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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 78458/14
Iucsel SELAMET
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 décembre 2022 en un comité composé de :
Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 78458/14, dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Iucsel Selamet (« le requérant »), né en 1963 et résidant à Medgidia, représenté par Me Ion Popescu, avocat à Constanţa, a saisi la Cour le 12 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Alors qu’il était sous-préfet du département de Constanţa, le requérant fit l’objet d’une enquête pénale menée par le parquet de la Direction nationale anti-corruption (« DNA ») pour des faits de corruption active. Il était soupçonné d’avoir promis de l’argent au policier B.C.G. afin que celui-ci proposât une solution favorable dans un autre dossier pénal dans lequel il lui était reproché des faits d’abus de confiance, pour avoir, par l’intermédiaire de sa société commerciale, vendu plusieurs véhicules acquis en leasing.
2. Il ressort du dossier devant la Cour que B.C.G. avait dénoncé le requérant auprès de la DNA, indiquant qu’il avait contacté l’intéressé à plusieurs reprises en octobre 2013 pour obtenir des précisions factuelles dans le dossier pour abus de confiance susmentionné et que, le 16 octobre 2013, le requérant avait offert de lui verser une compensation financière s’il retardait le renvoi de ce dossier au parquet. Par la suite, le tribunal départemental de Constanţa (« le tribunal départemental ») autorisa la mise sous écoute des communications du requérant. Deux conversations téléphoniques entre celui‑ci et E.G., son beau‑frère et ancien membre du Parlement, firent ainsi l’objet d’un enregistrement, dont il ressortit qu’E.G. avait averti le requérant qu’il faisait l’objet d’une surveillance et que ses conversations étaient susceptibles d’être enregistrées. Les propos échangés les 23 et 24 octobre 2013 entre le requérant et B.C.G. lors de leurs rencontres firent aussi l’objet d’un enregistrement (înregistrări în mediu ambiental).
3. Le 21 novembre 2013, le requérant fut entendu en présence de son avocat et nia avoir fait des promesses à B.C.G.
4. Par un réquisitoire du 16 décembre 2013, la DNA renvoya le requérant et E.G. en jugement pour des faits de corruption active et d’entrave à la justice (favorizarea infractorului).
5. L’affaire fut enregistrée par le tribunal départemental. Le requérant et E.G. furent entendus en audience publique, de même que B.C.G. et cinq autres témoins. Le requérant nia avoir proposé de l’argent au dénonciateur et déclara qu’il avait eu, au contraire, l’impression que B.C.G. s’attendait à recevoir de l’argent de sa part. Il reconnut avoir discuté de son dossier pénal avec E.G. et expliqua que celui-ci ne lui avait pas communiqué d’informations confidentielles, mais lui avait seulement conseillé de faire attention. B.C.G. confirma les faits tels qu’ils ressortaient du réquisitoire. Les cinq autres témoins, qui étaient des policiers, déclarèrent qu’ils avaient pris connaissance des dossiers du requérant. Aucun de ces témoins, dont l’un était le supérieur de B.C.G., n’était intervenu directement dans l’examen des dossiers.
6. Par un jugement du 11 mars 2014, le tribunal départemental acquitta les inculpés. Il jugea que le requérant n’avait pas fait de promesse ferme et sérieuse à B.C.G. mais que, au contraire, ce dernier avait adopté une attitude insistante. Il conclut que les faits reprochés ne relevaient pas de la loi pénale, l’élément matériel de l’infraction de corruption active n’ayant pas été prouvé. Il se fondait à cet égard sur les déclarations des inculpés et des témoins, dont notamment B.C.G., sur les transcriptions des communications interceptées et sur des documents bancaires.
7. Le 17 avril 2014, la DNA interjeta appel devant la cour d’appel de Constanţa (« la cour d’appel »). Le requérant, représenté par un avocat, soumit un mémoire en défense dans lequel il soutenait, entre autres, qu’il avait fait l’objet d’une provocation de la part de B.C.G. Il ne souhaita pas faire de déclaration devant la cour d’appel.
