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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 9552/21
Abderahmane SAHED
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 24 janvier 2023 en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 février 2021,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant est né en 1969 et réside à Paris. Il a été représenté par Me B. Arvis, avocat.

2. Les faits de l’espèce, tels qu’ils ont été exposés par le requérant et ressortent des pièces du dossier, se présentent de la manière suivante.

3. Le requérant est le frère de Monsieur Kamel Sahed, né en 1965. Il expose que M. K. Sahed, dont il fait valoir la confession musulmane, fut victime d’un grave accident vasculaire cérébral le 15 septembre 2020.

4. À la suite d’une IRM (imagerie par résonance magnétique), une thrombolyse fut réalisée. Puis le requérant fut prévenu des risques de la pathologie dont souffrait son frère et de la réalisation à venir d’une thrombectomie, laquelle ne donna pas de résultats satisfaisants.

5. M. K. Sahed fut alors placé en service de réanimation chirurgicale.

6. Le requérant et d’autres membres de la famille furent informés de l’état de santé du patient par le docteur G., médecin réanimateur, lequel mentionna que le pronostic était « très défavorable ».

7. Le patient fut alors placé sous ventilation assistée.

8. Par la suite, un entretien eut lieu entre le docteur B., praticien hospitalier, et l’ex-compagne du patient, Mme B., mère des deux filles mineures de M. Kamel Sahed.

9. Le 18 septembre 2020, le requérant fut contacté par le docteur S., praticien hospitalier, qui confirma le pronostic défavorable.

10. Le 19 septembre 2020, un entretien fut conduit entre le docteur S. et un médecin addictologue, proche du patient.

11. Le 20 septembre 2020, l’état neurologique du patient se dégrada.

12. Le 21 septembre 2020, une réunion de l’équipe soignante eut lieu dans le cadre de la procédure collégiale de réflexion éthique. Le médecin en charge du patient, le docteur C., praticien hospitalier, décida, avec l’appui de son équipe, d’une limitation de plusieurs thérapeutiques et de la nécessité d’une nouvelle réunion.

13. Le 22 septembre 2020, un scanner fut réalisé qui conduisit au constat d’une importante souffrance cérébrale du patient.

14. Le 23 septembre 2020, un entretien eut lieu entre l’hôpital et le requérant.

15. Le 25 septembre 2020, l’équipe releva que le patient ouvrait les yeux de manière intermittente, sans toutefois qu’il s’agisse d’une réponse à la demande.

16. Ce même jour, une réunion de l’équipe soignante eut lieu dans le cadre de la procédure collégiale de réflexion éthique. Le médecin en charge du patient, le docteur C., décida, avec l’appui de son équipe, d’une limitation de plusieurs thérapeutiques et de la nécessité d’une nouvelle réunion.

17. Du 26 au 28 septembre 2020, aucune évolution neurologique ne fut relevée.

18. Le 29 septembre 2020, Mme B. fut informée par l’hôpital de l’état de santé du patient.

19. Le 30 septembre 2020, le docteur E., médecin réanimateur, releva une ouverture spontanée des yeux avec réponse à la demande mais sans code de communication.

20. Le 1er octobre 2020, le docteur T., neurologue, examina le patient et conclut à un tableau clinique plus sévère qu’un « locked-in syndrome » classique.

21. Le 2 octobre 2020, le docteur C., médecin en charge du patient, s’entretint avec le requérant et une sœur du patient. Elle annonça alors une réunion en vue de l’arrêt des traitements. La famille s’y opposant, elle l’informa de nouveau du pronostic défavorable et de l’absence de communication.

22. Ce même jour, une réunion de l’équipe soignante eut lieu dans le cadre de la procédure collégiale de réflexion éthique. Le médecin en charge du patient, le docteur C., décida, avec l’appui de son équipe, d’une limitation de plusieurs thérapeutiques.

23. Le 3 octobre 2020, un médecin anesthésiste-réanimateur, proche du patient, reçut des informations sur l’état de santé de celui-ci de la part du docteur R., médecin réanimateur.

24. À cette même date, selon le rapport d’expertise du professeur A. (paragraphe 41 ci-dessous), « l’avis sur l’état de conscience et le pronostic de Monsieur Sahed [était] partagé par les praticiens des trois spécialités : réanimateur, neurologue et neuroradiologue ».

25. Les 4 et 5 octobre 2020 des « réponses inconstantes à l’ouverture des yeux » furent relevées par l’équipe soignante.

26. Le 8 octobre 2020, une réunion de l’équipe soignante eut lieu dans le cadre de la procédure collégiale de réflexion éthique. Le docteur R., désormais médecin en charge du patient, décida d’une limitation de plusieurs thérapeutiques et de la nécessité d’informer la famille du patient de la mise en place d’une procédure de réunion multidisciplinaire en vue de discuter un arrêt des traitements.

27. Ce même jour, le docteur R. mena un entretien avec le requérant, réitéra ses explications sur l’état de santé du patient et informa le requérant de la tenue d’une procédure collégiale. Ce dernier indiqua qu’un arrêt des traitements n’était pas envisageable pour des raisons religieuses.

28. À partir du 8 octobre 2020, une sédation fut mise en place en raison de l’inconfort que semblait éprouver le patient.

29. Le 12 octobre 2020, la procédure collégiale d’arrêt des traitements fut engagée. Y participèrent quatre médecins réanimateurs, une infirmière spécialisée en réanimation, un praticien de soins palliatifs, une infirmière de soins palliatifs et un neuroradiologue. Ils posèrent un diagnostic de « lockedin syndrome » aggravé, d’évolution défavorable, sans mode de communication, avec dépendance du ventilateur et perception non évaluable de la douleur. Ils préconisèrent alors un arrêt de la ventilation avec maintien d’une sédation pour soulager l’inconfort, décision que le docteur R., médecin en charge du patient, prit le même jour.

30. Le jour même, la famille fut informée des conclusions de la procédure collégiale et de la décision du médecin en charge du patient.

31. Le requérant s’y opposa et transmit un courrier signé par des membres de la famille du patient se trouvant en Algérie. Ces derniers refusèrent l’arrêt des traitements. Le requérant fut informé des voies de recours ouvertes à l’encontre d’une telle décision.

32. L’ex-compagne du patient et mère de ses deux filles, Mme B., ne s’opposa pas, quant à elle, à la décision d’arrêt des traitements.

33. Le 14 octobre 2020, le requérant et deux sœurs du patient saisirent le tribunal administratif de Paris d’un référé liberté, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, demandant au juge des référés d’ordonner, à titre principal, la suspension de l’exécution de la décision du 12 octobre 2020 et le transfert du patient dans un autre hôpital relevant de l’assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), et, à titre subsidiaire, la réalisation d’une expertise.

