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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 26588/18
Sandor PONGRACZ
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 décembre 2022 en un comité composé de :
Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 26588/18, dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Sandor Pongracz (« le requérant »), né en 1967 et résidant à Gheorghieni, représenté par Me Laszlo Majai, avocat à Miercurea Ciuc, a saisi la Cour le 24 mai 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, le grief formulé sur le terrain de l’article 6 de la Convention relativement à l’équité de la procédure pénale ayant abouti à la condamnation du requérant, et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Vu la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La présente requête concerne la condamnation pénale à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis prononcée contre le requérant par la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») le 4 décembre 2017 pour des faits de corruption, après que l’intéressé eut bénéficié d’un acquittement en première instance le 4 janvier 2016 par la cour d’appel d’Alba-Iulia. Le requérant se plaint d’avoir été condamné en l’absence d’un examen direct des preuves et sans qu’il ait été procédé à une nouvelle audition des témoins, alors qu’il avait été acquitté en première instance sur le fondement des mêmes éléments de preuve.
2. Le 24 juin 2016, au cours de l’audience devant la Haute Cour, le requérant se prévalut de son droit de garder le silence. Lors de cette audience, l’un de ses coïnculpés usa aussi de son droit de garder le silence, alors qu’une autre coïnculpée fut entendue par les juges.
3. Au cours des audiences des 25 novembre 2016 et 27 janvier 2017, la Haute Cour entendit au total cinq témoins en présence du requérant, qui était assisté de deux avocats de son choix. Lors de l’audience du 27 février 2017, afin de vérifier l’exactitude des transcriptions de conversations qui avaient été enregistrées au cours de l’enquête, la Haute Cour visionna, en présence du requérant assisté de ses deux avocats et d’un interprète de langue hongroise, les enregistrements audio-vidéo qui avaient été effectués les 6, 14 et 26 août 2013 et qui étaient mises en avant par l’accusation comme preuve à charge. À l’issue de l’audience, un procès-verbal d’audience relatif à la procédure de visionnage des enregistrements fut dressé et les avocats du requérant déclarèrent qu’ils n’avaient plus aucune demande d’administration de preuves à formuler.
4. Le 10 mars 2017, le requérant utilisa son droit de prendre la parole en dernier avant la clôture des débats devant la Haute Cour.
5. Le 4 décembre 2017, cette dernière rendit son arrêt, jugeant le requérant coupable des faits dont il était accusé. La Haute Cour fonda son constat de culpabilité à l’égard du requérant sur un ensemble de preuves, dont notamment les témoignages recueillis et les enregistrements des conversations de l’intéressé effectués le 26 août 2013, ainsi que des écrits, à savoir des contrats et des documents comptables. Selon la Haute Cour, ces preuves démontraient que le requérant avait obtenu en faveur du compagnon de sa coïnculpée, qui était procureure, l’octroi d’un contrat de maîtrise d’œuvre conclu avec une paroisse locale en vue de la construction d’une église, en échange de l’intervention favorable de la procureure dans des affaires pénales dans lesquelles le requérant avait un intérêt.
APPRÉCIATION DE LA COUR
6. La Cour estime qu’il convient d’examiner sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention le grief tiré de la condamnation du requérant en appel. Les principes généraux pertinents ont été résumés récemment dans l’arrêt Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande (no 38797/17, §§ 30-38, 16 juillet 2019).
7. Il ressort des éléments du dossier que l’intéressé a été informé de l’appel interjeté par le représentant du parquet, et qu’il était présent et assisté par des avocats de son choix à chacune des étapes de la procédure. Il était ainsi conscient de la possibilité d’être condamné par la Haute Cour, compte tenu du droit interne applicable en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, §§ 33 et 49, 1er décembre 2020).
8. La Haute Cour a condamné le requérant après lui avoir donné la possibilité de faire une déposition en audience publique sur les faits reprochés (voir, a contrario, Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 43), possibilité dont il n’a pas usé, se prévalant de son droit de garder le silence. Elle a entendu de nombreux témoins, que le requérant a pu également interroger, et elle a accepté de verser au dossier les preuves produites par celui-ci. Elle a aussi réexaminé les preuves qui avaient été administrées en première instance. L’ensemble des preuves ont en outre fait l’objet d’un débat devant la Haute Cour (paragraphes 2-3 et 5 ci-dessus).
9. La Cour constate que les circonstances de la présente espèce diffèrent de celles de l’affaire Niţulescu c. Roumanie (no 16184/06, §§ 53-57, 22 septembre 2015), dans laquelle la requérante avait été condamnée par la Haute Cour pour corruption sur la base, d’une part, de témoignages que les juges de dernière instance n’avaient jamais entendus directement, et, d’autre part, d’un enregistrement de conversations qui avait été effectué par un témoin en privé et que les tribunaux n’avaient pas fait expertiser. Or, en l’espèce, la condamnation du requérant a été prononcée sur la base des témoignages et des preuves écrites qui figuraient dans le dossier de fond, mais après que la Haute Cour eut entendu cinq témoins et visionné les enregistrements des conversations incriminant le requérant (paragraphe 3 ci‑dessus). Celui-ci s’est aussi vu offrir la possibilité de fournir sa version des faits devant la juridiction qui l’a condamné, possibilité dont il n’a pas usé, se prévalant de son droit de garder le silence (paragraphe 2 ci-dessus). Sa condamnation reposait donc sur un ensemble de preuves débattues par les parties, dont des témoignages que la Haute Cour a pu apprécier directement (Ignat c. Roumanie, no 17325/16, §§ 47‑59, 9 novembre 2021).
10. À la lumière de l’ensemble de ces éléments, la Cour considère que la condamnation du requérant dans la procédure en appel n’a pas méconnu le droit de celui-ci à un procès équitable.
Il s’ensuit que la requête pour le surplus doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 19 janvier 2023.
Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président