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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 34385/20
Henry DE LESQUEN DU PLESSIS CASSO
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme cinquième section, siégeant le 15 décembre 2022 en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 34385/20 contre la République française et dont un ressortissant français, M. Henry de Lesquen du Plessis Casso (« le requérant ») né en 1949 et résidant à Versailles, représenté par Me F. Wagner, avocat à Paris, a saisi la Cour le 5 août 2020 en vertu de l’article 34 de la‑Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. L’affaire concerne la condamnation pénale du requérant pour contestation publique de l’existence de crime contre l’humanité. Le requérant invoque l’article 10 de la Convention.
2. Les 27 et 28 avril 2016, le requérant publia sur son compte twitter deux messages indiquant, d’une part, « Je suis émerveillé de la longévité des « rescapés de la Shoah » morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées ? » et, d’autre part, « La plantureuse Simone Veil, « rescapée de la Shoah », a 88 ans. A ma connaissance, elle va bien. »
3. Le 11 juillet 2016, le requérant fut poursuivi devant le tribunal de grande instance de Paris du chef de contestation de l’existence de crime contre l’humanité en raison de ses deux tweets des 27 et 28 avril 2016.
4. Le 25 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Paris condamna le requérant, sur le fondement des articles 23, 24 bis, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pour contestation publique de l’existence de crime contre l’humanité et le condamna au paiement d’une amende de 8 000 euros ainsi qu’au versement de dommages-intérêts d’un montant d’un euro à deux associations parties civiles et de 1 000 euros à deux autres associations parties civiles.
5. Le 6 juin 2018, la cour d’appel de Paris confirma le jugement sur la culpabilité et réduisit la peine à 6 000 euros d’amende.
6. Le 13 novembre 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation du requérant contre l’arrêt de la cour d’appel aux motifs que :
« en l’état de ces énonciations, et dès lors que la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité entre dans les prévisions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, même si elle est présentée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation, la cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des propos poursuivis, en tenant compte des éléments extrinsèques qui lui ont été soumis, a fait une exacte application des textes visés au moyen, lequel n’est pas fondé ».
APPRÉCIATION DE LA COUR
7. Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant soutient que la condamnation pénale dont il a fait l’objet porte atteinte à son droit à la liberté d’expression. Il fait valoir qu’il n’a énoncé que des vérités incontestables qui ne sauraient être qualifiées de contestation de crime contre l’humanité.
8. La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit national, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant elle (voir, parmi beaucoup d’autres, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 72, 25 mars 2014). Elle rappelle que la finalité de la règle relative à l’épuisement des voies de recours internes est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi d’autres, Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI). L’article 35 § 1 de la Convention doit être appliqué avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, mais il n’exige pas seulement que les requêtes aient été adressées aux tribunaux internes compétents et qu’il ait été fait usage des recours effectifs permettant de contester les décisions déjà prononcées. Le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant ces mêmes juridictions nationales appropriées (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 142, CEDH 2010).
9. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a été poursuivi et condamné sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
10. Il est vrai que la Cour, depuis l’arrêt Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 39, CEDH 1999-I, admet généralement que le grief tiré de l’article 10 de la Convention doit être regardé comme ayant été invoqué en substance devant les juridictions internes dès lors que les procédures engagées devant elles avaient pour fondement la loi du 29 juillet 1881. Elle a déduit dans cette affaire que « la liberté d’expression était en cause, fût-ce de façon sous-jacente, dans la procédure devant la Cour de cassation, et que les arguments juridiques avancés par les requérants devant elle contenaient bien une doléance liée à l’article 10 de la Convention » et en a conclu que ceux-ci avaient « ainsi invoqué devant la Cour de cassation au moins en substance le grief qu’ils tirent de l’article 10 de la Convention ».
11. La Cour considère toutefois, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, qu’il doit en aller autrement dans la présente affaire.
12. Il ressort en effet du mémoire déposé auprès de la Cour de cassation à l’appui du pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel que le requérant s’est borné à soulever deux moyens tirés de la méconnaissance de l’article 6 de la Convention en invoquant, d’une part, la nullité de la citation au motif que les articles servant de fondement aux poursuites n’étaient pas tous visés et cités dans la citation, et d’autre part, la méconnaissance par la cour d’appel du principe selon lequel la loi pénale est d’application stricte en le déclarant coupable de contestation de crime contre l’humanité pour avoir, non pas contesté l’existence de la Shoah, mais minimisé par insinuation les souffrances et les conditions de déportation infligées dans les camps de concentration.
13. Il s’ensuit qu’eu égard au choix délibéré du requérant et de son conseil de limiter le débat porté devant la Cour de cassation à la seule question du respect des exigences de l’article 6 de la Convention, celui-ci doit être regardé comme n’ayant pas mis à même le juge interne, dans le cadre du dernier recours qu’il lui appartenait d’exercer, de se prononcer sur et, le cas échéant, de remédier à la violation alléguée devant la Cour de l’article 10 de la Convention.
14. La requête doit donc être rejetée pour non‑épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 12 janvier 2023.
Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente