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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

Requête no 35967/19
Valentina BORTOLATO
contre l’Italie

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 10 janvier 2023 en un comité composé de :

Péter Paczolay, président,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 35967/19 contre la République italienne et dont une ressortissante italienne, Mme Valentina Bortolato (« la requérante ») née en 1968 et résidant à Torreglia, représentée par Me A. Schuster, avocat à Trente, a saisi la Cour le 28 juin 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, L. D’Ascia, avocat d’État,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. L’affaire concerne l’impossibilité pour la requérante, à la suite de la rupture de la relation de couple, de maintenir une relation à l’égard des enfants nés en 2012 – deux jumelles – de son ex-compagne conçus par procréation médicalement assistée.

2. La requérante est la mère intentionnelle de deux jumelles que son excompagne C. avait conçues par procréation médicalement assistée en 2012.

3. En 2017, après la séparation d’avec C., un accord fut conclu entre les deux femmes, selon lequel la requérante participait financièrement à l’entretien des enfants et pouvait exercer un droit de visite et d’hébergement pendant la moitié de la semaine.

4. En juillet 2018, la requérante informa C. de vouloir présenter une demande d’adoption spéciale au sens de l’article 44 1) d de la loi no 184 de 1993. Toutefois, C. ne donna pas son consentement à l’adoption et empêcha toute relation entre la requérante et les enfants.

5. Le 17 décembre 2018, la requérante saisit le tribunal pour enfants de Venise (ci-après « le tribunal »), et s’appuyant sur l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt no 225 de 2016 des dispositions visant à protéger les intérêts de l’enfant, demanda au parquet d’intervenir conformément aux articles 333 et 336 du code civil, pour se voir accorder un droit de visite. Le parquet demanda au tribunal pour enfants d’octroyer la garde des enfants aux services sociaux afin d’organiser des rencontres avec la requérante.

6. Par une décision du 17 avril 2019, le tribunal déclara le recours de la requérante irrecevable en raison de l’absence de légitimation de celle-ci, conformément aux articles 333 et 336 du code civil, mais accueillit le recours du parquet, en adhérant à ses requêtes formulées sur demande de la requérante. En particulier, le tribunal limita l’autorité parentale de C., et confia la garde des enfants aux services sociaux en les chargeant d’organiser des rencontres avec la requérante.

7. La cour d’appel rejeta l’appel de la requérante le 21 juin 2019.

8. La requérante se pourvut en cassation. La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 19 mai 2022.

9. Entre-temps, par une décision du 15 novembre 2019, le tribunal nomma un curateur ad hoc pour les enfants et chargea un pédopsychiatre d’évaluer la situation des enfants au vu de la séparation d’avec la requérante.

10. Depuis 2019 plusieurs projets de médiation ont été mis en place et un droit de visite a été assuré à la requérante. Plusieurs rapports des services sociaux furent déposés.

11. Par une décision du 19 mai 2021, le tribunal ordonna que les rencontres protégées se poursuivent et que les services sociaux prévoient l’organisation de rencontres libres.

12. C. interjeta appel. Le parquet demanda le rejet de l’appel. Par une décision du 18 mars 2022, la cour d’appel rejeta l’appel et souligna que la décision du tribunal pour enfants avait été adoptée sur demande du parquet, intervenu au sens de l’article 336 du code civil. La Cour prit également acte de ce que, selon les derniers rapports des services sociaux, des difficultés étaient apparues dans la mise en œuvre du projet de rapprochement entre les enfants et la requérante.

13. Entre temps, la requérante saisit le tribunal de Padoue afin d’obtenir la reconnaissance du statut juridique de mère. Par une ordonnance du 9 décembre 2019, le tribunal de Padoue souleva une question de légitimité constitutionnelle concernant le statut juridique de la personne née en Italie suite à l’application de techniques de procréation médicalement assistée de type hétérologue pratiquées à l’étranger dans le cadre d’une relation procréative d’un couple formé par deux femmes.

14. Par la décision no 30 du 28 janvier 2021, la Cour Constitutionnelle, tout en déclarant la question soulevée par le tribunal de Padoue irrecevable, constata une grave lacune dans la protection des personnes nées par procréation médicalement assistée hétérologue pratiquée par un couple de femmes, lacune que le législateur, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devra combler dans les plus brefs délais, en identifiant les moyens les plus appropriés pour reconnaître les liens affectifs stables de ces mineurs, même envers la mère intentionnelle.

15. La requérante invoque les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention en se plaignant de l’impossibilité de demander, devant une autorité judiciaire, la reconnaissance du droit de visite et de ce que l’impossibilité de reconnaitre les enfants conçus par procréation médicalement assistée uniquement pour les couples hétérosexuels, constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

APPRÉCIATION DE LA COUR

16. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants (voir, notamment, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l’espèce, elle estime plus approprié d’examiner les griefs formulés par la requérante exclusivement sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

17. La Cour estime qu’elle n’a pas à se prononcer sur les exceptions préliminaires de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement, la requête étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.

18. Elle rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre d’éventuelles ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Elle constate, ensuite, que le fait que le lien entre les enfants et la requérante est entravé ne résulte pas d’une décision ou d’un acte d’une autorité publique mais qu’il est la conséquence de la séparation de cette dernière d’avec la mère des enfants.

19. La Cour renvoie aux arrêts dans les affaires Honner c. France (no 19511/16, § 50, 12 novembre 2020), V.D. et autres c. Russie (no 72931/10, §§ 125‑131, 9 avril 2019) et Moretti et Benedetti c. Italie (no 16318/07, § 60-71, 27 avril 2010), qui concernaient la question du maintien d’un lien familial de facto entre des adultes et des enfants, et qu’elle a examiné sous l’angle de l’obligation positive des États parties de garantir aux personnes relevant de leur juridiction le respect effectif de leur vie familiale.

20. La Cour note que le grief de la requérante porte sur l’impossibilité de demander la reconnaissance du droit de visite à l’égard des enfants devant une autorité judiciaire et de faire valoir son droit reconnu par l’article 8 de la Convention en tant que « parent social ».

21. La Cour observe, tout d’abord, que le droit italien prévoit la possibilité pour une personne ayant développé un lien familial de facto avec un enfant d’obtenir des mesures visant à la préservation de ce lien. À cet égard elle rappelle que la Cour constitutionnelle, dans sa décision no 225 de 2016, a statué que l’interruption injustifiée d’une relation significative établie et entretenue par le mineur avec un tiers (sans lien de parenté) pourrait relever de l’article 333 du code civil, qui permet au juge d’adopter des « mesures appropriées » lorsque le comportement de l’un ou des deux parents porte préjudice au mineur. Et ce sur l’appel du parquet (ainsi prévu par l’article 336 du code civil), également à la demande de l’adulte (non-parent) impliqué dans la relation en question.

22. La Cour note que, dans le cas d’espèce, même s’il n’a pas été possible pour la requérante de saisir directement les tribunaux, le parquet, qui remplit un rôle institutionnel dans la magistrature, a agi pour donner suite à sa demande en sollicitant le tribunal de prendre des mesures dans l’intérêt des enfants. Le tribunal a donc pris une série de mesures finalisées à restaurer une relation entre les enfants et la requérante. Plusieurs rapports des services sociaux ont été déposés, une procédure de médiation a été mise en place, des rencontres protégées ont eu lieu et des rencontres libres seront à prévoir.

23. La Cour note donc que le parquet a représenté les intérêts de la mère « d’intention » de demander un examen judiciaire de la question de la préservation du lien qu’elle avait développé avec les enfants, possibilité dont elle a usé.

24. La présente affaire se distingue donc de l’affaire V.D. et autres c. Russie, précitée, qui concernait notamment le cas d’une personne qui s’était trouvée privée de la possibilité de maintenir le lien familial de facto qui s’était développé entre elle et un enfant dont elle avait été tutrice pendant plusieurs années, après le retour de ce dernier chez ses parents. La conclusion de la Cour se fondait en particulier sur le fait que, le droit russe n’ouvrant pas cette possibilité aux personnes dépourvues de liens biologiques avec l’enfant, les juridictions internes avaient rejeté la demande de la requérante tendant à l’organisation de contacts, sans même examiner les circonstances de la cause ni caractériser l’intérêt supérieur de l’enfant.

25. Quant au grief portant sur la discrimination subie en raison de l’impossibilité de reconnaitre les enfants conçus par procréation médicalement assistée par son ex-compagne, la Cour prend acte de ce que la requérante n’a pas tenté de reconnaître les enfants lors de leur naissance et n’a pas soulevé expressément la question de la discrimination devant les juridictions nationales. De plus, elle note que, comme le souligne le Gouvernement, même lorsqu’il s’agit d’un parent d’intention de sexe masculin, si le parent biologique s’oppose à la reconnaissance, il est également nécessaire d’introduire une action pour obtenir une déclaration judiciaire de paternité et/ou de maternité.

26. À la lumière de ce qui précède, après une analyse approfondie des observations des parties, des décisions des juridictions internes et de la jurisprudence pertinente, la Cour considère que, eu égard aussi à l’ample marge d’appréciation dont il disposait, l’État défendeur n’a pas méconnu son obligation positive de garantir le respect effectif du droit de la requérante à sa vie familiale.

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 février 2023.

Liv Tigerstedt Péter Paczolay
Greffière adjointe Président