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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.12.2022
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE FLORINDO DE ALMEIDA VASCONCELOS GRAMAXO c. PORTUGAL

(Requête no 26968/16)

ARRÊT

Art 8 • Obligations positives • Licenciement sur la base des données recueillies grâce au GPS installé au su du requérant par son employeur et relatives aux kilomètres parcourus par son véhicule de fonction • Art 8 applicable • Existence d’un cadre normatif protecteur des salariés • Absence de recours devant les tribunaux au sujet de l’installation du dispositif GPS • Juridiction de dernière instance ayant réduit l’ampleur de l’intrusion dans sa vie privée aux données strictement nécessaires au but légitime poursuivi par l’entreprise (le contrôle des dépenses) • Mise en balance circonstanciée des droits concurrents en jeu dans le respect de la jurisprudence de la Cour • Marge d’appréciation non dépassée

Art 6 § 1 (civil) Procès équitable • Procédure en contestation des motifs du licenciement non entachée par l’utilisation comme preuves des données légales de géolocalisation • Autres moyens de preuve pris en compte dans le respect des droits de la défense • Arrêt, rendu à l’issue d’une procédure contradictoire, motivé en fait et en droit, ni arbitraire ni manifestement déraisonnable

STRASBOURG

13 décembre 2022

DÉFINITIF

03/04/2023

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Florindo de Almeida Vasconcelos Gramaxo c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Yonko Grozev, président,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 26968/16) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Fernando Augusto Florindo de Almeida Vasconcelos Gramaxo (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 mai 2016,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’atteinte alléguée au droit du requérant au respect de sa vie privée et au droit à un procès équitable, ainsi qu’au principe de la sécurité juridique, et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 8 février, 28 juin et 18 octobre 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne le licenciement du requérant sur la base de données recueillies à partir d’un système de géolocalisation installé sur le véhicule que son employeur avait mis à sa disposition aux fins de l’exercice de ses fonctions de délégué médical (delegado de informação médica). Le requérant considère que le traitement des données de géolocalisation obtenues à partir de ce système et son licenciement sur la base de ces données ont porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée découlant de l’article 8 de la Convention. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il allègue également que la procédure engagée au niveau interne contre son licenciement n’a pas été équitable et que la décision rendue à l’issue de cette procédure a enfreint le principe de la sécurité juridique.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1967 et réside à Vila Real. Devant la Cour, il a été représenté par Me J.J. Ferreira Alves, avocat.

3. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

  1. La genèse de l’affaire

4. Le 7 mars 1994, le requérant fut engagé en qualité de délégué médical par les laboratoires L.A., une entreprise pharmaceutique (« l’entreprise »).

5. Dans le cadre de ses fonctions, le requérant devait travailler quarante heures par semaine, soit huit heures par jour du lundi au vendredi, planifier, préparer et effectuer des visites auprès de praticiens ou d’entités médicales dans les districts voisins de Vila Real, son lieu de résidence. Il lui incombait également d’accomplir un travail de bureau consistant à établir la liste des visites effectuées ainsi que des comptes rendus et des rapports d’activité. Enfin, il devait participer à des réunions au sein de l’entreprise. À l’époque de son recrutement, le requérant touchait un salaire mensuel brut de 1 910 euros (EUR), auquel s’ajoutaient des indemnités journalières d’un montant de 15,89 EUR.

6. Compte tenu de la mobilité liée à son travail, l’entreprise lui attribua, entre autres, un véhicule de fonction. L’utilisation du véhicule pour des déplacements privés et en dehors des heures de travail était autorisée par l’entreprise, les kilomètres parcourus à des fins privées devant toutefois faire l’objet d’un remboursement à raison de 0,15 euros (EUR) par kilomètre jusqu’à 6 600 km, et de 0,40 EUR au-delà de cette distance.

7. Le 1er avril 2002, l’entreprise mit en place une procédure aux fins de la gestion des demandes de remboursement des frais afférents aux déplacements professionnels des employés. Suivant cette procédure, tous les délégués médicaux devaient consigner, à l’aide d’une application informatique appelée « Customer Relationship Management » (« le CRM »), leurs activités journalières, hebdomadaires et mensuelles, les visites effectuées, leurs absences, les dépenses et le planning des prochaines visites.

  1. La mise en place d’un système de géolocalisation dans le véhicule de fonction du requérant

8. En septembre 2011, l’entreprise installa un système de positionnement global par satellite (GPS) dans les véhicules de fonction de ses délégués médicaux, dont celui du requérant. Le dispositif fut installé derrière la banquette arrière des véhicules et le traitement des données de géolocalisation fut confié à la société informatique T. au moyen d’un système professionnel de gestion de flotte.

9. Le 24 octobre 2011, le requérant déposa une plainte auprès de la Commission nationale de protection des données (Comissão Nacional de Protecção de Dados – « la CNPD ») pour dénoncer la mise en place de ce système de géolocalisation dans les véhicules de fonction des délégués médicaux de l’entreprise, ainsi que le traitement des données à caractère personnel ainsi recueillies. Il demanda que la plainte fût traitée comme anonyme.

10. Le 24 novembre 2011, l’entreprise informa la CNPD de l’installation de ce système dans ses véhicules. À la suite de cette information, une procédure (no 17851/2011) fut ouverte par la CNPD.

11. Dans un document daté du 5 janvier 2012, qui fut porté à la connaissance du personnel concerné, la direction de l’entreprise définissait comme suit le champ d’application du système GPS :

« 1. L’entreprise a placé dans les véhicules des salariés [colaboradores] des dispositifs de positionnement (ci-après « dispositifs ») afin, avant tout, d’assurer la sécurité des utilisateurs et des équipements.

2. Les informations générées par ces dispositifs seront également utilisées pour mieux adapter et pour optimiser les itinéraires empruntés pour la vente et la promotion, ainsi que pour articuler plus efficacement l’activité des agents commerciaux de l’entreprise.

3. Le dispositif permet aussi d’identifier et d’enregistrer, pour une utilisation a posteriori, la localisation du véhicule concerné ainsi que les kilomètres parcourus dans l’exercice de l’activité.

4. Au sein de l’entreprise, seules les personnes chargées d’attribuer et d’approuver visites et dépenses ont accès à ces informations, qui sont strictement confidentielles.

5. En cas de soupçons fondés concernant les déclarations faites par un salarié, l’entreprise pourra à tout moment recouper les informations fournies par le salarié dans le système de reporting des visites et les informations provenant du système de positionnement.

6. L’entreprise pourra également valider les kilomètres parcourus au service de l’entreprise et en dehors du service, et interroger le salarié au sujet des kilomètres déclarés.

7. Le salarié a le droit de justifier les kilomètres parcourus ainsi que les visites déclarées qui ne concordent pas avec les itinéraires [roteiros] indiqués dans le système GPS.

8. En cas d’incohérences entre les informations provenant des deux sources, et si le salarié ne justifie pas ces différences, l’entreprise pourra utiliser ces éléments pour engager une procédure disciplinaire contre le salarié. »

12. Le 6 janvier 2012, le requérant signa la déclaration qui était annexée au document du 5 janvier 2012 et qui indiquait que le signataire avait reçu ledit document et qu’il s’engageait à respecter la procédure mise en place (paragraphe 11 ci-dessus).

13. Dans un communiqué du 9 avril 2012 adressé aux salariés concernés, l’entreprise clarifia les finalités poursuivies par la mise en place du système de géolocalisation. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, le communiqué se lisait comme suit :

« (...)

1. L’installation du dispositif GPS répond à une préoccupation touchant à la sécurité du véhicule et de ses passagers, ainsi qu’à l’utilisation correcte d’un outil de travail dont nous sommes les propriétaires et que nous mettons à votre disposition afin de faciliter le bon accomplissement de vos fonctions ;

2. Cette installation a été notifiée à la CNPD (Commission nationale de protection des données) et a été portée à la connaissance de chacun des salariés (...) ;

3. L’analyse des kilomètres parcourus par chaque salarié est un processus qui existe depuis longtemps au sein de l’entreprise. Elle n’est donc pas nouvelle ; seul l’appareil GPS a été ajouté. Ce système pourra, en cas de doutes, accroître la fiabilité des informations, sachant qu’il n’a jamais été nié au salarié le droit, en cas de différence [incongruência] entre le nombre de kilomètres enregistrés et le nombre de kilomètres [effectivement] parcourus, de justifier une telle différence ;

4. Au sein de l’entreprise, seules les personnes responsables de la vérification [conferência] et de l’approbation des visites et des dépenses ont accès à ces informations, qui sont strictement confidentielles (...) »

14. Le 10 septembre 2013, la CNPD rendit la résolution (deliberação) no 1788/2013, relative à la plainte que le requérant avait déposée le 24 octobre 2011 (paragraphe 9 ci-dessus). Elle releva que, le 24 novembre 2011, l’entreprise lui avait notifié l’installation du système litigieux, conformément aux articles 27 et 28 § 1 de la loi sur la protection des données à caractère personnel (« la LPDP ») (paragraphes 9 et 77-78 cidessous). Elle nota ensuite que le traitement des données en cause n’avait commencé qu’après cette date. Elle conclut que le cadre normatif relatif à la protection des données n’avait pas été enfreint et décida de classer la plainte sans suite.

15. Le 16 janvier 2014, le requérant contesta cette résolution devant la CNPD. Il dénonça le délai d’adoption de cette résolution et soutint qu’elle était contraire à la LPDP et au code du travail (« le CT »).

16. Par une lettre du 24 janvier 2014, la CNPD informa le requérant qu’il n’y avait pas lieu d’infirmer la décision qu’elle avait rendue. Le requérant n’indique pas avoir attaqué la résolution du 10 septembre 2013 devant les juridictions administratives.

  1. Le contrôle du dispositif GPS installé dans le véhicule de fonction du requérant

17. Le 3 avril 2014, après que certaines anomalies avaient été observées, le GPS installé dans le véhicule que l’entreprise avait confié au requérant fit l’objet d’un contrôle technique (inspeção). En l’occurrence, il était apparu qu’à certaines occasions le GPS ne fonctionnait pas ou était désactivé. Au cours de ce contrôle, l’expert constata que la carte GSM du GPS avait été retirée ; il la replaça alors dans l’appareil. Aucune autre anomalie ne fut constatée.

18. Le 9 mai 2014, un deuxième GPS fut installé dans le véhicule de fonction du requérant.

19. Le 13 mai 2014, la société T., chargée du traitement des données de géolocalisation (paragraphe 8 ci-dessus), établit un rapport au sujet du dispositif GPS qui était installé dans le véhicule de fonction du requérant. Ce rapport concluait que les dysfonctionnements de l’appareil étaient causés par une intervention externe, compte tenu de ce que tous les autres appareils installés dans la flotte de véhicules de l’entreprise fonctionnaient normalement.

  1. Le licenciement du requérant

20. Le 15 mai 2014, l’entreprise ouvrit une procédure disciplinaire contre le requérant.

21. Le 30 mai 2014, fut formulée la note relative aux fautes (nota de culpa) imputées au requérant. Sur le fondement du recoupement des données recueillies par le GPS installé dans le véhicule du requérant et des informations que l’intéressé avait consignées dans le CRM, il était reproché à celui-ci d’avoir majoré le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel afin d’y diluer les kilomètres parcourus dans le cadre de déplacements privés lors de week-ends ou de jours fériés, pour ne pas avoir à les rembourser. En particulier, il lui était fait grief d’avoir rapporté dans le CRM, pour la période allant de novembre 2013 à mai 2014, un excédent de 7 851 kilomètres censés avoir été parcourus à titre professionnel pendant des jours ouvrables. Il était également reproché au requérant d’avoir manipulé le GPS en retirant la carte GSM de l’appareil et en recourant à des techniques de brouillage. Sur ce point, la note ajoutait que le nombre de kilomètres rapportés entre le 16 et le 26 mai 2014 par le premier GPS était toujours inférieur à celui qui était rapporté par le deuxième GPS (paragraphe 18
ci-dessus). Le requérant était enfin accusé de ne pas avoir effectué ses huit heures de travail par jour, d’après les données recueillies au moyen du GPS concernant l’heure de démarrage du véhicule et l’heure d’arrêt à la fin de la journée.

22. Le 2 juin 2014, la note relative aux fautes reprochées au requérant fut portée à la connaissance de celui-ci ; il y répondit en contestant les faits qui lui étaient imputés et en présentant ses témoins et d’autres éléments de preuve en sa défense.

23. Les 22 et 30 juillet 2014, les témoins du requérant furent entendus.

24. Par un avis du 18 août 2014, le syndicat des employés de l’industrie pharmaceutique (« le syndicat »), auquel le requérant était affilié, se prononça sur les faits qui étaient reprochés à ce dernier.

25. Le 3 septembre 2014, au terme de la procédure disciplinaire, l’entreprise informa le requérant que les faits qui lui étaient imputés étaient considérés comme établis et qu’en conséquence il était licencié, en application de l’article 351 §§ 1 et 2, alinéas a), d), e) et g) du CT (paragraphe 72 ci-dessous). Cette information fut portée à la connaissance du syndicat.

26. Le 5 septembre 2014, le requérant cessa ses fonctions au sein de l’entreprise.

  1. La procédure judiciaire
    1. La procédure devant le tribunal de Vila Real

27. Le 12 septembre 2014, le requérant contesta son licenciement devant la chambre du travail du tribunal de Vila Real.

28. Le 21 octobre 2014, l’entreprise exposa les motifs du licenciement et transmit au tribunal le dossier de la procédure disciplinaire ainsi que ses éléments de preuve.

  1. La contestation du licenciement par le requérant et la réponse de l’entreprise

29. Le 23 octobre 2014, le requérant présenta son mémoire en défense (contestação). Il plaida l’illégalité du traitement des données recueillies à partir du dispositif GPS installé dans son véhicule de fonction, pour deux motifs. Premièrement, il soutint que l’utilisation d’un tel dispositif aux fins du contrôle des performances professionnelles d’un employé contrevenait à l’article 20 du CT (paragraphe 72 ci-dessus), et exposa en outre qu’un délégué médical ne pouvait être tenu à un horaire de travail fixe puisque son travail dépendait de la disponibilité des praticiens. Deuxièmement, il affirma que l’installation des GPS et le traitement des données provenant de ces dispositifs n’avaient pas été autorisés par la CNPD. Il estimait aussi que la mise en place d’un système GPS n’était pas indispensable pour les buts visés par son employeur. D’après lui, le suivi de son travail et de sa productivité aurait pu être réalisé par d’autres moyens. Plus particulièrement, il expliqua qu’il était possible de contrôler les kilomètres parcourus en comparant les kilomètres déclarés avec les distances entre les lieux des visites.

