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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DINÇ ET SAYGILI c. TÜRKİYE
(Requête no 17923/09)
ARRÊT
STRASBOURG
31 janvier 2023
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Dinç et Saygılı c. Türkiye,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Egidijus Kūris, président,
Pauliine Koskelo,
Frédéric Krenc, juges,
et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 17923/09) dirigée contre la République de Türkiye et dont deux ressortissants de cet État, MM Cem Dinç et Kanber Saygılı (« les requérants »), nés en 1978 et 1958 et résidant à İstanbul, représentés par Me S. Akkılıç et Me F. Kılıçgün Yeşil, avocates à Istanbul, ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 mars 2009,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l’homme du ministère de la Justice,
les observations des parties,
la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 janvier 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. L’affaire concerne l’intervention des forces de sécurité lors d’une manifestation syndicale, les mauvais traitements que les requérants auraient subis et la condamnation pénale des requérants suite à la manifestation.
2. Le requérant Cem Dinç est le président du syndicat Limter-İş, rattaché au DİSK (Devrimci İsçi Sendikaları Konfederasyonu : la Confédération des syndicats des ouvriers révolutionnaires). Le requérant Kanber Saygılı en est membre.
3. Le 10 juin 2006, à 9 heures, la police établit un procès-verbal selon lequel, depuis le 23 mai 2006, les requérants et le syndicat Limter-İş menaient des actions devant le chantier naval Desan ( Desan Denizcilik İnşaat Sanayi Şi.) en réclamant que les ouvriers obtiennent leurs salaires ; les forces de l’ordre étaient positionnées aux alentours de la société et les requérants avaient déclaré qu’ils rencontreraient la direction et que personne ne les en empêcherait ; les requérants s’en étaient pris aux forces de l’ordre ; celles-ci avaient procédé aux avertissements d’usage ; une altercation (arbede) avait eu lieu entre les policiers et les requérants ; et ces derniers avaient résisté avant de prendre la fuite. Lors de l’intervention des forces de l’ordre, deux des policiers qui ont procédé à l’arrestation des requérants ont été blessés.
4. Le 10 juin 2006, la police, avec l’accord du procureur de la République, plaça les requérants en garde à vue pour violences à l’encontre des forces de l’ordre.
5. Le rapport médical du même jour, établi à 10 h 15, indiqua que Cem Dinç avait déclaré avoir été frappé par la police, et qu’il avait des érythèmes traumatiques sur les deux épaules, un érythème et une abrasion traumatiques sur le front ainsi qu’un érythème traumatique sur la zone latérale gauche du front.
6. Un autre rapport médical, établi le même jour, à 16 h 15, indiqua que Kanber Saygılı avait une ecchymose de 0,5 cm sur l’épaule droite et un érythème sur la mâchoire droite.
7. Toujours le 10 juin 2006, Cem Dinç et Kanber Saygılı furent entendus par la police respectivement à 11 h 10 et à 17 h 36. Tous deux demandèrent à être assistés par leur avocat et, en l’absence d’un défenseur, gardèrent le silence.
8. Le même jour, les policiers entendirent deux surveillants du chantier naval ainsi que deux policiers, dont Ü.K. Ces derniers déclarèrent que le groupe d’ouvriers avait scandé par mégaphone qu’ils allaient pénétrer dans le chantier pour rencontrer la direction, qu’en cas d’empêchement ils bruleraient un autre bateau, et qu’ils avaient traité les policiers « des chiens de garde » du patron.
9. Le 11 juin 2006, le parquet établit un procès-verbal demandant l’ouverture d’une action publique contre les requérants pour atteinte à l’intégrité physique des policiers le 10 juin 2006.
10. Le même jour, le parquet entendit les requérants, assistés de leur avocat respectivement. Kanber Saygılı déclara qu’il était membre du syndicat et que certains ouvriers de la société Desan, membres du syndicat, qui n’avaient pas obtenu le paiement de leurs salaires s’étaient rassemblés depuis une semaine devant le chantier naval ; qu’il leur rendait des visites de soutien ; que, la veille, les policiers, les ouvriers et le président du syndicat avaient défini l’emplacement d’un piquet de grève devant le chantier naval ; que, le 10 juin 2006, lui-même et Cem Dinç avaient rejoint les ouvriers sur le chantier naval à l’endroit fixé d’un commun accord avec les policiers ; que les policiers se seraient attaqués à l’improviste à Cem Dinç et l’auraient frappé ; que lui-même serait intervenu pour les séparer ; et qu’il portait plainte contre les policiers. Cem Dinç déclara qu’il était le président de la section de Tuzla du syndicat ; que le 10 juin 2006, lui-même et Kanber Saygılı se seraient rendus sur le chantier naval, les ouvriers attendant à une centaine de mètres de l’entrée de la société ; que les ouvriers se seraient trouvés encerclés par les policiers ; que les policiers leur auraient demandé, à lui et à Kanber Saygılı, d’attendre à l’endroit où se trouvaient les ouvriers ; que puis les policiers les auraient attaqués et frappés à la tête à coups de matraque ; et qu’il portait plainte contre les policiers qui l’avaient blessé.
11. Le 11 juin 2006, le procureur de la République de Tuzla intenta une action pénale contre les requérants pour incitation à la commission d’une infraction et pour tentative d’atteinte avec violences aux locaux d’une entreprise et outrage à fonctionnaires, et demanda leur détention. Le même jour, le tribunal correctionnel ordonna la mise en détention des requérants.
12. Le 10 octobre 2006, le tribunal correctionnel de Tuzla ordonna la remise en liberté des requérants.
13. Le 22 février 2008, le parquet déposa ses réquisitions sur le fond, réclamant la condamnation des requérants du chef des infractions qui leur étaient reprochées.
14. Les 27 mars 2008, les requérants déposèrent leurs mémoires en défense. Invoquant notamment l’article 11 de la Convention, ils alléguèrent une atteinte à leur droit à la liberté de mener des activités syndicales et demandèrent leur acquittement. En se référant à la jurisprudence de la Cour, ils rappelèrent que l’arrestation et la détention des individus en raison de l’expression de leur opinion et des marches de protestation violeraient leur liberté d’expression. Ils soutinrent également que la Cour de cassation, dans sa jurisprudence, avait conclu que faire une déclaration de presse ne constituait pas une infraction à la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques. Enfin, ils contestèrent la déposition du policier Ü.K., obtenue lors d’une audience incidente à laquelle ils n’avaient pas participé.
15. Le 28 mars 2008, le tribunal correctionnel de Tuzla reconnut les requérants coupables des infractions reprochées. Il les condamna à une peine d’emprisonnement de cinq mois pour incitation à la commission d’une infraction (l’article 214 § 1 du code pénal) ; à une peine d’emprisonnement de deux ans et quinze jours pour tentative d’atteinte avec violences aux locaux d’une entreprise (l’article 116 § 4 du code pénal) ; et à une peine d’emprisonnement de cinq mois pour outrage à fonctionnaires (l’article 265 § 1 du code pénal). Sur le fondement de l’article 231 §§ 5 et 8 du code de procédure pénale, il sursit au prononcé du jugement (hükmün açıklanmasının geri bırakılması) et ordonna leur placement sous contrôle durant cinq ans. Il assortit les peines d’emprisonnement prononcées d’une interdiction de quitter le territoire national pendant un an.
16. Le 12 août 2008, la cour d’assises de Kartal confirma le jugement du tribunal correctionnel, au motif qu’il avait été rendu conformément aux règles de procédure et au droit.
17. À une date non précisée, les requérants déposèrent une plainte pénale contre les policiers pour mauvais traitements.
18. Le 22 avril 2008, le procureur de la République de Tuzla rendit une ordonnance de non-lieu au motif que les policiers avaient agi dans la limite de leurs fonctions, conformément à la loi.
19. Le 30 juin 2008, les requérants, faisant valoir les rapports médicaux les concernant et contestant les motifs avancés par le parquet, firent opposition à cette ordonnance devant la cour d’assises Kartal. Cette dernière rejeta l’opposition le 9 janvier 2009.
20. Invoquant l’article 11 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été condamnés au pénal en raison de leur activité syndicale. Ils expliquent que toute personne a le droit de tenir des réunions qui ne troublent pas l’ordre public, de former des associations, ainsi que de former des syndicats et d’y adhérer avec d’autres pour protéger ses intérêts.
21. Invoquant l’article 13 de la Convention, ils se plaignent de traitements contraires à l’article 3 lors de leur manifestation et arrestation et soutiennent que l’enquête menée par le parquet au sujet de leurs allégations relatives à des violences policières commises à leur encontre n’a pas été effective. Ils se plaignent également d’une atteinte à l’article 6 de la Convention.
APPRÉCIATION DE LA COUR
- SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
22. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
- Sur le volet matériel du grief
23. Les principes généraux relatifs à l’obligation qui incombe aux Hautes Parties contractantes en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas soumettre les personnes relevant de leur juridiction à des traitements inhumains ou dégradants lorsqu’elles se trouvent confrontées à la police ont été exposés en détail aux paragraphes 81 à 90 de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, CEDH 2015). En ce qui concerne le recours à la force physique lors d’une arrestation, la Cour rappelle que l’article 3 n’interdit pas le recours à la force pour procéder à une arrestation légale. Toutefois, cette force ne peut être utilisée que si elle est indispensable et ne doit pas être excessive (voir Kuchta et Mętel c. Pologne, no 76813/16, § 66, 2 septembre 2021, et la jurisprudence citée).
