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Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE D.K. c. ITALIE
(Requête no 14260/17)
ARRÊT
Art 3 (procédural) • Enquête effective menée avec diligence par les autorités nationales sur l’allégation de la requérante d’abus sexuels commis par son oncle
STRASBOURG
1er décembre 2022
DÉFINITIF
01/03/2023
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire D.K. c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Marko Bošnjak, président,
Péter Paczolay,
Alena Poláčková,
Lətif Hüseynov,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 14260/17) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante italienne et irlandaise, Mme D.K. (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 février 2017,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs fondés sur les articles 3 et 8 de la Convention,
la décision de ne pas dévoiler l’identité de la requérante,
les observations des parties,
la décision du gouvernement irlandais de ne pas se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention),
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 novembre 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne le grief de la requérante, formulé sur le terrain de l’article 3 de la Convention, selon lequel les autorités n’ont pas mené une enquête effective sur les faits d’abus sexuels que l’intéressée aurait subis de la part de son oncle.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1963 et réside à Gênes. Elle est représentée par Me L. Picotti, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat de l’État.
4. La requérante allègue qu’entre 1974 et 1987 sa sœur et elle subirent des abus sexuels de la part de leur oncle, V.S. Les abus en question avaient lieu dans la maison de celui-ci, lorsque les parents de la requérante étaient au travail, et par la suite dans le cabinet d’avocat de ce dernier, où l’intéressée avait commencé à travailler lorsqu’elle avait seize ans. Les violences sexuelles alléguées par la requérante se seraient produites jusqu’en 1984 lorsque âgée de vingt et un ans celle-ci démissionna et déménagea dans une autre ville.
5. La requérante explique qu’elle était complètement dépendante de son oncle et ressentait un fort sentiment de culpabilité pour les actes qu’elle subissait. Elle ne s’était confiée à personne. En 1987, elle se livra à L.B. qui rapporta les faits à sa mère. À ce moment-là, sa sœur révéla également les violences qu’elle-même avait subies.
6. En 1997, lors d’un séjour en Irlande, la requérante et sa sœur entreprirent de suivre un parcours thérapeutique avec un psychiatre spécialiste dans les questions d’abus sexuels. À ce moment-là, elles prirent conscience d’avoir été victimes des agissements de leur oncle.
7. En 1998, elles consultèrent un avocat, lequel leur conseilla d’essayer dans un premier temps de régler l’affaire à l’amiable. Le 30 mars 1998, une lettre fut envoyée à V.S.
8. L’avocat de ce dernier répondit oralement à la lettre en demandant de produire les documents qui attestaient les faits dénoncés par la requérante et sa sœur et de formuler une proposition de règlement amiable. Toutefois, aucun accord ne fut conclu et la proposition de règlement amiable ne fut pas signée.
9. Le 5 février 1999, la requérante déposa une plainte pénale. Sa sœur fit de même le 3 juin 1999.
10. Une enquête préliminaire fut ouverte. L’expertise du psychologue M. fut versée au dossier, et la mère de la requérante ainsi que sa sœur furent entendues.
11. Le 12 juillet 1999, lors du dépôt de la plainte, le procureur demanda le classement sans suite de l’affaire, estimant que la plainte était tardive. La demande du procureur était ainsi rédigée :
« (...) Les déclarations de la requérante et de sa sœur, le rapport établi par le docteur M. ainsi que les dires de la mère des deux plaignantes font ressortir des indices sérieux de nature à établir la culpabilité de V.S. Le silence des deux plaignantes et leur réaction tardive s’expliquent en raison de la nature particulière des délits et des conséquences que ces délits provoquent au niveau psychologique. (...)
