibérations lors de l’adoption de la décision du CSM du 9 octobre 2008 (paragraphe 5 ci-dessus).

  1. Faits survenus après la communication de l’affaire au Gouvernement

16. Le 24 décembre 2019, l’agent du Gouvernement déposa une demande en révision de la décision de la Cour suprême de justice du 7 juillet 2009. Il sollicitait la reconnaissance expresse de la violation du droit du requérant à un procès équitable ainsi que le réexamen de l’affaire.

17. Par une décision du 5 février 2020, la Cour suprême de justice estima qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans le chef du requérant. D’une part, elle notait que le CSM avait accueilli sans justification le recours tardif du président du CSM contre la décision du collège disciplinaire. D’autre part, elle relevait que, selon le procès-verbal de l’audience du CSM du 22 janvier 2009, ni le président du CSM ni le Procureur général n’avaient quitté la salle avant les délibérations. Elle considérait dès lors que le CSM avait en l’espèce manqué d’indépendance et d’impartialité en raison de la présence de ces deux membres dans sa composition. En conséquence, la Haute juridiction accueillit la demande en révision de l’agent du Gouvernement, annula sa propre décision du 7 juillet 2009 et ordonna un nouvel examen du recours du requérant contre l’arrêt de la cour d’appel de Chișinău du 21 avril 2009.

18. Par une décision définitive du 1er juillet 2020, la Cour suprême de justice accueillit le recours en question, annula cet arrêt de la cour d’appel et délivra une nouvelle décision par laquelle elle acceptait intégralement l’action du requérant contre le CSM. Tout en réitérant ses constats précédents quant à la tardiveté du recours du président du CSM contre la décision du collège disciplinaire et quant au manque d’indépendance du Procureur général et du président du CSM, la Haute juridiction décida d’annuler la décision du CSM du 22 janvier 2009.

19. Le 7 juillet 2020, l’assemblée plénière du CSM accepta la demande du requérant visant à obtenir la réintégration à son poste de juge ainsi que le paiement du salaire pour toute la période d’inactivité.

20. Par un décret du 22 septembre 2020, le Président de la République de Moldova abrogea le décret du 31 juillet 2009 sur la révocation du requérant de ses fonctions de juge (paragraphe 13 ci-dessus).

21. Selon une lettre du 28 janvier 2021 adressée au CSM par le président du tribunal où officiait auparavant le requérant, ce dernier avait été officiellement réintégré à son poste de juge à partir du 25 septembre 2020 et avait en outre reçu les arriérés de salaire pour la période 1er août 2009 – 24 septembre 2020, d’un montant total net de 1 333 642,07 lei moldaves (environ 66 840 euros selon le taux officiel en vigueur fin septembre 2020). Toujours d’après cette lettre, le requérant se trouvait dans l’impossibilité d’examiner des affaires et de signer des actes en tant que juge en raison du fait qu’il devait d’abord passer la procédure d’évaluation des performances des juges afin que son mandat fût prolongé jusqu’à l’âge de départ à la retraite (65 ans).

22. Dans l’intervalle, le 13 octobre 2020, le CSM avait remis au collège d’évaluation des performances des juges les éléments requis pour la conduite de la procédure d’évaluation à l’égard du requérant.

23. Au moment des dernières observations des parties, le requérant n’avait pas encore été soumis à la procédure d’évaluation en raison de l’incapacité du collège d’évaluation de se réunir, causée par le manque de membres au sein de cet organe.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

24. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 544 du 20 juillet 1995 sur le statut des juges, dans leur rédaction en vigueur au moment des dernières observations des parties, étaient ainsi libellées :

Article 11. Nomination du juge au poste

« 1. Les juges des tribunaux et des cours d’appel sont nommés au poste (...) par le Président de la République de Moldova, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. Les candidats sélectionnés (...) sont nommés au poste de juge pour une période initiale de 5 ans. Après l’expiration du délai de 5 ans, les juges sont nommés au poste jusqu’à l’âge de départ à la retraite de 65 ans. »

Article 25. La révocation du juge de ses fonctions

« 4. Lorsque la décision de révocation du juge de ses fonctions est annulée, celui-ci sera rétabli dans tous ses droits détenus antérieurement, en lui payant (...) les droits pécuniers dont il a été privé. »

25. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 154 du 5 juillet 2012 sur la sélection, l’évaluation des performances et la carrière des juges, dans leur rédaction en vigueur au moment des dernières observations des parties, se lisaient comme suit :

Article 13. Les modalités d’évaluation des performances des juges

« 1. L’évaluation des performances des juges se déroule selon deux modalités :

a) l’évaluation périodique ;

b) l’évaluation extraordinaire.

