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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
31.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 37058/19
François THIERRY
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 31 janvier 2023 en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,

et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la procédure disciplinaire dont le requérant, alors commissaire divisionnaire de police à la tête de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) a fait l’objet, au terme de laquelle son habilitation à exercer les attributions attachées à la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ) a été suspendue. Le requérant soulève des griefs tirés des articles 6 § 1 et 6 § 2 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant, M. François Thierry, est un ressortissant français né en 1968 et résidant à Paris. Il a été représenté devant la Cour par Me A. Peretti, avocate à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

3. Les faits de l’espèce, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, se présentent de la manière suivante.

4. Le 24 août 2017, le requérant fut mis en examen pour complicité de détention, transport, acquisition, offre ou cession de stupéfiants et complicité d’exportation de stupéfiants en bande organisée pour avoir organisé, en 2015, des opérations de livraison de plusieurs tonnes de stupéfiants par l’intermédiaire d’un informateur, les stupéfiants ayant ensuite échappé au contrôle de l’OCRTIS avant d’être dispersés en France et à l’étranger.

5. Par un courrier du 29 août 2017, le requérant fut convoqué par la procureure générale près la cour d’appel de Paris à une audition aux fins de retrait de son habilitation d’OPJ dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée sur le fondement de l’article R. 15-6 du code de procédure pénale (CPP). Ce courrier précisait que le requérant avait la possibilité de se faire assister d’un avocat et de consulter au préalable son dossier, puis énonçait les griefs qui lui étaient reprochés au regard des faits décrits au paragraphe 4 ci-dessus : violation de prescriptions légales, manquements au devoir de loyauté à l’égard de l’autorité judiciaire, négligences graves et répétées, manque de professionnalisme et manque de discernement.

6. Le 17 septembre 2017, la procureure générale accorda un entretien à la presse dans lequel elle affirma notamment : « les procédures pénales et disciplinaires sont totalement distinctes. Mais il est certain que la prise de connaissance du contenu de l’enquête pénale au printemps a alimenté ma réflexion. »

7. Les 20 et 21 septembre 2017, le requérant, assisté de deux avocats, fut auditionné par la procureure générale.

8. Par un arrêté du 5 octobre 2017, cette dernière prononça le retrait de l’habilitation du requérant à exercer les attributions attachées à la qualité d’OPJ, notamment pour les motifs suivants :

« Considérant que [...] [l’avocat du requérant] [...] se fonde sur l’arrêt du 23 juin 1981 de la CEDH Le Compte, Van Leuwen et De Meyere с. Belgique ; qu’il est allégué que cette décision et celles qui ont suivi ont « posé comme principe que les procédures disciplinaires sont soumises aux règles de la Convention (...) et notamment l’article 6, c’est à dire le droit à un procès équitable » ;

Considérant qu’il résulte de la jurisprudence ci-dessus évoquée que les procédures en matière de discipline professionnelle relèvent de la sphère civile et qu’il ne saurait y avoir de dimension pénale tant que les autorités ont su maintenir leur décision dans un domaine purement administratif et ainsi respecter la parfaite autonomie de la procédure administrative vis-à-vis de la procédure pénale (arrêt de la CEDH Moullet с. France du 13 septembre 2007) ;

Que tel est bien le cas en l’espèce dans la mesure où la procédure de retrait d’habilitation d’OPJ est fondée exclusivement sur la violation de règles déontologiques auxquelles sont spécifiquement soumis les OPJ et non sur la commission d’infractions pénales ; que les procédures disciplinaire et pénale sont ainsi parfaitement distinctes par leur objet et que le droit interne garantit leur complète autonomie, chacune se conduisant indépendamment de l’autre, avec des résultats possibles qui n’ont rien à voir les uns avec les autres : retrait d’habilitation en l’espèce pour la première, emprisonnement, amende...pour la seconde ;

Considérant par ailleurs que s’il est établi que la procédure de retrait d’habilitation d’OPJ de l’article R. 15-6 du CPP se situe dans le domaine civil et non dans le domaine pénal, force est de constater qu’au regard de la jurisprudence de la CEDH, l’applicabilité de l’article 6 de la Convention (...) est exclue en l’espèce :

- d’une part, parce que cette procédure ne peut être assimilée à une « contestation d’un droit ou d’une obligation à caractère civil », la mise en œuvre de l’action de retrait d’habilitation par le procureur général relevant de son pouvoir discrétionnaire de surveillance et de contrôle de la police judiciaire prévu par les articles 13 et 38 du CPP ;