Les comportements dénoncés relèvent des délits prévus aux articles 81 et 519 du code pénal en ce qui concerne D.K et des articles 81 et 521 du code pénal en ce qui concerne F.K. Il s’agit de rapports sexuels imposés à de jeunes enfants, infraction réprimée par l’article 519 deuxième alinéa du code pénal, qui se sont poursuivis de manière à constituer la contrainte visée par la disposition incriminée (la menace constituée par l’état de sujétion psychologique [de la requérante et sa sœur] à l’égard de V.S., relation devenue stable du fait des abus commis) même lorsque les victimes avaient plus de seize ans. Il convient de noter que la description des faits montre que la mère avait confié les enfants à V.S. pour des raisons de vigilance et d’éducation.
(...) La prescription n’est pas encore acquise concernant les abus commis sur D.K., infraction visée à l’article 521 du code pénal (les derniers abus ont été commis à la fin de 1984).
Les poursuites ne peuvent toutefois pas être engagées en l’absence de la plainte :
L’ancien article 542 du code pénal exigeait le dépôt de la plainte : celle-ci devait être déposée soit par les victimes de violences sexuelles dans un délai de trois mois après leur majorité, soit par leurs parents dans un délai de trois mois à compter du moment où les faits étaient connus si cette connaissance était intervenue alors que les victimes étaient encore mineures.
Même si l’on considère applicable la nouvelle norme procédurale de l’article 609 alinéa 2 du code pénal, qui prévoit une extension des cas appelant des poursuites d’office, on doit supposer que les parents avaient confié leurs filles à V.S. jusqu’à ce qu’elles aient atteint l’âge de dix-huit ans et donc seuls les actes commis sur les victimes jusqu’à leurs dix-huit ans au maximum pourraient être susceptibles de poursuites d’office. Par conséquent, même en prenant en considération la nouvelle discipline procédurale, le délai requis pour déposer la plainte a expiré. »
12. Selon le procureur, l’infraction réprimée par l’article 586 du code pénal n’était pas susceptible de poursuites d’office.
13. Trois ans plus tard, et précisément le 15 janvier 2003, le juge pour les investigations préliminaires (ci-après le « GIP ») classa l’affaire sans suite.
14. Le 29 avril 2005, la requérante et sa sœur saisirent les juridictions civiles d’une action en responsabilité civile contre V.S. et demandèrent à être dédommagées.
15. Par un jugement du 10 décembre 2007, le tribunal de Gênes rejeta le recours, estimant que l’action était prescrite.
16. La requérante et sa sœur interjetèrent appel de ce jugement. Par un arrêt non définitif du 13 février 2010, la cour d’appel rejeta l’exception de prescription formulée par V.S. et ordonna l’audition des témoins.
17. Par un arrêt du 1er août 2013, la cour d’appel rejeta la demande de la requérante et sa sœur au motif que la preuve de la commission par V.S. des abus sexuels n’était pas rapportée. Elle souligna que les déclarations des deux plaignantes n’étaient pas fiables en raison du délai qui s’était écoulé entre la fin des abus supposés commis par V.S. et le dépôt de la plainte pénale. Quant aux dires des témoins, s’agissant de témoins de relato, qui avaient recueilli les déclarations des plaignantes à l’époque des faits, ils ne pouvaient pas prouver la véracité des accusations. En particulier, la cour d’appel estima que les déclarations faites par la requérante et sa sœur lors de la procédure ne pouvaient être les seules preuves de nature à fonder la décision. Quant aux autres preuves recueillies, elle s’exprima ainsi :
« Même pris dans leur ensemble, tous les éléments recueillis ne permettent pas de constituer des preuves, en raison de leurs faiblesses intrinsèques qui ne peuvent être surmontées par l’examen de l’ensemble de ces éléments, et également en raison de leur caractère non univoque, résultant du fait que l’on en revient toujours aux déclarations des appelantes et à leur fiabilité non corroborée par des preuves objectives, mais par le simple avis du psychologue responsable. Ce n’est que sur ces déclarations et cet avis que se sont fondés ultérieurement les déclarations et avis conformes des témoins, qui figurent dans le dossier, de sorte que, même prises dans leur ensemble, les constatations préliminaires sont insuffisantes pour prouver les faits sur lesquels la demande est fondée. »
18. La requérante et sa sœur se pourvurent en cassation.
19. Par un arrêt du 9 août 2016, la Cour de cassation rejeta leur pourvoi, estimant que la cour d’appel avait motivé d’une façon logique et correcte tous les points controversés.