8. Par un arrêt du 12 juin 2014, la cour d’appel fit droit à l’appel de la DNA et condamna le requérant à une peine d’un an et deux mois de prison avec sursis pour corruption active, jugeant qu’il avait fait, de sa propre initiative, des promesses à B.C.G. afin d’obtenir une décision favorable. La cour d’appel considéra que les déclarations de B.C.G. étaient corroborées par les transcriptions des enregistrements des conversations des 23 et 24 octobre 2013. Elle écarta les déclarations du requérant, estimant qu’elles n’étaient pas confirmées par les autres éléments au dossier.
9. Le requérant se plaint d’avoir été condamné au pénal à la suite de ce qu’il considère être une provocation policière. Il estime en outre avoir été condamné en appel sur la base des mêmes preuves que celles qui avaient justifié son acquittement en première instance alors que la cour d’appel n’a pas entendu de nouveau les témoins. Il soutient que la procédure d’appel n’a, de ce fait, pas été équitable.
APPRÉCIATION DE LA COUR
- sur le grief tiré de la provocation
10. Les principes généraux relatifs aux garanties d’un procès équitable dans le contexte du recours à des techniques spéciales d’investigation afin de lutter contre le trafic de stupéfiants ou la corruption ont été résumés récemment dans l’arrêt Kuzmina et autres c. Russie (nos 66152/14 et 8 autres, §§ 85-94, 20 avril 2021). Pour distinguer entre la provocation policière et l’usage permissible de techniques spéciales d’investigation, la Cour se sert de deux critères, l’un de fond et l’autre procédural, qu’elle applique selon la méthodologie développée dans l’affaire Matanović c. Croatie (no 2742/12, §§ 131-135, 4 avril 2017).
11. Concernant le critère de fond, la Cour vérifie s’il existait des soupçons objectifs selon lesquels le requérant avait été mêlé à une quelconque activité criminelle ou avait une propension à se livrer à une telle activité, si les agents infiltrés s’étaient simplement « associés » aux actes criminels ou étaient à l’origine de ces actes, et s’ils avaient exercé des pressions sur le requérant pour qu’il commît l’infraction en cause (Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 38-44, 4 novembre 2010).
12. En l’espèce, plusieurs éléments jettent un doute sur la thèse d’une provocation que défend le requérant. La présente affaire se distingue d’autres affaires relatives à l’usage de techniques spéciales d’investigation en ce que l’intéressé a été condamné pour avoir proposé de l’argent, et non pour en avoir reçu.
13. L’enquête du parquet a été déclenchée à la suite d’une dénonciation émanant d’un policier et la police a procédé aux vérifications nécessaires (Ramanauskas c. Lituanie (no 2), no 55146/14, §§ 65-66, 20 février 2018). Le recours à des techniques spéciales a donc été décidé sur la base d’indices concrets montrant que le requérant pouvait être mêlé à une activité criminelle. À l’instar du Gouvernement, la Cour note que le déroulement de l’enquête n’indique aucun élément de provocation de la part des autorités.
14. Ensuite, la cour d’appel a jugé que le requérant avait fait de sa propre initiative des promesses à B.C.G. aux fins d’obtention d’une décision lui étant favorable. Or, le témoin dénonciateur avait été entendu par le tribunal départemental en présence du requérant et la condamnation de ce dernier était fondée non pas sur les seules déclarations du témoin, mais sur un ensemble d’éléments de preuve. Le requérant allègue que la cour d’appel n’a pas écouté l’un des enregistrements, lequel aurait pu démontrer que le procureur avait incité le témoin dénonciateur à procéder par provocation ou, du moins, à créer une atmosphère de provocation à la commission de l’infraction. Cependant, la cour d’appel ayant disposé des enregistrements et de leurs transcriptions, l’argument de l’intéressé relève plutôt de l’interprétation à donner aux conversations respectives. Or, la Cour ne saurait censurer l’interprétation que la cour d’appel a pu donner au contenu et au sens des conversations en cause.