30. Le requérant contesta par ailleurs les faits qui lui étaient reprochés. Il déclara être au service de l’entreprise depuis plus de vingt ans (paragraphe 4 ci-dessus), soulignant n’avoir fait l’objet d’aucune plainte. Il ajouta qu’il avait toujours consigné dans le CRM les visites qu’il avait effectuées, ainsi que ses frais et les distances parcourues tant à titre professionnel qu’à titre privé. Il rejeta enfin toute responsabilité dans le dysfonctionnement des GPS installés dans son véhicule. Il conclut en soutenant qu’il avait été licencié parce qu’il était non seulement délégué syndical mais aussi l’un des employés ayant le plus d’ancienneté au sein de l’entreprise, donc le plus à même de revendiquer ses droits.

31. Le 10 novembre 2014, l’entreprise contesta les allégations du requérant.

  1. L’ordonnance du 9 janvier 2015

32. Le 9 janvier 2015, le tribunal rendit une ordonnance dans laquelle il indiquait les faits jugés d’ores et déjà établis et ceux qui restaient à établir (despacho saneador), et formulait des questions. La question no 10 se lisait ainsi :

« L’absence de GPS empêche-t-elle la défenderesse de vérifier les éléments suivants :

a) l’accomplissement des fonctions ?

b) le respect du temps de travail ?

c) le respect du lieu de travail, les lieux des visites effectuées ?

d) les kilomètres parcourus à titre professionnel et à titre privé, sachant que ces derniers sont à la charge des délégués médicaux et qu’ils entrainent une dépense supplémentaire pour la défenderesse s’ils ne peuvent être déterminés ? »

  1. L’audience devant le tribunal de Vila Real

33. Le tribunal tint son audience et entendit les témoins des parties.

34. N.S., cadre de l’entreprise, expliqua que l’installation de GPS dans les véhicules de fonction avait été décidée parce qu’au cours de l’année 2010 l’entreprise avait observé des incohérences dans les rapports de dépenses de quatre délégués médicaux, dont le requérant. Il précisa que ni le compteur kilométrique du véhicule ni l’application Google Maps n’avaient permis de clarifier ces incohérences. Il déclara que le dispositif GPS était le moyen le plus efficace pour contrôler l’usage de ces véhicules et les dépenses des délégués médicaux, d’autant que l’entreprise rencontrait des difficultés financières et que les dépenses liées aux déplacements des délégués médicaux représentaient 20 % des dépenses du personnel de l’entreprise. Ce témoin indiqua par ailleurs que le GPS avait permis de constater que le requérant ne respectait pas toujours son horaire de travail.

35. N.S. déclara également que l’entreprise avait présumé que le requérant avait voulu diluer les kilomètres parcourus à titre privé dans les kilomètres effectués à titre professionnel, pour ne pas avoir à les rembourser. Il ajouta qu’après le départ du requérant, son véhicule de fonction avait été attribué à un autre délégué médical et que le GPS qui y était installé n’avait présenté aucun dysfonctionnement, le deuxième GPS ayant par ailleurs été retiré car n’étant plus nécessaire.

36. F.T., le supérieur hiérarchique du requérant au sein de l’entreprise, exposa que de nombreuses entreprises pharmaceutiques utilisaient les dispositifs de géolocalisation pour contrôler leurs flottes de véhicules.

37. Dans sa déposition, A.C., un agent de la société informatique T. (paragraphe 8 ci-dessus), expliqua que le GPS était un boitier fermé, sans écran, de la taille d’un téléphone portable, et qu’il était fixé derrière la banquette arrière au moyen de quatre vis. Il déclara ensuite que, lors de son contrôle (paragraphe 17 ci-dessus), il avait constaté que le GPS installé dans le véhicule du requérant ne transmettait pas correctement les données parce que la carte GSM avait été délibérément retirée du boitier. Il confirma qu’un deuxième GPS avait été installé dans le véhicule du requérant sans que celui-ci en eût été informé et ajouta que, contrairement au premier, ce dispositif avait toujours fonctionné correctement.

  1. Le jugement du tribunal de Vila Real du 3 juillet 2015

38. Par un jugement du 3 juillet 2015, le tribunal de Vila Real conclut que le licenciement était justifié.

39. À titre liminaire, le tribunal releva que la procédure disciplinaire contre le requérant avait reposé presque exclusivement sur le traitement des données recueillies à partir du dispositif de géolocalisation qui avait été installé dans le véhicule de fonction de l’intéressé. Il considéra comme établi que le requérant avait été informé que tout véhicule de fonction qui lui serait attribué serait équipé d’un GPS, contrôlé par la société T., et qu’il avait aussi été informé du type de données qu’il s’agissait de recueillir. Par ailleurs, le tribunal nota que l’installation de ce dispositif avait été portée à la connaissance de la CNPD le 24 novembre 2011 (paragraphe 10 ci-dessus). Il releva qu’il existait depuis le 1er avril 2002 une procédure interne pour toute demande de remboursement des frais de service, et observa que le requérant savait que les distances parcourues à titre privé devaient être remboursées à l’entreprise. Le tribunal remarqua également que ce n’était qu’après le contrôle technique du GPS installé dans le véhicule (paragraphe 17 ci-dessus) que l’employeur avait imputé au requérant la responsabilité du dysfonctionnement du GPS.

40. S’agissant plus particulièrement de l’utilisation du système de géolocalisation par l’entreprise, tenant compte des documents joints au dossier et des déclarations faites par les témoins des parties (paragraphes 34-37 ci-dessus), le tribunal considéra les faits suivants comme établis :

« (...)

30. Le GPS permet seulement de savoir si les délégués médicaux se trouvent dans une certaine localité, mais non dans un lieu précis ; il donne ainsi le positionnement approximatif du demandeur et non pas son positionnement exact.

31. Le système GPS installé dans le véhicule attribué au demandeur est un système professionnel de gestion de flotte qui permet de contrôler et d’accompagner toutes les voitures de l’entreprise défenderesse. Les informations transmises par ce même appareil sont consultées sur la plate-forme informatique en ligne de la société T., où figurent les rapports/plans qui permettent de visualiser l’heure du début et l’heure de la fin du voyage, les lieux de départ et d’arrivée, la distance parcourue en kilomètres, la vitesse, le temps de circulation et le temps passé à l’arrêt.

(...)

33. Le système GPS est l’un des moyens dont dispose la défenderesse pour contrôler le travail du demandeur et pour confirmer les données insérées manuellement dans le CRM, sachant que la transmission des données de géolocalisation vers la plate-forme n’implique aucune intervention humaine, les données ne pouvant être ni modifiées ni manipulées.

34. L’équipement GPS placé à l’intérieur du véhicule peut être endommagé ou, pour une autre raison, être entravé dans la transmission des données, des appareils pouvant bloquer le signal, perturber ainsi le fonctionnement normal du dispositif et empêcher la transmission de données vers la plate-forme informatique.

35. En lisant le rapport relatif au GPS installé dans le véhicule attribué au demandeur, la défenderesse a constaté que le GPS ne transmettait pas toujours les données vers la plate-forme et qu’à d’innombrables reprises l’appareil avait été allumé puis apparemment éteint après deux ou trois minutes, sans que le véhicule quitte le même lieu, situation qui coïncidait presque toujours avec les week-ends. Il a aussi été constaté que l’horaire de travail n’était pas respecté et que les kilomètres déclarés ne coïncidaient pas avec les kilomètres parcourus.

36. Sans le système GPS, la défenderesse aurait beaucoup de difficultés à vérifier l’accomplissement des fonctions, le respect du temps de travail, le respect du lieu de travail, les lieux des visites effectuées et les kilomètres parcourus à titre professionnel et à titre privé, sachant que ces derniers sont toujours à la charge des délégués médicaux et qu’ils occasionnent une dépense supplémentaire pour la défenderesse si leur nombre ne peut être déterminé.

37. Le GPS installé dans le véhicule du demandeur avait les fonctions suivantes :

a) il permettait de vérifier si le demandeur s’était rendu dans les lieux qu’il déclarait avoir visités, la défenderesse pouvant croiser les informations consignées par le demandeur dans le CRM et les informations fournies par le GPS ;

b) il permettait de vérifier si les huit heures de travail par jour étaient respectées ;

c) il permettait de connaître le nombre de kilomètres parcourus à titre privé (...), au moyen d’une comparaison avec les kilomètres qui avaient été parcourus à titre professionnel et qui avaient été validés comme tels ;

d) il garantissait la localisation, la sécurité et la protection de l’utilisateur du véhicule ;

e) il garantissait la localisation du véhicule en cas de vol ou de sinistre.

(...).

45. La défenderesse a constaté qu’il existait de nombreuses différences entre les kilomètres déclarés par le demandeur et ceux transmis par le GPS (...)

(...)

46. Le 25 janvier 2014, l’un des jours où le dispositif a été allumé puis immédiatement éteint, le GPS n’a enregistré aucun kilomètre alors que le demandeur en a déclaré huit pour cette date.

(...)

48. Le 9 mars 2014, le GPS a enregistré vingt et un kilomètres parcourus alors que le demandeur en a déclaré quarante.

(...)

50. Les kilométrages transmis par le GPS pendant les jours ouvrables sont inférieurs à ceux que le demandeur a consignés dans le CRM. En agissant ainsi, l’intéressé a voulu dissimuler les kilomètres parcourus à titre privé en dehors des jours de travail, pour les répartir sur les jours où il avait travaillé afin qu’ils soient validés comme des kilomètres parcourus à titre professionnel et ne soient pas soumis à remboursement.

(...)

51. Le 9 mai 2014, la défenderesse a demandé l’installation d’un nouveau dispositif GPS dans le véhicule attribué à l’intéressé.

(...)

54. Les données transmises par le GPS (...) ont révélé que le demandeur ne respectait pas les huit heures de travail par jour auxquelles il était tenu et qu’il restait en deçà de ce temps de travail.

(...) ».

41. Enfin, le tribunal jugea établi que le requérant était un employé qui défendait ses droits et ceux de ses collègues et qu’il n’acceptait pas toujours les demandes de son employeur, notamment lorsque le nombre de visites quotidiennes dépassait celui qui était autorisé par le système national de santé, et lorsqu’on lui demandait de se rendre dans des lieux normalement interdits aux visites, tels que les services d’urgences. Le tribunal estima également établi que le requérant avait subi un choc du fait de son licenciement, compte tenu de ce qu’il avait une fille mineure à sa charge et que son épouse était sans emploi.

42. S’appuyant sur un arrêt rendu par la Cour suprême le 13 novembre 2013 (paragraphe 83 ci-dessous), le tribunal rejeta la thèse tirée de l’illicéité du système de géolocalisation en tenant compte des fins visées par l’entreprise, considérant qu’un tel dispositif ne constituait pas un moyen de surveillance à distance au sens des articles 20 et 21 du CT (paragraphe 72 ci-dessous) et que, à supposer même qu’il fût un tel moyen, les données qu’il transmettait ne relevaient pas de la vie privée. Sur ce point, le tribunal s’exprima notamment comme suit :

« (...)

Étant donné que le véhicule mis à disposition par l’employeur est un outil absolument indispensable à l’exercice des fonctions qui étaient assignées au demandeur et que le coût était intégralement pris en charge par l’employeur, il est compréhensible que la défenderesse veuille – surtout dans le contexte de grave crise économique que nous connaissons depuis quelques années – adopter des mesures pour pouvoir gérer rationnellement les moyens qu’elle confie et pour pouvoir s’assurer que ces moyens sont effectivement employés aux fins de l’exercice des fonctions professionnelles, et non à d’autres fins. En effet, dans une flotte constituée d’une dizaine de véhicules, un usage inapproprié de ces moyens peut représenter un préjudice important pour la défenderesse.

Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que l’utilisation d’un appareil GPS par la défenderesse est un moyen de contrôle légal qui ne relève pas de la surveillance à distance et qui ne porte pas atteinte à la vie privée ou à la dignité humaine du demandeur ou des autres délégués pharmaceutiques qui sont au service de la défenderesse. Partant, les données recueillies par cet appareil sont valables et justifient l’imputation des faits qui ont été décrits dans la note relative aux fautes et qui, ci-dessus, ont été estimés établis.

(...) ».

43. Le tribunal jugea enfin que la sanction disciplinaire qui avait été prononcée n’était pas disproportionnée aux faits qui étaient reprochés au requérant et considérés comme établis.

  1. La procédure devant la cour d’appel de Guimarães
    1. L’appel formé par le requérant

44. Le 12 août 2015, le requérant interjeta appel du jugement du tribunal de Vila Real auprès de la cour d’appel de Guimarães. Dans son mémoire en appel, il observa que le type de dispositif en cause accompagnait le travailleur pendant et en dehors de son horaire de travail et qu’il interférait ainsi de façon inacceptable dans sa vie privée. Il argua par ailleurs que la procédure disciplinaire dont il avait fait l’objet devait être annulée car fondée sur des preuves illégales, dès lors selon lui qu’un tel dispositif constituait un moyen de surveillance à distance contraire aux articles 20 et 21 du CT (paragraphe 72 ci-dessous) et à la résolution no 7680/2014 (paragraphe 79 ci-dessous), qu’il avait jointe au dossier le 26 janvier 2015. Le requérant soutenait que le traitement des données recueillies au moyen du dispositif GPS en question n’avait pas été autorisé par la CNPD comme l’exigeaient les articles 7 § 1 et 28 § 1 de la LPDP (paragraphes 77-78 ci-dessous) et avait été interdit par la résolution no 1015/2015 que la CNPD avait entretemps rendue le 23 juin 2015 (paragraphe 64 ci-dessous).

45. Contestant le point no 36 des faits jugés établis par le tribunal de Vila Real (paragraphe 40 ci-dessus), il allégua qu’il était possible de contrôler les informations introduites dans le CRM par des moyens moins intrusifs, notamment en confrontant les dépenses déclarées avec le planning des visites faites par un délégué médical, compte tenu des distances séparant un lieu d’un autre, comme cela se faisait par le passé. Il nia par ailleurs toute responsabilité quant aux dysfonctionnements du GPS qui avait été installé dans son véhicule et souligna que le contrôle effectué le 3 avril 2014 (paragraphe 17 ci-dessus) n’avait permis de détecter aucun signe de dégradation de l’appareil. En outre, il observa qu’un deuxième appareil GPS avait été installé à son insu dans son véhicule, comme l’avait indiqué l’agent de la société informatique T. au cours de l’audience (paragraphe 37 ci-dessus), et qu’il ne fonctionnait pas mieux que le premier alors qu’il ne pouvait pas être manipulé puisqu’il était caché.