20. En particulier, elle rappela que les déclarations faites par la requérante et sa sœur avaient été incluses dans les éléments de preuve examinés, dont elles constituaient même la partie fondamentale, et estima que de telles déclarations, en tout état de cause, avaient été considérées comme peu fiables.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
- LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
- Le code pénal
- Les dispositions du code pénal à l’époque des faits
- Le code pénal
21. Les articles 519, 521 et 542 du code pénal, tels qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient ainsi :
Article 519
« Le fait de contraindre, par la violence ou par la menace, une personne à se livrer à des actes à caractère sexuel est passible d’une peine d’emprisonnement de trois à dix ans. Est soumis à la même peine le fait de se livrer à des actes à caractère sexuel avec une personne qui, au moment de l’acte
1) est âgé de moins de quatorze ans ;
2) est âgé de moins de seize ans, lorsque l’auteur de l’infraction est l’ascendant ou le tuteur, ou est une autre personne à qui l’enfant est confié pour des raisons de soins, d’éducation, de vigilance ou de garde ;
(...) »
Article 521
Actes de luxure violents
« Le fait de soumettre, en utilisant les moyens ou en faisant usage des conditions indiquées dans les deux articles précédents, une personne à des actes de débauche autre que l’union charnelle est passible des peines établies dans lesdits articles, réduites d’un tiers. Est soumis à la même peine le fait de contraindre ou d’inciter, en utilisant les moyens ou en faisant usage des conditions indiquées dans les deux articles précédents, une personne à commettre des actes de luxure sur elle-même, sur la personne du coupable ou sur autrui. »
Article 542
Plainte de la partie lésée
« Les infractions prévues au premier chapitre [le chapitre I du titre IX du code pénal relatif aux délits contre la liberté sexuelle, incluant les articles 519 et 521] et à l’article 530 sont punissables dès lors que la partie lésée a déposé une plainte, laquelle est irrévocable.
Toutefois, les procédures sont engagées d’office :
1) si le fait est commis par le parent ou le tuteur, ou par un fonctionnaire ou un agent de la fonction publique ;
2) si le fait est lié à une autre infraction pour laquelle la poursuite est engagée d’office. »
22. L’article 81 est libellé ainsi :
Article 81
Infraction pénale continuée
« Si plusieurs délits sont commis par le biais de plusieurs actions ou omissions en lien avec le même projet délictuel, le juge doit infliger la peine prévue pour le délit le plus grave, augmentée jusqu’au triple et toujours dans la limite des plafonds indiqués, notamment, par l’article 78.
Quiconque, par un seul acte ou une seule omission, enfreint plusieurs dispositions de la loi ou commet plusieurs infractions est passible de la peine qui devrait être infligée pour l’infraction la plus grave, augmentée jusqu’au triple.
Est puni de la même peine celui qui, par plusieurs actes ou omissions, en lien avec le même projet délictuel, commet, même à des moments différents, plusieurs infractions aux mêmes ou différentes dispositions de la loi.
Dans les cas prévus par le présent article, la sanction ne peut être supérieure à celle qui serait applicable en vertu des articles précédents.
(...) »
23. L’article 124 est ainsi libellé :
Article 124
Délai de dépôt d’une plainte
Sauf disposition contraire de la loi, le droit d’intenter une action en justice ne peut être exercé après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de la découverte de l’acte constitutif de l’infraction.
(...) »
- La loi no 66 du 15 février 1996 et les réformes successives
24. La loi no 66 de 1996 contre la violence sexuelle a notamment abrogé le chapitre I du titre IX du code pénal relatif aux délits contre la liberté sexuelle. Les infractions contre la liberté sexuelle, considérées jusqu’alors comme des « délits contre la moralité publique et les bonnes mœurs » sont considérées comme des « délits contre la personne ».
25. Aux termes des articles 609 bis et 609 octies du code pénal, les violences sexuelles regroupent tous les actes à caractère sexuel commis par une ou plusieurs personnes qui contraignent, par la violence, par la menace ou par abus d’autorité, une personne à se livrer à de tels actes, ou qui abusent de l’état d’infériorité physique ou psychique de la victime ou induisent en erreur celle-ci en se faisant passer auprès d’elle pour une autre personne.
26. L’article 609 quater, intitulé « actes sexuels avec des mineurs », est essentiellement le résultat de trois interventions législatives sur une période d’environ seize ans, à savoir la loi no 66 de 1996, qui a introduit dans le code pénal le délit d’actes sexuels avec des mineurs, la loi no 38 de 2006, qui a remplacé le numéro 2) du premier paragraphe de l’article susmentionné, et enfin la loi no 172 de 2012, qui a ratifié la Convention de Lanzarote.
Selon l’article 609 quater, est assujetti à la peine établie par l’article 609 bis quiconque, en dehors des cas prévus dans cet article, se livre à des actes sexuels avec une personne qui, à l’époque de faits
1) est âgé de moins de quatorze ans ;
2) est âgé de moins de seize ans, lorsque l’auteur de l’infraction est un ascendant, un parent, y compris un parent adoptif, ou un concubin, un tuteur ou est toute autre personne à laquelle, pour des raisons de soin, d’éducation, d’instruction, de vigilance ou de garde, l’enfant est confié ou qui cohabite avec lui.
En dehors des cas prévus à l’article 609 bis, l’ascendant, le parent, y compris le parent adoptif, ou le concubin, le tuteur ou toute autre personne à laquelle, pour des raisons de soin, d’éducation, d’instruction, de vigilance ou de garde, l’enfant est confié, ou qui cohabite avec lui, qui, en abusant des pouvoirs liés à sa fonction, se livre à des activités sexuelles avec une personne qui est un enfant âgé de seize ans ou plus est puni d’une peine d’emprisonnement de trois à six ans.
En dehors des cas prévus aux paragraphes précédents, toute personne qui se livre à des activités sexuelles avec un enfant âgé de plus de quatorze ans, en abusant de la confiance qui lui est accordée ou de l’autorité ou de l’influence qu’elle exerce sur lui en raison de sa position ou de sa fonction, ou de ses relations familiales, domestiques, de travail, de cohabitation ou d’hospitalité, est punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatre ans.
27. Selon l’article 609 septies, les infractions prévues aux articles 609 bis et 609 ter sont punissables sur plainte de la partie lésée. Sauf dans les cas prévus à l’article 597, paragraphe 3, le délai d’introduction de la plainte était de six mois. La plainte déposée est irrévocable.
Toutefois, la procédure est engagée d’office :
1) si l’acte visé à l’article 609 bis est commis à l’encontre d’une personne qui, au moment de l’acte, est âgée de moins de dix-huit ans ;
2) si l’acte est commis par un ascendant, un parent, y compris un parent adoptif, ou son parent cohabitant, un tuteur, ou une autre personne à qui l’enfant est confié pour des raisons de soins, d’éducation, de surveillance ou de garde, ou qui a une relation de cohabitation avec l’enfant ;
3) si l’acte est commis par un agent public ou une personne chargée d’un service public dans l’exercice de ses fonctions ;
4) si l’infraction est liée à une autre infraction pour laquelle on doit procéder d’office.
28. La loi no 69 du 19 juillet 2019, dite « code rouge », a alourdi les sanctions et prévu un allongement de la période pendant laquelle la partie lésée peut déposer une plainte (le délai étant passé de six mois à douze mois). La mesure a également prévu des circonstances aggravantes lorsque des violences sexuelles sont commises sur des mineurs : le crime d’actes sexuels sur mineur (article 609 quater du code pénal) est durci avec circonstances aggravantes (peine augmentée jusqu’à un tiers) lorsque les actes sont commis sur des mineurs de moins de quatorze ans, en échange d’argent ou de tout autre avantage, même s’il n’est que promis. Cette infraction donne lieu également à des poursuites d’office.