15. Les éléments qui précèdent font apparaître que le critère de fond a été respecté et qu’il n’y a pas eu de provocation en l’espèce. L’utilisation ultérieure, dans la procédure pénale menée contre le requérant, des éléments obtenus par le biais des mesures de surveillance ne soulève donc pas de question sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (Matanović, précité, § 133, et Ramanauskas (no 2), précité, § 70).
16. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA CONDAMNATION EN APPEL SUR LA BASE DES MÊMES PREUVES QUE CELLES QUI AVAIENT FONDÉ L’ACQUITTEMENT EN PREMIÈRE INSTANCE
17. Il n’est pas contesté que les témoins ont été entendus par le tribunal départemental. Dès lors, aucune question ne se pose sur le terrain des garanties spécifiques de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Il convient d’examiner ce grief uniquement sous l’angle du seul paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention (Chiper c. Roumanie, no 22036/10, § 59, 27 juin 2017 et Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, § 41, 1er décembre 2020), dont les principes généraux pertinents ont été résumés dans l’arrêt Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande (no 38797/17, §§ 30-38, 16 juillet 2019).
18. En l’espèce, la cour d’appel a condamné le requérant en se fondant sur un ensemble d’éléments de preuve, dont les déclarations des témoins. Parmi celles-ci, la déclaration du témoin dénonciateur était la plus circonstanciée et a pu avoir un poids important. Les cinq autres témoins n’ayant pas eu une connaissance directe des faits de l’affaire, leurs déclarations ont eu un poids moindre. Le grief doit donc être examiné dans le contexte global de la procédure (Kashlev c. Estonie, no 22574/08, § 43, 26 avril 2016).
19. La cour d’appel était appelée à se prononcer sur la question de savoir si les éléments constitutifs de l’infraction de corruption active étaient réunis en l’espèce. Elle a eu un accès direct à la grande majorité des éléments de preuve versés au dossier et l’issue différente du procès d’appel s’explique par l’interprétation divergente du sens des échanges entre le requérant et le témoin dénonciateur qu’elle a retenue. Or, la Cour constate que la position du témoin a été constante pendant toute la procédure, et que la cour d’appel a considéré que les déclarations de l’intéressé étaient corroborées par des éléments objectifs, notamment les transcriptions des enregistrements des conversations des 23 et 24 octobre 2013 (voir, mutatis mutandis, Lamatic, précité, §§ 56-57). Par ailleurs, la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant n’a pas expliqué en quoi une nouvelle audition des témoins aurait pu infléchir de manière décisive l’issue de la procédure.
20. Ainsi, la Cour observe, à l’instar du Gouvernement, que la cour d’appel s’est fondée sur les faits tels qu’établis par le tribunal, mais qu’elle a analysé de manière différente les éléments constitutifs de l’infraction de corruption active. Il ressort des pièces du dossier que l’audition des témoins n’était pas susceptible d’influer sur la conclusion de de la cour d’appel quant à l’application des dispositions du code pénal en l’espèce, et par ailleurs cette juridiction n’a pas interprété autrement les déclarations antérieures des intéressés. La présente espèce se distingue donc de l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 31-32, 26 juin 2012).
21. Enfin, la Cour note que le requérant plaide la méconnaissance des dispositions de l’article 421 § 2 a) du code de procédure pénale, lesquelles, selon lui, exigent une nouvelle audition des témoins en appel lorsque la juridiction de première instance a prononcé un acquittement. Or, les affirmations du requérant quant à la teneur du droit interne sont inexactes car la version de l’article qu’il invoque n’était pas en vigueur à l’époque des faits. Le code de procédure pénale a en effet été modifié, dans le sens indiqué par le requérant, par l’ordonnance d’urgence no 18/2016, qui est entrée en vigueur le 23 mai 2016, soit environ deux ans après les faits de la cause.
22. Dès lors, la condamnation infligée au requérant en appel sur la base des mêmes preuves que celles qui avaient fondé son acquittement en première instance n’a pas méconnu son droit à un procès équitable (voir, mutatis mutandis, Kashlev, précité, § 51 et Ignat c. Roumanie, no 17325/16, § 57, 9 novembre 2021).
23. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 19 janvier 2023.
Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président