(...)

4. Le juge est soumis à l’évaluation des performances de manière extraordinaire (...) en cas de :

a) nomination au poste jusqu’à l’âge de départ à la retraite ;

(...) »

Article 30.

« (...)

4. Dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la présente loi, les juges de tous les tribunaux seront soumis à l’évaluation des performances selon les modalités prévues par la présente loi (...). »

GRIEFS

26. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant allègue que le recours du président du CSM du 13 janvier 2009 contre la décision du collège disciplinaire du 23 décembre 2008 était tardif et que le CSM l’a accueilli sans justification.

27. Sur le terrain de cet article, il se plaint également d’un manque d’impartialité et d’indépendance du CSM du fait de la présence du Procureur général et du président du CSM dans la formation qui s’était prononcée dans l’affaire disciplinaire le concernant.

28. Invoquant toujours l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue en outre que la formation de la cour d’appel de Chișinău qui a rendu l’arrêt du 21 avril 2009 n’était pas impartiale et que cet arrêt était insuffisamment motivé et illégal. Enfin, il se plaint que la décision de la Cour suprême de justice du 7 juillet 2009 n’était pas motivée à suffisance.

EN DROIT

  1. Sur les griefs tirés de la tardiveté du recours du président du csm et du manque d’impartilaité et d’indépendance du cSM
    1. Thèses des parties

29. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de la perte par le requérant de sa qualité de victime d’une violation au sens de l’article 34 de la Convention. Il indique qu’à la suite de la demande en révision formulée par l’agent du Gouvernement, la Cour suprême de justice a expressément reconnu la violation des droits du requérant garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. Il précise notamment que les causes de la violation, retenues par cette Haute juridiction, étaient la tardiveté du recours du président du CSM ainsi que le manque d’indépendance et d’impartialité du CSM.

30. Le Gouvernement soutient en outre qu’en annulant sa décision précédente du 7 juillet 2009, défavorable au requérant, la Cour suprême de justice a offert une réparation adéquate à la violation constatée. Il met en exergue le fait que la procédure interne a été rouverte, que le requérant a eu gain de cause après cette réouverture et que, par la suite, celui-ci a été réintégré au poste de juge occupé précédemment. Il argue que l’impossibilité pour le requérant d’exercer pleinement son activité de juge a des causes objectives. Celles-ci seraient liées au fait que le mandat initial de cinq ans du requérant avait expiré et que, pour être nommé au poste jusqu’à l’âge de départ à la retraite, celui-ci devrait, selon la loi, passer une évaluation devant le collège d’évaluation des performances des juges. Le Gouvernement précise que ce collège n’est pas pleinement opérationnel car plusieurs postes vacants au sein de celui-ci sont à pourvoir actuellement. Il soutient que, si le requérant n’avait pas été révoqué de ses fonctions, celui-ci aurait dû de toute façon passer une évaluation des performances.

31. Le Gouvernement souligne également le fait que le requérant s’est vu octroyer une indemnisation pour le préjudice matériel subi, à savoir le salaire pour toute la période d’inactivité en tant que juge. Il ajoute que, depuis sa réintégration au poste en septembre 2020 et même s’il ne peut exercer entièrement ses fonctions de juge, le requérant touche un salaire mensuel. Le Gouvernement soutient que le requérant sera soumis à l’évaluation par le collège d’évaluation des performances des juges au moment où cet organe sera opérationnel, et qu’en attendant la décision du collège, le requérant continuera à recevoir son salaire. Il allègue qu’il y a eu en l’espèce une restitutio in integrum, dans la mesure du possible. Il affirme que les autorités nationales ont été de bonne foi et qu’elles ont entrepris toutes les mesures possibles pour rétablir la situation qui existait avant la violation des droits du requérant énoncés à l’article 6 § 1 de la Convention.