- d’autre part, parce que les critères jurisprudentiels aboutissant à la non-applicabilité de l’article 6 de la Convention (...) pour le recrutement, la carrière et la cessation d’activité des fonctionnaires tels que précisés par la CEDH dans l’arrêt Vilho Eskelinen et autres с/ Finlande sont réunis : qu’ainsi, en premier lieu, il est établi que le droit interne exclut dans la phase de retrait d’habilitation d’un OPJ l’accès à un tribunal au fonctionnaire concerné et prévoit une procédure d’audition préalable devant le procureur général avant toute prise de décision (article R. 15-6 du CPP) et qu’en second lieu, [le requérant] est un fonctionnaire qui participe en tant que tel à l’exercice de la puissance publique, qu’il est positionné à un haut niveau hiérarchique au sein de la direction centrale de la police judiciaire, étant commissaire divisionnaire et, au moment des faits, chef de l’un des neuf offices centraux de la police nationale, l’[OCRTIS] ; que par ailleurs, de par la qualité d’OPJ qui lui avait été conférée par arrêté d’habilitation du procureur général, il était tenu par « un lien spécial de confiance et de loyauté » avec l’autorité judiciaire, lien qui entre dans l’appréciation de la qualité d’un OPJ et de sa manière de servir ;

Considérant enfin, qu’en droit interne, si la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 juin 2016, a effectivement dénié à la procédure de retrait d’habilitation d’OPJ le caractère de « mesure d’administration judiciaire », elle n’en a pas moins considéré qu’elle était régulière au regard des exigences de la jurisprudence de la CEDH à partir du moment où le contradictoire était respecté, le droit à l’assistance d’un conseil reconnu et des voies de recours prévues ;

Que tel est bien le cas en l’espèce, [le requérant] ayant disposé d’un délai pour prendre connaissance du dossier avant son audition, délai mis à profit par l’un de ses conseils (...) pour consulter les pièces le 6 septembre 2017 ; qu’au cours de ses auditions devant Nous, les 20 et 21 septembre 2017, [le requérant] était assisté par deux conseils (...) ; qu’il a été informé des voies de recours existant contre notre décision à venir, décision au demeurant motivée pour chacun des griefs qui lui sont reprochés ; qu’ainsi, ces droits ont été exercés de manière effective et répondent aux exigences en la matière de la jurisprudence tant de la Cour de cassation que du Conseil d’État ;

(...) Considérant donc, en conclusion, que la majorité des griefs reprochés [au requérant] est caractérisée ; que le non-respect des prescriptions légales, le manque de loyauté à l’égard de l’autorité judiciaire mis en évidence à plusieurs reprises, les négligences graves dans la surveillance des transports de quantités massives de stupéfiants, les agissements consistant à priver les autorités hiérarchique, disciplinaire et judiciaire de toute possibilité de contrôle, le manque de professionnalisme et de discernement sont autant d’éléments qui témoignent d’une dérive [du requérant] dans l’exercice de ses fonctions et la conception de sa responsabilité de chef de service, qui en est le corollaire ; que certains résultats judiciaires spectaculaires l’ont conduit à s’installer et à se conforter dans un sentiment de toute-puissance et, au nom d’une efficacité bien plus supposée que réelle, à cantonner l’autorité judiciaire dans un rôle purement formel et accessoire, au risque de favoriser les activités délictueuses d’un trafiquant et de laisser s’évaporer sur le territoire national des quantités massives de stupéfiants ; qu’enfin, ces méthodes et leurs conséquences désastreuses ont gravement et durablement entaché notre confiance et notre appréciation quant à sa manière de servir en tant qu’OPJ (...) »

9. Le requérant forma un recours gracieux contre l’arrêté auprès de la procureure générale. Le 7 novembre 2017, cette dernière rejeta le recours, au motif qu’elle n’avait trouvé aucune raison valable de revenir sur la décision contestée.

10. Le requérant déposa une requête auprès de la commission de recours des OPJ aux fins d’annulation de la décision de retrait de l’habilitation. À l’appui de son recours, il soutint que l’article 6 § 1 de la Convention était applicable à la procédure prévue à l’article R. 15-6 du CPP, et que cette dernière n’en respectait pas les exigences. Il contesta également l’ensemble des griefs retenus par la procureure générale à son encontre.

11. Le 7 mars 2018, le requérant, assisté de deux avocats, fut auditionné par la commission de recours.

12. Par une décision du 4 avril 2018, cette dernière réforma le retrait d’habilitation et le ramena à une suspension de l’habilitation à exercer les attributions attachées à la qualité d’OPJ pendant une durée de deux ans.