- Le code de procédure pénale
29. Quant au rapport entre le procès civil et le procès pénal, le système interne se fonde sur le principe d’autonomie (autonomia) de l’action en responsabilité civile devant la juridiction civile et sur celui du caractère accessoire (accessorietà) de l’action civile dans le procès pénal. La personne qui s’estime victime d’une infraction pénale peut choisir entre l’action en réparation devant le juge civil ou la constitution de partie civile dans le cadre du procès pénal. Dans le premier cas, l’article 75 du code de procédure pénale (ci-après le « CPP ») indique que le procès civil continue en parallèle de celui pénal, sauf si l’action en réparation a été exercée après la constitution de partie civile ou après que le juge pénal ait rendu une décision en première instance. Dans ces cas, le procès civil est suspendu jusqu’à la décision pénale définitive à l’exception des cas de : mort de la personne mise en examen (article 69 du CPP) ; suspension du procès pénal pour incapacité temporaire, physique ou mentale, de la personne mise en examen (article 71 du CPP) ; exclusion de la partie civile du procès pénal (articles 80 et 88 du CPP) ; révocation de la constitution de partie civile (article 82 du CPP) ; refus de la partie civile d’accepter la procédure abrégée (article 441 du CPP); procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (patteggiamento – article 444 du CPP). En outre, l’article 652 du CPP dispose que la décision pénale d’acquittement n’a pas autorité de la chose jugée dans le procès civil si la victime (il danneggiato) a exercé l’action devant le juge civil aux termes de l’article 75, paragraphe 2, du CPP.
- La jurisprudence de la Cour de cassation
30. La Cour de cassation a rendu en la matière l’arrêt suivant, dont les extraits officiels pertinents sont reproduits.
Arrêt no 2733 du 8 juillet 1997
« Le système de poursuites d’office concernant les crimes de violences sexuelles, prévu par l’article 609 septies du code pénal, introduit par la loi no 66 du 15 février 1996, ne peut s’appliquer aux faits commis avant l’entrée en vigueur [de ladite loi]. Le problème de l’applicabilité de l’article 2 du code pénal [succession de normes pénales], en cas de modification dans le temps du système de poursuites engagées à la suite du dépôt d’une plainte, doit être résolu positivement à la lumière de la nature mixte, matérielle et procédurale, de [l’article 609 septies du code pénal], qui détermine à la fois une condition de poursuite et de sanction (...) ».
- LE DROIT INTERNATIONAL
31. Les instruments internationaux en vigueur à l’époque des faits étaient les suivants :
- Le cadre des Nations unies
32. La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), ou Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 et ratifiée par la quasi-totalité des États membres de l’Organisation des Nations unies, a pour but de reconnaître et protéger les droits spécifiques des enfants, élargissant aux enfants le concept de droits de l’homme tel que prévu par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
33. Les dispositions pertinentes de la CIDE se lisent comme suit :
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
(...) »
Article 19
« 1. Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
2. Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire. »
34. Le Comité des droits de l’enfant contrôle l’application de cette convention. Il a dressé, dans son Observation générale no 13 du 18 avril 2011 intitulée « Le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence » et motivée par le fait que « l’ampleur et l’intensité de la violence exercée contre les enfants sont alarmantes », les constats suivants concernant l’article 19 de la CIDE :
– l’article 19 § 1 interdit toute forme de violence, y compris les brimades et le bizutage physiques de la part d’adultes ou d’autres enfants ;
– les violences sexuelles comprennent toutes les activités sexuelles imposées par un adulte à un enfant, ou « commises contre un enfant par un autre enfant, si l’auteur des faits est sensiblement plus âgé que la victime ou fait usage de son pouvoir, de menaces ou d’autres moyens de pression » ;
– l’article 19 § 1 interdit « le fait de prendre, de produire, d’autoriser à prendre, de distribuer, de montrer, de posséder et ou de publier des photographies (...) et des vidéos d’enfants qui sont indécentes (...) » ;
– l’article 19 § 2 impose des mesures de détection et de signalement de la violence, d’enquête et d’intervention judiciaire.
