Přehled
Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 59819/18
Florina ENESCU
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 décembre 2022 en un comité composé de :
Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 59819/18 dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Florina Enescu (« la requérante »), née en 1981 et résidant à Pitești, représentée par Me N. Popescu, avocate à Bucarest, a saisi la Cour le 27 novembre 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Par un arrêt définitif du 15 janvier 2016, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») condamna la requérante à une peine de deux ans de prison avec sursis pour, entre autres, abus de fonctions, infraction punie par les articles 248 et 2481 de l’ancien code pénal (texte repris à l’article 297 du nouveau code pénal, en vigueur depuis le 1er février 2014). La cour d’appel jugea que la requérante, en insérant une opération fictive dans un document fiscal, avait eu une conduite « illégale » et qu’elle n’avait pas rempli correctement ses fonctions d’inspectrice des impôts. La cour d’appel ne mentionna pas quelle était la disposition enfreinte par la requérante dans l’exercice de ses fonctions.
2. Saisie d’une exception d’inconstitutionnalité dans une affaire distincte de celle de la requérante, la Cour constitutionnelle roumaine (« la CCR »), par une décision du 15 juin 2016, jugea que l’article régissant l’abus de fonction était conforme à la Constitution pour autant que les mots « accomplit de manière défectueuse » correspondaient à « accomplit en méconnaissance de la loi ». La CCR expliqua que la question de savoir si un acte avait été accompli de manière défectueuse ou non devait être examinée uniquement par rapport aux fonctions expressément définies par une législation dite « primaire » – autrement dit par une loi, une ordonnance simple ou une ordonnance d’urgence du gouvernement –, et qu’étaient exclus de la sphère des actes abusifs, au sens de la loi pénale, les comportements interdits au fonctionnaire par des actes ou des réglementations internes émis par l’employeur.
3. Plaidant qu’aux termes de cette décision elle ne pouvait plus être réputée coupable de l’infraction d’abus de fonction pour laquelle elle avait été condamnée, la requérante forma une contestation à l’exécution de l’arrêt du 15 janvier 2016.
4. Par un jugement du 14 juin 2017, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours, expliquant que les décisions de la CCR ne produisaient d’effets que pour l’avenir. Par un arrêt définitif du 8 décembre 2017 rendu sur contestation de la requérante, la cour d’appel confirma le jugement de première instance.
5. Dans une procédure de contestation à l’exécution distincte engagée par l’un des coïnculpés avec la requérante dans la procédure pénale, la cour d’appel, par un arrêt définitif rendu le 12 septembre 2018 dans une formation distincte de celle qui avait rendu l’arrêt du 8 décembre 2017, fit droit à la contestation et renvoya l’affaire pour un nouvel examen aux fins de vérification du point de savoir si, dans sa motivation, l’arrêt pénal de condamnation avait fait état d’une méconnaissance d’une législation primaire.
6. Saisie d’une nouvelle exception d’inconstitutionnalité, la CCR jugea, par une décision du 25 octobre 2018 publiée au Journal officiel le 20 décembre 2018, que les effets de ses décisions constatant l’inconstitutionnalité de normes juridiques préexistantes étaient équivalents à ceux d’une loi de dépénalisation.
7. Se fondant sur cette décision de la CCR, la requérante forma devant le tribunal départemental d’Ilfov une nouvelle contestation à l’exécution du jugement du 15 janvier 2016. Elle y exposa que l’arrêt qui l’avait condamnée n’indiquait pas la disposition légale qu’elle était réputée avoir méconnue dans l’accomplissement de ses fonctions et que dès lors, les actes retenus contre elle avaient été dépénalisés par la décision de la CCR du 15 juin 2016.
8. Le tribunal rejeta cette nouvelle contestation à l’exécution par un jugement du 18 mars 2019. Faisant application des décisions de la CCR susmentionnées, il rechercha dans les motifs de l’arrêt du 15 janvier 2016 les dispositions légales que l’intéressée était réputée avoir méconnues dans l’exercice de ses fonctions. À la lumière d’exemples tirés du texte de cet arrêt, il expliqua qu’en qualifiant le comportement de la requérante d’illégal, la cour d’appel « avait manifestement eu à l’esprit » les dispositions des articles 94 et suivants du code de procédure fiscale. Il en conclut qu’une législation primaire avait ainsi été méconnue par la requérante dans l’exercice de ses fonctions et que les faits pour lesquels elle avait été punie étaient toujours constitutifs d’une infraction à la loi pénale.
9. Sur contestation de la requérante, la cour d’appel, par un arrêt définitif du 22 août 2019 communiqué le 4 février 2020, entérina le raisonnement fondant le jugement rendu en première instance. Elle rappela de surcroît qu’à l’époque où l’arrêt du 15 janvier 2016 avait été rendu il n’était pas nécessaire au tribunal, pour établir l’existence d’une infraction d’abus de fonction, d’indiquer le texte de loi censé avoir été méconnu dans l’exercice de ses fonctions par la personne poursuivie : il lui suffisait de juger « illégale » la conduite visée.
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Reprochant à la cour d’appel d’avoir rejeté la contestation à l’exécution de l’arrêt du 15 janvier 2016 formée par elle à la suite de la décision de la CCR du 15 juin 2016, puis d’avoir fait droit à une contestation à l’exécution de ce même arrêt formée distinctement par l’un de ses coïnculpés, la requérante dénonce une divergence de jurisprudence qui aurait porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal en violation de l’article 6 de la Convention. Invoquant les articles 13 et 14 de la Convention, elle se plaint par ailleurs de n’avoir pas disposé d’un recours susceptible de faire appliquer à sa situation la décision de la CCR du 15 juin 2016 et d’avoir subi une discrimination par rapport à d’autres personnes condamnées après le prononcé de cette décision de la CCR.
11. La Cour renvoie d’emblée à l’arrêt Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 84-90 et 116, 29 novembre 2016), résumant les principes applicables aux affaires portant sur des divergences de jurisprudence et sur le droit d’accès à un tribunal.
12. En l’espèce, elle note que la requérante, en ne fournissant qu’un seul exemple de décision contraire à l’arrêt prononcé dans son affaire, n’a pas prouvé l’existence d’une « divergence de jurisprudence profonde et persistante » au sens de la jurisprudence précitée de la Cour. En tout état de cause, à supposer même qu’une certaine divergence d’appréciation ait existé entre les différentes formations de la cour d’appel, il convient de noter que le système judiciaire roumain a été capable de mettre fin, par la voie jurisprudentielle, à cette divergence supposée. De fait, en expliquant dans sa décision du 25 octobre 2018 que les effets de ses décisions constatant l’inconstitutionnalité d’une norme légale équivalaient à ceux d’une loi de dépénalisation, la CCR a éclairé les juridictions nationales sur la manière dont ses décisions produisaient des effets. À la suite de cette décision, la requérante a pu ainsi former une nouvelle contestation à l’exécution (paragraphes 7-9 ci‑dessus), qui a conduit les juridictions nationales à examiner les effets de ladite décision sur sa situation concrète.
13. Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne décèle en l’espèce aucune apparence de violation du droit d’accès à un tribunal qui serait lié à une divergence de jurisprudence au sein de la cour d’appel. Elle note par ailleurs que la requérante a bénéficié sans discrimination d’une voie de recours devant les juridictions nationales. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
14. Quant au défaut allégué de base légale pour la condamnation du chef d’abus de fonction prononcée contre la requérante, laquelle invoque à cet égard la décision de la CCR du 15 juin 2016, il doit être examiné sous l’angle de l’article 7 de la Convention. Il convient de noter que dans le cadre de la deuxième contestation à l’exécution, les juridictions nationales, examinant à la lumière des directives données par la CCR la motivation de l’arrêt de condamnation du 15 janvier 2016, ont jugé que la requérante avait été condamnée pour abus de fonction en raison de la méconnaissance par elle, dans l’exercice de ses fonctions, des normes appartenant à la législation primaire, à savoir des dispositions du code de procédure fiscale (paragraphes 8-9 ci-dessus). Elles ont ainsi conclu, dans des décisions motivées, que les faits reprochés à l’intéressée étaient bien constitutifs de l’infraction pour laquelle elle avait été condamnée. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 19 janvier 2023.
Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président