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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 4475/18
Aynur HORZUM et autres
contre la Türkiye
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 13 décembre 2022 en une chambre composée de :
Arnfinn Bårdsen,
Jovan Ilievski,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel,
Lorraine Schembri Orland,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 18 janvier 2018,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. La liste des parties requérantes figure en annexe.
2. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l’homme du ministère de la Justice de Türkiye.
3. L’affaire concerne une disparition, celle de M. Ümit Horzum.
- Enquête pénale ouverte à la suite de la disparition de Ümİt Horzum
4. Ümit Horzum est, selon le cas, le mari, le fils et le père des requérants. Il disparut le 6 décembre 2017 à Ankara.
5. Il travaillait en tant qu’expert-adjoint à l’agence d’accréditation turque jusqu’à ce que, au cours de la période ayant suivi la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, un décret présidentiel lui notifie son licenciement en raison de ses liens présumés avec une organisation désignée par les autorités turques sous l’appellation « FETÖ/PDY » (« Organisation terroriste fetullahiste/Structure d’État parallèle »).
6. À la suite de son licenciement, deux procédures pénales furent engagées contre Ümit Horzum. Il lui était reproché d’une part d’être membre d’une organisation illégale armée. Il était accusé d’autre part d’avoir subtilisé les questions du concours de la fonction publique en 2010 et d’avoir passé celui-ci sur les instructions de l’organisation FETÖ/PDY.
7. Craignant une arrestation, Ümit Horzum cessa alors de résider à son domicile, dont l’adresse était connue des autorités.
8. Plusieurs mandats d’arrêt furent émis contre l’intéressé.
9. Le 9 décembre 2017, la requérante Aynur Horzum, épouse de l’intéressé, s’adressa à la gendarmerie pour l’informer que celui-ci avait disparu.
10. Le 18 décembre 2017, par l’intermédiaire de son avocat, elle porta plainte pour enlèvement.
11. Le 19 décembre 2017, Aynur Horzum adressa une requête au ministère de l’Intérieur, au ministère de la Justice et à la Direction de la communication de la présidence de la République de Türkiye.
12. Une enquête fut ouverte pour disparition inquiétante.
13. Le 11 janvier 2018, Aynur Horzum, assistée par son avocat, fut entendue par la police. Elle déclara ce qui suit :
« Mon époux, Ümit Horzum, a été enlevé le 6 décembre 2017 vers 18 heures près du centre commercial « A City » à Ankara. Le 7 décembre 2017 vers 12 heures, quelqu’un a sonné à la porte. C’était un monsieur âgé de 35-40 ans qui mesurait environ 1 m 80 – 1 m 85. Il m’a demandé si Ümit était à la maison. Je lui ai demandé qui il était. Il m’a dit qu’ils avaient été colocataires. Je lui ai alors dit que mon époux n’était pas là et que cela faisait un an et demi qu’il n’était plus revenu à la maison. Il m’a expliqué que le 6 décembre 2017 vers 18 h 00, mon époux avait été enlevé près du centre commercial « A City » à Ankara par des individus qui lui avaient coupé la route avec un véhicule de type « Volkswagen Transporter » de couleur noire. Je lui ai alors demandé si c’était la police qui l’avait arrêté. Il m’a répondu que c’était possible et que je devais me renseigner auprès de la police et prendre contact avec un avocat. Je me suis adressée à mon avocate, qui s’est renseignée auprès du parquet. Elle m’a dit qu’il n’avait pas été placé en garde à vue. Le 9 décembre 2017, je me suis rendue au commandement de la gendarmerie de Yenimahalle. Des gendarmes ont pris ma déposition. Le commandant de la gendarmerie s’est fâché contre moi. Il estimait que dès lors que le parquet était déjà saisi de l’affaire, il était inutile que je vienne de nouveau déposer au commandement de la gendarmerie (...) Le 19 décembre 2017, je me suis adressée au procureur de la République d’Ankara par l’intermédiaire de mon avocate. Ma requête a été enregistrée sous le numéro 2017/215630. Après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, une information judiciaire avait été ouverte à l’encontre de mon mari. Il était en fuite depuis cette date. Je n’ai pas eu de nouvelles de mon époux depuis le 6 décembre. Je pense qu’il a été enlevé dans le cadre de l’enquête concernant l’organisation FETÖ/PDY. Je vous communique son numéro de téléphone et le numéro de plaque d’immatriculation de sa voiture. Je demande que les images des caméras de vidéosurveillance qui sont situées autour du centre commercial soient analysées (...) »
14. La police nota dans des pièces de procédure que l’analyse des images des caméras de vidéosurveillance n’avait pas permis de localiser la voiture de Ümit Horzum et qu’elle ne disposait d’aucun élément propre à lui permettre de confirmer le récit de son épouse. Elle rapporta que la voiture de Ümit Horzum avait été vue en circulation pour la dernière fois le 29 novembre 2017.