13. D’une part, la commission de recours écarta le moyen tiré de la méconnaissance, par la procédure conduite par la procureure générale, de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle retint, pour ce faire notamment les motifs suivants :

« (...) Attendu que la suspension ou le retrait de l’habilitation à exercer les attributions liées à la qualité d’[OPJ] n’a pour effet que d’empêcher l’accomplissement de certains actes de procédure pénale directement liés à cette habilitation, tels l’exécution de commissions rogatoires émanant des juges d’instruction, la mise en œuvre de mesures coercitives privatives ou restrictives de droits, telles des perquisitions ou des placements en garde à vue ; que cette restriction apportée à l’usage de pouvoirs directement liés à l’exercice de la puissance publique n’a pas pour effet de modifier la position statutaire du policier ni son grade, sauf à lui faire occuper un emploi compatible avec le retrait intervenu ; qu’elle est indépendante des poursuites pénales, ne vise pas à sanctionner des infractions, ne comporte ni mesure privative de liberté ni sanction financière et ne saurait, dès lors, être assimilée à une accusation en matière pénale ;

Attendu que, par ailleurs, l’exercice des attributions liées à la qualité d’[OPJ] implique une relation spéciale de confiance et de loyauté vis-à-vis de l’autorité judiciaire qui assure la direction et le contrôle de la police judiciaire ; que si la loi n’a pas prévu de recours à un tribunal pour le retrait de la suspension de l’habilitation à exercer les attributions liées â la qualité d’[OPJ], elle a cependant mis en œuvre une procédure contradictoire garantissant les droits de la personne concernée en prévoyant la mise à sa disposition du dossier, son audition préalable, avec l’assistance d’un avocat, une décision motivée du procureur général, la possibilité d’un recours devant une formation de trois magistrats de la Cour de cassation composant la commission de recours en matière de suspension ou de retrait d’habilitation des officiers de police judiciaire, ladite commission rendant une décision motivée susceptible d’un pourvoi en cassation pour violation de la loi ;

D’où il suit que la décision attaquée n’a pas méconnu les dispositions de l’article 6 de la Convention (...) ; »

14. D’autre part, sur le fond, la commission ne confirma que certains des griefs retenus à l’encontre du requérant par la procureure générale. Pour ce faire, elle retint les éléments suivants :

« (...) Attendu, en conséquence, que ces manquements répétés, imputables [au requérant], son manque de loyauté vis-à-vis de l’autorité judiciaire, ont gravement porté atteinte à la nécessaire relation de confiance qui doit exister entre les magistrats et les officiers de police judiciaire dont ils dirigent l’action ;

Attendu cependant que [le requérant] présente, jusqu’à cette affaire, de très bons états de service et a fait l’objet de notations élogieuses en qualité d’[OPJ] ; que les griefs retenus à son encontre ne mettent pas en cause sa probité ni son intégrité ;

Qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments, la sanction de retrait d’habilitation n’apparaît pas strictement proportionnée tant à la gravité et la multiplicité des manquements ci-dessus retenus qu’à la personnalité et à la situation personnelle [du requérant] ;

Qu’il y a donc lieu de transformer la décision de retrait d’habilitation et de prononcer la suspension de l’habilitation [du requérant] pour une durée de deux ans (...) »

15. Le requérant se pourvut en cassation contre la décision du 4 avril 2018. À l’appui de son pourvoi, il fit valoir que la commission de recours avait considéré à tort que la décision de retrait ou de suspension de l’habilitation ne relevait pas de la matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et que cette disposition n’avait pas été méconnue. Il contesta également le bien-fondé des griefs retenus par la commission à son encontre.

16. Par un arrêt du 8 janvier 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant, notamment pour les motifs suivants :

« (...) d’une part, la procédure, prévue aux articles R.15-2 et R. 15-6 du [CPP] et mise en œuvre par le procureur général près la cour d’appel, si elle peut conduire ce magistrat à prononcer une mesure de suspension ou de retrait d’habilitation, constitue une procédure disciplinaire spécifique accordant à l’[OPJ] concerné par ladite procédure, dans le respect du principe du contradictoire, l’assistance d’un avocat lors des auditions et l’accès au dossier, d’autre part, le recours formé contre la décision prise en première instance relève de la compétence d’une commission, composée par trois magistrats de la Cour de cassation, qui, conformément aux articles R.15-7 à R.15-16 du [CPP], procède à un réexamen en fait comme en droit du dossier et exerce un contrôle de l’arrêté pris par le procureur général et dont la décision est elle-même soumise au contrôle de la Cour de cassation pour violation de la loi, de sorte que l’intéressé bénéficie de garanties suffisantes de nature à préserver ses droits, conformément à l’article 6, § 1, de la Convention (...), notamment eu égard à l’exigence d’impartialité ;

(...) [Q]u’après avoir souverainement apprécié les éléments de la cause, contradictoirement débattus, elle a procédé à une analyse de chacun des griefs imputés à l’intéressé au regard de la qualité hiérarchique de ce fonctionnaire de police et de la gravité des faits qui lui étaient reprochés, la commission de recours des [OPJ], qui n’avait pas à suivre [le requérant] dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision (...) »

  1. Le cadre juridique et la pratique internes pertinents
    1. Le code de procédure pénale

17. Les dispositions pertinentes du CPP dans leur rédaction applicable à la date des faits litigieux sont les suivantes.

a) Les dispositions législatives

Article 13

« La police judiciaire est placée, dans chaque ressort de cour d’appel, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction conformément aux articles 224 et suivants. »

Article 16

« Ont la qualité d’officier de police judiciaire :

1o Les maires et leurs adjoints ;

2o Les officiers et les gradés de la gendarmerie, les gendarmes comptant au moins trois ans de service dans la gendarmerie, nominativement désignés par arrêté des ministres de la justice et de l’intérieur, après avis conforme d’une commission ;

3o Les inspecteurs généraux, les sous-directeurs de police active, les contrôleurs généraux, les commissaires de police et les officiers de police ;

4o Les fonctionnaires du corps d’encadrement et d’application de la police nationale comptant au moins trois ans de services dans ce corps, nominativement désignés par arrêté des ministres de la justice et de l’intérieur, après avis conforme d’une commission.

La composition de la commission prévue aux 2o et 4o est déterminée par un décret en Conseil d’État pris sur le rapport du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur.

Ont également la qualité d’officier de police judiciaire les personnes exerçant des fonctions de directeur ou sous-directeur de la police judiciaire et de directeur ou sous-directeur de la gendarmerie.

Les fonctionnaires mentionnés aux 2o à 4o ci-dessus ne peuvent exercer effectivement les attributions attachées à leur qualité d’officier de police judiciaire ni se prévaloir de cette qualité que s’ils sont affectés à un emploi comportant cet exercice et en vertu d’une décision du procureur général près la cour d’appel les y habilitant personnellement. L’exercice de ces attributions est momentanément suspendu pendant le temps où ils participent, en unité constituée, à une opération de maintien de l’ordre.

Toutefois, les fonctionnaires visés au 4o ne peuvent recevoir l’habilitation prévue à l’alinéa précédent que s’ils sont affectés soit dans un service ou une catégorie de services déterminés en application de l’article 15-1 et figurant sur une liste fixée par arrêté des ministres de la justice et de l’intérieur, soit, à titre exclusif, dans une formation d’un service mentionnée par le même arrêté.

Les conditions d’octroi, de retrait et de suspension pour une durée déterminée de l’habilitation prévue par le précédent alinéa sont fixées par décret en Conseil d’État pris sur le rapport du ministre de la justice et des ministres intéressés. »

Article 16-1

« Dans le mois qui suit la notification de la décision de refus, de suspension ou de retrait d’habilitation, l’officier de police judiciaire peut demander au procureur général de rapporter cette décision. Le procureur général doit statuer dans un délai d’un mois. À défaut, son silence vaut rejet de la demande. »

Article 16-2

« Dans le délai d’un mois à partir du rejet explicite ou implicite de la demande prévue à l’article précédent, l’officier de police judiciaire peut former un recours devant une commission composée de trois magistrats du siège de la Cour de cassation ayant le grade de président de chambre ou de conseiller. Ces magistrats sont désignés annuellement, en même temps que trois suppléants, par le bureau de la Cour de cassation.

Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général près la Cour de cassation. »

Article 16-3

« La commission statue par une décision motivée. Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil. Le débat est oral ; le requérant peut être entendu personnellement sur sa demande ou celle de son conseil ; il peut être assisté de son conseil.

La procédure devant la commission est fixée par un décret en Conseil d’État. »

Article 38

« Les officiers et agents de police judiciaire sont placés sous la surveillance du procureur général. Il peut les charger de recueillir tous renseignements qu’il estime utiles à une bonne administration de la justice. »

b) Les dispositions règlementaires

Article R. 15-6

« Le procureur général prononce le retrait ou, pour une durée n’excédant pas deux ans, la suspension de l’habilitation à exercer les attributions attachées à la qualité d’officier de police judiciaire, par arrêté pris soit d’office, soit sur la proposition du chef de service. Il entend préalablement l’officier de police judiciaire qui peut prendre connaissance du dossier relatif aux faits qui lui sont reprochés et se faire assister d’un conseil de son choix.

L’officier de police judiciaire dont l’habilitation a été suspendue reprend de plein droit, à l’expiration de la suspension, l’exercice des attributions attachées à sa qualité. Le procureur général peut, à tout moment, abréger la durée de la suspension.