32. Pour conclure, le Gouvernement argue que la réintégration au poste du requérant ainsi que le paiement du préjudice matériel subi ont offert une réparation suffisante à celui-ci pour la violation de ses droits garantis par la Convention. Il plaide en outre que cela représente un dédommagement moral adéquat pour le requérant. Il avance que les circonstances de la présente affaire permettent de conclure que le requérant a perdu sa qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.

33. Alternativement, il soutient que le litige a été résolu en faveur du requérant et que la présente requête peut également être rayée du rôle en application de l’article 37 § 1 b) de la Convention.

34. Le requérant estime, quant à lui, qu’il n’a pas perdu la qualité de victime. Il soutient ne pas avoir été réintégré de facto au poste de juge qu’il occupait avant la violation de ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. Il affirme être dans un état d’incertitude quant à la question de savoir s’il sera évalué et réintégré dans ses fonctions de juge à part entière.

35. Il avance que les États doivent organiser leur système juridique et leurs procédures judiciaires de manière à ce que le rétablissement de la situation d’un requérant, existante avant la violation de ses droits garantis par la Convention, puisse être obtenu. Il argue que cela n’a pas été le cas en l’espèce.

36. Le requérant met en doute la bonne volonté des autorités de le rétablir pleinement dans ses fonctions de juge. Il invoque les dispositions de l’article 25 § 4 de la loi sur le statut du juge (paragraphe 24 ci-dessus) selon lesquelles, lorsque la révocation d’un juge est annulée, celui-ci doit être rétabli dans tous ses droits. Le requérant soutient que ni cette norme juridique ni aucune autre disposition interne ne prévoient l’obligation de soumettre à une évaluation des performances un juge révoqué de ses fonctions, puis réintégré au poste.

37. Il déplore également l’absence d’un dédommagement moral. Il considère que la reconnaissance par les autorités étatiques de la violation de ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas suffisante en soi pour compenser le préjudice moral qu’il a subi. Il allègue également que l’état d’incertitude dans lequel il se trouve continue d’être source de souffrances morales.

38. Enfin, le requérant confirme avoir reçu les arriérés de salaire. Cependant, il soutient qu’en l’absence d’une réintégration en bonne et due forme au poste de juge qu’il occupait précédemment, cette réparation pécuniaire est insuffisante pour lui faire perdre sa qualité de victime.

  1. Appréciation de la Cour

39. La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. La question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 179, CEDH 2006-V, et Venken et autres c. Belgique, nos 46130/14 et 4 autres, § 132, 6 avril 2021).

40. La question de savoir si une personne peut encore se prétendre victime d’une violation alléguée de la Convention implique essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen a posteriori de la situation de la personne concernée (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 82, CEDH 2012). Il convient pour cela de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010, et Venken et autres, précité, § 133).

41. La Cour réaffirme en outre qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffisent, en principe, à lui retirer la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 81, et Savickis et autres c. Lettonie [GC], no 49270/11, § 151, 9 juin 2022). Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête (Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, § 129, 31 janvier 2019, et Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 218, 22 décembre 2020).

42. Pour ce qui est de la réparation fournie, la Cour rappelle qu’elle doit être appropriée et suffisante. Cela dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010, et Bivolaru c. Roumanie (no 2), no 66580/12, § 170, 2 octobre 2018).

43. Dès lors que la perte par le requérant de la qualité de victime est alléguée, il faut examiner la nature du droit en cause et la motivation des décisions rendues par les autorités nationales et déterminer si les conséquences défavorables pour l’intéressé persistent après ces décisions (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 67 in fine, 2 novembre 2010).

