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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.1.2023
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 27131/18
M.C.
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 10 janvier 2023 en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu :

la requête no 27131/18 contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme M.C. (« la requérante ») née en 1956 et résidant à Bucarest, représentée par Me C. Cojocaru, avocate à Bucarest, a saisi la Cour le 5 juin 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de ne pas dévoiler l’identité de la requérante ;

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son co-agent, M. S.-A. Purza, du ministère des Affaires étrangères,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. En novembre 2008, la requérante consulta le docteur T.F., qui, soupçonnant un cancer rectal, demanda plusieurs examens. En décembre 2008, une biopsie confirma la présence d’une tumeur. T.F. prescrit une radiothérapie et conseilla une intervention chirurgicale. Les docteurs A.C. et L.B. réalisèrent la radiothérapie.

2. Ensuite, l’intéressée sollicita un second avis au docteur C.C. qui lui proposa une intervention moins invasive, pour enlever par voie laparoscopique la tumeur. La requérante subit l’intervention en avril 2009. Ultérieurement, elle développa des complications, dont une sténose anale et une fistule rectovaginale, que les traitements pratiqués par C.C. n’améliorèrent pas.

3. En 2010, la requérante subit deux nouvelles interventions chirurgicales à Vienne. Son état ne s’améliora pas. Elle subit une dernière intervention chirurgicale en août 2011. Un anus artificiel fut réalisé à cette occasion.

4. Le 28 février 2012, la requérante saisit le parquet d’une plainte pénale pour blessures corporelles et négligence contre T.F. et C.C. Le 30 mai 2014, elle demanda l’élargissement de l’enquête à A.C. et L.B. Elle se constitua partie civile au cours de la procédure.

5. Le parquet entendit T.F. et C.C., la requérante et des témoins et demanda la réalisation d’une expertise à l’institut national de médecine légale (« l’institut »).

6. Le 30 juin 2014, l’institut rendit un rapport qui concluait que : le diagnostic de cancer était correct et l’excision chirurgicale de la tumeur était nécessaire ; l’intervention par voie laparoscopique était acceptée ; des complications pouvaient apparaître plus fréquemment après une radiothérapie et la patiente devait en être informée ; la fistule recto-vaginale était une complication connue de la radiothérapie et de la dilatation de la sténose et elle n’était pas due à une erreur médicale. Le rapport nota que ni le formulaire de consentement ni d’autres documents médicaux n’avaient été transmis à l’institut.

7. Le 16 septembre 2015, le parquet classa l’affaire concernant T.F. et C.C. Sur contestation de la requérante, le tribunal de première instance de Bucarest (« le tribunal ») renvoya, le 18 février 2016, l’affaire au parquet pour éclaircir les faits. Le tribunal enjoignit au parquet d’entendre A.C. et L.B. et de soumettre T.F. et C.C. au test du détecteur de mensonges. Le tribunal demanda au parquet de recueillir tous les documents médicaux concernant la requérante, de solliciter par commission rogatoire les documents établis à Vienne et de refaire l’expertise médicolégale. Enfin, le tribunal demanda des clarifications sur la question du consentement.

8. Plus tard, le parquet entendit les quatre médecins et demanda un nouveau rapport d’expertise à l’institut. Les autorités fournirent à l’institut quarante documents médicaux supplémentaires et la requérante communiquât les documents délivrés à Vienne. Le 15 mars 2017, les experts légistes examinèrent l’intéressée.

9. L’institut rendit, le 8 mai 2017, un rapport de nouvelle expertise médico-légale (« le rapport de nouvelle expertise ») qui concluait que : le diagnostic de cancer était confirmé ; les investigations réalisées de manière multidisciplinaire étaient conformes aux standards médicaux ; les interventions chirurgicales avaient été correctement décidées et réalisées ; le formulaire de consentement faisait défaut ; les complications apparues n’étaient pas le résultat d’une erreur médicale. Le 15 mai 2017, le rapport reçut l’avis conforme de la commission de contrôle de l’institut.