34. Par une ordonnance du 20 octobre 2020, le juge des référés, après avoir rappelé le cadre juridique applicable, rejeta la requête, pour les motifs suivants :

« 8. Il résulte de l’instruction que M. Kamel Sahed, âgé de 54 ans a été victime le 15 septembre 2020 d’un déficit brutal de l’hémicorps gauche et dysarthrie et pris en charge à l’hôpital Bichat de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris dans le cadre d’une alerte thrombolyse. Une IRM a été réalisée montrant des infarctus multiples constitués dans le tronc basilaire sans saignement intra-crânien. A son retour d’imagerie, M. Sahed présente une aggravation de son état neurologique avec un GCS (Score de Glasgow) estimé à 5. Une thrombolyse est alors effectuée avec Actilyse, 1 heure 55 après les premiers symptômes. Au vu du tableau clinique du patient, une artériographie diagnostique sous anesthésie générale est réalisée. M. Sahed est alors transféré à l’hôpital Lariboisière pour une prise en charge radio-interventionnelle d’un AVC ischémique du tronc cérébral non reperméabilisé sur dissection artérielle. La pose de stent ayant échoué, le diagnostic du syndrome de locked-in est posé par l’équipe soignante le 16 septembre 2020, et des échanges ont lieu avec plusieurs membres de la famille роur les informer de la gravité de l’état de santé de M. Sahed. A compter de cette date, les comptes-rendus journaliers font état d’une dégradation neurologique du patient. Le 20 septembre 2020, l’équipe médicale précise que le patient se trouve dans un coma Glasgow 3, aréactif sans ouverture des yeux, y compris à la stimulation. Le 30 septembre 2020, l’équipe soignante constate que M. Sahed ouvre spontanément les yeux mais que la mise en place d’un code de communication avec lui est impossible en raison d’une altération de la vigilance par atteinte haute du tronc cérébral et de troubles cognitifs surajoutés. Pour l’équipe soignante, l’étendue des lésions ischémiques et l’absence d’améliorations de l’état du patient témoignent d’une atteinte cérébrale grave. La prise en charge de M. Sahed consiste alors en des soins de supports qui maintiennent artificiellement la vie (patient intubé avec défaillance neurologique et respiratoire). Le 8 octobre 2020, compte tenu de l’évolution défavorable de M. Sahed et de l’absence de directives anticipées et de témoignage permettant de déterminer la volonté de celui-ci s’agissant de sa fin de vie, les médecins informent deux de ses frères et son ex-femme, mère de ses deux filles mineures, qu’une procédure collégiale associant un médecin extérieur à l’équipe est prévue le 12 octobre 2020.

9. Le 12 octobre 2020, après avoir durant l’hospitalisation recueilli l’avis des services de réanimation, neuroradiologie, et neurologie, une procédure collégiale multidisciplinaire a été engagée, intégrant l’équipe de réanimation et son infirmière ainsi que le neuroradiologue ayant pris en charge le patient, en présence d’un médecin extérieur au dossier, responsable du service de soins palliatifs, intervenant à titre de consultant, qui a motivé son avis par écrit. Au cours de cette réunion, au vu de l’état du patient, l’équipe a estimé que M. Sahed présente des lésions neurologiques très graves avec une ischémie du tronc cérébral sans possibilité de récupération et que contrairement au « locked in » classique, la ventilation était impactée de même que l’état de conscience se traduisant par l’impossibilité d’établir un code de communication. L’intégrité des structures corticales et des noyaux gris centraux rend par ailleurs possible la perception de douleur ou de stress intense. Il a également été confirmé lors de l’audience que, d’une part, le patient ne peut vivre sans assistance artificielle et, d’autre part, que si la ventilation mécanique est arrêtée, une démarche palliative avec sédation profonde et continue sera mise en œuvre avec un maintien des soins de confort pour garantir l’absence de souffrance.

10. Ainsi, compte tenu de l’ensemble des éléments versés au dossier et au vu de l’instruction contradictoire, les conditions prévues par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, la poursuite de la ventilation mécanique invasive est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. Ainsi, la décision du 12 octobre 2020 de procéder à l’extubation du patient et de privilégier les soins de confort répond aux exigences fixées par la loi et ne peut, en conséquence, être tenue pour manifestement illégale.

11. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent, des éléments médicaux versés au dossier et au vu de l’instruction contradictoire que les différentes conditions prévues par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, peuvent être regardées, dans le cas de M. Kamel Sahed comme réunies. En conséquence, la décision du 12 octobre 2020 ne peut être tenue pour illégale.

12. Par suite, sans qu’il soit besoin d’ordonner une expertise, les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative tendant à la suspension de l’exécution de la décision du 12 octobre 2020 par laquelle le médecin de l’hôpital Lariboisière a décidé de ne pas poursuivre la ventilation mécanique de M. Kamel Sahed ainsi que la demande de transfert vers un autre hôpital relevant de l’Assistance publique - hôpitaux de Paris, doivent être rejetées. »

35. Les 26 et 27 octobre 2020, des entretiens furent menés entre l’hôpital et le requérant.

36. Le 31 octobre 2020, le requérant et deux sœurs du patient relevèrent appel de l’ordonnance du 20 octobre 2020 devant le juge des référés du Conseil d’État.

37. Le 1er novembre 2020, le docteur R., médecin en charge du patient, rencontra Mme B. qui mentionna que, selon elle, la volonté du patient n’allait pas dans le sens d’une poursuite des traitements.

38. Le 4 novembre 2020, le docteur G. et une psychologue rencontrèrent Mme B. et l’une de ses filles mineures, enfant du patient.

39. Par une ordonnance du 12 novembre 2020, le juge des référés du Conseil d’État, d’une part, ordonna une expertise « diligentée de manière contradictoire, aux fins, en premier lieu, de décrire l’état clinique actuel de M. Kamel Sahed, son évolution ainsi que le niveau de souffrance de l’intéressé, en deuxième lieu, de se prononcer sur le caractère irréversible de ses lésions cérébrales et sur le pronostic clinique, en troisième lieu, de déterminer si M. Sahed est conscient, s’il est susceptible de percevoir la douleur, et dans quelle mesure un code de communication est susceptible d’être mis en place avec lui au stade présent ou dans l’avenir » et, d’autre part, ordonna la suspension de l’exécution de la décision du 12 octobre 2020 jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête.

40. Le 27 novembre 2020, le docteur T., neurologue, procéda à une nouvelle évaluation de l’état de santé du requérant, deux mois après son premier examen. Elle nota une aggravation de l’état de vigilance en faveur de lésions constituées.

41. Le 16 décembre 2020, le professeur A., chef du service d’anesthésie-réanimation chirurgicale de l’hôpital central du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy et chef de pôle d’anesthésie-réanimation du CHRU de Nancy, procéda aux opérations d’expertise ordonnées par le juge des référés du Conseil d’État (paragraphe 39 ci-dessus).

42. Après avoir examiné le patient, il rencontra le requérant, assisté de son avocat, Mme B., ex-compagne du patient, assistée de son avocat, le professeur M., chef du service de réanimation chirurgicale de l’hôpital dans lequel était hospitalisé le patient, le docteur R., en charge du patient, Mme M., cadre du service de réanimation chirurgicale représentant l’équipe paramédicale, ainsi qu’une représentante de la direction des affaires juridiques de l’AP-HP, institution de rattachement de l’hôpital au sein duquel se trouvait le patient.

43. Lors de cette réunion, le requérant soutint que le patient réagissait et que son état s’était amélioré. Il fit valoir que son frère se serait opposé à un arrêt des traitements, lequel ne serait pas autorisé par la religion musulmane. Il indiqua que leur mère n’avait pas connaissance de l’état de santé de M. K. Sahed.

44. Mme B., ex-compagne du patient, indiqua représenter ses deux filles mineures, issues de son union avec M. K. Sahed. Elle affirma ne pas s’opposer à l’arrêt des traitements et fit valoir que le patient n’aurait pas souhaité se trouver dans cet état de santé dégradé.

45. L’équipe soignante fit quant à elle valoir que la poursuite des traitements paraissait contraire à l’éthique de réanimation, dans la mesure où elle caractériserait une obstination déraisonnable. Sur la question particulière du délai, le rapport d’expertise fait état des propos tenus par le professeur M. :

« Celui-ci revient sur la question du délai minimum avant de statuer sur un arrêt des traitements. Il a entendu que 1 mois est un délai court. Pourtant dans la pratique de tous les Réanimateurs Français le délai habituel de l’arrêt des traitements peut varier de 1 à quelques semaines. »

46. Le 30 décembre 2020, l’expert déposa son rapport en indiquant les éléments suivants :

« [...] L’examen clinique a été réalisé le 16/12/2020, soit au-delà de J90 qui est le délai au bout duquel le pronostic clinique est considéré comme fixé en pathologie vasculaire cérébrale (ischémique ou hémorragique). Par conséquent, la probabilité d’amélioration clinique peut être considérée comme nulle. Cette irréversibilité était déjà évoquée dès le 1/10/2020, lors de l’évaluation neurologique du Dr [T.], Neurologue, et confirmé par son examen de réévaluation le 27/11/2020 [...] »

47. Il conclut que :

« plus de 90 jours après un accident vasculaire cérébral gravissime, le patient est tétraplégique, ventilé par une machine. Cet état est compliqué d’une altération sévère de la conscience. Il existe un degré de conscience minimale mais vraiment faible. La perception de la douleur est indiscutable, l’évaluation de son intensité impossible. Actuellement, aucun code de communication ne peut être établi et la nature des lésions visualisées par imagerie IRM ainsi que le délai écoulé depuis l’AVC ne permettent pas de croire à une amélioration éventuelle. Il ne s’agit en aucune façon d’un locked-in syndrome classique où coexistent une persistance d’une conscience intacte et une possibilité de communiquer mais d’une forme aggravée (pas de communication possible) d’évolution défavorable (altération sévère de la conscience) »

48. Par une ordonnance du 29 janvier 2021, le juge des référés du Conseil d’État, après avoir rappelé le cadre juridique applicable au litige, rejeta la requête par les motifs suivants :

« 8. Ainsi qu’il a été dit dans les motifs de l’ordonnance du 12 novembre 2020, il résulte de l’instruction que M. Kamel Sahed, âgé de 54 ans, a été victime le 15 septembre 2020 d’un accident vasculaire cérébral qui, après l’échec des tentatives successives de revascularisation, a conduit à l’occlusion du tronc basilaire. Tétraplégique, il fait l’objet depuis le 16 septembre 2020 de soins de supports, y compris une ventilation mécanique. Après des dégradations de son état neurologique constatées les 17 et 20 septembre, l’équipe médicale a constaté le 20 septembre qu’il se trouvait dans un coma avec un score de Glasgow de 3, aréactif sans ouverture des yeux, y compris à la stimulation. Si, à partir du 30 septembre, l’ouverture de ses yeux a été constatée, la mise en place d’un code de communication avec lui n’a pas été possible. Le 12 octobre 2020, après information préalable de sa famille et recueil des avis des services de réanimation, neuroradiologie et neurologie, une procédure collégiale a été conduite intégrant l’équipe de réanimation, ainsi que le neuroradiologue ayant pris en charge le patient, en présence d’un médecin extérieur, intervenant à titre de consultant. A la suite de cette procédure, et eu égard aux très graves lésions neurologiques, regardées comme irréversibles, avec, contrairement au syndrome d’enfermement classique, impact sur la possibilité de ventilation et sur l’état de conscience, sans possibilité de mise en place d’un code de communication, mais sans que puisse être exclue la possibilité de douleur ou de stress intense, le médecin chargé du suivi de M. Kamel Sahed a pris, le 12 octobre 2020, la décision de mettre fin aux traitements, notamment à la ventilation mécanique, avec mise en place d’une sédation profonde et continue et maintien des soins de confort pour garantir l’absence de souffrance.

9. Saisi notamment par M. Abderrahmane Sahed, son frère, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par une ordonnance dont il est relevé appel, rejeté la demande de suspension de l’exécution de la décision du 12 octobre 2020.

10. Il ressort des conclusions de l’expertise réalisée par le professeur [A.], ordonnée, ainsi qu’il a été dit au point 2, par le juge des référés du Conseil d’Etat, dans le cadre de l’instruction de la présente requête d’appel, que l’état clinique de M. Kamel Sahed a été examiné le 16 décembre 2020, plus de 90 jours après son très grave accident vasculaire cérébral, soit « le délai au terme duquel le pronostic clinique est considéré comme fixé en pathologie vasculaire cérébrale ». L’expert précise que M. Kamel Sahed a subi une ischémie complète du pont, partie médiane du tronc cérébral, ce qui caractérise un locked-in syndrome, dans une forme non pas classique mais aggravée, sans conscience ou avec une conscience minimale. Il indique que M. Kamel Sahed, tétraplégique, ventilé par une machine, présente « un degré de conscience minimale, mais vraiment faible », en mentionnant l’élévation du regard à la demande tout en notant l’absence de clignement des paupières sur quelque sollicitation que ce soit et l’absence de réaction aux bruits, ainsi que l’absence de toute motricité volontaire des membres. Il relève que le patient présente une perception de la douleur certaine, même si l’évaluation de son intensité n’est pas possible. Il précise qu’« aucun code de communication ne peut être établi et que la nature des lésions visualisées par imagerie IRM ainsi que le délai écoulé depuis l’AVC ne permettent pas de croire à une amélioration éventuelle ». Il conclut que l’état de M. Kamel Sahed correspond à une forme aggravée de locked-in syndrome avec un degré de conscience minimale et sans aucune communication ni possible, ni actuelle, ni future.

11. Il résulte de ce qui précède ainsi que des échanges lors de l’audience qui s’est tenue après la remise du rapport d’expertise que l’état clinique de M. Kamel Sahed à la suite des lésions neurologiques très graves et irréversibles qu’il a subies, se caractérise, outre une tétraplégie et la nécessité d’une ventilation mécanique, par un état de conscience minimale attesté par la seule ouverture de ses yeux, sans possibilité d’établir avec lui quelque communication que ce soit, et la perception certaine, quoique impossible à évaluer, d’une douleur, sans qu’aucune perspective d’évolution ne soit relevée, alors qu’un délai permettant un tel pronostic s’est écoulé depuis l’accident qu’il a subi. Si les auteurs de la requête, tout en prenant acte des conclusions de l’expertise, persistent dans leurs conclusions, ils n’apportent aucun élément de nature à remettre en cause l’ensemble des constations rappelées ci-dessus ni le pronostic selon lequel aucune évolution favorable n’est possible. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, et en raison tant de l’état clinique de M Sahed que des perspectives de pronostic, il apparaît que, en l’état de la science médicale et dans les circonstances particulières qui ont été décrites, les conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à des traitements n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique peuvent être regardées comme réunies.

12. Il s’ensuit que la décision du 12 octobre 2020 de ne pas poursuivre les traitements qui sont prodigués à M. Kamel Sahed autres que de sédation, et notamment de mettre fin à la ventilation mécanique, ne peut être tenue pour illégale. [Les requérants] ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Les conclusions tendant à l’annulation de cette ordonnance, de même que celles tendant au transfert de M. Kamel Sahed dans un autre établissement, au soutien desquelles il n’est apporté d’ailleurs aucune précision ni élément nouveau par rapport à la demande de première instance, ne peuvent dès lors qu’être rejetées [...]. »

49. Le 3 puis le 5 février 2021, le requérant fit constater par un huissier de justice le contenu de fichiers vidéo enregistrés les 15, 16 et 23 janvier 2021, et filmant les réactions du patient lorsque le requérant lui adressait la parole.

50. Le 5 février 2021, le requérant, ainsi que huit frères et sœurs du patient, saisirent le tribunal administratif de Paris d’un référé liberté demandant au juge des référés d’ordonner, sur le fondement des dispositions des articles L. 521-2 et L. 5214 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 12 octobre 2020 « le temps qu’une contre-expertise médicale puisse être organisée dans de bonnes conditions ».

51. Par une ordonnance du 6 février 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Paris rejeta cette requête. Après avoir notamment rappelé le cadre juridique applicable, il releva les éléments suivants :

« 7. Il ressort des conclusions de l’expertise réalisée par le professeur [A.], ordonnée, ainsi qu’il a été dit au point 2, par le juge des référés du Conseil d’État, dans le cadre de l’instruction de la présente requête d’appel, que l’état clinique de M. Kamel Sahed a été examiné le 16 décembre 2020, plus de 90 jours après son très grave accident vasculaire cérébral, soit « le délai au terme duquel le pronostic clinique est considéré comme fixé en pathologie vasculaire cérébrale ». L’expert précise que M. Kamel Sahed a subi une ischémie complète du pont, partie médiane du tronc cérébral, ce qui caractérise un locked-in syndrome, dans une forme non pas classique mais aggravée, sans conscience ou avec une conscience minimale. Il indique que M. Kamel Sahed, tétraplégique, ventilé par une machine, présente « un degré de conscience minimale, mais vraiment faible », en mentionnant l’élévation du regard à la demande tout en notant l’absence de clignement des paupières sur quelque sollicitation que ce soit et l’absence de réaction aux bruits, ainsi que l’absence de toute motricité volontaire des membres. Il relève que le patient présente une perception de la douleur certaine, même si l’évaluation de son intensité n’est pas possible. Il précise qu’« aucun code de communication ne peut être établi et que la nature des lésions visualisées par imagerie IRM ainsi que le délai écoulé depuis l’AVC ne permettent pas de croire à une amélioration éventuelle ». Il conclut que l’état de M. Kamel Sahed correspond à une forme aggravée de locked-in syndrome avec un degré de conscience minimale et sans aucune communication ni possible, ni actuelle, ni future.

8. Les requérants produisent deux constats d’huissier retranscrivant les propos tenus par M. Abderrahmane Sahed à son frère Kamel dans des vidéos tournées les 16 et 23 janvier 2021, au demeurant sans autorisation de l’hôpital, et la réaction du malade à ces injonctions, notamment par des mouvements des yeux. Les requérants font valoir que ces pièces établissent que l’état de santé de leur frère a évolué et contredisent en partie les conclusions de l’expert. Toutefois, le professeur [A.], a relevé, dans son rapport, qu’il n’existait, chez le malade, « aucune réaction motrice périphérique, même l’ouverture et la fermeture des yeux ne se fai[sant] pas nettement à la demande lors de la répétition des ordres », puis poursuit en précisant que « la seule réponse possible est une élévation verticale du regard avec une exécution de l’ordre à plusieurs reprises sur des demandes réitérées. La baisse du regard se fait également mais de façon moins franche. » mais conclut, néanmoins, « qu’aucun code de communication ne peut être établi et que la nature des lésions visualisées par imagerie IRM ainsi que le délai écoulé depuis l’AVC ne permettent pas de croire à une amélioration éventuelle ». Dans ces conditions, les requérants ne peuvent être regardés comme ayant apporté des éléments nouveaux de nature à établir que la décision du 12 octobre 2020 de ne pas poursuivre les traitements qui sont prodigués à M. Kamel Sahed serait illégale.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la condition d’urgence, que la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. »

52. Le 7 février 2021, le requérant ainsi que les huit frères et sœurs du patient relevèrent appel de l’ordonnance du 6 février 2021 devant le juge des référés du Conseil d’État.

53. Le 8 février 2021, l’AP-HP présenta un mémoire en défense, signé par M. D., adjoint à la directrice des affaires juridiques et des droits des patients, « pour le directeur général de l’AP-HP et par délégation ».

54. Le 9 février 2021, une audience publique eut lieu au Conseil d’État au cours de laquelle étaient présents « les représentants de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris ».

55. Ce même jour, la première conjointe et ex-épouse du patient, Mme A., rédigea un témoignage aux termes duquel le patient n’aurait « jamais voulu mettre fin à ses jours de cette façon », décrivant une personne « qui voulait vivre à tout prix ».

56. Par une ordonnance du 12 février 2021, le juge des référés du Conseil d’État, après avoir rappelé le cadre juridique applicable au litige, rejeta la requête d’appel pour les motifs suivants :

« 6. Il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a déjà été rappelé dans les ordonnances des 12 novembre 2020 et 29 janvier 2021 du juge des référés du Conseil d’Etat relatives à la situation médicale de M. Kamel Sahed, que ce dernier, alors âgé de 54 ans, a été victime le 15 septembre 2020 d’un accident vasculaire cérébral qui, après l’échec de trois tentatives successives de revascularisation, a conduit à l’occlusion du tronc basilaire. Tétraplégique, il fait l’objet depuis le 16 septembre 2020 de soins de supports, y compris une ventilation mécanique. Après des dégradations de son état neurologique constatées les 17 et 20 septembre, l’équipe médicale a constaté le 20 septembre qu’il se trouvait dans un coma avec un score de Glasgow de 3, aréactif sans ouverture des yeux, y compris à la stimulation. Si, à partir du 30 septembre, l’ouverture de ses yeux a été observée, la mise en place d’un code de communication avec lui n’a pas été possible. Le 12 octobre 2020, après information préalable de sa famille et recueil des avis des services de réanimation, neuroradiologie et neurologie, une procédure collégiale a été conduite intégrant l’équipe de réanimation, ainsi que le neuroradiologue ayant pris en charge le patient, en présence d’un médecin extérieur, intervenant à titre de consultant. A la suite de cette procédure, et eu égard aux très graves lésions neurologiques, regardées comme irréversibles, avec, contrairement au syndrome d’enfermement classique, impact sur la possibilité de ventilation et sur l’état de conscience, sans possibilité de mise en place d’un code de communication, mais sans que puisse être exclue la possibilité de douleur ou de stress intense, le médecin chargé du suivi de M. Kamel Sahed a pris, le 12 octobre 2020, la décision de mettre fin aux traitements, notamment à la ventilation mécanique, avec mise en place d’une sédation profonde et continue et maintien des soins de confort pour garantir l’absence de souffrance.

7. Une expertise ayant été ordonnée par le juge des référés du Conseil d’Etat le 12 novembre 2020, et le professeur [A.], professeur d’université, praticien hospitalier, chef de service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital central du centre hospitalier universitaire de Nancy, chef de pôle d’anesthésie-réanimation de cet hôpital, ayant été désigné par le président de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, ce dernier a rendu son rapport le 30 décembre dernier. La régularité et la qualité de cette expertise n’ont, au cours des procédures précédentes, jamais été remises en cause par aucune des parties et notamment pas par les membres de la famille de M. Sahed et de leur conseil de l’époque qui a d’ailleurs été présent aux opérations d’expertise. Il a été également rappelé au cours de cette audience que, jusqu’à une date très récente, M. Abderrahmane Sahed, un des frères du patient, se présentait comme le représentant privilégié de la famille auprès des équipes de soins et il ressort du rapport de l’expert que les sœurs de M. Kamel Sahed n’ont pas souhaité assister aux opérations d’expertise en dépit de la convocation qui leur a été adressée. S’il est soutenu que l’expert n’a pas décrit dans son rapport la méthode employée pour tenter, d’ailleurs sans succès, d’établir un code de communication avec le patient, cette circonstance ainsi que celle tirée de ce qu’il n’a pas fait appel à des membres de la famille pour le seconder dans cette opération, n’apparaissent pas, dans les circonstances de l’espèce, en tout état de cause, comme étant de nature à remettre en cause la conclusion à laquelle il est parvenu sur ce point. Il n’apparaît pas davantage, au terme des échanges au cours de l’audience du 9 février 2021, que, d’une part, compte tenu de l’état clinique de M. Sahed qui, dans les suites de la thrombectomie conduite sans succès par le service de neuroradiologie de l’hôpital Lariboisière à Paris, a été placé dans le service de réanimation chirurgicale de ce même hôpital et, d’autre part, des qualités de l’expert désigné, cette expertise aurait dû être confiée à un collège d’experts. Au demeurant, il a été rappelé qu’avant de prendre la décision contestée d’arrêts des soins, l’avis de neurologues a été sollicité ainsi que le rappelle dans son rapport l’expert qui a eu accès à l’entier dossier du patient.

8. Il ressort des conclusions de cette expertise que l’état clinique de M. Kamel Sahed a été examiné le 16 décembre 2020, plus de 90 jours après son très grave accident vasculaire cérébral, soit, selon l’expert, dans le « délai au terme duquel le pronostic clinique est considéré comme fixé en pathologie vasculaire cérébrale ». Ce dernier indique que M. Kamel Sahed, tétraplégique, ventilé par une machine, a subi une ischémie complète du pont, partie médiane du tronc cérébral, ce qui caractérise un lockedin syndrome, dans une forme non pas classique mais aggravée, sans conscience ou avec conscience minimale et retient l’existence d’« un degré de conscience minimale, mais vraiment faible », en mentionnant l’élévation du regard à la demande tout en notant l’absence de clignement des paupières sur quelque sollicitation que ce soit et l’absence de réaction aux bruits, ainsi que l’absence de toute motricité volontaire des membres. Il relève que le patient, qui avait fait à dessein l’objet d’un arrêt de la sédation trois jours avant pour les besoins de l’expertise, présente une perception de la douleur certaine, même si l’évaluation de son intensité n’est pas possible. Il précise encore qu’« aucun mode de communication ne peut être établi et que la nature des lésions visualisées par imagerie IRM ainsi que le délai écoulé depuis l’AVC ne permettent pas de croire à une amélioration éventuelle ». Il conclut que l’état de M. Kamel Sahed correspond à une forme aggravée de lockedin syndrome avec un degré de conscience minimale et sans aucune communication ni possible, ni actuelle, ni future.

9. Les requérants ont saisi à nouveau le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 5 février 2021 puis, en appel, le juge des référés du Conseil d’Etat, le 7 février suivant, en estimant qu’il était urgent de suspendre la décision d’arrêt des soins envisagée à bref délai par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris dès lors que, sans remettre en cause le diagnostic posé établissant que M. Kamel Sahed présentait une forme aggravée de lockedin syndrome avec un degré de conscience minimale, ils avaient constaté, lors de visites régulières auprès du patient, une évolution favorable de son état de santé depuis le 12 octobre dernier, et la manifestation de signes de communication entre lui et certains membres de la famille permettant d’envisager une amélioration de son état de conscience, ainsi que l’établissement d’un code de communication dans la durée pour s’enquérir de sa volonté quant à la poursuite ou à l’arrêt des soins dont il fait l’objet.

10. Les requérants se fondent en particulier sur la production de vidéos et sur des témoignages oraux de quelques membres de la famille. Toutefois, comme cela a été rappelé au cours de l’audience par le docteur [R.], médecin réanimateur en charge du patient et par le docteur [M.], chef du département anesthésie-réanimation de l’hôpital Lariboisière-université de Paris, et ainsi que cela ressort des pièces du dossier, les mouvements des yeux en réaction à la parole ont été constatés depuis le 30 septembre 2020 par les équipes soignantes et par l’expert lui-même le 16 décembre 2020. Si ces mouvements oculaires traduisent l’existence d’un état de conscience minimale au sens médical, ils ne répondent cependant pas à un code de communication nécessaire à l’expression d’une volonté, quelle qu’elle soit. La vidéo produite en cours d’instruction ainsi que la retranscription d’autres vidéos par huissier figurant au dossier n’établissent pas davantage la mise en place d’un tel code mais se bornent à confirmer ce que constate chaque jour l’équipe soignante qui pratique, depuis plus de quatre mois, un nursing attentif du patient sans constater l’existence d’un code communication. En réponse à l’argument selon lequel le patient serait susceptible de davantage réagir à la voix de membres de sa famille, le docteur [R.] a, par ailleurs, fait observer, sans être contredit, qu’un malade en capacité d’établir un code de communication ne manque pas d’en user avec le personnel soignant qui le connaît, sans en réserver l’usage aux membres de sa famille.

11. Les requérants entendent également se prévaloir des convictions religieuses du malade qui s’opposeraient, selon eux, à une décision répondant à l’obligation légale de ne pas poursuivre certains traitement ou soins lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Si la liberté de culte ou de croyance dont ils se prévalent également ne peut par elle-même faire obstacle à l’application de la loi, il y a lieu en revanche d’appréhender chaque situation dans sa singularité, ainsi qu’il a été rappelé au point 4. Cependant, en l’absence de directives anticipées laissées par l’intéressé ou de témoignages concordants entre les proches sur ce que serait sa volonté dans une pareille situation, il ne résulte pas de l’instruction que, du fait de son appartenance religieuse, il devrait être présumé avoir manifesté une volonté claire de refuser un arrêt des soins ou des traitements en cours, à l’exception de la mise en œuvre d’une sédation profonde. Enfin, le témoignage écrit apporté pour la première fois à quelques heures de l’audience du 9 février 2021 par la première compagne de l’intéressé relatif au comportement courageux de M. Kamel Sahed à la suite d’un accident de la circulation dont il a été victime en juillet 2019 et à sa volonté d’éviter, avec succès, l’amputation d’un bras, ne permet pas davantage de dégager de manière convaincante l’expression d’une volonté de ce dernier dans une situation clinique telle que celle en cause.

12. Dans ces conditions, il ne résulte ni de l’instruction ni des échanges complémentaires intervenus au cours de l’audience du 9 février 2021 que des éléments nouveaux viendraient remettre en cause les données prises en compte lors de la décision initiale d’arrêt de soins du 12 octobre 2020, ou imposeraient d’accorder un délai supplémentaire pour, d’une part, recueillir la volonté de M. Kamel Sahed après l’établissement d’un code de communication et, d’autre part, organiser une expertise complémentaire, avant que, le cas échéant, une nouvelle procédure collégiale soit engagée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la décision du 12 octobre 2020 précitée ne peut être tenue pour illégale et que M. Sahed et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande [...]. »

57. Le 15 février 2021, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires sur le fondement des articles 2, 6 et 9 de la Convention.

58. Le 17 février 2021, après avoir sollicité des informations complémentaires de la partie requérante, le juge de permanence décida de ne pas demander au Gouvernement français de prendre une mesure provisoire.

59. Le 2 juillet 2021, le requérant informa la Cour du décès de son frère, survenu le 2 mars 2021, et indiqua maintenir sa requête.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  1. Le droit et la pratique internes pertinents
    1. Le code de la santé publique

60. Les dispositions pertinentes du code de la santé publique, applicables à la date des faits litigieux, sont les suivantes :

Article L. 1110-5

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé ni de l’application du titre II du présent livre.

Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

Article L. 1110-5-1

« Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.

La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.

Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. »

Article L. 1111-4

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

[...]

Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical [...]. »

Article R. 4127-36

« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.

[...]

Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité [...]. »

Article R. 4127-37

« En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »

Article R. 4127-37-2

« I. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informé, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale.

III. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.

[...]

IV. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. »

Article R. 4127-37-3

« II. - Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et qu’un arrêt de traitement de maintien en vie a été décidé au titre du refus de l’obstination déraisonnable, en application des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 et dans les conditions prévues à l’article R. 4127-37-2, le médecin en charge du patient, même si la souffrance de celui-ci ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie, excepté si le patient s’y était opposé dans ses directives anticipées.