44. L’acquisition ou la perte de la qualité de victime ne sont pas régies par les mêmes règles. Lorsqu’un requérant devient victime d’une violation de l’article 6 de la Convention à l’issue d’une procédure s’achevant par le prononcé d’une décision définitive, il incombe à l’État de lui fournir un redressement approprié et suffisant de son grief en temps voulu, c’est-à-dire avant que la Cour n’examine l’affaire (voir, mutatis mutandis, ibidem, § 78, et Webster c. Royaume-Uni (déc.), no 32479/16, § 29, 24 mars 2020).

45. La Cour rappelle qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture des procédures se révèlent être le moyen le plus efficace, voire le seul, de réaliser la restitutio in integrum, à savoir le rétablissement de la partie lésée, dans la mesure du possible, dans la situation où elle se trouvait avant la violation de la Convention (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 48, 11 juillet 2017).

46. En l’espèce, la Cour note que la réouverture de la procédure interne a été ordonnée à la demande de l’agent du Gouvernement, formulée après la communication de l’affaire au Gouvernement. En même temps, elle remarque que la demande en réouverture introduite auparavant par le requérant avait été, quant à elle, rejetée (paragraphe 14 ci-dessus).

47. À ce sujet, la Cour renvoie à ses conclusions à l’égard de la réouverture des procédures pénales, opérées dans l’affaire Sakhnovski, précitée, dont les passages pertinents se lisent comme suit :

« 82. (...) La procédure interne est souvent rouverte à l’instigation des autorités russes lorsqu’elles apprennent que l’affaire a été retenue pour examen par la Cour. Il arrive que la réouverture soit favorable au requérant, auquel cas elle est utile. Toutefois, compte tenu de la facilité avec laquelle le Gouvernement emploie cette procédure, il existe également un risque d’abus. Si la Cour acceptait sans condition que la simple réouverture de la procédure a automatiquement pour effet d’ôter au requérant sa qualité de victime, l’État défendeur pourrait faire obstacle à l’examen de toute affaire pendante en ayant recours de manière répétée à la procédure de révision, plutôt que de redresser les violations passées en offrant au requérant un procès équitable.

83. La Cour estime que la réouverture de la procédure ne peut en soi automatiquement passer pour un redressement suffisant de nature à ôter au requérant la qualité de victime. Pour déterminer si le requérant conserve ou non cette qualité, la Cour envisage la procédure dans son ensemble, y compris celle qui a suivi la réouverture. Cette approche permet de ménager un équilibre entre le principe de subsidiarité et l’effectivité du mécanisme de la Convention. D’une part, l’État peut rouvrir et réexaminer des affaires pénales pour redresser des violations passées de l’article 6 de la Convention. D’autre part, la nouvelle procédure doit être conduite avec célérité et dans le respect des garanties de l’article 6 de la Convention. Grâce à cette approche, la procédure en révision ne peut plus servir à échapper au contrôle de la Cour et l’effectivité du droit de recours individuel est ainsi préservée. »

48. La Cour estime que ces conclusions sont tout aussi pertinentes pour la présente affaire et que la même approche doit être adoptée en l’espèce où il est question de la réouverture d’une procédure disciplinaire.

49. Elle note que, dans la décision ordonnant la réouverture ainsi que dans celle prononcée lors de la procédure qui a suivi la réouverture, la Cour suprême de justice a expressément reconnu la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans le chef du requérant (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Ce constat de violation concernait tant la tardiveté du recours du président du CSM que le manque d’indépendance et d’impartialité du CSM. La Cour souligne, par ailleurs, que ces points ne prêtent pas à controverse entre les parties.

50. En revanche, celles-ci ont des positions divergentes quant aux questions de savoir si la réparation accordée au requérant a été suffisante et adéquate, et, en particulier, s’il y a eu en l’espèce une restitutio in integrum.

51. La Cour relève que, lors du réexamen de l’affaire, la Cour suprême de justice a accueilli l’action initiale du requérant et annulé la décision litigieuse du CSM en vertu de laquelle le premier était révoqué de sa fonction de juge. En plus, elle constate qu’après la réouverture, la Haute juridiction a rendu rapidement une décision sur le fond et qu’aucun problème de célérité ne se pose donc quant à la nouvelle procédure. La Cour fait également remarquer que les éléments dont elle dispose ne lui permettent pas de conclure que, dans le cadre de cette nouvelle procédure, les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention n’ont pas été respectées. Cela n’est d’ailleurs pas dénoncé par le requérant.

52. La Cour constate en outre qu’en exécution de la dernière décision de la Cour suprême de justice, le Président de la République de Moldova a de suite annulé sa décision précédente de révoquer le requérant de ses fonctions (paragraphe 20 ci-dessus) et que, dans la foulée, ce dernier a officiellement été réintégré à son poste (paragraphes 19 et 21 ci-dessus). La Cour prête une attention particulière au fait que le requérant s’est vu octroyer les salaires pour toute la période d’inactivité en tant que juge et que, depuis sa réintégration, il reçoit un salaire mensuel. Elle précise que ces points ne sont pas non plus contestés par le requérant.

53. Pour ce qui est de l’impossibilité pour le requérant d’exercer pleinement son activité de juge et de l’obligation qui lui est faite de passer d’abord une évaluation de ses performances, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de spéculer sur les différentes interprétations à donner en l’espèce aux dispositions internes. Notamment, elle ne saurait se prononcer sur la question de savoir si, après l’annulation de sa révocation, le requérant devait être exempt ou non de l’obligation d’être soumis à cette évaluation.

54. En tout état de cause, elle rappelle qu’une procédure d’évaluation des juges n’est pas en soi incompatible avec les dispositions de la Convention (voir, mutatis mutandis, Xhoxhaj c. Albanie, no 15227/19, § 299, 9 février 2021). En outre, elle a déjà eu l’occasion de souligner l’importance primordiale que revêt un processus rigoureux de nomination des juges ordinaires pour s’assurer de la nomination à ces fonctions des candidats les plus qualifiés – du point de vue tant de leurs compétences professionnelles que de leur intégrité morale (Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 222, 1er décembre 2020).

55. En l’espèce, la Cour ne saurait surtout pas perdre de vue qu’à l’époque des faits, le requérant avait un mandat de juge de cinq ans et que la révocation de ses fonctions avait coïncidé avec l’expiration de ce mandat (paragraphes 4 et 13 ci-dessus). Elle souligne que rien dans le dossier n’indique que, en l’absence de la décision de révocation, le mandat initial du requérant allait être prolongé automatiquement et inconditionnellement pour une nouvelle période. Elle précise, par ailleurs, qu’aucune des parties ne défend cette thèse.

56. Dans ces conditions, la Cour ne peut qu’accueillir l’argument du Gouvernement selon lequel, après sa réintégration au poste, le requérant devait obtenir un nouveau mandat de juge en bonne et due forme, c’est-à-dire selon les modalités prévues par les lois en vigueur. Or, elle considère que le besoin de renouveler le mandat du requérant, en respectant les voies légales, sort du champ de la présente requête, laquelle concerne la révocation du requérant de son poste de juge pour lequel il avait un mandat de cinq ans. À ce sujet, elle renvoie à sa jurisprudence relative aux faits nouveaux pouvant faire l’objet d’une nouvelle requête à la Cour (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, §§ 33 et 34, CEDH 2015, et Moreira Ferreira, précité, § 47).

57. Eu égard à ce qui précède, la Cour ne saurait conclure que l’obligation pour le requérant de passer l’évaluation de ses performances pour être nommé pour un nouvel mandat est une conséquence de la violation en l’espèce de l’article 6 de la Convention. Elle rappelle que cette violation concernait la tardiveté du recours du président du CSM contre la décision du collège disciplinaire et le manque d’indépendance et d’impartialité du CSM. Or, elle estime que cette violation a été réparée après la réouverture de la procédure puisque, après une nouvelle procédure durant laquelle il apparait que les garanties de l’article 6 de la Convention aient été respectées, la décision litigieuse du CSM a été annulée en raison notamment de la tardiveté du recours du président du CSM et du manque d’indépendance et d’impartialité du CSM. La décision du collège disciplinaire a ainsi été confirmée et le requérant a eu gain de cause dans l’affaire disciplinaire le concernant. À l’issue de la nouvelle procédure, l’intéressé a été en outre formellement réintégré à son poste et, de surcroît, il s’est vu octroyer les salaires pour une durée d’inactivité de plus de onze ans, soit bien au-delà du mandat initial de cinq ans.

58. Compte tenu de ces éléments, la Cour juge en l’espèce que, à l’issue de la nouvelle procédure qui a suivi la réouverture, les conséquences défavorables afférentes aux griefs tirés des défauts de la procédure initiale ont été effacées par les autorités nationales avant qu’elle ne se prononce sur le bien-fondé des griefs (contrairement à la situation en cause dans Eminağaoğlu c. Turquie, no 76521/12, § 52, 9 mars 2021). En ce sens, elle estime que la présente affaire se distingue de l’affaire Oleksandr Volkov c. Ukraine (no 21722/11, §§ 207-08, CEDH 2013) où elle a indiqué au gouvernement défendeur d’assurer la réintégration du requérant à son poste de juge en raison du fait que la réouverture de la procédure interne ne pouvait constituer une forme appropriée de redressement des violations, entre autres, de l’article 6 de la Convention. La Cour souligne à cet égard l’importance pour un juge privé de l’exercice de ses fonctions en violation de l’article 6 de la Convention, de pouvoir réintégrer rapidement et pleinement celles-ci.

59. Quant à l’absence de dédommagement moral dénoncée par le requérant, la Cour rappelle sa propre jurisprudence sur le terrain de l’article 41 de la Convention selon laquelle le but des sommes allouées à titre de satisfaction équitable est uniquement d’accorder une réparation pour les dommages subis par les intéressés dans la mesure où ils constituent une conséquence de la violation ne pouvant en tout cas pas être effacée (Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan (recours en manquement) [GC], no 15172/13, § 156, 29 mai 2019, et Molla Sali c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 20452/14, § 32, 18 juin 2020). De plus, elle redit qu’aucune disposition de la Convention ne prévoit expressément le versement d’une indemnité pour dommage moral et qu’afin de décider d’octroyer ou non une telle indemnité, elle est guidée par le principe de l’équité, qui implique avant tout une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire (Molla Sali, précité, § 33).

60. La Cour estime que le même raisonnement doit être suivi en l’espèce. Ayant déjà jugé ci-dessus que les conséquences de la violation ont été effacées, la Cour ne saurait donc reprocher aux autorités étatiques le fait de ne pas avoir octroyé au requérant une réparation au titre du dommage moral (comparer avec A.O. Falun Dafa et autres c. République de Moldova, no 29458/15, § 16, 29 juin 2021, où la Cour a jugé que les requérants n’ont pas perdu leur qualité de victime en raison de l’absence d’un dédommagement moral après la réouverture de la procédure interne et de la persistance des conséquences défavorables aux requérants).

61. À l’aune de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a obtenu un redressement approprié et suffisant. Elle précise que cela ne signifie pas pour autant que l’absence d’évaluation du requérant et l’impossibilité pour celui-ci d’exercer pleinement en tant que juge ne puissent pas soulever un problème nouveau, non traité par la présente décision et, dès lors, faire l’objet d’une nouvelle requête dont la Cour pourrait avoir à connaître.

62. Étant donné que les autorités internes ont reconnu et réparé la violation de l’article 6 de la Convention relative aux deux présents griefs introduits par le requérant devant la Cour, il convient d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement. Il s’ensuit que les deux griefs en question sont incompatibles ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’ils doivent être rejetés en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

63. Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner également l’exception du Gouvernement tirée d’une résolution du litige (paragraphe 33 ci-dessus).

  1. Sur les autres griefs

64. Dans sa requête initiale, le requérant a également soulevé d’autres griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 28 ci-dessus). Cependant, il ne les a pas étayés dans ses observations subséquentes fournies à la Cour. Dans ces conditions, compte tenu des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour statuer sur les allégations formulées, la Cour n’aperçoit aucune apparence de violation de la Convention relativement à ces griefs. Il s’ensuit qu’ils sont également irrecevables et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 23 février 2023.

Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président