15. Le 30 janvier 2018, le procureur de la République entendit Aynur Horzum. Celle-ci déclara qu’elle était séparée de son mari depuis un an et demi et qu’il était en fuite depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. Elle ajouta qu’elle pensait que son mari avait été enlevé par les forces de l’ordre.
16. Le 24 mars 2018, la police retrouva la voiture de Ümit Horzum, fermée à clé, près du quartier de Yıldıztepe.
17. Les policiers indiquèrent dans le dossier d’enquête qu’aucune demande officielle de recherche de voiture disparue n’avait été déposée.
18. Les vérifications de la police permirent d’établir que la voiture était immatriculée non pas au nom de Ümit Horzum mais au nom de S.B.
19. Le 26 mars 2018, la police entendit une nouvelle fois Aynur Horzum, qui déclara que c’était le mari de sa sœur qui avait retrouvé la voiture de son époux et que c’était elle qui en avait averti la police.
20. Celle-ci établit que les empreintes digitales relevées dans la voiture retrouvée appartenaient à Ümit Horzum.
21. Le 3 avril 2018, S.B. fut entendu par la police. Il déclara qu’il connaissait Ümit Horzum depuis l’enfance mais qu’il ne le voyait pas souvent, qu’il savait qu’il avait été licencié en raison de son appartenance à FETÖ/PDY mais qu’il ignorait qu’il était recherché par la police, et qu’il était bien le propriétaire de la voiture utilisée par Ümit Horzum, à qui il la prêtait de temps en temps.
22. Le 16 avril 2018 à 20 h 54, une personne anonyme appela la section antiterroriste de la Direction de la sécurité d’Ankara. Elle indiqua qu’elle venait de voir Ümit Horzum en train de marcher vers le quartier de Hacettepe. Des policiers se rendirent sur place pour effectuer un contrôle d’identité. L’intéressé avait sur lui une pièce d’identité et un permis de conduire au nom de son ami d’enfance S.B. Les policiers lui demandèrent si ces documents lui appartenaient. Il déclara qu’il s’appelait Ümit Horzum. Les policiers l’arrêtèrent et le placèrent en garde à vue. Une fouille corporelle fut effectuée. Les policiers trouvèrent sur lui quatre permis de conduire et cinq cartes d’identité établis au nom de différentes personnes, deux téléphones portables et une feuille de papier sur laquelle étaient inscrits plusieurs codes.
23. Le 26 avril 2018, les policiers interrogèrent Ümit Horzum dans le cadre des enquêtes ouvertes contre lui. Il expliqua qu’un mois environ après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, son domicile avait été perquisitionné par la gendarmerie et qu’il s’était enfui après cette perquisition en raison des mandats d’arrêts qui avaient été émis contre lui. Il ajouta qu’il avait été en fuite jusqu’au 6 décembre 2017 et qu’à cette date il avait été arrêté par des inconnus, qui l’avaient détenu jusqu’au 16 avril 2018 dans un endroit qu’il ne connaissait pas. Il exprima son souhait de plaider coupable afin de pouvoir bénéficier d’une peine inférieure à celle normalement encourue.
24. Après sa libération, ni lui-même ni les requérants ne déposèrent plainte pour enlèvement.
25. Le 16 juillet 2018, le procureur de la République demanda à entendre Ümit Horzum en qualité de victime sur les allégations d’enlèvement.
26. L’intéressé ne se présenta pas à la convocation.
27. L’enquête relative à la plainte de la requérante Aynur Horzum concernant l’enlèvement présumé de son époux, qui est référencée sous le numéro de dossier 2018/63997, est toujours pendante devant le parquet d’Ankara.
- Recours devant la Cour constitutionnelle
28. Le 8 janvier 2018, les requérants avaient saisi la Cour constitutionnelle, arguant que les articles 2, 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme avaient été méconnus à raison de la disparition forcée dont leur proche avait selon eux été victime. Ils avaient demandé à la haute juridiction d’accorder un traitement prioritaire à leur affaire et d’ordonner certaines mesures provisoires.