Le recours à une sédation profonde et continue, ainsi définie, doit, en l’absence de volonté contraire exprimée par le patient dans ses directives anticipées, être décidé dans le cadre de la procédure collégiale prévue à l’article R. 4127-37-2.

En l’absence de directives anticipées, le médecin en charge du patient recueille auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches, le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

Le recours à une sédation profonde et continue est motivé. La volonté du patient exprimée dans les directives anticipées ou, en l’absence de celles-ci, le témoignage de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.

La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé des motifs du recours à la sédation profonde et continue. »

  1. Le code de justice administrative

61. L’article L. 521‑2 du code de justice administrative (CJA), relatif au référé liberté, dispose que :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

62. L’article L. 511-2 du CJA dispose que :

« [...] Pour les litiges relevant de la compétence du Conseil d’Etat, sont juges des référés le président de la section du contentieux ainsi que les conseillers d’Etat qu’il désigne à cet effet.

Lorsque la nature de l’affaire le justifie, le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel ou, au Conseil d’Etat, le président de la section du contentieux peut décider qu’elle sera jugée, dans les conditions prévues au présent livre, par une formation composée de trois juges des référés, sans préjudice du renvoi de l’affaire à une autre formation de jugement dans les conditions de droit commun [...]. »

63. Les dispositions du CJA relatives à l’abstention et la récusation d’un membre de la formation de jugement sont les suivantes :

Article L. 721-1

« La récusation d’un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d’une partie, s’il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. »

Article R. 721-1

« Le membre de la juridiction qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre membre que désigne le président de la juridiction à laquelle il appartient ou, au Conseil d’Etat, le président de la section du contentieux. »

Article R. 721-2

« La partie qui veut récuser un juge doit, à peine d’irrecevabilité, le faire dès qu’elle a connaissance de la cause de la récusation.

En aucun cas la demande de récusation ne peut être formée après la fin de l’audience. »

  1. La jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel

64. S’agissant de l’office du juge des référés lorsqu’il est saisi, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une décision prise par un médecin en application du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et que l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie, il est renvoyé aux paragraphes 32 et 46 à 48 de l’arrêt Lambert et autres c. France [GC], no 46043/14, CEDH 2015 (extraits).

65. Dans sa décision du 14 février 2014 (Assemblée no 375081), le Conseil d’État a, en particulier, précisé cet office dans les termes suivants :

« 5. [...] il appartient au juge des référés d’exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative d’une décision, prise par un médecin sur le fondement du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et que l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie ; [il] doit alors, le cas échéant en formation collégiale, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable ; [...] dans cette hypothèse, le juge des référés ou la formation collégiale à laquelle il a renvoyé l’affaire peut, le cas échéant, après avoir suspendu à titre conservatoire l’exécution de la mesure et avant de statuer sur la requête dont il est saisi, prescrire une expertise médicale et solliciter, en application de l’article R. 625-3 du code de justice administrative, l’avis de toute personne dont la compétence ou les connaissances sont de nature à éclairer utilement la juridiction [...]. »

66. Dans sa décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017, le Conseil constitutionnel a jugé que :

« S’agissant d’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée. »

67. Postérieurement à cette décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a, dans une décision no 403944 du 6 décembre 2017, précisé les garanties attachées à l’exercice du droit au recours effectif dans le cadre d’un litige portant sur un arrêt de traitements :

« D’une part, les dispositions précitées du IV de l’article R. 4127-37-2 introduites dans le code de la santé publique par le décret attaqué prévoient que la personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. Elles permettent ainsi que la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de sa volonté. D’autre part, il résulte des réserves d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti sa décision, qui sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et qui lient le juge pour l’application et l’interprétation de la loi, que les personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient doivent pouvoir exercer un recours en temps utile et que, lorsqu’est exercé un recours tel que le référé prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative devant les juridictions administratives ou celui que prévoit l’article 809 du code de procédure civile devant les juridictions civiles, il doit être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente en vue de la suspension éventuelle de la décision contestée. Ceci implique nécessairement que le médecin ne peut mettre en œuvre une décision d’arrêter ou de limiter un traitement avant que les personnes qu’il a consultées et qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un tel recours n’aient pu le faire et obtenir une décision de sa part. »

  1. Textes internationaux

68. Il est renvoyé aux textes internationaux recensés dans l’arrêt Lambert et autres (précité, §§ 59-71) et dans la décision Gard et autres c. RoyaumeUni (no 39793/17, §§ 51-54, 27 juin 2017).

GRIEFS

69. En premier lieu, le requérant soutient être recevable à invoquer, en son nom, la violation de l’article 2 de la Convention. À ce titre, il fait valoir que la volonté du patient n’a pas été suffisamment recherchée et que la décision d’arrêt des traitements a été prise précipitamment, sur le fondement de données médicales insuffisantes.

70. Invoquant, en deuxième lieu, la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l’examen des référés libertés par un juge unique et met en cause l’impartialité du juge des référés du Conseil d’État dans le cadre de la seconde procédure d’appel.

71. Invoquant, en troisième lieu, la violation de l’article 9 de la Convention, le requérant soutient que l’équipe médicale n’a pas tenu compte des convictions religieuses du patient, lesquelles impliquaient qu’il ne puisse être mis fin aux traitements. Il déplore également que les juridictions n’aient pas suffisamment porté attention à cet élément essentiel de la personnalité de son frère.

EN DROIT

72. Le requérant invoque les articles 2, 6 § 1 et 9 de la Convention, aux termes desquels :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement [...]. »

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 9

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

  1. Sur la qualité de victime du requérant
    1. Principes applicables

73. Pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention. La notion de « victime », selon la jurisprudence constante de la Cour, doit être interprétée de façon autonome et indépendante des notions internes telles que celles concernant l’intérêt ou la qualité pour agir. L’intéressé doit pouvoir démontrer qu’il a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse (Lambert et autres, précité, § 89).

74. Ce principe connaît une exception lorsque la ou les violations invoquées de la Convention sont étroitement liées à des disparitions ou décès dans des circonstances dont il est allégué qu’elles engagent la responsabilité de l’État. Dans de tels cas, en effet, la Cour considère que les proches parents d’une personne dont il est allégué que le décès engage la responsabilité de l’État peuvent se prétendre victimes d’une violation de l’article 2 de la Convention (Lambert et autres, précité, §§ 90 et 115).

  1. Application au cas d’espèce

75. La Cour note que le patient était hospitalisé à la date de l’introduction de la requête mais est décédé le 2 mars 2021. Elle considère que la qualité de proche parent du requérant lui permet d’invoquer en son nom l’article 2 de la Convention.

76. La Cour relève également que les griefs présentés sous l’angle des articles 6 § 1 et 9 de la Convention, tels que formulés, impliquent d’examiner si la volonté du patient a été dûment prise en compte, notamment à travers les déclarations du requérant concernant l’appartenance religieuse de son frère, et si la procédure juridictionnelle suivie dans le cadre de la contestation de la décision d’arrêt des traitements était équitable. La Cour considère que ces griefs sont inséparables de la question de savoir si le processus décisionnel et les recours juridictionnels répondaient aux exigences de l’article 2 de la Convention tel qu’interprété dans sa jurisprudence (paragraphe 78 ci-dessous, et Afiri et Biddarri (déc.) [comité], no 1828/18, § 25, 23 janvier 2018). La Cour examinera donc l’ensemble des questions de fond soulevées par la présente affaire sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

  1. Sur les autres critères de recevabilité
    1. Principes applicables

77. La Cour a examiné, dans les affaires Lambert et autres, Gard et Afiri et Biddarri précitées, la question de l’arrêt des traitements qui maintiennent artificiellement en vie sous l’angle des obligations positives de l’État (Lambert et autres, précité, § 124, Gard, précitée, § 79, et Afiri et Biddarri, précitée, §§ 26-29).

