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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.12.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 34383/20
Henry DE LESQUEN DU PLESSIS CASSO
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme cinquième section, siégeant le 15 décembre 2022 en un comité composé de :

Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 34383/20 contre la République française et dont un ressortissant français, M. Henry de Lesquen du Plessis Casso (« le requérant ») né en 1949 et résidant à Versailles, représenté par Me F. Wagner, avocat à Paris, a saisi la Cour le 5 août 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. L’affaire concerne la condamnation pénale du requérant pour provocation publique à la discrimination envers un groupe de personnes à raison de leur origine. Le requérant invoque l’article 10 de la Convention.

2. Entre le 5 et le 10 juillet 2016, le requérant, qui fut conseiller municipal de Versailles entre 2001 et 2014, publia plusieurs messages sur son site internet et son compte twitter, dont un tweet du 7 juillet 2016 énonçant : « Comment franciser l’équipe de France de balle au pied ? 1. Expulser les Français de papier. 2. Réprimer le communautarisme ».

3. Le 14 novembre 2016, le requérant fut poursuivi devant le tribunal de grande instance de Paris du chef de provocation publique à la discrimination, la haine, la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée du fait de plusieurs propos publiés les 5, 7, 8 et 10 juillet 2016, dont le tweet du 7 juillet cité au paragraphe 2.

4. Le 25 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Paris condamna le requérant pour provocation publique à la discrimination envers un groupe de personnes à raison de leur origine pour les propos publiés les 5, 7, 8 et 10 juillet 2016. Il le condamna au paiement d’une amende de 5 000 euros (EUR) ainsi qu’au versement de dommages-intérêts d’un montant d’un EUR à deux associations parties civiles et de 1 000 EUR à trois autres associations parties civiles.

5. Le 6 juin 2018, la cour d’appel de Paris confirma le jugement sur la culpabilité eu égard au seul tweet litigieux du 7 juillet 2016 (voir paragraphe 2) et l’infirma sur ses autres dispositions pénales. Elle réduisit la peine à 1 000 EUR d’amende ainsi que le montant des dommages-intérêts à un EUR pour chacune des associations parties civiles. Elle se fonda notamment sur les motifs suivants :

« En l’espèce, la citation vise d’abord cinq passages contenus dans l’article intitulé « Le coefficient de blancheur des équipes de balle au pied » mis en ligne sur le site internet « lesquen2017.com ». Ces propos énoncent principalement les « coefficients de blancheur » des équipes de football de plusieurs pays (...) ainsi qu’une définition du terme « non-blanc ». Même si le sujet et le contenu de cet article peuvent légitimement choquer et si de tels calculs peuvent être critiqués et contestés, il n’en demeure pas moins que les passages incriminés se contentent de constatations – que le lecteur est libre de ne pas trouver « amusantes » -, mais qu’ils ne contiennent aucun appel ou exhortation, même sous une forme implicite, tendant à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence, envers les personnes non-blanches. En revanche, il en va différemment du premier tweet du 7 juillet 2016 (...). En effet, le prévenu donne ici des solutions consistant en l’expulsion (de l’équipe ou même du pays) et la répression envers les personnes qui ne sont pas d’origine française, sans nullement préciser ni laisser entendre qu’il s’agirait seulement des joueurs « binationaux qui refusent de chanter la Marseillaise et qui ne sont donc pas de vrais Français assimilés », ce qui caractérise un appel ou une exhortation tendant à inciter le public à la discrimination envers ce groupe de personnes à raison de son origine. »

6. Le 13 novembre 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation du requérant contre cet arrêt aux motifs que :

« en l’état de ces énonciations et abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant sur le groupe visé par le message du 7 juillet 2016, la cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des passages poursuivis, dont un seul contenait un appel à la discrimination à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine, cependant que les autres, pour empreints qu’ils puissent être de sentiments racistes, ne contenaient, même de façon implicite, pas d’appel ou d’exhortation à la discrimination, la haine ou la violence, a fait l’exacte application des textes visés aux moyens, lesquels doivent être écartés ».

APPRÉCIATION DE LA COUR

7. Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant soutient que la condamnation pénale dont il a fait l’objet porte atteinte à son droit à la liberté d’expression. Il fait valoir que le tweet incriminé ne constituait pas un appel à la discrimination mais un élément de programme politique.

8. La Cour relève que la condamnation du requérant s’analyse comme une ingérence des autorités publiques dans l’exercice de la liberté d’expression, telle que reconnue par l’article 10 § 1 de la Convention. Cette ingérence était prévue par la loi, à savoir les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et poursuivait au moins un des buts légitimes visés à l’article 10 § 2, à savoir la protection de la réputation et des droits d’autrui.

9. S’agissant de la condition de « nécessité dans une société démocratique », la Cour renvoie aux principes généraux maintes fois réaffirmés depuis l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni (7 décembre 1976, série A no 24) et rappelés plus récemment dans les arrêts Morice c. France ([GC], no 29369/10, § 124, CEDH 2015), Delfi AS c. Estonie ([GC], no 64569/09, §§ 131-139, CEDH 2015), et Perinçek c. Suisse ([GC], no 27510/08, §§ 196197 et les références jurisprudentielles y mentionnées, CEDH 2015 (extraits)).

10. L’adjectif « nécessaire », au sens du paragraphe 2 de l’article 10, implique l’existence d’un besoin social impérieux. De manière générale, la « nécessité » d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression doit se trouver établie de manière convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un tel besoin susceptible de justifier cette ingérence et, à cette fin, elles jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, celle-ci se double du contrôle de la Cour portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent.

11. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos litigieux et le contexte dans lequel ils furent diffusés. En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » et si les motifs invoqués par les autorités internes pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents.

12. L’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général (Scharsach et News Verlagsgesellschaft c. Autriche, no 39394/98, § 30, CEDH 2003-XI). La Cour souligne qu’il est fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique. Elle accorde la plus haute importance à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique et considère qu’on ne saurait restreindre le discours politique sans raisons impérieuses.

13. La Cour réitère que, sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Almeida Azevedo c. Portugal, no 43924/02, § 23, 23 janvier 2007). La Cour considère que tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général peut recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, c’est-à-dire être quelque peu immodéré dans ses propos (Mamère c. France, no 12697/03, § 25, CEDH 2006-XIII).

14. La Cour a néanmoins précisé que de tels propos ne doivent pas dépasser certaines limites, notamment quant au respect de la réputation et des droits d’autrui. Ainsi, la Cour a notamment affirmé « qu’il importe au plus haut point de lutter contre la discrimination raciale sous toutes ses formes et manifestations » (voir notamment Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, §§ 30-31, série A no 298, et Féret c. Belgique, no 15615/07, § 72, 16 juillet 2009).

15. En l’espèce, la Cour relève que les propos du requérant s’inscrivent dans un débat d’intérêt général relatif aux problèmes liés à l’installation et à l’intégration des immigrés. Elle rappelle que l’ampleur variable des problèmes auxquels les États peuvent faire face dans le cadre des politiques d’immigration et d’intégration commande de leur laisser disposer d’une marge d’appréciation assez large pour déterminer l’existence et l’étendue de la nécessité d’une ingérence (voir Le Pen c. France (déc.), no 18788/09, 20 avril 2010 et Le Pen c. France (déc.), no 45416/16, § 35, 28 février 2017).

16. La Cour relève que la cour d’appel et la Cour de cassation ont fait une distinction entre le tweet litigieux du 7 juillet 2016 et l’ensemble des autres propos incriminés. Elles ont considéré que ces derniers, même s’ils étaient empreints de sentiments racistes et pouvaient légitimement choquer, ne comportaient pas d’appel ou d’exhortation, même implicite, à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les personnes non blanches. À l’inverse, elles ont considéré, s’agissant du tweet litigieux du 7 juillet 2016, que les propos du requérant caractérisaient un appel ou une exhortation à la discrimination envers les personnes qui ne sont pas d’origine française, le requérant suggérant leur expulsion et la répression envers ces personnes.

17. La Cour rappelle que l’incitation à la haine ne requiert pas nécessairement l’appel à tel ou tel acte de violence ou à un autre acte délictueux. Les atteintes aux personnes commises en injuriant, en ridiculisant ou en diffamant certaines parties de la population et des groupes spécifiques de celle-ci ou l’incitation à la discrimination, comme cela a été le cas en l’espèce, suffisent pour que les autorités privilégient la lutte contre le discours raciste face à une liberté d’expression irresponsable et portant atteinte à la dignité, voire à la sécurité de ces parties ou de ces groupes de la population. Les discours politiques qui incitent à la haine fondée sur les préjugés religieux, ethniques ou culturels représentent un danger pour la paix sociale et la stabilité politique dans les États démocratiques (Féret, précité, § 73).

18. Par ailleurs, la Cour relève que les propos du requérant ont été diffusés sur un réseau social et étaient donc susceptibles d’atteindre un large public (Annen c. Allemagne, no 3690/10, § 67, 26 novembre 2015).

19. La Cour en conclut que la condamnation du requérant est fondée sur des motifs pertinents et suffisants.

20. Enfin, pour ce qui est des sanctions prononcées, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 64, CEDH 1999-IV et Le Pen c. France (déc.), no 45416/16, § 39, 28 février 2017). En l’espèce, en ce qui concerne la peine infligée au requérant, la Cour note que la sanction maximale encourue était une peine d’un an d’emprisonnement et une amende de 45 000 EUR. Or, le requérant a été condamné au seul paiement d’une amende d’un montant de 1 000 EUR.

21. Dès lors, eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice du droit du requérant à la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique ».

22. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 12 janvier 2023.

Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente