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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 46552/15
Pascal GOURDON
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 19 janvier 2023 en un comité composé de :

Carlo Ranzoni, président,
Mattias Guyomar,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 46552/15 contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Pascal Gourdon (« le requérant ») né en 1959 et résidant à Papeete, a saisi la Cour le 9 septembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne le refus opposé à un justiciable, avocat de profession, de se défendre lui-même dans le cadre d’une procédure administrative. Le requérant invoque une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dans son volet civil, en soutenant que l’objectif de protection du justiciable visant à le placer sur un pied d’égalité avec l’administration n’a pas de raison de s’appliquer lorsque le justiciable est un avocat.

2. Le requérant, avocat de profession, enseigne également à l’Université de la Polynésie française. Le 18 décembre 2012, la trésorerie générale de la Polynésie française émit un titre de perception tendant au remboursement de son salaire perçu entre le 1er novembre et le 1er décembre 2010, d’un montant de 3 306 euros, pour cause de service d’enseignement non effectué.

3. Par une requête du 22 octobre 2013, le requérant saisit le tribunal administratif de la Polynésie française, afin d’obtenir l’annulation de ce titre.

4. Par un jugement du 11 mars 2014, le tribunal administratif rejeta sa requête, au motif que le requérant n’était pas recevable à contester directement devant le juge le bien-fondé de la créance objet du titre exécutoire, faute d’avoir adressé une réclamation préalable au comptable chargé du recouvrement avant le saisir, conformément aux exigences de l’article 118 du décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Pour ce faire, le tribunal constata que le requérant avait simplement adressé un courrier au comptable public chargé du recouvrement de la créance à réception d’une lettre de rappel qui avait pour seul objet de solliciter « une explication sur l’origine de cette créance, afin d’être en mesure de la régler dans le meilleur délai ». Il précisa également qu’il n’était ni établi ni allégué qu’il aurait présenté une réclamation postérieurement à la réception du titre de perception.

5. Le requérant saisit la cour administrative d’appel d’un appel dirigé contre ce jugement.

6. Par une ordonnance du 6 août 2014, le président de la sixième chambre de la cour administrative d’appel de Paris releva, d’une part, que la requête ne figurait pas au nombre de celle qui sont dispensées du ministère d’avocat et, d’autre part, que le requérant n’avait pas donné suite à une demande de régularisation de sa requête par ministère d’avocat régulièrement effectuée. Il en conclut que la requête ne pouvait qu’être entachée d’une irrecevabilité manifeste.

7. Le 23 mars 2015, le Conseil d’État refusa d’admettre en cassation le pourvoi du requérant contre cette ordonnance, pour les motifs suivants :

« Considérant que, pour demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque, [le requérant] soutient que le président de la 6ème chambre de la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit et méconnu l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le droit d’accès au juge en estimant qu’en sa qualité d’avocat, il ne pouvait assurer sa propre représentation ; qu’il a dénaturé ses écritures en jugeant que n’avait pas été soulevé de moyen mettant en cause la légalité des dispositions réglementaires du code de justice administrative au regard de la convention européenne ;

(...) aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi ».

APPRÉCIATION DE LA COUR

8. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention, au motif que la contestation soumise à l’appréciation des juridictions nationales n’était ni « réelle » ni « sérieuse », faute d’avoir adressé une réclamation préalable avant de pouvoir saisir valablement le tribunal administratif.

9. Le requérant conteste le fait qu’une telle réclamation préalable aurait été requise à peine de nullité dès lors qu’il ne réclamait pas une indemnité, mais contestait un titre de perception.

10. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 sous son volet « civil » trouve à s’appliquer, il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, et ce qu’il soit protégé ou non par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 40, CEDH 2015). Dans plusieurs affaires dans lesquelles les recours internes avaient été rejetés pour des motifs procéduraux (absence de recours préalable ou saisine d’un tribunal incompétent), la Cour a estimé que la « contestation » soulevée devant les tribunaux nationaux par les requérants n’était ni « réelle » ni « sérieuse », de sorte que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouvait pas à s’appliquer. Pour ce faire, elle a souligné que le rejet de l’action était prévisible et que les requérants n’avaient aucune chance de renverser la situation dont ils se plaignaient (Astikos Oikodomikos Synetairismos Nea Konstantinoupolis c. Grèce (déc.), no 37806/02, 20 janvier 2005, Stavroulakis c. Grèce (déc.) [comité], no 22326/10, 28 janvier 2014, Avranitakis et autres c. Grèce (déc.) [comité], no 21898/10, 26 août 2014, et Teker c. Turquie (déc.), no 2272/11, 20 juin 2017).

11. En l’espèce, la Cour constate que, comme l’a relevé le tribunal administratif, le requérant n’était pas recevable à contester directement devant le juge le bien-fondé de la créance objet du titre exécutoire, faute d’avoir adressé une réclamation préalable au comptable chargé du recouvrement avant de saisir la juridiction administrative. Ainsi, le rejet de l’action du requérant était prévisible et ce dernier n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause en l’espèce. La Cour constate que le tribunal administratif s’est fondé sur les dispositions du décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012, dont le requérant ne conteste pas l’application au cas d’espèce. Or, son l’article 117 précise que cette règle s’applique aussi bien aux contestations portant sur la régularité du titre de perception, que sur celles portant sur l’existence de la créance, son montant ou son exigibilité. La Cour estime par conséquent, que la « contestation » soulevée devant les juridictions administratives par le requérant n’était ni « réelle » ni « sérieuse », de sorte que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer (Astikos Oikodomikos Synetairismos Nea Konstantinoupolis, précitée). Les griefs du requérant tirés de l’article 6 § 1 de la Convention sont donc incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

12. Il s’ensuit qu’il y a lieu de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement, et de rejeter la requête en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.


Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 février 2023.

Martina Keller Carlo Ranzoni
Greffière adjointe Président