78. La Cour rappelle que, saisie de la question de l’administration ou de l’arrêt de traitements médicaux, elle doit prendre en compte les éléments suivants :

- l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre législatif compatible avec les exigences de l’article 2 ;

- la prise en compte des souhaits précédemment exprimés par le patient et par ses proches, ainsi que l’avis d’autres membres du personnel médical ;

- la possibilité d’un recours juridictionnel en cas de doute sur la meilleure décision à prendre dans l’intérêt du patient (Lambert et autres, précité, § 143).

79. La Cour a constaté, dans ces affaires, qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie, même si une majorité d’États semble l’autoriser. Bien que les modalités qui encadrent l’arrêt du traitement soient variables d’un État à l’autre, il existe toutefois un consensus sur l’importance de la prise en compte de la volonté du patient dans le processus décisionnel, quel qu’en soit le mode d’expression (voir sur ce point Lambert et autres, précité, § 147, Gard, précitée, § 83, Afiri et Biddarri, précitée, § 28).

80. En conséquence, la Cour rappelle que, dans ce domaine qui touche à la fin de la vie, comme dans celui qui touche au début de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États, non seulement quant à la possibilité de permettre ou non l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie et à ses modalités de mise en œuvre, mais aussi quant à la façon de ménager un équilibre entre la protection du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son autonomie personnelle. Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas illimitée, la Cour se réservant de contrôler le respect par l’État de ses obligations découlant de l’article 2 (Lambert et autres, précité, § 148, Gard, précitée, § 84, Afiri et Biddarri, précitée, § 29).

  1. Application des principes au cas d’espèce

a) Le cadre législatif

81. Le requérant ne critique pas le cadre législatif applicable à la date des faits litigieux.

82. La Cour rappelle qu’elle a considéré que le cadre législatif antérieur à l’intervention de la loi no 2016-87 du 2 février 2016, tel qu’interprété par le Conseil d’État, était suffisamment clair, aux fins de l’article 2 de la Convention, pour être regardé comme encadrant de façon précise la décision du médecin d’arrêter un traitement dont la poursuite caractériserait une obstination déraisonnable (Lambert et autres, précité, § 160). La Cour rappelle qu’elle a ensuite considéré que la loi du 2 février 2016 n’avait pas substantiellement modifié le cadre législatif prévu par le code de la santé publique (Afiri et Biddarri, précitée). Aucune modification substantielle n’étant intervenue depuis lors, la Cour considère que l’État a mis en place un cadre législatif propre à assurer la protection de la vie des patients.

b) Le processus décisionnel

83. Le requérant soutient que la volonté du patient n’a pas été suffisamment recherchée alors que ce dernier, en raison de sa confession musulmane, aurait vraisemblablement souhaité que tous les efforts soient faits pour le maintenir en vie. Il reproche à l’équipe soignante d’avoir pris en compte l’avis de Mme B. dont le patient était séparé depuis plusieurs années et rappelle que le témoignage de Mme A., son ex-épouse, était en faveur d’une poursuite des traitements.

84. Le requérant fait également valoir que la décision d’arrêt des traitements fut adoptée de manière précipitée sans qu’une période suffisamment longue d’examen de l’état de santé du patient n’ait été respectée. Il fait valoir, à ce titre, que la procédure collégiale de réflexion éthique a été engagée seulement cinq jours après l’échec des traitements et trois jours après la dégradation de l’état neurologique du patient. Il souligne que si une nouvelle expertise judiciaire fut réalisée le 16 décembre 2020, aucune procédure collégiale telle que prévue par les dispositions du code de la santé publique n’a été mise en œuvre à la suite de cette expertise. Il fait valoir que la jurisprudence interne prévoit qu’une décision d’arrêt des traitements ne peut être exécutée que pendant une durée limitée de trois mois. Le requérant se plaint enfin de l’absence d’une expertise suffisamment approfondie réalisée par un collège d’experts en neurosciences, notamment au regard des constats opérés par la famille d’une évolution favorable de l’état de santé et de conscience du patient.

85. La Cour rappelle tout d’abord que ni l’article 2 ni sa jurisprudence ne peuvent se lire comme imposant des obligations quant à la procédure à suivre pour arriver à un éventuel accord en matière d’arrêt des traitements (Lambert et autres, précité, § 162, et Afiri et Biddarri, précitée, § 35).

86. La Cour rappelle également que si la procédure en droit français est appelée « collégiale » et qu’elle comporte plusieurs phases de consultation (de l’équipe soignante, d’au moins un autre médecin, de la personne de confiance, de la famille ou des proches), c’est au seul médecin en charge du patient que revient la décision. La volonté du patient doit être prise en compte et la décision, motivée, est versée à son dossier médical (Lambert et autres, précité, § 163, et Afiri et Biddarri, précitée, § 36).

87. La Cour note, en premier lieu, qu’en l’espèce la procédure a été menée conformément au cadre législatif et réglementaire.

88. La Cour relève en effet que plusieurs réunions se sont tenues dans le cadre de la procédure collégiale de réflexion éthique, sous la responsabilité du médecin en charge du patient. Ce médecin, après avis pris auprès de son équipe, décida dans un premier temps d’une limitation de plusieurs thérapeutiques et de la nécessité de nouvelles réunions à brève échéance (paragraphes 12, 16, 22 et 26 ci-dessus). Par la suite, fort de l’avis unanime de l’équipe multidisciplinaire dont il était entouré, il prit la décision de mettre fin aux traitements reçus par le patient et d’engager une démarche palliative avec sédation profonde et continue (paragraphe 29 cidessus).

89. La Cour relève, par ailleurs, que tant ce médecin que l’équipe médicale ont mené de nombreux entretiens tant avec les membres de la famille du patient qu’avec des médecins proches de ce dernier (paragraphes 4, 6, 8, 9, 10, 14, 18, 21, 23, 27, 30, 35, 37 et 38 ci-dessus).

90. S’agissant, en deuxième lieu, de la question du délai dans lequel a été prise la décision litigieuse, la Cour souligne qu’aucune disposition ne prévoyait de délai spécifique concernant la prise d’une décision d’arrêt des traitements.

91. À cet égard, la Cour note que le rapport d’expertise mentionne deux éléments sur lesquels elle entend s’appuyer, en l’absence d’observations du requérant de nature à les infirmer. D’une part, ainsi que le note l’expert, le professeur M. indiquait au cours de la réunion du 16 décembre 2020 que le délai habituel de prise d’une décision d’arrêt des traitements pouvait varier d’une à quelques semaines, selon la pratique des réanimateurs français (paragraphe 45 ci-dessus). D’autre part, et ainsi que l’ont relevé les juridictions internes (paragraphes 48, 51 et 56 ci-dessus), l’expert mentionne que l’examen clinique qu’il a lui-même réalisé a été effectué au-delà de 90 jours, délai au terme duquel le pronostic clinique est considéré comme fixé pour la pathologie dont souffrait le patient (paragraphe 46 ci-dessus).

92. Par ailleurs, rien n’imposait qu’une nouvelle procédure de réflexion éthique fût engagée après l’expertise du 16 décembre 2020, contrairement à ce que soutient le requérant. S’il se prévaut d’une décision du Conseil d’État limitant le champ d’application temporel d’une décision d’arrêt des traitements, cette dernière ne s’appliquait qu’au cas d’espèce envisagé par la juridiction et ne saurait être regardée comme de portée générale.