46. Le requérant soutint enfin que la sanction prononcée contre lui était disproportionnée, comparant son affaire à celle d’un collègue qui s’était vu infliger une sanction moins sévère.

47. Répétant que son licenciement avait été un choc pour lui, compte tenu du fait qu’il avait une fille mineure et que sa femme était sans emploi, il demandait à réintégrer son poste de travail et réclamait une indemnité de 15 000 EUR pour le préjudice moral qu’il disait avoir subi en raison de fausses accusations qui avaient été portées contre lui et qui avaient abouti à son licenciement abusif de l’entreprise.

  1. La réponse de l’entreprise

48. À une date non précisée, l’entreprise présenta son mémoire en réponse. Se référant aux déclarations livrées par les témoins au cours de l’audience, elle exposait qu’elle avait fait installer les GPS dans les véhicules de fonction alors qu’elle traversait des difficultés financières et en raison de soupçons concernant le rapport de dépenses de certains délégués médicaux, dont le requérant (paragraphe 34 ci-dessus). Elle réfutait l’allégation de celui-ci selon laquelle un tel dispositif était un moyen de surveillance à distance des employés, observant à cet égard, toujours en s’appuyant sur les déclarations de divers témoins, qu’il ne recueillait ni image ni son et qu’il ne permettait pas de savoir si le délégué avait effectivement fait la promotion des produits de l’entreprise lors de ses visites, ni même combien de temps celles-ci avaient duré et s’il les avait bien effectuées.

49. L’entreprise soutenait que le GPS était pour elle le seul moyen de contrôler l’horaire, les trajets et le kilométrage effectués par un délégué médical, et que sans ce dispositif elle ne pouvait que se fier à l’intéressé pour savoir s’il s’était rendu dans un endroit précis afin d’assurer une visite (paragraphe 34 ci-dessus). Elle réfutait donc l’objection soulevée par le requérant quant au point no 36 des faits établis par le tribunal de Vila Real (paragraphe 45 ci-dessus).

50. Dans son mémoire, l’entreprise répétait également que le GPS installé dans le véhicule du requérant ne fonctionnait pas correctement parce que ce dernier avait retiré la carte GSM (paragraphes 17 et 21 ci-dessus) et elle précisait que les autres dispositifs de l’entreprise n’avaient connu aucun dysfonctionnement. Elle ajoutait que, depuis que le requérant avait été licencié, son véhicule avait été attribué à un autre délégué médical et que le GPS y fonctionnait correctement. Elle relevait que les données kilométriques transmises par le deuxième GPS qui avait été installé dans le véhicule de fonction du requérant avaient toujours été supérieures à celles livrées par le premier GPS. Elle soulignait aussi qu’à partir de l’établissement de la note relative aux fautes (paragraphe 21 ci-dessus), les données transmises par le GPS correspondaient à celles que le requérant avait consignées dans le CRM.

51. L’entreprise indiquait ensuite qu’elle avait bien respecté la résolution no 7680/14 de la CNPD (paragraphes 79-80 ci-dessous) puisque, disait-elle, les GPS avaient été installés dans les véhicules de fonction des délégués médicaux pour protéger les biens transportés et pour contrôler l’horaire et le lieu de travail de l’employé, et non pas ses performances professionnelles. Elle ajoutait qu’elle ne souscrivait pas à la résolution no 1015/2015 de la CNPD (paragraphe 64 ci-dessous), jointe par le requérant à son mémoire en appel (paragraphe 44 ci-dessus), et qu’elle avait pour cette raison interjeté appel contre celle-ci, appel qui était toujours pendant.

52. Concernant l’allégation du requérant selon laquelle un autre employé avait été sanctionné plus légèrement (paragraphe 46 ci-dessus), l’entreprise expliquait qu’il avait été établi que cette personne n’avait pas endommagé le GPS installé dans son véhicule de fonction.

53. Pour finir, l’entreprise estimait abusif que le requérant plaidât une atteinte à la vie privée pour justifier ses fautes professionnelles.

  1. L’instruction du dossier par la cour d’appel

54. Répondant, par une lettre du 4 février 2016, à une demande d’information de la cour d’appel de Guimarães, la CNPD exposa que l’interdiction temporaire d’utiliser le système de géolocalisation imposée à l’entreprise par sa résolution no 1015/2015 était entretemps devenue caduque par l’effet de la résolution no 1565/2015 du 6 octobre 2015, laquelle n’avait pas été attaquée devant les juridictions dans le délai prévu (paragraphes 64 et 68 ci-dessous). La CNPD indiqua également à la cour d’appel que, le 3 décembre 2015, elle avait adopté la résolution no 11891/2015, autorisant l’entreprise à utiliser le système de géolocalisation dans les véhicules de transport de ses marchandises (paragraphe 69 ci-dessous), ce qui excluait de fait les véhicules des délégués médicaux.

  1. L’arrêt de la cour d’appel de Guimarães du 3 mars 2016

55. Par un arrêt du 3 mars 2016, la cour d’appel de Guimarães confirma le jugement qui avait été rendu par le tribunal de Vila Real, en se fondant toutefois sur une autre motivation.

56. À titre liminaire, la cour d’appel de Guimarães indiqua qu’elle ne tiendrait pas compte dans son analyse de la résolution no 1015/2015 dès lors que celle-ci avait été attaquée par l’entreprise devant le tribunal administratif et que l’appel était toujours pendant (paragraphes 64-55 ci-dessous). Contrairement au tribunal de Vila Real, elle considéra ensuite que l’utilisation d’un dispositif GPS dans un cadre professionnel pour contrôler l’activité d’un salarié constituait un moyen de surveillance à distance au sens de l’article 20 § 1 du CT (paragraphe 72 ci-dessous), comme venait de le déclarer la CNPD dans sa résolution no 1565/2015 du 6 octobre 2015 (paragraphe 67 ci-dessous). La cour d’appel estima qu’il était nécessaire, en conséquence, de revoir l’arrêt de la Cour suprême du 13 novembre 2013 (paragraphe 83 ci-dessous). Elle observa à cet égard que ce moyen technologique avait beaucoup évolué au cours des dernières années et qu’il permettait non seulement de connaître la localisation approximative d’une personne mais aussi, comme le montrait l’affaire examinée, l’heure du début et l’heure de la fin d’un déplacement, les lieux de départ et d’arrivée, la distance parcourue, la vitesse, le temps de circulation et le temps passé à l’arrêt. Pour la cour d’appel, il s’agissait donc bien d’un moyen de surveillance à distance interdit par l’article 20 du CT (paragraphe 72 ci-dessous). Les parties pertinentes de l’arrêt sur ce point se lisent comme suit :

« Il s’agit (...) de l’utilisation d’un dispositif qui a pour finalité – comme cela a été établi – de contrôler le travail du demandeur. Or [la loi] ne l’autorise pas.

Ainsi, tout en respectant la thèse défendue dans les arrêts [de la Cour suprême] qui ont été cités, nous ne souscrivons pas à ce qui a été décidé.

Il faut ajouter qu’un tel dispositif, quand bien même il ne capte pas tous les aspects de la vie de l’employé concerné, capte une part importante de ses activités. Cela, à notre avis, (...) suffit pour qu’on le considère comme un moyen de surveillance à distance (...)

Nous concluons que le dispositif en question est un moyen de surveillance à distance qui, utilisé pour contrôler l’activité de l’employé, est interdit. Par conséquent, toutes les données qui sont recueillies par ce biais et qui relèvent du contrôle des performances professionnelles de l’employé sont interdites ».

57. La cour d’appel de Guimarães considéra en revanche que l’utilisation du GPS pour connaître les kilomètres parcourus ne relevait pas du contrôle des performances professionnelles au sens des articles 20 et 21 du CT (paragraphe 72 ci-dessous) et qu’elle était par conséquent licite. À cet égard, elle s’exprima comme suit :

« (...)

Le demandeur a été recruté pour remplir des fonctions de délégué médical. Celles-ci impliquent de planifier les activités dans la zone à visiter, de planifier et de préparer chaque visite, d’effectuer la visite, de participer à des réunions et d’établir et de remettre des rapports et des comptes rendus concernant les visites effectuées (...) Ces activités (...) étaient réalisées au cours des quarante heures [de travail] hebdomadaires, réparties du lundi au vendredi, à raison de huit heures par jour, avec une pause d’une heure pour le déjeuner (...)

Compte tenu de ces éléments factuels, la notion de performance professionnelle portera sur la manière dont le demandeur accomplit les fonctions qui lui sont assignées, autrement dit : où, comment et quand il s’acquitte de ces fonctions.

Ainsi, si le dispositif GPS a été utilisé pour contrôler le respect de l’horaire de travail, du lieu de travail, les visites effectuées, il faudra conclure qu’il a été utilisé pour contrôler les performances professionnelles.

Si l’employeur a recours à l’appareil en cause pour obtenir un autre type de données, pour vérifier notamment les kilomètres parcourus par rapport aux données transmises par l’employé lui-même, il ne nous semble pas qu’il s’agisse d’évaluer les performances professionnelles.

(...) »

58. Sur la base de ces considérations, la cour d’appel annula le point no 54 des faits qui avaient été estimés établis par le tribunal, point relatif au non-respect par le requérant de ses heures de travail (paragraphe 40 ci-dessus).

59. Concernant le point no 36 de ces mêmes faits, contesté par le requérant dans son mémoire en appel et concernant les difficultés auxquelles l’entreprise aurait dû faire face sans le GPS, la cour d’appel estima qu’il n’y avait pas lieu de le revoir eu égard à la décision qu’elle allait rendre au sujet des faits de l’espèce (paragraphes 40 et 45 ci-dessus).

60. Quant aux autres faits qui avaient été jugés établis, elle estima qu’il n’y avait pas lieu de les modifier, faute pour le requérant de les avoir contestés valablement, conformément à l’article 640 § 1 du code de procédure civile. Elle releva, à titre subsidiaire, que les faits nos 45 et 48 (paragraphe 40 ci-dessus) n’avaient pas été contestés par le requérant.

61. La cour d’appel conclut que le licenciement du requérant était fondé. Elle considéra qu’en ne rendant pas compte des kilomètres qu’il avait parcourus à titre professionnel et en interférant dans le fonctionnement du dispositif GPS installé dans son véhicule, le requérant avait voulu empêcher la transmission correcte des données de géolocalisation et avait ainsi manqué à son devoir de loyauté envers son employeur. Pour la juridiction d’appel, un tel comportement menait à une rupture du lien de confiance justifiant la résiliation du contrat de travail. Partant, d’après elle, le licenciement était proportionné aux fautes commises par le requérant.

  1. Les autres procédures menées devant la CNPD
    1. La plainte du requérant pour non-respect de l’anonymat qu’il avait demandé à la CNPD

62. Dans un message électronique adressé à la CNPD le 27 avril 2015, le requérant soutint qu’un des représentants de l’entreprise avait déclaré au cours d’une audience devant le tribunal de Vila Real (paragraphe 33 ci-dessous) qu’il savait que le requérant était à l’origine de la plainte qui avait été déposée devant la CNPD le 24 octobre 2011. Il réclamait des clarifications à ce sujet, déplorant le non-respect de l’anonymat qu’il avait demandé (paragraphe 9 ci-dessus).

63. Le 29 juin 2015, la CNPD répondit en confirmant que, par erreur, l’anonymat n’avait été assuré que dans la phase initiale de la procédure et que dès lors l’entreprise avait probablement appris, lorsque son avocat avait consulté le dossier relatif à cette plainte, que c’était le requérant qui était à l’origine de celle-ci. La CNPD indiqua qu’elle regrettait cette situation. Elle observa que, même si cela correspondait à la pratique habituelle de la CNPD, la garantie de l’anonymat dans le cadre des procédures ouvertes suite à des plaintes portées devant elle n’était toutefois pas une obligation légale. Dans sa lettre, la CNPD informa enfin le requérant de la résolution no 1015/2015, qui avait été rendue entretemps et qui interdisait provisoirement à l’entreprise de traiter les données à caractère personnel recueillies à partir des GPS installés dans les véhicules de ses délégués médicaux (paragraphe 64 ci-dessous).

  1. La procédure (no 30363/2015) ouverte consécutivement à la plainte d’une autre employée et la résolution no 1015/2015

64. Le 23 juin 2015, à la suite d’une plainte formée par une autre employée de l’entreprise, la CNPD rendit sa résolution no 1015/2015.

Elle y notait que l’entreprise l’avait informée, le 24 novembre 2011, de son intention d’utiliser le dispositif en question (paragraphe 10 ci-dessus), mais n’avait pas demandé l’autorisation qu’exigeait à cet effet l’article 28 § 1 a) de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessous). Elle relevait ensuite que, alors même que le traitement de données ne pouvait commencer tant que l’autorisation n’avait pas été donnée, la loi ne prévoyait pas de sanction dans ce type de situation.

Par ailleurs, la CNPD observait que des procédures disciplinaires avaient déjà été engagées contre des employés de l’entreprise sur le fondement de données recueillies au moyen du système de géolocalisation et que certaines de ces procédures avaient abouti à des licenciements.

Eu égard à l’absence d’autorisation et en raison de certaines préoccupations liées à l’utilisation de ce dispositif, en application de l’article 22 § 3 c) de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessous), elle imposa une mesure conservatoire interdisant temporairement :

– tout traitement par l’entreprise de données à caractère personnel de géolocalisation jusqu’à l’adoption d’une décision finale dans le cadre de la procédure no 17851/2011 qui avait été ouverte suite à l’information reçue le 24 novembre 2011 (paragraphe 10 ci-dessus) ;

– l’utilisation de toutes données à caractère personnel jusqu’alors obtenues dans le cadre du traitement des données.

La CNPD ordonna donc la notification à l’entreprise du fait qu’elle devait cesser tout traitement de données à caractère personnel et s’abstenir d’utiliser les informations déjà recueillies.

65. L’entreprise contesta la décision de la CNPD devant le tribunal administratif et fiscal de Sintra en vertu de l’article 23 § 3 de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessous).