Après un retrait, l’habilitation ne peut être rendue que dans les formes prévues pour une attribution initiale. »

Article R. 15-7

« Le président de la commission prévue à l’article 16-2 et son suppléant sont désignés annuellement par le bureau de la Cour de cassation parmi les membres de la commission.

Le secrétaire de la commission est désigné par le premier président de la Cour de cassation parmi les secrétaires-greffiers de cette juridiction. »

Article R. 15-8

« Le recours prévu à l’article 16-2 est formé par voie de requête signée par l’officier de police judiciaire et remise ou adressée au secrétaire de la commission qui en délivre récépissé. Cette requête contient toutes indications utiles sur la décision de suspension ou de retrait de l’habilitation. »

Article R. 15-9

« Dès réception de la requête, le secrétaire de la commission en transmet copie au procureur général près la Cour de cassation et au procureur général qui a pris la décision de suspension ou de retrait d’habilitation. Le dossier d’officier de police judiciaire du requérant est adressé au secrétariat de la commission avec un rapport motivé du procureur général qui a pris la décision. »

Article R. 15-10

« Dans les quinze jours qui suivent la réception de la requête, le président charge du rapport un des membres de la commission. »

Article R. 15-11

« La commission procède ou fait procéder soit par l’un de ses membres, soit par commission rogatoire, à toutes mesures d’instruction utiles, notamment, s’il y a lieu, à l’audition du requérant qui peut se faire assister d’un conseil de son choix. Le procureur général près la Cour de cassation dépose ses conclusions au secrétariat vingt jours au moins avant la date de l’audience. »

Article R. 15-12

« Le président de la commission fixe la date de l’audience après avis du procureur général près la Cour de cassation. Cette date et les conclusions du procureur général près la Cour de cassation sont notifiées par le secrétaire de la commission au requérant par lettre recommandée, avec demande d’avis de réception. Sauf si le président a ordonné sa comparution personnelle, l’officier de police judiciaire est invité à faire connaître s’il comparaîtra personnellement, s’il se fera assister d’un conseil ou se fera représenter.

La lettre recommandée prévue à l’alinéa précédent doit être adressée au requérant douze jours au moins avant la date de l’audience. »

Article R. 15-13

« Après l’exposé du rapport par le magistrat qui en est chargé, l’officier de police judiciaire peut faire entendre des témoins dont les noms et adresses doivent avoir été indiqués au secrétariat de la commission cinq jours au moins avant la date de l’audience.

Le procureur général près la Cour de cassation développe ses conclusions. S’ils sont présents, le requérant et son conseil sont entendus. »

Article R. 15-14

« La commission peut soit annuler la décision ou la confirmer, soit transformer le retrait en suspension ou réduire la durée de la suspension.

Si le requérant n’est pas présent ou représenté lorsque la décision de la commission est rendue, cette décision lui est notifiée dans les quarante-huit heures de son prononcé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Le dossier de l’officier de police judiciaire, complété par une copie de la décision de la commission, est immédiatement renvoyé au procureur général qui a pris la décision frappée de recours. »

Article R. 15-15

« Les frais exposés devant la commission, y compris les frais de déplacement du requérant, sont assimilés aux frais de justice criminelle, correctionnelle et de police. Ils restent à la charge de l’État. »

Article R. 15-16

« La décision de la commission peut être déférée à la Cour de cassation pour violation de la loi. »

  1. La jurisprudence de la Cour de cassation

18. Dans un premier temps, la mesure prise par le procureur général dans le cadre de la procédure disciplinaire prévue par les articles 16 et suivants et R. 15-6 du CPP était considérée, par la Cour de cassation, comme « un acte administratif exécutoire de plein droit dès sa notification » contre lequel les recours n’étaient pas suspensifs (Cass., ass. plén, 15 sept. 1994). La Cour de cassation l’a ensuite qualifiée de « mesure d’administration judiciaire » qui ne constituait pas une « sanction » susceptible d’être amnistiée et qui échappait ainsi aux principes du procès équitable (Cass. crim. 13 janv. 1998). En 2016, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une mesure d’administration judiciaire. Elle a confirmé par ailleurs que le pourvoi devant la Cour de cassation n’était pas suspensif, puisque la décision prise, sur recours, par la commission n’était ni un arrêt ni un jugement (Cass. crim. 21 juin 2016). L’arrêt de la chambre criminelle rendu dans la présente affaire (Cass. crim. 8 janvier 2019, voir paragraphe 16 ci-dessus) a qualifié la procédure en cause de « procédure disciplinaire spécifique ».