93. Enfin, le juge des référés du Conseil d’État, saisi en appel, une seconde fois, le 7 février 2021, a rejeté, par une motivation détaillée, la nouvelle demande d’expertise du requérant (paragraphe 56 ci-dessus). Il a notamment rappelé que le médecin en charge du patient avait pris l’avis de neurologues avant de décider d’un arrêt des traitements le 12 octobre 2020. Il a également relevé que « la régularité et la qualité de [l’]expertise [du professeur A. n’avaient], au cours des procédures précédentes, jamais été remises en cause par aucune des parties et notamment pas par les membres de la famille de M. Sahed et [...] leur conseil de l’époque ». Il a contrôlé l’adéquation entre les qualités de l’expert qui avait été désigné et les analyses attendues de lui quant à l’état de santé du patient et en a déduit qu’il n’apparaissait pas que cette expertise aurait dû être confiée à un collège d’experts. Il a enfin confronté les éléments de preuve apportés par le requérant au soutien des allégations selon lesquelles l’état de santé du patient aurait évolué favorablement avec, d’une part, les affirmations des médecins présents à l’audience dont il a rappelé la qualité de médecin réanimateur en charge du patient et de chef du département anesthésie-réanimation de l’hôpital Lariboisière-université de Paris, et, d’autre part, les pièces du dossier, pour en conclure qu’il ne pouvait être constaté aucun code de communication avec le patient qui justifierait une nouvelle expertise. Eu égard à l’argumentation du requérant devant elle et aux pièces qu’il produit, qui se bornent à faire état de constats empiriques, la Cour ne saurait considérer comme déraisonnable ou arbitraire le rejet de la demande de réalisation d’une nouvelle expertise par le juge des référés du Conseil d’État.

94. Ainsi, il apparaît que l’exécution de la décision d’arrêt des traitements prise par le médecin en charge du patient n’est pas intervenue avant l’exercice, par le requérant, des voies de recours qui lui étaient ouvertes. La Cour note, en particulier, que les opérations d’expertise ordonnées dans un cadre juridictionnel ont été effectuées puis analysées par le Conseil d’État, plusieurs mois après la prise de décision d’arrêt des traitements et avant tout commencement d’exécution de celle-ci. Par ailleurs, les juridictions internes ont, à la suite des allégations du requérant relatives à une amélioration de l’état de santé du patient, de nouveau statué sur sa demande de référé en examinant les éléments de preuve qu’il apportait.

95. Dans ces conditions, la Cour ne peut souscrire à l’analyse du requérant selon laquelle la décision d’arrêt des traitements aurait été prise de manière précipitée sur le fondement de constats d’expert insusceptibles de décrire l’état réel du patient.

96. S’agissant, en troisième lieu, de la prise en compte de la volonté du patient, la Cour relève, qu’avant l’intervention de la décision du 12 octobre 2020, le requérant avait notamment pu exprimer auprès du médecin en charge du patient le motif religieux fondant son opposition à l’arrêt des traitements (paragraphe 27 ci-dessus).

97. La Cour note également que le requérant a eu la possibilité de réaffirmer, au cours de la réunion d’expertise du 16 décembre 2020, qu’un arrêt des traitements maintenant artificiellement son frère en vie ne pouvait selon lui être envisagé pour des motifs religieux (paragraphe 43 ci-dessus).

98. Enfin, le juge des référés du Conseil d’État a dûment examiné l’argument du requérant relatif aux convictions religieuses du patient, rappelant que ce dernier n’avait pas laissé de directives anticipées, qu’il n’existait pas de témoignages concordants de ses proches et que son appartenance religieuse ne permettait pas de présumer une volonté claire de sa part de s’opposer à un arrêt des traitements (paragraphe 56 ci-dessus).

99. La Cour relève, pour sa part, que le patient n’avait pas désigné de personne de confiance et que les membres de la famille avaient des positions divergentes quant à la volonté du malade (paragraphes 27, 31, 32, 37, 43, 44 et 55 cidessus). Elle ne peut souscrire à l’affirmation péremptoire du requérant selon laquelle il n’aurait dû être tenu compte des observations de Mme B. alors que cette dernière est la mère des deux filles mineures du patient. Dans ces conditions, la Cour considère qu’il n’existe pas de raison sérieuse de se séparer de la conclusion à laquelle est parvenu le juge des référés du Conseil d’État quant à la prise en compte de la volonté du patient.

100. De l’ensemble de ces considérations, la Cour conclut que le processus décisionnel mis en œuvre en l’espèce a respecté les exigences découlant de l’article 2 de la Convention.

c) Les recours juridictionnels

101. En premier lieu, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’une procédure juridictionnelle en formation collégiale, contrairement, selon lui, à la pratique bien établie du Conseil d’État dans les litiges relatifs à un arrêt des traitements.

102. La Cour relève qu’en ce qui concerne les requêtes en référé relatives aux décisions d’arrêt des traitements, les dispositions du droit interne telles qu’interprétées par le Conseil d’État prévoient, sans l’imposer, une possibilité de renvoi en formation collégiale (paragraphes 62 et 65 ci-dessus). Au demeurant, la Cour relève que le requérant ne s’est plaint devant aucun des juges des référés saisis du litige de la procédure à juge unique.

103. En deuxième lieu, le requérant fait valoir que la procédure aurait été inéquitable dans la mesure où la directrice des affaires juridiques de l’AP-HP, conseillère d’État alors en détachement, aurait cherché à influencer le juge des référés en signant le mémoire en défense et en se présentant personnellement à l’audience du 9 février 2021, et où le juge des référés ne lui aurait pas refusé l’autorisation d’y participer. Il déplore qu’elle se soit engagée, à la suite de l’audience, dans une conversation avec des membres du Conseil d’État. À l’appui de ce grief, le requérant se prévaut de la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative et d’un avis du collège de déontologie.

104. Toutefois, d’une part, contrairement à ce que soutient le requérant et en tout état de cause, le mémoire en défense présenté par l’AP-HP en vue de l’audience de référé qui s’est tenue le 9 février 2021 a été signé par M. D., adjoint à la directrice des affaires juridiques et des droits des patients, « pour le directeur général de l’AP-HP et par délégation » (paragraphe 53 cidessus).

105. D’autre part, tout en soulignant qu’aucune pièce du dossier ne permet d’établir le bien-fondé des allégations du requérant, la Cour relève qu’il n’a pas fait usage de la procédure de récusation du juge dont il conteste, pour la première fois devant elle, l’impartialité à raison de sa proximité supposée avec l’une des représentants de l’administration en défense (paragraphe 63 ci-dessus).

106. La Cour souligne, en troisième lieu, que le requérant a été mis en mesure de former des recours en temps utile et que le Conseil d’État a notamment ordonné une expertise complémentaire aux fins d’évaluer l’état de santé du patient plusieurs mois après l’intervention de la décision du médecin qui en était en charge. La Cour note que, postérieurement à l’ordonnance du Conseil d’État rendue à la suite du dépôt du rapport de l’expert, le requérant a pu former un nouveau référé devant la juridiction administrative aux fins de présenter les éléments de preuve qu’il estimait devoir être discutés à l’appui de sa nouvelle demande de suspension. La Cour relève enfin que les ordonnances de référés, prises par quatre juges successifs, étaient détaillées et motivées (paragraphes 34, 48, 51 et 56 ci-dessus) et que la décision d’arrêt des traitements n’a pas été mise en œuvre avant qu’elles soient rendues.

107. La Cour en conclut que le requérant a bénéficié d’un recours juridictionnel conforme aux exigences de l’article 2 de la Convention.

d) Conclusion

108. Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’en l’espèce les autorités internes se sont conformées à leurs obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, compte tenu de la marge d’appréciation dont elles disposaient. Il s’ensuit que le grief du requérant est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 16 février 2023.

Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président