24. Compte tenu des règles relatives à la charge de la preuve (voir Bouyid, précité, §§ 81-90) et des éléments produits devant la Cour, il n’a pas été démontré que la force utilisée par la police était inutile ou disproportionnée.
25. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel.
- Sur le volet procédural du grief
26. La Cour a réitéré ses principes généraux concernant l’obligation des États de mener une enquête effective sur les allégations défendables concernant les mauvais traitements, entre autres, dans les arrêts El-Masri c. l’ex‑République yougoslave de Macédoine ([GC], no 39630/09, §§ 182‑185, CEDH 2012) et Mocanu et autres. c. Roumanie ([GC], nos 10865/09 et 2 autres, §§ 316-326, CEDH 2014 (extraits)). En particulier, pour être effective, l’enquête doit être rapide, approfondie – ce qui signifie que les autorités doivent toujours faire un effort sérieux pour savoir ce qui s’est passé et ne doivent pas s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées pour clore leur enquête – et être susceptible de conduire à l’identification et, le cas échéant, à la punition des responsables (voir Kuchta et Mętel, précité, § 83).
27. A cet égard, la Cour note d’emblée qu’elle a examiné la responsabilité de l’État défendeur au regard du volet matériel de l’article 3 à la lumière du contenu du dossier de l’affaire devant le tribunal correctionnel de Tuzla (paragraphe 15 ci-dessus). Si le dossier de l’affaire dont était saisi le tribunal correctionnel de Tuzla permet à la Cour de procéder à sa propre appréciation des circonstances factuelles de l’arrestation des requérants, la procédure devant cette juridiction ne saurait être considérée comme pertinente en ce qui concerne le grief des requérants à ce titre : l’objet de l’affaire devant le tribunal correctionnel de Tuzla était l’altercation entre les requérants et la police, suivi de la résistance alléguée des requérants à la police avant qu’il ne prennent la fuite – sujet sur lequel les requérants furent entendus par le parquet (voir paragraphe 10 ci-dessus) – et non les allégations des requérants selon lesquelles ils avaient été soumis à des mauvais traitements. La Cour estime que l’enquête officielle qui devrait être prise en compte dans l’examen de la responsabilité du Gouvernement au titre de la branche procédurale de l’article 3 est l’enquête menée par le procureur de Tuzla sur les allégations de mauvais traitements des requérants, qui s’est terminée par la décision du procureur du 22 avril 2008 (voir Tüzün c. Turquie, no 24164/07, §§ 42-43, 5 novembre 2013).
28. Dans ce contexte, la Cour observe que, au cours de l’enquête ouverte à la suite des plaintes des requérants, le procureur de Tuzla n’a pas obtenu en personne les déclarations des requérants, n’a pas pris en compte les déclarations des policiers accusés, et n’a pas non plus interrogé de témoins.
29. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que les allégations de mauvais traitements des requérants n’ont pas fait l’objet d’une enquête effective de la part des autorités internes, comme l’exige l’article 3 de la Convention.
30. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.
- SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
31. Les requérants soutiennent qu’il ne serait pas possible d’admettre que la procédure pénale engagée contre eux n’avait rien à voir avec les activités syndicales. Selon les requérants, en effet, toutes les activités des requérants ne constituaient que l’exercice de leur droit de réunion pacifique dans le cadre de l’activité syndicale ; aucun des actes tels que l’occupation du lieu de travail, l’entrave au travail, le recours à la force, les menaces et les insultes n’a été commis par les requérants. Ils soulignent qu’au contraire, ils ont fait l’objet de menaces, d’insultes et de violences pour avoir exercé leur droit de réunion pacifique et ont été arrêtés à plusieurs reprises. Ils soutiennent qu’en tant que dirigeants syndicaux, ils ont pris le parti de leurs membres à la demande de leurs membres licenciés et exercé leurs droits en vertu de la Constitution et de la loi.
32. Eu égard à la formulation du grief et aux conditions dans lesquelles les faits se sont déroulés, la Cour examinera le grief seulement sous l’angle du droit à la liberté de réunion pacifique garanti par l’article 11 de la Convention.
33. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
34. Les principes généraux notamment sur la question de savoir si une ingérence dans le droit à la liberté de réunion était « nécessaire dans une société démocratique » sont exposés dans l’arrêt Kudrevičius et autres c. Lituanie ([GC], no 37553/05, §§ 142 à 160, CEDH 2015).