GRIEFS

19. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soutient que le procureur général, par son statut, ne remplit pas l’exigence d’indépendance requise, que le cumul des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement entre ses mains dans le cadre de la procédure dont il a fait l’objet, qu’il qualifie de pénale et non de disciplinaire, ne respecte pas l’exigence d’impartialité, qu’en accordant un entretien à la presse alors que la procédure était en cours, la procureure générale a manqué à son devoir d’impartialité et, enfin, que les principes d’égalité des armes et du contradictoire ont été méconnus dans la mesure où la procureure générale n’aurait pas soumis au débat certains éléments qu’elle tenait de la procédure pénale menée en parallèle.

20. Invoquant l’article 6 § 2, le requérant soutient que la procédure disciplinaire a été engagée sur la base d’éléments tirés de la procédure pénale dont il faisait également l’objet, toujours en cours au moment de l’introduction de la requête, ce qui aurait porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence.

EN DROIT

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

21. Le requérant invoque une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

  1. Sur la recevabilité

22. S’agissant de la question de savoir si la procédure disciplinaire dont le requérant a fait l’objet met ou non en jeu un droit de caractère civil (voir sur ce point Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, §§ 120 et suivants, 19 septembre 2017) en tant qu’elle a finalement conduit à la suspension de son habilitation à exercer les fonctions d’OPJ, la Cour note, ainsi que l’a relevé la commission de recours (voir paragraphe 13 ci-dessus), qu’une telle mesure a eu pour effet d’empêcher la conduite de certaines opérations et l’accomplissement de certains actes de procédure pénale subordonnés à la possession de cette habilitation. La Cour en déduit que la suspension de son habilitation, pour une durée de deux ans, a donc nécessairement eu comme effet une modification substantielle de la nature des missions et une diminution du niveau des responsabilités du requérant et doit donc être regardée comme ayant eu un impact significatif et durable sur sa situation professionnelle (voir Miryana Petrova c. Bulgarie, no 57148/08, §§ 29 et suivants, 21 juillet 2016). Elle en conclut que la procédure disciplinaire en question concerne un différend portant sur des droits de caractère civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

23. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à l’applicabilité de l’article 6 § 1 sous son volet civil tels qu’ils se trouvent énoncés dans l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007‑II) et rappelés dans les arrêts Denisov c. Ukraine ([GC], no 76639/11, §§ 44 à 46 et 51-52, 25 septembre 2018) et Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal ([GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 112 et 120, 6 novembre 2018).

24. Elle rappelle en particulier que les litiges opposant l’État à ses agents entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies : en premier lieu, le droit interne de l’État concerné doit avoir exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de fonctionnaires en question ; en second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État (Vilho Eskelinen et autres, précité, § 62, Dahan c. France, no 32314/14, § 36, 3 novembre 2022).

25. Faisant application des critères dégagés dans l’arrêt Vilho Eskelinen et autres, la Cour relève que le droit interne n’exclut pas l’accès à un tribunal à un OPJ qui entendrait contester le retrait ou la suspension de son habilitation à exercer ses fonctions et en conclut que l’article 6 s’applique, ratione materiae, sous son volet civil sans pour autant que la procédure litigieuse relève, ainsi que le soutient le requérant, du volet pénal de cette disposition.

  1. Sur le fond

a) Principes généraux

26. La Cour rappelle tout d’abord sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsqu’une autorité administrative chargée d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il n’y a pas de violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l’objet du contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 132 et les références citées, Dahan, précité, § 50).

27. La Cour rappelle ensuite que, dans l’arrêt précité Ramos Nunes de Carvalho e Sá, tout en soulignant la définition autonome qu’il convient de retenir de la notion de « plénitude de juridiction » (§§ 177 et 178), elle a précisé les critères au regard desquels il convient d’apprécier l’étendue du contrôle juridictionnel. En premier lieu, s’agissant des litiges relevant du volet civil de l’article 6 § 1 de la Convention, il faut que le tribunal ait compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (§ 176). En deuxième lieu, une telle « plénitude de juridiction » implique que le tribunal saisi soit doté de compétences d’une étendue suffisante ou exerce un contrôle juridictionnel suffisant pour traiter l’affaire en cause (§ 177). En troisième lieu, afin d’évaluer si, dans un cas donné, le tribunal saisi a effectué un contrôle d’une étendue suffisante, il convient de prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question ainsi que les éléments suivants : a) l’objet du litige ; b) les garanties procédurales existant dans le cadre de la procédure administrative soumise au contrôle juridictionnel ; c) l’office du juge, à savoir la méthode de contrôle, ses pouvoirs décisionnels et la motivation de sa décision (§§ 179, 196 et 199 à 213), apprécié, dans le cadre de l’instance juridictionnelle en cause, eu égard la teneur du litige, aux questions qu’il soulève et aux moyens présentés à ce titre (Dahan, précité, § 51).

28. La Cour précise enfin que dans l’arrêt Mutu et Pechstein c. Suisse (nos 40575/10 et 67474/10, § 139, 2 octobre 2018), elle a rappelé qu’aux fins de l’article 6 § 1, un tribunal ne doit pas nécessairement être une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires. Il peut avoir été institué pour connaître de questions relevant d’un domaine particulier dont il est possible de débattre de manière adéquate en dehors du système judiciaire ordinaire (voir également Rolf Gustafson c. Suède, 1er juillet 1997, § 45, Recueil 1997 IV).

b) Application en l’espèce

29. La Cour note que les griefs présentés par le requérant devant elle portent uniquement sur la première étape de la procédure disciplinaire, qui s’est déroulée devant la procureure générale. Le respect, par la procédure juridictionnelle suivie devant la commission de recours des OPJ et devant la Cour de cassation, des exigences de l’article 6 § 1, n’est pas contesté par le requérant au soutien de son grief.

30. La Cour relève d’emblée que la procureure générale n’est pas un organe juridictionnel. Dans ces conditions, alors même qu’elle a déjà considéré que le ministère public ne saurait être astreint aux obligations d’indépendance et d’impartialité que l’article 6 impose à un « tribunal », c’est à dire un organe juridictionnel « appelé à trancher, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence » (Thoma c. Luxembourg (déc.), no 38432/97, 25 mai 2000, Agnelet c. France (déc.), no 61198/08, 27 septembre 2011, Nastase c. Roumanie (déc.), no 80563/12, 18 novembre 2014, Ryan James Clements c. Grèce (déc.), no 76629/14 , 19 avril 2016, Thiam c. France, no 80018/12, § 71, 18 octobre 2018), quelles que soient l’organisation de la procédure telle que prévue par les textes applicables et telle qu’elle a été assurée au cas d’espèce, et les différentes fonctions qu’y a exercées la procureure générale, il n’y a pas lieu, pour la Cour, de vérifier si la procureure générale a pris son arrêté dans des conditions répondant aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

31. En revanche, la Cour doit s’assurer que le requérant a joui du droit à un tribunal et à une solution juridictionnelle du litige (Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 219, 1er décembre 2020, Benthem c. Pays-Bas, 23 octobre 1985, § 40, série A no 97), tant pour les points de fait que pour les questions de droit (Chaudet c. France, no 49037/06, § 36, 29 octobre 2009). À ce titre, il lui revient de vérifier si le requérant a bénéficié du contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de « pleine juridiction » respectant les exigences de cet article et exerçant un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante (Dahan, précité, § 53).

32. Dans ces conditions et dès lors que la commission de recours des OPJ, organe judiciaire de contrôle dans la présente affaire, doit être regardée comme un « tribunal » au sens de l’article 6 de la Convention, la Cour limitera son examen, au regard des critères énoncés au paragraphe 25 ci-dessus et rappelés dans Dahan (précité, § 51), à la question de savoir si cette commission jouissait d’une plénitude de juridiction et si le contrôle qu’elle a exercé sur la sanction litigieuse était suffisant (mutatis mutandis, Dahan, précité, § 54).

  1. L’objet du litige

33. La Cour relève que la procédure disciplinaire engagée à l’encontre du requérant visait à déterminer si ce dernier avait manqué à ses obligations professionnelles et, dans l’affirmative, à réprimer son comportement fautif. À l’appui de son recours devant la commission de recours des OPJ puis à l’occasion de son pourvoi en cassation, le requérant soulevait des moyens portant tant sur des questions de droit que des éléments de fait (voir paragraphes 10 et 15 ci-dessus).

34. La Cour souligne par ailleurs que même lorsqu’elles ne relèvent pas du volet pénal de l’article 6 de la Convention, les sanctions disciplinaires peuvent avoir de lourdes conséquences sur la vie, la réputation et la carrière des fonctionnaires. La gravité de la sanction infligée au requérant en l’espèce par la procureure générale, le retrait de son habilitation à exercer les attributions attachées à la qualité d’OPJ, devait donc faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité, seul à même de garantir, selon sa jurisprudence, un contrôle « suffisant » (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 201 et Dahan, précité, § 56).

  1. Les garanties de procédure devant l’instance disciplinaire

35. Alors même que, dans les circonstances particulières de l’espèce, ainsi qu’elle l’a exposé ci-dessus (paragraphe 30 ci-dessus), il n’y a pas lieu pour la Cour d’examiner les garanties qui ont entouré la conduite de la procédure devant la procureure générale afin de se prononcer sur l’étendue du contrôle juridictionnel qu’il incombait au juge interne d’exercer sur la sanction infligée, au terme de celle-ci, au requérant, il lui paraît utile, pour la complète compréhension du litige, de relever les éléments suivants.

