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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 56833/18
Zohaib SHEIKH et autres
contre la Belgique

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 24 janvier 2023 en un comité composé de :

Egidijus Kūris, président,
Pauliine Koskelo,
Frédéric Krenc, juges,
et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 56833/18 contre le Royaume de Belgique et dont quatre ressortissants de cet État, la liste des requérants et les précisions pertinentes figurent dans le tableau joint en annexe (« les requérants »), représentés par Me J. Verdonck, Me E. Verdonck, Me K. De Baecke et Me B. Casier, avocats à Sint-Michiels, ont saisi la Cour le 28 novembre 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne les amendes administratives infligées à M. Fareed Sheikh, père et époux des requérants (les trois premiers requérants sont les enfants de M. Fareed Sheikh ; la quatrième requérante est la veuve de ce dernier), pour défaut de conformité au code bruxellois du logement de plusieurs logements mis en location par l’intéressé. Les requérants se plaignent d’une infliction de plusieurs sanctions administratives pour des faits qui sont en substance les mêmes, au mépris de l’article 4 du Protocole no 7.

2. M. Fareed Sheikh était propriétaire de plusieurs logements dans un immeuble situé à Bruxelles. Les logements en question étaient composés de pièces de vie séparées et de parties communes (cuisines, salles de bain, WC notamment). Chaque logement faisait l’objet d’un contrat de bail distinct.

3. Le 16 juillet 2014, la Direction de l’inspection régionale du logement (« DIRL ») effectua une inspection des logements susmentionnés à l’issue de laquelle plusieurs manquements furent constatés.

4. Par des lettres séparées des 25 et 26 août 2014, la DIRL informa M. Fareed Sheikh, en sa qualité de bailleur, qu’elle envisageait de lui imposer cinq amendes administratives d’un montant respectivement de 23 500, 30 700, 24 700, 25 400 et 23 100 euros (EUR) en raison des manquements constatés lors de l’inspection. Les sanctions, envisagées sur la base de l’article 10 du code bruxellois du logement, reposaient, d’un côté, sur des manquements propres à chaque logement (pièces de vie) et, de l’autre, sur une série de manquements identiques localisés dans les parties communes des logements susmentionnés (cuisines, salles de bain et WC communs, palier, cave du bâtiment, etc.). Le montant de ces amendes tenait compte de la gravité des manquements et de la situation de récidive dans laquelle se trouvait l’intéressé.

5. Afin de donner la possibilité à M. Fareed Sheikh d’être entendu préalablement à l’adoption d’une décision, la DIRL fixa d’abord une audition au 5 novembre 2014, puis, suite à un report, aux 4 et 25 août et au 5 novembre 2015. Dûment convoqué, M. Fareed Sheikh ne comparut à aucune de ces auditions.

6. Par cinq décisions distinctes adoptées le 9 décembre 2015, la DIRL infligea les amendes à M. Fareed Sheikh en retenant les montants tels qu’annoncés dans les lettres des 25 et 26 août 2014 susmentionnées.

7. Par quatre décisions distinctes adoptées le 25 janvier 2016, le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-Capitale déclara non fondés les recours administratifs introduits par l’intéressé contre les décisions du 9 décembre 2015. Par une cinquième décision adoptée le même 25 janvier 2016, le recours dirigé contre l’une des décisions susmentionnées (amende de 23 100 EUR) fut déclaré irrecevable pour tardiveté.

8. M. Fareed Sheikh contesta devant le Conseil d’État les quatre décisions du 25 janvier 2016 ayant fait l’objet d’un examen sur le fond. Il invoqua, entre autres, la violation du principe non bis in idem en raison de la prise en compte des manquements constatés dans les parties communes des logements par chacune des amendes infligées.

9. Le 14 juillet 2017, M. Fareed Sheikh décéda alors que son recours introduit devant le Conseil d’État était pendant. Les requérants reprirent l’instance.

10. Par un arrêt du 29 mai 2018, le Conseil d’État rejeta le recours, considérant que le principe non bis in idem ne s’oppose pas à ce que, lorsqu’un manquement constaté dans les parties communes affecte immédiatement la sécurité, la salubrité ou l’équipement minimal nécessaire de plusieurs logements, l’amende infligée pour ce manquement le soit intégralement pour chacun des logements auxquels il se rapporte.

11. Invoquant l’article 4 du Protocole no 7, les requérants se plaignent devant la Cour de l’infliction d’une multiplicité de sanctions administratives à raison de faits identiques ou de faits qui sont en substance les mêmes.

12. Dans leurs observations en réplique du 18 juin 2021, les premier, troisième et quatrième requérants ont informé la Cour que Mme Salma Sheikh (deuxième requérante) est décédée le 24 septembre 2019 et qu’ils entendaient maintenir la requête en son nom.

APPRÉCIATION DE LA COUR

13. La Cour examinera cette affaire à la lumière des principes généraux concernant l’article 4 du Protocole no 7 tels qu’ils se trouvent énoncés notamment dans les arrêts Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, §§ 7884, CEDH 2009), A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, §§ 117134, 15 novembre 2016), et Mihalache c. Roumanie ([GC], no 54012/10, §§ 9398 et 102116, 8 juillet 2019).

14. Elle note d’emblée que le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la qualité de victime des requérants au sens de l’article 34 de la Convention, notamment sur la question de savoir si les requérants peuvent se prétendre victimes de la violation alléguée de l’article 4 du Protocole no 7 en tant que héritiers de M. Fareed Sheikh, ainsi que de Mme Salma Sheikh, décédée après l’introduction de la présente requête. Elle estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur cette question dans la mesure où la requête est, en tout état de cause, irrecevable pour les motifs exposés ciaprès.

15. La Cour constate que les parties s’accordent sur ce que les amendes administratives infligées à M. Fareed Sheikh revêtaient un caractère « pénal » au sens autonome de l’article 4 § 1 du Protocole no 7 (Mihalache, précité, §§ 5354). Tenant compte de sa jurisprudence (voir notamment Goulandris et Vardinogianni c. Grèce, no 1735/13, §§ 5963, 16 juin 2022), la Cour ne voit pas de raison d’en convenir autrement. Il reste dès lors à examiner si le principe non bis in idem consacré par l’article 4 § 1 du Protocole no7 a été méconnu en l’espèce.

16. La Cour note que l’article 10 du code bruxellois du logement en vertu duquel les amendes litigieuses ont été adoptées, sanctionne d’une amende administrative le fait d’avoir mis en location un « logement » qui ne répond pas aux exigences minimales de sécurité, de salubrité et d’équipement. Aux termes de l’article 2, § 1er, 3o dudit code, le « logement » s’entend de « l’immeuble ou la partie d’immeuble utilisé ou affecté à l’habitation d’un ou de plusieurs ménages ».

17. Il ressort de cet article 10, tel qu’interprété en l’espèce par les juridictions internes, que l’amende est infligée par logement mis en location. Selon la jurisprudence du Conseil d’État (voir, outre l’arrêt rendu dans la présente affaire, l’arrêt no235.379 du 7 juillet 2016), cette disposition habilite l’autorité administrative à prononcer plusieurs amendes pour un même immeuble lorsque celui-ci comporte, comme en l’espèce, plusieurs logements loués, sans qu’il y ait là méconnaissance du principe non bis in idem.

18. Dans le cas présent, la Cour ne peut considérer que M. Fareed Sheikh a été sanctionné à plusieurs reprises pour la même infraction se rapportant à un même logement, au mépris de l’article 4 § 1 du Protocole no 7. Les amendes litigieuses sanctionnent en effet des manquements se rapportant à des logements distincts, mis en location séparément et ayant généré des revenus locatifs distincts. Ces manquements aux exigences minimales de sécurité, de salubrité et d’équipement ont par ailleurs mis en danger des locataires différents.

19. Qui plus est, si les amendes litigieuses se fondent sur plusieurs manquements identiques dans les parties communes des logements mis en location, elles reposent également sur des manquements différents constatés dans chaque logement séparément. La réalité de ces manquements n’a, du reste, pas été contestée devant les autorités internes ni devant la Cour.

20. Eu égard à ce qui précède, la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 16 février 2023.

Dorothee von Arnim Egidijus Kūris
Greffière adjointe Président


ANNEXE

Liste des requérants

Requête no 56833/18

No

Prénom NOM

Sexe

Année de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

Zohaib SHEIKH

M

1990

Belge

Overijse

Salma SHEIKH

F

1986

Belge

Hounslow

Wajahat SHEIKH

M

1987

Belge

Overijse

Tahmina KHALIL

F

1966

Belge

Overijse