66. À une date non précisée, le tribunal prononça un non-lieu à statuer (extinção da instância por inutilidade superveniente da lide) après avoir pris connaissance de la résolution no 1565/2015 qui avait été rendue par la CNPD (paragraphe 67 ci-dessous).

  1. Les procédures engagées par l’entreprise devant la CNPD
    1. La procédure no 17851/2011 et la résolution no 1565/2015 du 6 octobre 2015

67. Le 6 octobre 2015, dans le cadre de la procédure ouverte à la suite de la notification à la CNPD, effectuée le 24 novembre 2011 par l’entreprise au sujet de l’installation de systèmes GPS dans les véhicules mis à la disposition de ses employés (paragraphe 10 ci-dessus), la CNPD rendit la résolution no 1565/2015. Par cette décision, elle interdisait l’utilisation de systèmes GPS dans les véhicules de l’entreprise, pour les motifs suivants. Premièrement, elle considérait que les données de géolocalisation constituaient des données sensibles au sens de l’article 7 § 1 de la LPDP et que leur traitement requérait l’autorisation de la CNPD visée à l’article 28 § 1 a) de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessous). Deuxièmement, elle relevait que c’était dans le cadre de son contrôle préalable que la CNPD mettait en balance les intérêts en conflit. Elle notait qu’elle avait classé sans suite une plainte ayant dénoncé le système de géolocalisation en cause, au motif que le devoir de notification par l’entreprise avait été respecté, sans toutefois avoir pu analyser, du fait de ressources humaines limitées, le traitement des données personnelles qui découlait d’un tel système. Troisièmement, elle estimait que l’entreprise avait omis d’indiquer quelle était l’entité chargée du traitement des données de géolocalisation, bien qu’elle eût été invitée à le faire par la CNPD. Elle relevait enfin que la finalité du dispositif de géolocalisation manquait de précision.

68. L’entreprise n’a pas fait appel de cette décision dans le délai prévu (paragraphe 54 ci-dessus).

  1. La procédure no 17493/2015 et la résolution no 11891/2015 du 3 décembre 2015

69. Par une résolution no 11891/2015 du 3 décembre 2015, la CNPD autorisa l’entreprise à utiliser le système de géolocalisation dans les véhicules de transport de marchandises de l’entreprise. Dans sa demande, l’entreprise avait indiqué à la CNPD que l’utilisation du dispositif de géolocalisation avait pour objet de faciliter, d’une part, la gestion de la flotte en service externe et, d’autre part, le dépôt de plaintes pénales en cas de vol. Elle avait en outre précisé que les données de géolocalisation dont le traitement serait assuré par deux prestataires externes, à savoir les sociétés informatique T. et de téléphonie V., seraient les données de géolocalisation et d’identification du véhicule. Dans sa résolution, la CNPD rappela les principes applicables aux traitements de données visés dans sa résolution no 7680/2014 du 28 octobre 2014 (paragraphe 79 ci-dessous), observant que les données de géolocalisation étaient des données à caractère personnel sensibles au sens de l’article 7 § 1 de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessous) et qu’elles ne pouvaient pas être utilisées pour le contrôle des performances professionnelles d’un salarié. Elle rappela également qu’il ne pouvait pas y avoir de géolocalisation lorsque le véhicule de fonction était utilisé à des fins privées et que, dès lors, l’entreprise devait trouver une solution pour rendre la géolocalisation inaccessible dans ces situations. Elle indiqua que le délai de conservation des données de géolocalisation était d’une semaine.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

  1. Le droit et la pratique internes
    1. La Constitution

70. L’article 26 de la Constitution se lit comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit (...) à l’honneur et à la réputation (...), au respect de l’intimité de sa vie privée et familiale (...) ».

71. L’article 32 § 8 de la Constitution dispose que, en matière de procédure pénale, sont nulles toutes les preuves obtenues par la torture, la contrainte, l’atteinte à l’intégrité physique ou morale de la personne ou l’ingérence dans la correspondance.

  1. Le code du travail (« le CT »)

72. Les dispositions pertinentes du CT, approuvé par la loi no 7/2009 du 12 février 2009, sont les suivantes :

Article 20

Moyens de surveillance à distance

« 1. L’employeur ne peut pas utiliser de moyens de surveillance à distance sur le lieu de travail, notamment en faisant usage d’un équipement technologique, dans le but de contrôler les performances professionnelles de l’employé.

2. L’utilisation de l’équipement mentionné au paragraphe précédent est licite lorsqu’elle a pour objectifs la protection et la sécurité des personnes et des biens, ou lorsqu’elle est justifiée par des exigences particulières inhérentes à la nature de l’activité.

3. Dans les cas mentionnés aux paragraphes précédents, l’employeur informe l’employé de l’existence et de la finalité des moyens de surveillance mis en œuvre en affichant, le cas échéant, sur les lieux prévus un message tel que « lieu placé sous vidéosurveillance » ou « lieu placé sous vidéosurveillance, avec enregistrement des images et du son », suivi d’un symbole d’identification.

4. Le non-respect des dispositions du paragraphe 1 constitue une infraction [contra-ordenação] très grave et le non-respect de celles du paragraphe 3 une infraction légère. »

Article 21

Utilisation de moyens de surveillance à distance

« 1. L’utilisation de moyens de surveillance à distance sur le lieu de travail est soumise à l’autorisation de la Commission nationale de protection des données.

2. L’autorisation ne peut être accordée que si l’utilisation des moyens est nécessaire, appropriée et proportionnée aux objectifs visés.

3. Les données à caractère personnel recueillies par des moyens de surveillance à distance sont conservées pendant la période nécessaire à la poursuite des finalités visées par l’utilisation. Elles doivent être détruites au moment du transfert de l’employé vers un autre lieu de travail ou de la cessation du contrat de travail.

4. La demande d’autorisation visée au paragraphe 1 est accompagnée de l’avis du comité du personnel ou, si cet avis n’est pas disponible dix jours après la consultation, d’une copie de la demande d’avis.

5. Le non-respect des dispositions du paragraphe 3 constitue une infraction grave. »

Article 128

Devoirs de l’employé

« 1. Sans préjudice d’autres obligations, l’employé est tenu de :

(...)

e) respecter les ordres et les instructions de l’employeur concernant l’exécution ou la discipline du travail ainsi que la sécurité et la santé au travail qui ne sont pas contraires à ses droits ou garanties ;

f) demeurer loyal envers l’employeur, notamment en s’abstenant de négocier, pour son compte ou pour le compte d’autrui, en concurrence avec l’employeur, et de divulguer des informations concernant son organisation, ses méthodes de production ou son activité ;

g) veiller à la préservation et à la bonne utilisation des biens liés au travail qui lui sont confiés par l’employeur ;

(...)

2. L’obligation d’obéissance concerne tant les ordres ou instructions donnés par l’employeur que ceux donnés par le supérieur hiérarchique de l’employé, dans les limites des pouvoirs qui ont été conférés par l’employeur. »

Article 351

Notion de juste motif (justa causa) de licenciement

« 1. Constitue un juste motif de licenciement le comportement fautif de l’employé qui, compte tenu de sa gravité et de ses conséquences, rend pratiquement impossible, de façon immédiate, le maintien de la relation de travail.

2. Constituent notamment de justes motifs de licenciement les comportements suivants de l’employé :

a) la désobéissance illégitime à des ordres donnés par des responsables hiérarchiquement supérieurs ;

(...)

d) un désintérêt répété pour l’observation diligente des obligations inhérentes à la fonction ou au poste de travail qui lui sont assignés ;

e) la lésion d’importants intérêts patrimoniaux de l’entreprise ;

(...)

g) les absences injustifiées (...) »

  1. Le code de procédure du travail

73. Aux termes de l’article 1 § 2 a) du code de procédure du travail, en cas de situation non prévue par celui-ci, c’est le code de procédure civile ou le code de procédure pénale qui s’applique en premier lieu.

  1. Le code de procédure civile (le « CPC »)

74. Selon l’article 490 du CPC, le tribunal peut, s’il le juge nécessaire, dans le respect de la vie privée et familiale de la personne, enquêter sur des biens ou sur des personnes, afin de clarifier tout point à prendre en compte pour trancher une affaire.

75. L’article 629 du CPC est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...)

2. Indépendamment de la valeur du litige et de la perte subie [par la partie concernée] à l’issue du litige [sucumbência], il est toujours possible de faire appel :

(...)

d) d’un arrêt d’une cour d’appel qui est en contradiction avec un autre arrêt rendu par la même cour d’appel ou [par] une autre [cour d’appel], concernant la même législation et la même question juridique fondamentale (...), sauf s’il a été rendu un arrêt d’uniformisation de la jurisprudence confirmant l’arrêt frappé d’appel.

(...) ».

  1. Le code de procédure pénale

76. L’article 126 du code de procédure pénale se lit comme suit :

« 1. Sont nulles, et ne peuvent être utilisées, les preuves obtenues par la torture, la contrainte ou, en général, l’atteinte à l’intégrité physique ou morale des personnes.

(...)

3. Sauf dans les cas prévus par la loi, sont également nulles, et ne peuvent être utilisées, les preuves obtenues au moyen d’une ingérence dans la vie privée, le domicile, la correspondance ou les télécommunications sans le consentement de l’intéressé.

(...) »

  1. La loi no 67/98 du 26 octobre 1998 sur la protection des données à caractère personnel (« la LPDP »)

77. Au moment des faits, la protection des données était régie par la LPDP, qui avait transposé au niveau interne la directive 95/46/CE (paragraphe 88 ci-dessous). Cette loi prévoyait un certain nombre de garanties pour les personnes concernées par le traitement de données à caractère personnel, dont le droit à l’information (article 10), le droit d’accès aux données en cause (article 11) et le droit d’opposition (article 12).

78. Les dispositions de cette loi qui sont pertinentes en l’espèce se lisaient comme suit :

Article 7

Traitement de données sensibles

« 1. Sont interdits : le traitement de données à caractère personnel touchant aux convictions philosophiques ou politiques, à l’affiliation à un parti ou à un syndicat, aux croyances religieuses, à la vie privée et à l’origine raciale ou ethnique, ainsi que le traitement de données relatives à la santé et à la vie sexuelle, y compris les données génétiques.

2. En vertu d’une disposition légale ou d’une autorisation de la CNPD, le traitement des données visées au paragraphe précédent peut être autorisé lorsque, pour des motifs liés à un intérêt public important, ce traitement est indispensable à l’exercice des attributions légales ou statutaires du responsable de ce traitement, ou lorsque le titulaire des données a consenti de façon expresse à ce traitement. Dans les deux cas, ce traitement doit être associé à des garanties de non-discrimination et aux mesures de sécurité prévues à l’article 15.

(...) »

Article 21 § 1

Nature [de la CNPD]

« La CNPD est une entité administrative indépendante qui dispose de pouvoirs d’autorité et qui fonctionne auprès de l’Assemblée de la République. »

Article 22 § 3

[Attributions de la CNPD]

« La CNPD dispose

(...)

b) de pouvoirs d’autorité notamment pour ordonner le blocage, l’effacement ou la destruction de données, ainsi que pour interdire, temporairement ou définitivement, le traitement de données à caractère personnel (...)

(...) »

Article 23

Compétences [de la CNPD]

« 1. Les fonctions de la CNPD sont les suivantes :

(...)

b) autoriser ou enregistrer, selon le cas, les traitements de données à caractère personnel ;

(...)

f) fixer le temps de conservation des données à caractère personnel en fonction de la finalité, [la CNPD] pouvant adopter des directives pour certains secteurs d’activité ;

(...)

j) vérifier, à la demande de toute personne, la licéité d’un traitement de données, lorsque celui-ci est soumis à des restrictions quant à l’accès ou à l’information, et informer l’auteur de la demande de la réalisation de cette vérification ;

k) examiner les réclamations, les plaintes et pétitions de particuliers ;

(...)

n) délibérer au sujet de l’applications de sanctions administratives [coimas] ;

(...)

3. Dans l’exercice de ses fonctions, la CNPD rend des décisions obligatoires, qui peuvent être contestées et attaquées devant le tribunal central administratif.

(...) »

Article 27

Obligation de notification à la CNPD

« 1. Avant la réalisation de tout traitement ou ensemble de traitements [de données], totalement ou partiellement automatisés, destinés à la poursuite d’une ou de plusieurs finalités liées entre elles [interligadas], le responsable du traitement, ou son représentant le cas échéant, est tenu d’en informer la CNPD.

(...) »

Article 28

Contrôle préalable

« 1. Une autorisation de la CNPD est requise pour :

a) tout traitement de données à caractère personnel visées à l’article 7 § 2 (...) ;

(...)

2. Les traitements visés au paragraphe précédent peuvent être autorisés par un acte législatif, auquel cas l’autorisation de la CNPD n’est pas nécessaire. »

Article 33

Contrôle administratif et judiciaire

« Sans préjudice du droit de porter plainte auprès de la CNPD, toute personne peut, en vertu de la loi, recourir à des moyens administratifs ou judiciaires pour garantir le respect des dispositions légales en matière de protection des données à caractère personnel. »

Article 34

Responsabilité civile

« 1. Toute personne ayant subi un préjudice en raison du traitement illicite de données, ou en raison de tout autre acte contraire aux dispositions légales en matière de protection des données, a le droit d’obtenir du responsable réparation pour le préjudice subi.

2. Le responsable du traitement peut être partiellement ou totalement exonéré de cette responsabilité s’il prouve que l’acte [o facto] à l’origine du dommage ne peut lui être imputé. »

Article 43

Non-respect des obligations relatives à la protection des données

« 1. Est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an et d’une amende pouvant aller jusqu’à 120 jours [amende] quiconque, intentionnellement,

a) omet d’effectuer la notification ou la demande d’autorisation requises, conformément aux articles 27 et 28 ;

(...)

c) détourne des données à caractère personnel ou utilise de telles données de façon incompatible avec la finalité sur laquelle reposait leur obtention (...) ;

(...)

2. La peine est doublée lorsqu’il s’agit de données à caractère personnel visées aux articles 7 et 8. »

  1. La résolution de la CNPD no 7680/2014 du 28 octobre 2014

79. Dans sa résolution no 7680/2014 du 28 octobre 2014, la CNPD considéra que l’utilisation dans les véhicules de fonction d’un système de géolocalisation comme moyen de surveillance à distance devait respecter les conditions établies à l’article 20 du CT (paragraphe 72 ci-dessus), ainsi que l’article 7 § 2 de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessus). Elle souligna qu’un tel dispositif ne pouvait être utilisé pour contrôler les performances professionnelles des employés et qu’il était inadmissible lorsque le véhicule était utilisé à des fins privées. Dans sa décision, elle releva notamment ce qui suit :

« (...)