35. La proportionnalité appelle à mettre en balance les impératifs des fins énumérées à l’article 11 § 2 avec ceux d’une libre expression par la parole, le geste ou même le silence des opinions de personnes réunies dans la rue ou en d’autres lieux publics. Pour apprécier si la mise en balance en question s’est faite dans le respect des critères établis par sa jurisprudence, la Cour doit essentiellement prêter attention à la motivation retenue par le juge national (Öğrü et autres c. Turquie, nos 60087/10 et 2 autres, § 66, 19 décembre 2017). La Cour rappelle en outre qu’une manifestation pacifique ne devrait pas, en principe, être soumise à la menace d’une sanction pénale (Lütfiye Zengin et autres c. Turquie, no 36443/06, § 57, 14 avril 2015).
36. La Cour relève d’emblée que les parties ne contestent pas que la condamnation pénale des requérants s’analyse en une ingérence dans leur droit à la liberté de réunion, tel que garanti par l’article 11 de la Convention. C’est également son analyse. Elle constate que l’ingérence était « prévue par la loi » (voir paragraphe 15 ci-dessus) et qu’elle tendait à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui.
37. En ce qui concerne la proportionnalité de l’ingérence, la Cour constate qu’en l’espèce, l’objet de l’affaire devant le tribunal correctionnel de Tuzla n’ayant pas été pas le droit à liberté de réunion des requérants, les juridictions internes n’ont effectué aucun examen à ce sujet. La Cour note que, selon le procès-verbal établi par la police, les requérants et le syndicat Limter-İş menaient des actions devant le chantier naval Desan en raison d’un conflit concernant le paiement des salaires des ouvriers, et qu’avant le positionnement des forces de l’ordre, rien n’indique que la manifestation ne se déroulait pas dans les conditions pacifiques. Pour les raisons non détaillées explicitement ni dans les procès-verbaux ni les décisions judicaires, il y a eu une altercation entre les policiers et les requérants ; et ces derniers ont résisté avant de prendre la fuite. Lors de l’intervention des forces de l’ordre, deux des policiers qui ont procédé à l’arrestation des requérants ont été blessés (paragraphe 3 ci-dessus).
38. La Cour constate que l’action pénale contre les requérants pour incitation à la commission d’une infraction et pour tentative d’atteinte avec violences aux locaux d’une entreprise et outrage à fonctionnaires (paragraphe 11 et suivants ci-dessus) s’est finalement soldée par un jugement de condamnation des requérants (paragraphe 15 ci-dessus). Dans cette procédure, les juridictions internes ne se sont pas penchées sur la question de l’ingérence dans le droit à la réunion pacifique des requérants. Plus précisément, la Cour relève que la décision du tribunal correctionnel de Tuzla ne se réfère pas au principe de la nécessité d’une condamnation pénale dans une société démocratique pour protéger l’ordre public et les droits d’autrui.
39. À l’instar des observations qu’elle a formulées dans l’arrêt Öğrü et autres (précité, §§ 65-70) la Cour observe que les juridictions internes n’ayant pas effectué une quelconque mise en balance des différents intérêts en présence, elles ne peuvent pas être considérées comme ayant appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11 de la Convention ni comme s’étant fondées sur une appréciation acceptable des faits pertinents. À ses yeux, en ne pas examinant la question du droit à la réunion pacifique des requérants, et en ne pesant pas les différents intérêts en présence par les autorités internes, celles-ci n’ont pas fourni des motifs pertinents et suffisants et il n’a dès lors pas été établi que l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
40. Ces éléments lui suffisent pour conclure, dans les circonstances de l’espèce, à la violation de l’article 11 de la Convention.
- SUR LES AUTRES GRIEFS
41. Les requérants soutiennent également que les articles 6 et 13 de la Convention ont été violés, en se plaignant d’un manque d’équité de la procédure menée devant le tribunal correctionnel de Tuzla, et en alléguant que l’enquête menée par le parquet au sujet de leurs allégations relatives à des violences policières commises à leur encontre n’a pas été effective. Eu égard aux faits de l’espèce, aux arguments des parties et aux conclusions ci‑dessus, la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle des articles 6 et 13 de la Convention.
APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
42. Les requérants demandent 15 000 EUR chacun pour le préjudice moral.
43. Ils sollicitent également 630 livres turques (TRY) au titre des frais et dépens qu’ils ont engagés et 12 000 EUR pour les honoraires d’avocat. À titre de justificatifs, ils fournissent des conventions d’honoraires et un tableau du décompte des horaires.
44. Le Gouvernement conteste l’ensemble de ces prétentions.
45. La Cour estime raisonnable d’allouer 3 900 EUR à chacun des requérants pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
46. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants conjointement la somme de 3 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare les griefs concernant les articles 3 et 11 de la Convention recevables ;
- Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;
- Dit qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle des articles 6 et 13 de la Convention ;
- Dit,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
- 3 900 EUR (trois mille neuf cents euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
- 3 000 EUR (trois mille euros) aux requérants conjointement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 janvier 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Dorothee von Arnim Egidijus Kūris
Greffière adjointe Président