10. La requérante contesta le second rapport et demanda au parquet de recueillir l’opinion d’un expert en dehors de l’institut, qu’elle avait contacté. Le 9 juin 2017, le parquet rejeta cette demande car l’intéressée aurait pu désigner un expert participant à la nouvelle expertise et que les preuves proposées n’apportaient pas d’éléments nouveaux. Le 5 juillet 2017, le parquet rejeta une nouvelle demande de preuves supplémentaires et nota qu’une nouvelle audition de A.C. et L.B. n’était pas nécessaire ; que T.F. et C.C. n’avaient pas consenti au test du détecteur de mensonges ; que tous les documents médicaux avaient été versés au dossier et que la commission rogatoire sollicitée n’était plus nécessaire.

11. Le 12 juillet 2017, le parquet classa l’affaire. Il constata que les quatre médecins avaient agi selon les protocoles médicaux en vigueur et que les éléments constitutifs de l’infraction de blessures graves n’étaient pas réunis. Quant au consentement au traitement, le parquet nota que la pratique en vigueur n’était pas unitaire et laissait à la discrétion des médecins la manière de procéder. En l’espèce, les éléments du dossier démontraient que l’intéressée connaissait en détail le diagnostic, les traitements proposés et les risques encourus. La seule absence d’un formulaire écrit de consentement ne constituait pas une infraction de négligence en service.

12. Par une décision définitive du 6 décembre 2017, le tribunal rejeta la contestation de la requérante. Se fondant sur le rapport de nouvelle expertise, qu’il jugea complet, le tribunal constata que les faits de blessures graves n’étaient pas réunis. Il jugea que l’état de santé de l’intéressée était le résultat des complications apparues après la radiothérapie et les interventions chirurgicales. Quant aux faits de négligence, le tribunal nota que, au moment des faits, il n’y avait pas une pratique unitaire pour recueillir le consentement des patients, que les preuves démontraient que l’intéressée connaissait en détail les procédures médicales à suivre, que les médecins lui avaient donné les explications nécessaires, et que les sanctions disciplinaires déjà appliquées (paragraphe 15 ci-dessous) étaient suffisantes.

13. Entretemps, la requérante avait formé une plainte disciplinaire contre T.F. et C.C. Sa plainte ne visait pas A.C. et L.B.

14. Le 24 février 2012, le collège des médecins de Bucarest déclencha une enquête disciplinaire. La commission de discipline du collège procéda à l’audition de T.F. et de la requérante. La commission disposait aussi des documents médicaux concernant la requérante.

15. Le 22 novembre 2012, la commission de discipline rendit sa décision et jugea que le diagnostic était correct et que le traitement avait été adéquat. En revanche, elle jugea que T.F. avait commis une faute disciplinaire car il n’avait pas prouvé avoir recueilli par écrit le consentement de la requérante et lui appliqua la sanction de la réprimande (mustrare). La commission de discipline renvoya au collège des médecins de Roumanie l’enquête relative à C.C., en raison de sa qualité de membre de l’assemblée générale du collège des médecins de Bucarest. Sur contestation de la requérante, le collège des médecins de Roumanie confirma cette décision, le 20 juin 2014, et jugea que la réprimande imposée à T.F. était suffisante.

16. Selon les informations fournies par le Gouvernement, non-contestées par la requérante, le dossier visant C.C. a été examiné par la commission de juridiction professionnelle du collège des médecins de Roumanie et ensuite par la commission supérieure de discipline du même collège. Ces commissions ont jugé que C.C. n’avait pas commis de faute médicale. Les parties n’ont pas fourni les copies des décisions respectives.

17. La requérante n’a pas engagé une nouvelle action civile séparée (paragraphe 4 ci-dessus), ni une action fondée sur la loi no 95/2006 sur la réforme dans le domaine de la santé (« la loi no 95/2006 »).

APPRÉCIATION DE LA COUR

18. La requérante invoque les articles 6, 8 et 13 de la Convention pour dénoncer la durée excessive et le défaut d’effectivité de l’enquête pénale. Elle allègue avoir subi, sans avoir donné son consentement, un traitement qui présentait des risques et se plaint de l’absence de dédommagement pour le préjudice prétendument subi.

19. En application du principe jura novit curia (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018), la Cour examinera la requête sous l’angle du seul article 8 de la Convention. Elle rappelle que les principes applicables ont été résumés dans les arrêts Vilela et autres c. Portugal, (no 63687/14, §§ 73-79, 23 février 2021) et Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal, ([GC], no 56080/13, §§ 185-196 et 214-221, 19 décembre 2017).

20. La Cour recherchera si les autorités nationales ont respecté leur obligation procédurale de mener une enquête afin d’identifier et éventuellement punir les personnes responsables. Elle n’examinera pas l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement, qui reproche à la requérante de ne pas avoir engagé une action en responsabilité civile, le grief étant irrecevable en tout état de cause pour les raisons suivantes.

21. En l’espèce, la Cour examinera l’effectivité des seules procédures poursuivies, les procédures pénale et disciplinaire. Elle rappelle toutefois que, dans les affaires de simple négligence médicale, la voie civile est à privilégier (Scripnic c. République de Moldova, no 63789/13, § 31, 13 avril 2021, et les affaires qui y sont citées).

22. Les autorités chargées de la procédure pénale ont procédé à des actes d’enquête et ont examiné le dossier médical de la requérante. Deux expertises médico-légales ont été réalisées et, selon leurs conclusions, le diagnostic était correct, le traitement avait été adéquat et l’état de santé final de l’intéressée s’expliquait par les complications développées après les interventions. Ces opinions médicales sont complètes au regard des circonstances spécifiques de l’espèce et la requérante n’a pas avancé devant la Cour des arguments solides pour mettre en doute leurs conclusions (voir, a contario, Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, no 54969/09, §§ 102-111, 25 juin 2019, et Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32146/05, §§ 83-84, 16 février 2010). Il s’ensuit que les autorités de l’enquête ont pris des mesures raisonnables et ont écarté la thèse de la négligence médicale.

23. L’affaire a été certes renvoyée par le tribunal au parquet pour compléter l’enquête. Toutefois, en vertu du principe de subsidiarité, la tâche de redresser la situation dans l’ordre juridique interne revient premièrement aux juridictions nationales (voir, mutatis mutandis, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-70, 25 mars 2014). En l’espèce, la Cour note que les enquêteurs ont respecté les indications données par le tribunal. La prolongation de l’enquête n’a pas eu de répercussion négative sur son efficacité dans la mesure où elle a permis la réalisation d’une nouvelle expertise fondée sur l’ensemble des documents médicaux et l’audition de tous les médecins ayant soigné l’intéressée.

24. S’agissant plus précisément de la question du consentement, celle-ci a été examinée lors de l’enquête pénale. Le tribunal a constaté que les preuves au dossier démontraient que l’intéressée avait été dûment informée par les médecins. Tant le parquet que le tribunal ont constaté l’absence de consentement par écrit. Or, le fait qu’ils aient jugé que cette absence formelle ne revêtait pas une nature pénale mais plutôt disciplinaire ne soulève pas de problème sur le terrain de la Convention en l’espèce. La question a bien été examinée dans la procédure disciplinaire contre T.F. et celui-ci s’est vu infliger une sanction disciplinaire. Selon les informations fournies par le Gouvernement, noncontredites par la requérante, la sanction appliquée à T.F. est définitive. La question du consentement a aussi été examinée dans la procédure disciplinaire contre C.C. Sur la base des documents en sa possession, la Cour ne saurait pas tirer une conclusion décisive de l’absence de sanction contre C.C. (voir, mutatis mutandis, E.M. c. Roumanie, (déc.), no 20192/07, § 55, 3 juin 2014).

25. Quant à la durée de l’enquête pénale, il n’apparaît pas que le passage du temps ait eu un impact défavorable sur la manière dont les actes d’enquête ont été réalisés, par exemple en entraînant la disparition des preuves ou en rendant difficile l’obtention de déclarations complètes (voir, a contrario, Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 139, 31 janvier 2019 où les témoins avaient été entendus entre huit et neuf ans après les faits). La durée de l’enquête n’a donc pas eu, à elle seule, des répercussions sur son effectivité (voir, mutatis mutandis, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 171, 25 juin 2019).

26. Dès lors, l’enquête menée par les autorités nationales apparaît effective. Elle a permis de clarifier l’exactitude du diagnostic et du traitement réalisé et d’écarter la thèse d’une négligence médicale grave et sa durée n’a pas nui à son effectivité. L’absence d’une issue favorable à la requérante ne peut pas en elle-même conduire à la conclusion que l’État défendeur a failli à l’obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 221).

27. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 février 2023.

Crina Kaufman Branko Lubarda
Greffière adjointe f.f. Président