17. (...) [L]es dispositifs de géolocalisation, en particulier le GPS, sont communément définis comme des systèmes de traçage d’objets et/ou de personnes et, à ce titre, ils constituent une ingérence dans la vie privée.

(...)

20. Dans le contexte professionnel, l’utilisation de dispositifs de géolocalisation, installés dans les véhicules de fonction ou sur des appareils mobiles intelligents contrôlés par l’employeur, constitue un risque sérieux d’atteinte à la vie privée de l’employé dans la mesure où le dispositif peut révéler sa localisation à tout moment, l’historique de ses déplacements, ainsi que son mode d’opération.

21. Cette possibilité est encore plus intrusive lorsque la géolocalisation des équipements s’étend au-delà du temps de travail et couvre les pauses et les périodes de repos, y compris les week-ends de l’employé, entrant alors clairement dans la sphère de sa vie personnelle et de sa vie privée en dehors du cadre du travail.

(...)

23. Il est nécessaire de ménager un juste équilibre entre, d’un côté, l’intérêt de l’employeur à atteindre certaines objectifs légitimes et, de l’autre, la protection des droits fondamentaux des employés. L’utilisation de dispositifs de géolocalisation dans le cadre professionnel doit donc être solidement justifiée car elle implique le traitement de données à caractère personnel sensibles.

(...)

27. En ce qui concerne le traitement de données à caractère personnel résultant de l’utilisation de technologies de géolocalisation dans le contexte professionnel, il convient de trouver un juste équilibre entre, d’un côté, le droit à la protection des données et le droit à la vie privée des employés et, de l’autre, la liberté de gestion et d’organisation que la loi confère aux employeurs.

(...).

30. (...) [L’]installation de dispositifs de géolocalisation dans les équipements peut permettre d’atteindre certains buts légitimes de l’employeur, liés notamment à l’efficacité et à la qualité du service, à l’optimisation des ressources et à la protection des biens, à condition qu’elle ne soit pas utilisée pour localiser l’employé ou comme outil de contrôle des performances professionnelles, ce qui est clairement interdit par la loi (article 20 du code du travail).

(...) »

80. La CNPD considéra ensuite que le traitement de données de géolocalisation n’était légitime que dans des cas particuliers, qu’elle résuma ainsi :

« 83. En résumé, le traitement de données de géolocalisation recueillies dans les véhicules est autorisé aux fins suivantes :

– pour la gestion de la flotte de véhicules en service extérieur : dans les lieux d’activité d’assistance technique externe/à domicile ; la livraison de biens, le transport de passagers, le transport de marchandises, la sécurité privée.

– pour la protection des biens : le transport de marchandises dangereuses et de marchandises de valeur élevée.

84. Lorsque l’installation de dispositifs de géolocalisation vise spécifiquement [à faciliter] le dépôt de plainte en cas de vol, même si les données de géolocalisation sont enregistrées automatiquement, l’employeur ne peut accéder à celles-ci que si le véhicule a été volé.

(...)

87. Si le traitement de ces données permet de détecter la commission d’une infraction, cette information peut être utilisée dans le cadre d’une plainte pénale. Le cas échéant, l’employeur peut également utiliser cette information dans le cadre d’une procédure disciplinaire, quand les éléments factuels sont eux-mêmes constitutifs d’un manquement de l’employé à ses devoirs (...) »

81. Pour finir, considérant que l’utilisation du système de géolocalisation était inadmissible en dehors des horaires de travail, en particulier pendant les périodes de repos de l’employé ou lorsque le véhicule était utilisé à des fins privées, la CNPD estima qu’il était nécessaire de mettre au point un système capable de distinguer l’usage professionnel et l’usage privé du véhicule, notamment au moyen d’un interrupteur, sans que cela supposât d’éteindre le système GPS, dont le fonctionnement était souvent lié au moteur du véhicule.

  1. La jurisprudence de la Cour suprême et de la cour d’appel d’Évora

82. Dans un arrêt du 22 mai 2007 (procédure no 07S054), la Cour suprême considéra ce qui suit :

« (...) Un dispositif GPS installé dans le véhicule automobile attribué à un agent de vente ne peut pas être qualifié de moyen de surveillance à distance sur le lieu de travail, dès lors que ce système ne permet pas de déterminer les circonstances, la durée et les résultats des visites effectuées auprès de clients, ni d’identifier les intervenants respectifs.

(...) »

83. Par ailleurs, le résumé de l’arrêt de la Cour suprême du 13 novembre 2013 (affaire no 73/12.3TTVNF.P1.S1) se lit comme suit :

« 1. La notion de « moyens de surveillance à distance » visée à l’article 20 § 1 du code du travail (2009) englobe les équipements de captation d’images à distance, de sons, ou de sons et d’images, permettant d’identifier les personnes concernées et de déterminer ce qu’elles font. Il s’agit, entre autres, des caméras vidéo, des équipements audiovisuels, des microphones ou dispositifs cachés, ou des dispositifs d’écoute et d’enregistrement téléphonique.

2. L’appareil GPS installé par l’employeur dans un véhicule que son employé utilise dans l’exercice de ses fonctions ne peut pas être qualifié d’appareil de surveillance à distance sur le lieu de travail au sens de cette disposition, car il indique seulement la localisation du véhicule en temps réel, en le situant dans un espace géographique déterminé, mais ne permet pas de savoir ce que fait le conducteur.

3. Le pouvoir de direction de l’employeur, réalité évidemment inhérente à la relation de travail et à la liberté de l’entreprise, comprend les pouvoirs de surveillance et de contrôle, qui doivent toutefois se concilier avec les principes visant à protéger l’individualité des employés et à déterminer [les relations juridiques de travail] compte tenu des valeurs légales et constitutionnelles.

4. Étant donné que le GPS est installé dans une voiture exclusivement affectée aux besoins du service et qu’il ne permet pas la captation ou l’enregistrement d’images ou de sons, son utilisation ne porte pas atteinte aux droits de la personnalité de l’employé, notamment à son droit au respect de la vie privée et familiale.

5. Il existe une raison valable de licencier l’employé s’il est établi que, exerçant les fonctions de conducteur de véhicule de transport de marchandises dangereuses, l’employé, à l’insu de l’employeur et à dix-huit reprises sur une période de trois mois, a conduit ledit véhicule vers des localités situées en dehors de l’itinéraire fixé pour le transport des marchandises, depuis le lieu de collecte jusqu’au lieu de livraison, causant non seulement un allongement des distances et des délais, supporté par l’employeur, mais aussi un accroissement des risques liés à la circulation d’un véhicule transportant du carburant. »

84. Dans un arrêt du 18 mai 2017 (affaire no 20/14.8T8AVR.P1.S1), la Cour suprême confirma un arrêt rendu par une cour d’appel qui avait estimé illicite le licenciement d’une déléguée médicale de l’entreprise objet de la présente espèce après avoir écarté l’élément de fait qui avait été jugé établi par le tribunal de première instance et qui avait été retenu contre l’intéressée, à savoir qu’elle avait endommagé le système GPS installé dans son véhicule de fonction. En particulier, la cour d’appel avait jugé que la présomption qui avait été appliquée à l’employée n’était pas valable dès lors qu’il n’avait pas été démontré qu’elle seule avait eu accès au véhicule en cause.

85. Le 8 mai 2014, la cour d’appel d’Évora rendit un arrêt concernant l’installation d’un GPS dans un véhicule mis à la disposition d’un chargé des ventes (affaire no 273/11/3TTSTR.E1), lequel avait résilié le contrat de travail qui le liait à son employeur en invoquant un juste motif. Dans son arrêt, la cour d’appel a notamment considéré ce qui suit :

« (...) Le fait d’installer, dans un véhicule que l’employeur met à la disposition de son employé, un dispositif GPS prévu pour un usage permanent [uso total], sans le consentement de l’employé, constitue une ingérence inacceptable dans la vie privée de celui-ci.

(...)

Il n’est pas possible de parvenir à un juste équilibre ou à une proportionnalité raisonnable en faisant prévaloir le droit de propriété concernant un bien matériel sur un droit personnel qui englobe la dignité humaine.

(...)

L’installation d’un appareil GPS dans un véhicule mis à disposition pour un usage permanent, sans qu’il ait été démontré que par ce moyen l’employé a été contrôlé en dehors de son horaire de travail, n’est pas suffisant pour que l’on puisse considérer que l’attitude de l’employeur, même si elle est illicite, a eu pour effet immédiat de rendre impossible le maintien de la relation de travail. Partant, la rupture du contrat de travail par [l’employé] n’est pas fondée. »

  1. Le droit européen pertinent
    1. La Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel

86. L’article 2 de la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981 (STE no 108), qui a été ratifiée par le Portugal le 2 septembre 1993 et est entrée en vigueur pour ce pays le 1er janvier 1994, définit les données à caractère personnel comme toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable.

87. Les dispositions pertinentes de cette Convention sont citées au paragraphe 52 de l’arrêt M.L. et W.W. c. Allemagne (nos 60798/10 et 65599/10, 28 juin 2018).

  1. Le droit de l’Union européenne

88. Les dispositions pertinentes de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données sont citées aux paragraphes 63-65 de l’arrêt López Ribalda et autres c. Espagne ([GC], nos 1874/13 et 8567/13, 17 octobre 2019). Cette directive a été abrogée par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui est entré en vigueur le 25 mai 2018 (ibidem, § 66).

EN DROIT

  1. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

89. Le requérant allègue que le traitement de données de géolocalisation obtenues à partir du système GPS installé sur son véhicule de fonction et l’utilisation de ces données pour fonder son licenciement ont porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

  1. Sur la recevabilité
    1. Applicabilité de l’article 8 de la Convention

a) Thèses des parties

  1. Le requérant

90. Le requérant allègue que le traitement de données de géolocalisation recueillies à partir du GPS que son employeur avait installé sur son véhicule de fonction et le fait que ces données aient fondé son licenciement, et ainsi la perte de la majeure partie des moyens de subsistance de sa famille, ont enfreint son droit au respect de sa vie privée découlant de l’article 8 de la Convention. Il se plaint plus particulièrement que la cour d’appel de Guimarães ait accepté ces éléments de preuve alors que, expose-t-il, ils avaient été obtenus en l’absence de toute autorisation de la CNPD et au mépris des conditions établies dans la résolution de la CNPD no 7680/2014 du 28 octobre 2014 (paragraphe 79 ci-dessus), ainsi que du code du travail (paragraphe 72 ci-dessus) et du droit européen.

  1. Le Gouvernement

91. Le Gouvernement reconnaît que le dispositif installé dans le véhicule de fonction du requérant permettait de recueillir des données de géolocalisation 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, puisque le véhicule mis à disposition pouvait être utilisé pendant les heures de travail de l’intéressé et en dehors de celles-ci. Cela étant, d’après le Gouvernement, il n’a pas été démontré que le système GPS visait à contrôler les déplacements et l’utilisation des véhicules par les employés, y compris en dehors de leurs heures de travail, et à envahir de façon délibérée leur vie privée.

b) Appréciation de la Cour

  1. Rappel des principes

92. Les principes généraux concernant l’applicabilité de l’article 8 dans un contexte professionnel ont été rappelés dans l’arrêt López Ribalda et autres c. Espagne ([GC], nos 1874/13 et 8567/13, 17 octobre 2019), dans les termes suivants :

« 87. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale d’une personne ainsi que de multiples aspects de son identité physique et sociale (voir, récemment, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 95, 25 septembre 2018). Elle englobe notamment des éléments d’identification d’un individu tels que son nom ou sa photographie (Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002, et Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 95, CEDH 2012).

88. La notion de vie privée ne se limite pas à un « cercle intime », où chacun peut mener sa vie personnelle sans intervention extérieure, mais englobe également le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur (Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, § 70, 5 septembre 2017). À ce titre, elle n’exclut pas les activités professionnelles (Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 110, CEDH 2014 (extraits), Köpke c. Allemagne (déc.), no 420/07, 5 octobre 2010, Bărbulescu, précité, § 71, Antović et Mirković c. Monténégro, no 70838/13, § 42, 28 novembre 2017, et Denisov, précité, § 100) ni les activités qui ont lieu dans un contexte public (Von Hannover (no 2), précité, § 95). Il existe en effet une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la vie privée (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 56, CEDH 2001‑IX, Perry c. Royaume-Uni, no 63737/00, § 36, CEDH 2003‑IX (extraits), et Von Hannover (no 2), précité, § 95).

89. Un certain nombre d’éléments entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la vie privée d’une personne est touchée par des mesures prises en dehors de son domicile ou de ses locaux privés. Puisqu’à certaines occasions les gens se livrent sciemment ou intentionnellement à des activités qui sont ou peuvent être enregistrées ou rapportées publiquement, ce qu’un individu est raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée peut constituer un facteur significatif, quoique pas nécessairement décisif (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, § 57, Bărbulescu, précité, § 73, et Antović et Mirković, précité, § 43). S’agissant de la surveillance des actions d’un individu au moyen de matériel photo ou vidéo, les organes de la Convention ont ainsi estimé que la surveillance des faits et gestes d’une personne dans un lieu public au moyen d’un dispositif photographique ne mémorisant pas les données visuelles ne constituait pas en elle-même une forme d’ingérence dans la vie privée (Herbecq et Association « Ligue des droits de l’homme » c. Belgique, nos 32200/96 et 32201/96, décision de la Commission du 14 janvier 1998, Décisions et rapports 92-A, p. 92, et Perry, précité, § 41). En revanche, des considérations tenant à la vie privée peuvent surgir dès lors que des données à caractère personnel, notamment les images d’une personne identifiée, sont recueillies et enregistrés de manière systématique ou permanente (Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, §§ 58-59, CEDH 2003‑I, Perry, précité, §§ 38 et 41, et Vukota-Bojić c. Suisse, no 61838/10, §§ 55 et 59, 18 octobre 2016). Comme la Cour l’a souligné à cet égard, l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, parce qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Le droit de chaque personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui (Reklos et Davourlis c. Grèce, no 1234/05, § 40, 15 janvier 2009, et De La Flor Cabrera c. Espagne, no 10764/09, § 31, 27 mai 2014).