29. Le 12 janvier 2018, la Cour constitutionnelle avait rejeté la demande de mesures provisoires au motif qu’Ümit Horzum était recherché par les autorités et qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt dans le cadre de deux procédures pénales le concernant.
30. Cette procédure demeure pendante devant la Cour constitutionnelle.
GRIEFS
31. Invoquant les articles 2, 3 et 5 de la Convention, les requérants soutiennent qu’Ümit Horzum a été enlevé et que les autorités n’ont pas mené une enquête effective sur ce qu’ils estiment être une disparition forcée de leur proche.
EN DROIT
32. Les requérants considèrent que leur proche a été l’objet d’une disparition forcée et que les autorités n’ont pas pris les mesures appropriées pour enquêter sur cette disparition. Ils estiment que les circonstances de la cause ont emporté violation des articles 2, 3 et 5 de la Convention.
33. Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité. Il soutient d’abord que, dans la mesure où Ümit Horzum a été retrouvé, les requérants ne peuvent plus se prétendre victime des violations en question. Il estime ensuite que l’article 2 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce. Il plaide enfin le non-épuisement des voies de recours internes.
34. Arguant que l’ensemble des conditions de recevabilité visées à l’article 35 de la Convention se trouvent réunies en l’espèce, les requérants réitèrent quant à eux leurs griefs (paragraphe 31 ci-dessus).
35. La Cour observe d’emblée que le proche des requérants a été retrouvé et que l’intéressé n’a pas déposé plainte pour disparition forcée (paragraphe 24 ci-dessus).
36. Elle relève également, d’une part, que le dossier ne contient pas non plus de plainte que Ümit Horzum aurait déposée pour dénoncer une quelconque arrestation ou pour contester une détention arbitraire, et, d’autre part, que l’intéressé, assisté par son avocat, a plaidé coupable des faits qui lui étaient reprochés (paragraphe 23 ci-dessus).
37. À cet égard, la Cour rappelle que pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d’une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation telle qu’elle se présentait au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, et notamment de tout fait nouveau ayant pu intervenir avant la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 217, 22 décembre 2020, et les références qui y sont citées).
38. En toute hypothèse, la Cour note qu’indépendamment de la question de la qualité de victime des requérants, au sens de l’article 34 de la Convention (paragraphes 35 à 37 ci-dessus), l’enquête relative à la plainte de la requérante Aynur Horzum concernant l’enlèvement présumé de son époux est pendante devant le parquet d’Ankara (paragraphe 27 ci-dessus) et que la procédure devant la Cour constitutionnelle demeure également pendante (paragraphe 30 ci-dessus).
39. Or la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, les États n’ayant pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 70, 25 mars 2014).
40. Elle considère que les procédures actuellement en cours dans l’ordre juridique interne constituent un cadre a priori effectif propre à permettre le redressement des griefs qui font l’objet de la présente requête et que les requérants n’ont pas avancé de motifs propres à justifier l’introduction de leur requête devant la Cour avant l’issue de ces procédures. Elle juge dès lors ne pas devoir mener plus avant son examen.
41. Elle précise toutefois que si, par leur durée ou par la manière dont elles sont conduites, les procédures nationales en cause devaient s’avérer ineffectives au sens de la jurisprudence de la Cour, notamment si la décision de la Cour constitutionnelle sur le recours individuel actuellement pendant devant elle devait laisser insatisfaites les préoccupations de la partie requérante, il resterait loisible à celle-ci d’introduire une nouvelle requête devant la Cour.
42. En tout état de cause, la Cour se réserve, en dernier lieu, la possibilité de vérifier la compatibilité de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle avec sa propre jurisprudence (Uzun c. Turquie (déc.), no 10755/13, § 71, 30 avril 2013).
43. Il découle de ce qui précède que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 19 janvier 2023.
Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président
ANNEXE
Liste des requérants
Requête no 4475/18
No | Prénom NOM | Année de naissance / d’enregistrement | Nationalité | Lieu de résidence |
1. | Aynur HORZUM | 1980 | turque | Ankara |
2. | Hüseyin Baha HORZUM | 2011 | turc | Ankara |
3. | Neba Dilber HORZUM | 2007 | turque | Ankara |
4. | Nebahat HORZUM | 1960 | turque | Aydın |