36. La Cour relève que la procédure prévue devant la procureure générale a contribué, en l’espèce, à garantir les droits de la défense du requérant tels qu’ils s’appliquent en droit interne. Elle note que celui-ci a été informé des poursuites déclenchées à son encontre, s’est vu notifier les griefs qui lui étaient reprochés et a pu présenter des observations écrites dans un délai suffisant avant la tenue de l’audience. Le requérant était assisté par deux conseils et a disposé de la faculté de faire utilement valoir ses arguments en défense (voir paragraphes 5 et 7 ci-dessus). La Cour relève par ailleurs que la procureure générale a pris un arrêté motivé, en indiquant de manière précise les faits reprochés au requérant et justifiant la sanction retenue pour les réprimer (voir paragraphe 8 ci-dessus).

  1. Le contrôle juridictionnel de la commission de recours

37. S’agissant du caractère suffisant ou non du contrôle juridictionnel, la Cour souligne, d’une part, que la commission de recours dispose non seulement du pouvoir d’annulation des sanctions contestées devant elle mais aussi du pouvoir de réformation (voir l’article R. 15-14 du CPP au paragraphe 17 ci-dessus). D’autre part, elle note que le contrôle qu’elle exerce porte sur l’exactitude matérielle des faits, leur qualification juridique et la proportionnalité de la sanction (voir pour l’étendue du contrôle exercé par la commission de recours notamment l’arrêt de la Cour de cassation précité du 8 janvier 2019 au paragraphe 16 ci-dessus). À cet égard, elle rappelle que les points de fait revêtent une importance déterminante pour l’issue d’une procédure disciplinaire relative à des droits et obligations de caractère civil.

38. En ce qui concerne l’examen du bien-fondé de la sanction, dans la présente affaire, la commission de recours des OPJ a exercé un entier contrôle, y compris sur la proportionnalité de la sanction prononcée. Après s’être livrée à une appréciation de la matérialité des griefs, elle a d’ailleurs jugé la sanction disproportionnée et a réformé le retrait d’habilitation en le ramenant à une suspension pour une durée de deux ans, après avoir écarté certains des griefs retenus par la procureure générale contre le requérant (voir paragraphes 12, 13 et 14 ci-dessus). La Cour note en outre que la commission de recours a pris en compte tant le passé et la manière de servir du requérant que la gravité des faits qui lui étaient reprochés et sa place dans la hiérarchie (voir paragraphe 14 ci-dessus). L’étendue d’un tel contrôle coïncide avec celle du contrôle de « pleine juridiction » au sens de la jurisprudence de la Cour (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 178 et les références citées, Dahan, précité, § 61).

39. Il résulte de ce qui précède que le recours présenté par le requérant à l’encontre de la mesure disciplinaire dont il avait fait l’objet a conduit la commission de recours à exercer un contrôle d’une étendue suffisante en suivant une procédure dont il n’est ni soutenu ni établi qu’elle aurait méconnu les exigences attachées au droit à un procès équitable.

40. Au demeurant, la Cour relève, à ce titre, que la commission est composée de trois magistrats du siège de la Cour de cassation (voir l’article 16-2 du CPP au paragraphe 17 ci-dessus), qu’elle a tenu une audience au cours de laquelle le requérant et ses avocats ont pu prendre la parole et revenir sur les faits (voir paragraphe 11 ci-dessus), que les principes d’égalité des armes et du contradictoire ont bien été respectés dès ce stade, le requérant ayant pris connaissance des éléments soumis au débat et ayant pu y répondre et, enfin, qu’elle a statué sur son recours par une décision motivée en droit comme en fait.

41. La Cour relève au surplus que les décisions de la commission de recours sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation. En l’espèce, s’agissant du contrôle exercé ultérieurement dans le cadre du pourvoi en cassation formé par le requérant, elle note que la Cour de cassation, après avoir qualifié la procédure en question de procédure disciplinaire spécifique, au terme de laquelle elle a conclu que le requérant avait bénéficié de garanties suffisantes de nature à préserver ses droits conformément à l’article 6 § 1 de la Convention, a procédé à un contrôle pour violation de la loi de la décision de la commission de recours (voir paragraphe 13 ci-dessus).

  1. Conclusion

42. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2 de la Convention

43. Le requérant invoque une violation de l’article 6 § 2 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

44. La Cour relève que, contrairement à ce qu’exige l’article 35 § 1 de la Convention, le requérant n’a soulevé ce grief, pas même en substance, ni devant la commission de recours ni à l’appui de son pourvoi en cassation. Il s’ensuit que cette partie de la requête est irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 mars 2023.

Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président