90. Pour déterminer si l’article 8 trouve à s’appliquer, la Cour estime également pertinente la question de savoir si l’individu en cause a été ciblé par la mesure de surveillance (Perry, précité, § 40, Köpke, décision précitée, et Vukota-Bojić, précité, §§ 56 et 58) ou si des informations à caractère personnel ont été traitées, utilisées ou rendues publiques d’une manière ou dans une mesure excédant ce à quoi les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre (Peck, précité, §§ 62-63, Perry, précité, §§ 4041, et Vukota-Bojić, précité, § 56).

91. En ce qui concerne plus particulièrement la vidéosurveillance sur le lieu de travail, la Cour a jugé que la vidéosurveillance effectuée par l’employeur à l’insu d’une salariée, pendant environ cinquante heures sur une période de deux semaines et l’utilisation de l’enregistrement obtenu dans la procédure devant les juridictions du travail pour justifier son licenciement, constituaient une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée (Köpke, décision précitée). La vidéosurveillance non dissimulée de professeurs d’université pendant qu’ils dispensaient leurs cours, dont les enregistrements étaient conservés pendant un mois et consultables par le doyen de la faculté, a également été jugée attentatoire à la vie privée des intéressés (Antović et Mirković, précité, §§ 44-45). »

  1. Application à la présente espèce

93. La présente espèce se distingue des affaires déjà examinées par elle concernant le respect de la vie privée dans le cadre de relations de travail, dès lors que les informations litigieuses n’étaient pas des images (voir, a contrario, Köpke c. Allemagne (déc.), no 420/07, 5 octobre 2010, López Ribalda et autres, précité, et Antović et Mirković c. Monténégro, no 70838/13, 28 novembre 2017), des messages électroniques (voir, a contrario, Bărbulescu c. Roumanie ([GC], no 61496/08, 5 septembre 2017) ou des fichiers informatiques (voir, a contrario, Libert c. France, no 588/13, 22 février 2018), mais des données de géolocalisation. Elle pose toutefois également la question de savoir quels sont le type et le niveau de surveillance acceptable de la part d’un employeur à l’égard de ses salariés, ainsi que la question de la nécessité de préserver la vie privée de chacun dans un contexte professionnel.

94. La Cour constate que le dispositif GPS avait été installé sur le véhicule que l’employeur avait mis à la disposition du requérant pour ses déplacements professionnels. Elle relève que l’utilisation du véhicule à des fins privées était également autorisée, à condition que les frais afférents aux kilomètres parcourus pour des déplacements privés fussent remboursés à l’employeur (paragraphe 6 ci-dessus).

95. La Cour observe ensuite que le système de géolocalisation permettait de suivre en temps réel les déplacements d’un véhicule. Il était ainsi possible de localiser géographiquement la ou les personnes qui étaient supposées s’en servir à un instant donné ou en continu. Aux yeux de la Cour, ces informations constituent des données à caractère personnel (voir, mutatis mutandis, Uzun c. Allemagne, no 35623/05, §§ 51-52, CEDH 2010 (extraits)), selon la définition donnée par l’article 2 de la Convention du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (paragraphes 86-87 ci-dessus ; voir aussi Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 65, CEDH 2000-II).

96. En l’espèce, les données recueillies au moyen du système de géolocalisation installé dans le véhicule de fonction du requérant étaient enregistrées et traitées aux fins de l’obtention d’informations complémentaires, telles que la durée d’utilisation du véhicule, les kilomètres parcourus, l’heure de démarrage et l’heure d’arrêt du véhicule, ainsi que la vitesse de circulation (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour note que les employés n’étaient pas autorisés à désactiver ce système (paragraphes 17 et 40 ci-dessus) et qu’il était actif 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, comme le reconnaît le Gouvernement (paragraphe 91 ci-dessus). Dès lors, il était permanent et systématique, et il permettait d’obtenir des données de géolocalisation pendant les heures de travail du requérant et en dehors de celles-ci, empiétant ainsi incontestablement sur sa vie privée (comparer avec Uzun, précité, § 51, et Ben Faiza c. France, no 31446/12, § 55, 8 février 2018). En outre, les informations de géolocalisation relatives aux kilomètres parcourus ont fondé le licenciement du requérant, cette mesure ayant indéniablement eu de graves répercussions sur sa vie privée (comparer avec López Ribalda et autres, précité, § 94, et Platini c. Suisse (déc.), no 526/18, § 57, 11 février 2020 ; voir aussi, a contrario, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 133, 25 septembre 2018).

97. Au vu de l’ensemble de ces considérations, la Cour estime que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce.

  1. Autres motifs d’irrecevabilité

98. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
    1. Thèses des parties

a) Le requérant

99. Le requérant allègue une atteinte à son droit au respect de sa vie privée découlant de l’article 8 de la Convention, à raison du traitement des données de géolocalisation obtenues à partir de son véhicule de fonction, qui ont selon lui fondé son licenciement de l’entreprise.

100. Il soutient que l’installation par son employeur de ce dispositif dans le véhicule et le traitement des données ainsi obtenues étaient illicites parce qu’elles n’avaient pas été autorisées par la CNPD. Par ailleurs, se référant à l’arrêt Bărbulescu (précité, § 121), le requérant affirme ne pas avoir été informé que les données recueillies pouvaient être utilisées contre lui et fonder son licenciement. Il ajoute que son employeur avait d’autres moyens à sa disposition pour contrôler le kilométrage parcouru pendant ses déplacements, ainsi qu’il l’a exposé dans son mémoire soumis à la cour d’appel de Guimarães (paragraphe 45 ci-dessus).

101. Le requérant plaide que l’État a manqué aux obligations positives qui lui incombaient de protéger son droit au respect de la vie privée ; il invoque à cet égard les arrêts López Ribalda et autres (précité, §§ 109-112) et Bărbulescu (précité, §§ 109-121). Il soutient plus particulièrement que, en acceptant les éléments de preuve litigieux, la cour d’appel de Guimarães n’a pas statué conformément au cadre normatif existant au niveau national et européen. Il se réfère notamment à l’article 8 de la Convention, à la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981 (paragraphe 86 ci-dessus), à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (paragraphe 88 ci-dessus) et, pour ce qui concerne le droit interne, à la Constitution, à la loi no 67/98 du 26 octobre 1998 sur la protection des données à caractère personnel et à la résolution de la CNPD no 7680/2014 qui interdit l’utilisation de dispositifs GPS dans le contexte professionnel (paragraphes 70, 77 et 79 ci-dessus).

b) Le Gouvernement

102. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant. Il affirme que ce dernier avait été informé par son employeur de la mise en place du GPS dans son véhicule de fonction, des fins poursuivies par cette mesure et du fait que les informations obtenues pouvaient fonder une procédure disciplinaire. Il ajoute que ce dispositif prévoyait des garanties, expliquant à cet égard que tout employé avait la possibilité de justifier par la suite les différences entre le kilométrage enregistré par le GPS et celui déclaré dans le CRM.

103. Le Gouvernement est d’avis qu’un tel système était adéquat pour assurer la gestion de la flotte de véhicules et protéger la sécurité des personnes et des biens et qu’il n’existait pas de moyen moins intrusif pour le faire. Il observe que ce système visait effectivement à permettre un contrôle des kilomètres parcourus par les véhicules de fonction. Il expose qu’en l’espèce la comparaison entre les données recueillies par le dispositif GPS et les informations consignées par le requérant dans le système interne CRM avait montré que l’intéressé avait essayé de faire supporter à l’entreprise le coût des déplacements qu’il effectuait avec son véhicule à des fins personnelles. Il ajoute que des dysfonctionnements du système GPS étaient apparus parce que le requérant avait retiré la carte GSM de l’appareil. Se référant à l’affaire Bărbulescu (arrêt précité), le Gouvernement rappelle que toute relation de travail doit reposer sur un rapport de confiance et il soutient qu’en l’espèce celui-ci avait été rompu par le requérant et que cela a entraîné la mesure de licenciement.

104. Le Gouvernement affirme enfin qu’il existe au niveau interne un cadre normatif adéquat pour garantir et protéger de façon efficace les droits des employés, notamment leur droit au respect de la vie privée. Il se réfère en particulier aux articles 20 et 21 du CT, à la loi sur la protection des données à caractère personnel et à la résolution no 7680/2014 de la CNPD (paragraphes 72-77 et 79 ci-dessus). Il ajoute que la CNPD est chargée du contrôle de l’utilisation de données à caractère personnel. Il explique ainsi qu’en l’espèce la CNPD a rendu plusieurs résolutions concernant l’utilisation d’un appareil de géolocalisation par l’entreprise et que par celle du 3 décembre 2015 (no 11891/2015) elle a autorisé l’entreprise à utiliser un système GPS, quoique dans un cadre limité (paragraphe 69 ci-dessus). Le Gouvernement estime enfin que les tribunaux contribuent à la bonne application de la législation en matière de protection des données à caractère personnel, comme le confirme selon lui la décision rendue en l’espèce par la cour d’appel de Guimarães le 3 mars 2016, qui a interdit l’utilisation de données de géolocalisation pour évaluer les performances professionnelles du requérant, notamment le respect par celui-ci de ses heures de travail (paragraphe 56 ci-dessus). Il en déduit que l’État a bien rempli les obligations positives qui lui incombaient en l’espèce pour protéger le droit du requérant au respect de sa vie privée. Au demeurant, l’État n’aurait pas dépassé la marge d’appréciation dont il bénéficiait, les juridictions ayant selon le Gouvernement effectué une juste pondération des intérêts qui étaient en jeu, à savoir, d’une part, le droit du requérant au respect de sa vie privée et, d’autre part, le droit pour l’employeur de contrôler l’usage de ses biens.

  1. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

105. La Cour rappelle que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Ces obligations peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 98, CEDH 2012, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 78, CEDH 2013, et López Ribalda et autres, précité, § 110). La responsabilité de l’État peut ainsi se trouver engagée si les faits litigieux résultent d’un manquement de sa part à garantir aux personnes concernées la jouissance des droits consacrés par l’article 8 de la Convention (Bărbulescu, précité, § 110, et Schüth c. Allemagne, no 1620/03, §§ 54 et 57, CEDH 2010).

106. Si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre les différents intérêts privés et publics en jeu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation. Cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si leurs décisions se concilient avec les dispositions de la Convention invoquées (López Ribalda et autres, précité, § 111).

107. Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe en effet plusieurs manières différentes d’assurer le respect de la vie privée, et la nature de l’obligation de l’État dépendra de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Söderman, précité, § 79, et Bărbulescu, précité, § 113).

108. La Cour a déjà jugé que, dans certaines circonstances, le respect des obligations positives qu’impose l’article 8 exige de l’État qu’il adopte un cadre législatif propre à protéger le droit en cause (López Ribalda et autres, précité, § 113 et les exemples qui y sont cités). Pour la surveillance des employés sur le lieu de travail, les États ont le choix d’adopter ou non une législation spécifique. Il appartient toutefois aux juridictions internes de s’assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée est proportionnée et s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (ibidem, § 114, et Bărbulescu, précité, § 120).

109. Dans les arrêts Bărbulescu (précité, § 121, concernant le contrôle de la correspondance et des communications des employés) et López Ribalda et autres (précité, § 116, concernant des mesures vidéosurveillance), dont les considérations sont transposables, mutatis mutandis, à la présente espèce, la Cour a indiqué que les juridictions nationales devraient tenir compte des facteurs suivants lorsqu’elles procèdent à la mise en balance des différents intérêts en jeu :

i) L’employé a-t-il été informé de la possibilité que l’employeur prenne des mesures de surveillance ainsi que de la mise en place de telles mesures ? Si, en pratique, cette information peut être concrètement communiquée au personnel de diverses manières, en fonction des spécificités factuelles de chaque cas, l’avertissement doit en principe être clair quant à la nature de la surveillance et être préalable à sa mise en place.

ii) Quels ont été l’ampleur de la surveillance opérée par l’employeur et le degré d’intrusion dans la vie privée de l’employé ? À cet égard, il convient de prendre en compte notamment le caractère plus ou moins privé du lieu dans lequel intervient la surveillance, les limites spatiales et temporelles de celle-ci, ainsi que le nombre de personnes ayant accès à ses résultats.

iii) L’employeur a-t-il justifié par des motifs légitimes le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ? Sur ce point, plus la surveillance est intrusive, plus les justifications requises doivent être sérieuses.

iv) Était-il possible de mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs ? À cet égard, il convient d’apprécier en fonction des circonstances particulières de chaque espèce si le but légitime poursuivi par l’employeur pouvait être atteint en portant une atteinte moindre à la vie privée du salarié.

v) Quelles ont été les conséquences de la surveillance pour l’employé qui en a fait l’objet ? Il convient notamment de vérifier de quelle manière l’employeur a utilisé les résultats de la mesure de surveillance et s’ils ont servi à atteindre le but déclaré de la mesure.

vi) L’employé s’est-il vu offrir des garanties adéquates, notamment lorsque les mesures de surveillance de l’employeur avaient un caractère intrusif ? Ces garanties peuvent être mises en œuvre, parmi d’autres moyens, par l’information fournie aux employés concernés ou aux représentants du personnel sur la mise en place et sur l’ampleur de la surveillance, par la déclaration de l’adoption d’une telle mesure à un organisme indépendant ou par la possibilité d’introduire une réclamation.

110. La Cour rappelle, pour finir, que les juridictions internes doivent motiver leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée, afin notamment de lui permettre d’assurer le contrôle européen qui lui est confié. Un raisonnement insuffisant des juridictions internes, sans véritable mise en balance des intérêts en présence, est contraire aux exigences de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Savran c. Danemark [GC], no 57467/15, § 188, 7 décembre 2021). En revanche, dès lors que les autorités nationales ont réalisé la mise en balance des intérêts en jeu dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (voir, mutatis mutandis, Von Hannover (no 2), précité, § 107).

b) Application de ces principes à la présente espèce

111. En l’espèce, dès lors que l’ingérence dans la vie privée du requérant était le fait non pas de l’État mais de son employeur, une entreprise privée, la Cour, suivant l’approche adoptée dans des affaires similaires, examinera les griefs du requérant sous l’angle des obligations positives qui incombent à l’État au titre de l’article 8 de la Convention (comparer avec Bărbulescu, précité, §§ 109-111, López Ribalda et autres, précité, § 111, Köpke, décision précitée, et Platini, décision précitée, § 59).

112. La Cour note qu’il existait, au moment des faits, un cadre normatif destiné à protéger la vie privée des salariés dans une situation telle que celle de l’espèce. En effet, la LPDP prévoyait un certain nombre de garanties en matière de protection des données dont le non-respect pouvait être sanctionné par la CNPD, l’autorité nationale de contrôle en matière de protection des données à caractère personnel. La responsabilité pénale et civile du responsable du traitement des données pouvait également être engagée (paragraphes 77-78 ci-dessus). La Cour relève plus particulièrement que l’article 20 § 1 du CT interdit que des moyens de surveillance à distance soient utilisés sur les lieux de travail pour contrôler les performances professionnelles des salariés, autrement dit l’exécution de leurs tâches professionnelles (paragraphe 72 ci-dessus). Le cadre normatif existant en droit interne ne semble donc pas être en cause en l’espèce, et le requérant ne soutient d’ailleurs pas que celui-ci soit dépourvu de garanties contre les abus.

113. De plus, la Cour constate que le requérant n’a pas contesté devant les juridictions administratives la décision que la CNPD avait rendue le 10 septembre 2013 relativement à sa plainte concernant l’installation même du dispositif GPS dans son véhicule de fonction (paragraphes 14 et 16
ci-dessus), dont il avait été dûment informé (paragraphe 11-13 et 39
ci-dessus), alors qu’il aurait pu le faire en vertu de l’article 23 § 3 de la LPDP (paragraphe 78 ci-dessus).

114. Dans ces conditions, la seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si, comme l’allègue le requérant (paragraphe 101 ci-dessus), les juridictions internes, bien que saisies de la procédure relative à son licenciement, ont manqué à protéger son droit au respect de sa vie privée dans le cadre de sa relation de travail alors que, expose-t-il, l’installation du système de géolocalisation sur son véhicule de fonction, d’une part n’avait pas été autorisée par la CNPD et, d’autre part, contrevenait au cadre normatif national et européen en matière de protection de données à caractère personnel (paragraphes 86-101 ci-dessus). En bref, il s’agit de déterminer si les juridictions nationales ont ménagé, dans leur mise en balance des intérêts qui étaient en jeu, une protection suffisante du droit du requérant au respect de sa vie privée.

115. À cet égard, la Cour constate tout d’abord que les juridictions nationales ont cerné les intérêts qui étaient en jeu dans la présente espèce, en se référant, d’une part, au droit du requérant au respect de sa vie privée et, d’autre part, au droit de son employeur de contrôler les dépenses découlant de l’utilisation des véhicules confiés à ses délégués médicaux (paragraphes 42, 56 et 61 ci-dessus). Il convient à présent de déterminer si, dans la mise en balance de ces intérêts, elles ont appliqué les critères énoncés ci-dessus (paragraphe 109 ci-dessus).

116. En premier lieu, la Cour observe que les juridictions nationales ont considéré comme établi que le requérant avait été informé que tout véhicule qui lui serait fourni serait équipé d’un dispositif GPS (paragraphe 39 cidessus ; voir, a contrario, Bărbulescu, précité, § 77, López Ribalda et autres, précité, § 13, et Köpke, décision précitée). Elle constate également que le requérant a signé le document du 5 janvier 2012, que l’entreprise avait transmis aux salariés concernés et qui portait sur l’installation de ce dispositif et sur les motifs de cette mesure (paragraphes 11-12 ci-dessus). Or ce document précisait bien qu’un tel dispositif visait notamment à contrôler les kilomètres parcourus dans l’exercice de l’activité des salariés. Il indiquait aussi qu’une procédure disciplinaire pourrait être engagée contre tout salarié en cas d’incohérences entre les données de kilométrage livrées par le GPS et les éléments fournis par les salariés (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour relève en outre que, le 9 avril 2012, l’entreprise a précisé qu’un tel dispositif visait à accroître la fiabilité des informations relatives au kilométrage parcouru (paragraphe 13 ci-dessus) qui étaient consignées par les salariés dans le CRM, une application informatique mise en place à cet effet au sein de l’entreprise en avril 2002 (paragraphe 7 ci-dessus). Il ne fait donc pas de doute que le requérant savait que l’entreprise avait installé un système GPS sur son véhicule dans le but de contrôler les kilomètres parcourus dans l’exercice de son activité professionnelle et, le cas échéant, lors de ses déplacements privés (voir, a contrario, Köpke, décision précitée, et López Ribalda et autres, précité, § 130).

117. En deuxième lieu, la Cour note que le requérant a été licencié par son employeur sur la base de deux motifs, visés à l’article 351 §§ 1 et 2, alinéas a), d), e) et g) du CT (paragraphes 21 et 72 ci-dessus). D’une part, se basant sur le traitement des données recueillies au moyen du GPS installé dans son véhicule de fonction, l’entreprise l’a sanctionné pour avoir majoré le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel, afin d’occulter les kilomètres parcourus à titre privé, et pour n’avoir pas respecté le temps de travail auquel il était tenu. D’autre part, le requérant a été sanctionné pour avoir entravé le fonctionnement du dispositif GPS pendant les week-ends (paragraphe 21 cidessus).

118. Si le tribunal de Vila Real a jugé que les motifs de licenciement étaient justifiés (paragraphes 39-43 ci-dessus), la cour d’appel de Guimarães a en revanche annulé l’un de ces motifs, à savoir le non-respect par le requérant de son temps de travail. Tenant compte de la résolution no 1565/2015, entretemps adoptée par la CNPD et non contestée par l’entreprise devant les juridictions administratives (paragraphe 54 ci-dessus), qui interdisait à l’entreprise d’utiliser des appareils de géolocalisation dans ses véhicules de fonction (paragraphe 56 ci-dessus), elle s’est écartée de l’analyse qui avait été faite par le tribunal de Vila Real à la lumière des arrêts de la Cour suprême du 22 mai 2007 et du 13 novembre 2013 (paragraphes 82 et 83 ci-dessus), en considérant que les dispositifs de géolocalisation ne pouvaient être utilisés pour contrôler les performances des salariés ou le respect de leur temps de travail.

119. Faisant une application rétroactive de cette résolution, la cour d’appel de Guimarães a alors jugé que les données de géolocalisation qui avaient été obtenues par l’entreprise pour contrôler les performances des salariés relevaient de la surveillance à distance interdite par l’article 20 § 1 du CT et étaient illégales (paragraphe 56 ci-dessus). En revanche, elle a considéré que les données de géolocalisation qui rendaient compte des kilomètres parcourus ne relevaient pas de la surveillance à distance au sens de cette disposition et qu’elles n’étaient donc pas illégales (paragraphe 57 cidessus). Aussi, la cour d’appel n’a pas invalidé l’ensemble des données de géolocalisation litigieuses mais seulement celles qui consistaient à opérer un contrôle sur l’activité professionnelle de l’employé.

120. La Cour estime que, en retenant uniquement les données de géolocalisation concernant le kilométrage parcouru, la cour d’appel de Guimarães a réduit l’ampleur de l’intrusion dans la vie privée du requérant à ce qui était strictement nécessaire au but légitime poursuivi, à savoir le contrôle des dépenses de l’entreprise.

121. Le requérant ne conteste d’ailleurs pas qu’il était tenu de rendre compte des kilomètres parcourus non seulement dans le cadre de son activité professionnelle mais également à titre privé, afin, dans ce second cas, de rembourser à l’entreprise les dépenses correspondantes. Il allègue cependant qu’il existait des moyens moins intrusifs pour assurer ce contrôle, ainsi qu’il l’a exposé devant les juridictions internes (paragraphes 86, 29 et 45 cidessus).

122. Sur ce point, la Cour note que le tribunal de Vila Real a jugé, entre autres, établi que, en l’absence d’un tel système, il serait difficile de contrôler les kilomètres parcourus à titre professionnel et à titre privé (paragraphe 40 ci-dessus). La cour d’appel de Guimarães a quant à elle estimé qu’il n’y avait pas lieu de revoir ce point, eu égard à la décision qu’elle allait rendre au sujet des faits de l’espèce (paragraphe 59 ci-dessus). La Cour ne voit pas de raison d’en juger autrement dès lors que, effectivement, seules les données de géolocalisation relatives au kilométrage parcouru ont été retenues par la cour d’appel de Guimarães contre le requérant à l’issue de la procédure judiciaire relative à son licenciement. De plus, la Cour note que le requérant n’a contesté ni les données relatives au kilométrage parcouru d’après le dispositif GPS litigieux ni les différences entre celui-ci et celui qu’il avait déclaré dans le CRM (paragraphes 40 et 60 ci-dessus).

123. Elle constate de surcroît que la diffusion de telles informations était très limitée. En effet, seules les personnes chargées d’attribuer et d’approuver les visites et les dépenses avaient accès à ces données de géolocalisation (paragraphe 11 ci-dessus).

124. Eu égard à ce qui précède, et plus particulièrement au fait que le requérant n’a pas contesté la décision rendue par la CNPD relativement à la plainte qu’il avait formée devant elle pour dénoncer l’installation du dispositif GPS dans son véhicule de fonction, il paraît évident que la cour d’appel de Guimarães n’aurait pas pu faire davantage que ce qu’elle a fait, sachant qu’elle était appelée à statuer uniquement sur le motif du licenciement du requérant. Ainsi, la Cour estime que la cour d’appel de Guimarães a mis en balance de manière circonstanciée le droit du requérant au respect de sa vie privée et le droit de son employeur de veiller au bon fonctionnement de l’entreprise, en tenant compte du but légitime qui était poursuivi par l’entreprise, à savoir le droit de veiller au contrôle de ses dépenses. La marge d’appréciation qui revenait à l’État en l’espèce n’a donc pas été dépassée. La Cour en conclut que les autorités nationales n’ont pas manqué à l’obligation positive qui leur incombait de protéger le droit du requérant au respect de sa vie privée.

125. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 de la Convention À raison d’un défaut d’équité de la procédure

126. Le requérant se plaint d’un manque d’équité de la procédure menée devant les juridictions nationales, au motif que celles-ci se seraient fondées presque exclusivement sur des preuves illicites recueillies au moyen du système GPS installé dans son véhicule de fonction. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

  1. Sur la recevabilité

127. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
    1. Thèses des parties

128. Le requérant soutient que les données de géolocalisation ayant fondé son licenciement sont illégales et que les juridictions internes ont méconnu son droit à un procès équitable en les retenant contre lui.

129. Le Gouvernement estime qu’il n’appartient pas à la Cour de revenir sur l’interprétation des faits de la cause et sur l’appréciation des preuves livrée par les juridictions internes dans le cadre de la procédure que le requérant a engagée contre son employeur. Il soutient que le requérant n’a pas contesté l’authenticité des informations recueillies au moyen du dispositif GPS litigieux, mais uniquement leur utilisation contre lui. En outre, ces informations auraient été corroborées par d’autres éléments de preuve. Le Gouvernement estime enfin que le requérant a bénéficié de garanties procédurales, qu’il a ainsi pu présenter ses arguments et que les juridictions ont fourni des réponses motivées et raisonnables, conformément au droit interne.

  1. Appréciation de la Cour

a) Rappel des principes

130. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, § 45, série A no 140). En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015, et López Ribalda et autres, précité § 149).

131. La Cour n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’illégalité en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (López Ribalda et autres, précité, § 150).

132. Si les garanties du « procès équitable » ne sont pas nécessairement les mêmes dans les domaines pénal et civil, les États disposant d’une marge d’appréciation plus ample dans le deuxième cas, elle peut néanmoins s’inspirer, pour l’examen de l’équité d’une procédure civile, des principes développés sous l’angle du volet pénal de l’article 6 (ibidem, § 152). Aussi, pour déterminer si l’utilisation comme preuves d’informations obtenues au mépris de l’article 8 ou en violation du droit interne a privé le procès du caractère équitable voulu par l’article 6, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question. Il convient de rechercher en particulier si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude (ibidem, § 151 et les références qui y sont citées).

b) Application à la présente espèce

133. Le requérant plaide que la procédure relative à son licenciement a méconnu son droit à un procès équitable en raison de l’admission de données de géolocalisation illégales et attentatoires à son droit au respect de sa vie privée.

134. La Cour note que, à l’issue de la procédure judiciaire relative au licenciement du requérant, seules ont été retenues les données qui portaient spécifiquement sur le kilométrage parcouru. Or, à cet égard, la Cour n’a pas constaté de violation de l’article 8 de la Convention (paragraphe 125 ci-dessus).

135. En ce qui concerne l’argument du requérant fondé sur l’illégalité des preuves, comme exposé ci-dessus (paragraphe 119 ci-dessus), la cour d’appel de Guimarães, statuant en dernière instance, a estimé que l’utilisation du dispositif de géolocalisation pour connaître le kilométrage parcouru n’était pas contraire à l’article 20 § 1 du CT (paragraphe 57 ci-dessus), autrement dit qu’elle n’était pas illégale. Or il s’agit d’une question relevant de l’interprétation du droit interne qui n’apparaît pas manifestement déraisonnable eu égard à la décision rendue par la cour d’appel de Guimarães qui, tel que relevé ci-dessus, a réduit l’ampleur de l’intrusion dans la vie privée du requérant (paragraphe 120 ci-dessus).

136. Pour ce qui est de la qualité de la preuve, la Cour relève que le requérant a appris qu’il lui était reproché d’avoir majoré le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel entre novembre 2013 et mai 2014 lorsque la note relative aux fautes a été portée à sa connaissance (paragraphes 21 ci-dessus). Elle observe qu’il a contesté devant les juridictions internes l’authenticité de ces informations en soutenant qu’il avait toujours correctement rapporté le kilométrage parcouru, à titre professionnel et à titre privé, dans le CRM (paragraphe 30 ci-dessus). Tenant compte des documents joints au dossier ainsi que des déclarations faites par les témoins des parties, le tribunal de Vila Real a néanmoins considéré comme établi que le requérant avait majoré dans le CRM le kilométrage parcouru à titre professionnel et interféré dans le fonctionnement du dispositif GPS installé dans son véhicule (paragraphe 39-40 ci-dessus). La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de revenir sur l’appréciation des éléments de preuve qui ont permis au tribunal d’aboutir à cette conclusion (comparer avec Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 150, 20 mars 2018). Elle relève par ailleurs que le requérant n’a pas valablement contesté ces éléments de fait devant la cour d’appel. Plus particulièrement, elle note qu’il n’a pas contesté le point no 48 des faits estimés établis, qui faisait état de différences entre les informations relatives aux kilomètres parcourus que le requérant avait consignées dans le CRM et celles qui provenaient de l’appareil GPS (paragraphes 60 et 40 ci-dessus).

137. La Cour relève enfin que l’arrêt de la cour d’appel de Guimarães du 3 mars 2016 ne se fonde pas uniquement sur les données de géolocalisation litigieuses mais sur un ensemble de preuves, dont le dossier de la procédure disciplinaire, le rapport technique de la société informatique T. et les déclarations des parties et de leurs témoins (paragraphes 20-25, 34-37 et 40 ci-dessus).

138. Au demeurant, elle observe que le requérant a pu contester son licenciement devant les juridictions internes en présentant les arguments et les moyens de preuve qu’il jugeait pertinents pour sa défense. Ceux-ci ont été appréciés dans le cadre d’une procédure contradictoire et l’arrêt que la cour d’appel a rendu le 3 mars 2016 (paragraphes 55-61 ci-dessus) est dûment motivé en fait et en droit, l’appréciation qui a été livrée n’apparaissant ni arbitraire ni manifestement déraisonnable (Bochan, précité, §§ 62 et 64).

139. Eu égard à ces constatations, la Cour estime que l’utilisation comme preuves des données de géolocalisation relatives au kilométrage parcouru par le requérant dans son véhicule de fonction n’a pas porté atteinte à l’équité de la procédure dans la présente espèce.

140. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison d’un défaut d’équité de la procédure.

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 de la Convention À raison d’une atteinte au principe de la sécurité juridique

141. Toujours sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’une divergence de jurisprudence au niveau interne qui aurait porté atteinte au principe de la sécurité juridique. Il invoque l’existence de décisions contradictoires, citant notamment l’arrêt rendu par la Cour suprême le 13 novembre 2013 (paragraphe 83 ci-dessus) ainsi qu’un arrêt de la cour d’appel d’Évora du 8 mai 2014 (paragraphe 85 ci-dessus). Il se réfère également à un arrêt de la Cour suprême du 18 mai 2017 (paragraphe 84 ci-dessus) concernant une collègue du requérant qui avait été licenciée pour les mêmes motifs que lui.

142. Le Gouvernement plaide que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, faute pour lui d’avoir soulevé devant les juridictions nationales son grief tiré d’une divergence. Il soutient que le requérant aurait pu notamment se pourvoir en cassation devant la Cour suprême en invoquant une divergence de jurisprudence, sur le fondement de l’article 629 § 2 d) du CPC (paragraphe 75 ci-dessus). Le Gouvernement ajoute que ce grief est en tout état de cause manifestement mal fondé dès lors, selon lui, qu’il n’existait pas de divergences profondes et persistantes au niveau interne, au sens de la jurisprudence de la Cour, quant à l’utilisation par un employeur d’un appareil de géolocalisation par GPS et au traitement des données ainsi obtenues. Il cite à cet égard l’arrêt Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie (no 13279/05, § 50, 27 mai 2010).

143. Le requérant conteste l’exception soulevée par le Gouvernement et fait valoir que les recours extraordinaires ne sont pas des recours à épuiser pour satisfaire aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention.

144. Les principes généraux en matière d’épuisement des voies de recours internes sont exposés dans Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014).

145. En l’espèce, le requérant allègue que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Guimarães à l’issue de la procédure qu’il avait engagée au niveau interne pour contester son licenciement est en contradiction avec deux arrêts de la Cour suprême et un arrêt de la cour d’appel d’Évora (paragraphe 141 cidessus). La Cour constate que l’article 629 § 2 d) du CPC (paragraphe 75 ci-dessus) prévoit la possibilité de faire appel d’un arrêt rendu par une cour d’appel lorsqu’il est en contradiction avec un autre arrêt de cour d’appel relativement à la même question juridique. Aux yeux de la Cour, il s’agissait d’un recours effectif pour formuler le grief que le requérant tirait d’une divergence de jurisprudence (voir Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 53, et, a contrario, Ferreira Santos Pardal c. Portugal, no 30123/10, § 50, 30 juillet 2015). Dès lors que le requérant ne s’en est pas prévalu, il y a lieu de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement et de déclarer ce grief irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

  1. Déclare recevables, à l’unanimité, le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention ainsi que le grief relatif à un défaut d’équité de la procédure formulé sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable le grief relatif à une atteinte au principe de la sécurité juridique formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention ;
  2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;
  3. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison d’un défaut d’équité de la procédure.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth Yonko Grozev
Greffière adjointe Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée commune aux juges Motoc, Pastor Vilanova et Guerra Martins.

YGR
IF


Opinion dissidente commune AUX Juges Motoc, Pastor Vilanova et Guerra Martins

1. Nous regrettons de ne pouvoir souscrire ni au raisonnement de la majorité, ni à son constat selon lequel il n’y a pas eu violation des articles 8 et 6 § 1 de la Convention dans cette affaire.

2. Signalons d’emblée qu’à notre avis l’arrêt aurait dû se concentrer exclusivement sur l’article 8 de la Convention, car le grief relatif au manque d’équité de la procédure menée devant les juridictions nationales aurait dû selon nous être englobé dans un raisonnement conduisant à constater une violation de l’article 8.

3. Toutefois, nous estimons comme la majorité que l’article 8 est applicable au cas d’espèce et qu’en conséquence il y a eu ingérence dans la vie privée du requérant, lequel se plaint, notamment, d’avoir été licencié sur la base d’informations recueillies au moyen du système de géolocalisation installé par son employeur dans le véhicule de fonction mis à sa disposition.

4. Les principes généraux concernant l’applicabilité de l’article 8 dans un contexte professionnel ont été énoncés à plusieurs reprises par la Cour et sont rappelés au paragraphe 92 de l’arrêt. Cependant, nous sommes d’avis que la présente espèce se distingue des affaires déjà examinées dans le passé par la Cour concernant le respect de la vie privée dans le cadre des relations de travail, dès lors que les informations litigieuses n’étaient pas des images (voir, a contrario, Köpke c. Allemagne (déc.), no 420/07, 5 octobre 2010, López Ribalda et autres [GC], nos 1874/13 et 8567/13, 17 octobre 2019, et Antović et Mirković c. Monténégro, no 70838/13, 28 novembre 2017), des messages électroniques (voir, a contrario, Bărbulescu c. Roumanie ([GC], no 61496/08, 5 septembre 2017) ou des fichiers informatiques (voir, a contrario, Libert c. France, no 588/13, 22 février 2018), mais des données issues de la géolocalisation de l’outil de travail du requérant.

5. Cette affaire pose également la question de savoir quels sont le type et le niveau de surveillance acceptables de la part d’un employeur à l’égard de ses salariés, ainsi que le niveau d’autonomie laissé à la discrétion de l’employé, et elle touche au sujet, d’une grande actualité, relatif à la nécessité de préserver la vie privée de chacun dans un contexte professionnel.

6. Nous observons qu’un système de géolocalisation permet de suivre en temps réel les déplacements d’une voiture et de son occupant. Il est ainsi possible de localiser géographiquement la ou les personnes qui sont supposées s’en servir à un instant donné ou en continu. Aux yeux de la Cour, ces informations constituent des données à caractère personnel (voir, mutatis mutandis, Uzun c. Allemagne, no 35623/05, §§ 51-52, CEDH 2010 (extraits)), selon la définition donnée par l’article 2 de la Convention du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 65, CEDH 2000-II).

7. En l’espèce, les données recueillies au moyen du système de géolocalisation installé dans le véhicule de fonction du requérant étaient enregistrées et traitées aux fins de l’obtention d’informations utiles pour son entreprise, telles que la durée d’utilisation du véhicule, les kilomètres parcourus, l’heure de démarrage et l’heure d’arrêt du véhicule, ainsi que la vitesse de circulation. Les employés n’étaient pas autorisés à désactiver ce système et il était actif 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, comme l’a reconnu le Gouvernement. Dès lors, il était permanent et systématique, et il permettait d’obtenir des données de géolocalisation non seulement pendant les heures de travail du requérant mais aussi pendant son temps libre, empiétant ainsi incontestablement sur sa vie privée (comparer avec Uzun, précité, § 51, et Ben Faiza c. France, no 31446/12, § 55, 8 février 2018).

8. Force est de constater que les informations de géolocalisation relatives aux kilomètres parcourus par le requérant pendant son temps libre ont fondé à titre principal le licenciement du requérant, qui a indéniablement eu de graves répercussions sur sa vie privée (comparer avec López Ribalda et autres, précité, § 94, et Platini c. Suisse (déc.), no 526/18, § 57, 11 février 2020).

9. D’après la majorité, la question juridique qui se pose dans cette affaire est de savoir si les juridictions nationales ont correctement apprécié le conflit de droits qui était en jeu, c’est-à-dire, d’un côté, le droit du requérant au respect de sa vie privée et, de l’autre, le droit de l’employeur au bon fonctionnement de son entreprise, y compris le droit de contrôler les dépenses découlant de l’utilisation de ses véhicules. La majorité répond par l’affirmative.

10. Nous estimons cependant que la balance était ici mal étalonnée car l’ingérence de l’employeur dans la vie privée du salarié est très sérieuse. En effet, le premier disposait d’un pouvoir de contrôle sur le second 24 sur 24 heures et débordait, par conséquent, sur toutes les périodes où ce dernier ne travaillait pas. Dans le cas d’espèce, l’employé a été surveillé constamment pendant trois ans, ce qui dépasse de toute évidence le seuil minimum de gravité requis selon la jurisprudence de la Cour.

11. Contrairement à la majorité, nous considérons également que cette ingérence dans la vie privée du requérant n’était pas « légale ». En effet, le requérant a toujours plaidé devant les autorités internes, et plus tard devant la Cour, que les preuves retenues à son encontre étaient illégales. Il a constamment argué de l’illégalité du traitement des données recueillies à partir du dispositif GPS installé dans son véhicule de fonction.

12. Lorsque la cour d’appel de Guimarães a confirmé le licenciement de l’employé, elle a estimé, notamment, que le comptage des kilomètres parcourus par lui en dehors de ses horaires de travail – pendant la période allant de novembre 2013 à mai 2014 – était légal, car ne relevant pas du contrôle de ses performances professionnelles.

13. Or la cour d’appel a adopté cet arrêt le 3 mars 2016. À ce moment-là, cette juridiction avait pourtant pleinement connaissance des décisions (définitives) suivantes de la CNPD (l’autorité administrative portugaise indépendante qui est compétente en matière de protection des données) :

1) la résolution no 7680/2014 du 28 octobre 2014, dans laquelle la CNPD indiquait que la géolocalisation était inadmissible lorsqu’un véhicule de fonction était utilisé à des fins privées (paragraphes 44 et 79 de l’arrêt),

2) la résolution no 1565/2015 du 6 octobre 2015, dans laquelle la CNPD interdisait l’utilisation de systèmes GPS dans les véhicules de l’entreprise du salarié (paragraphes 54 et 67 de l’arrêt),

3) la résolution no 11891/2015 du 3 décembre 2015, dans laquelle la CNPD rappelait l’interdiction d’utiliser la géolocalisation lorsque les véhicules de fonction de cette même entreprise étaient utilisés à des fins privées (paragraphes 54 et 69 de l’arrêt).

14. Par conséquent, la cour d’appel a totalement fait abstraction, sans aucune justification raisonnable, du contenu des décisions de cette autorité administrative indépendante. Il faut rappeler que la CNPD avait bien indiqué, à deux reprises (en octobre 2014 et en décembre 2015), que le traçage était inadmissible pendant le temps libre de l’employé. Nous soulignons que le traçage utilisé par l’entreprise permettait en particulier de mesurer la distance parcourue par le salarié en dehors de ses horaires de travail. Il s’agit du principal élément sur lequel a reposé le licenciement disciplinaire du requérant.

15. Or, selon le droit portugais, les preuves obtenues (illégalement) au moyen d’une ingérence dans la vie privée sont nulles (article 126 § 3 du code de procédure pénale combiné avec l’article 1 § 2 a) du code de procédure du travail, paragraphes 73 et 76 de l’arrêt). Qui plus est, l’article 28 § 1 de la loi sur la protection des données à caractère personnel impose une autorisation de la CNPD pour tout traitement de données à caractère personnel. Le 23 juin 2015, la CNPD a déclaré que le traitement – et, par conséquent, l’utilisation – des données à caractère personnel ne pouvait commencer qu’à partir de la délivrance de l’autorisation administrative correspondante (paragraphe 64 de l’arrêt). Il est incontestable que les données recueillies à l’encontre du requérant concernaient une période pendant laquelle l’entreprise n’avait pas encore obtenu l’autorisation administrative pertinente pour l’installation du dispositif litigieux.

16. La cour d’appel avait pourtant connaissance de cet aspect de la résolution no 1015/2015 de la CNPD (paragraphes 44 et 64 de l’arrêt) et elle en a admis le principe et même le caractère rétroactif (paragraphes 56 et 125 de l’arrêt), en ce sens que l’entreprise ne pouvait pas utiliser les informations recueillies avant l’obtention de l’autorisation. Le problème est que la cour d’appel n’a exclu que l’utilisation de la géolocalisation pendant les horaires de travail. Autrement dit, la cour d’appel a accepté la prise en compte des données obtenues par géolocalisation pendant les week-ends et a refusé celles collectées pendant les horaires de travail, car ces dernières seulement étaient en rapport avec les performances professionnelles. Cette distinction nous semble arbitraire, parce que la loi n’effectue aucune distinction entre les types de données collectées. Le manque de diligence de l’entreprise se trouve paradoxalement récompensé en fin de compte, sans que la vie privée du salarié ait été suffisamment protégée par les tribunaux internes.

17. Ajoutons pour finir que la CNPD a même reconnu qu’il existait des solutions alternatives au traçage permanent du salarié, comme l’installation d’un « simple » interrupteur permettant de distinguer l’usage professionnel et l’usage privé du véhicule de fonction (paragraphe 81 de l’arrêt). L’arrêt ignore cet aspect significatif de la problématique alors que, dans l’affaire López Ribalda et autres (arrêt précité), la Cour a exigé, entre autres, la prise en compte de la possibilité d’utiliser des moyens moins intrusifs pour vérifier la compatibilité avec la Convention de l’ingérence dans la vie privée d’un salarié (López Ribalda et autres, précité, § 116).