35. En ce qui concerne les enquêtes, l’Observation générale no 13 dispose ce qui suit :
« Les enquêtes portant sur des cas de violence signalés par l’enfant, un représentant ou un tiers doivent être menées par des professionnels qualifiés qui ont reçu une formation complète et spécifique à leurs fonctions et s’appuyer sur une approche fondée sur les droits de l’enfant et adaptée à ses besoins. L’adoption de procédures rigoureuses mais adaptées aux enfants facilite le repérage des cas de violence et l’apport d’éléments de preuve pour les procédures administratives, civiles et pénales et pour les procédures de protection de l’enfant. Il convient de faire preuve d’une extrême prudence pour éviter d’exposer l’enfant à un nouveau préjudice pendant l’enquête. À cette fin, toutes les parties sont tenues de solliciter l’opinion de l’enfant et de lui donner tout le poids nécessaire. »
L’observation générale précise que l’intervention judiciaire peut inclure des procédures pénales, « qui doivent être strictement appliquées pour mettre un terme à la pratique généralisée de l’impunité de jure ou de facto, en particulier des acteurs étatiques ».
- Le cadre du Conseil de l’Europe
- La Charte sociale européenne
36. La Charte sociale européenne (adoptée en 1961 et révisée en 1996) prévoit en son article 7 que les enfants et les adolescents ont droit à une protection spéciale contre les dangers physiques et moraux auxquels ils sont exposés. L’article 17 de la Charte sociale révisée énonce le droit des enfants et des adolescents à bénéficier d’une protection sur le plan social, juridique et économique. Le paragraphe 1 b) de cette disposition commande en particulier de prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées pour les protéger contre la négligence, la violence ou l’exploitation.
- La Convention de Lanzarote
37. La Cour renvoie aux textes mentionnés dans les arrêts A et B c. Croatie (no 7144/15, §§ 77-83, 20 juin 2019) et X et autres c. Bulgarie ([GC], no 22457/16, §§ 123-134, 2 février 2021), en particulier à la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (dite « Convention de Lanzarote ») qui exige notamment la criminalisation de toutes les formes d’exploitation et d’abus sexuels concernant des enfants (articles 18 à 24) et l’adoption de mesures visant à assurer l’assistance aux victimes. La Convention de Lanzarote formule également des exigences auxquelles doivent répondre les enquêtes et les procédures pénales engagées pour de tels faits. L’Italie a déposé l’instrument de ratification de la Convention de Lanzarote le 3 janvier 2013 et celle-ci est entrée en vigueur, pour ce pays, le 1er mai 2013.
38. Les dispositions de la Convention de Lanzarote concernant la mise en œuvre de la procédure et la prescription des infractions sexuelles sur mineurs sont les suivantes :
Article 32 – Mise en œuvre de la procédure
« Chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les enquêtes ou les poursuites concernant les infractions établies conformément à la présente Convention ne soient pas subordonnées à la déclaration ou à l’accusation émanant d’une victime et que la procédure puisse se poursuivre même si la victime se rétracte. »
Article 33 – Prescription
« Chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires pour que le délai de prescription pour engager des poursuites du chef des infractions établies conformément aux articles 18, 19, paragraphe 1 a et b, et 21, paragraphe 1 a et b, continue de courir pour une durée suffisante pour permettre l’engagement effectif des poursuites, après que la victime a atteint l’âge de la majorité, et qui est proportionnelle à la gravité de l’infraction en question. »
- LE DROIT COMPARÉ
39. La Cour a jugé utile de mener une étude comparative sur les aspects du droit et de la pratique internes pertinents pour l’objet de la présente affaire concernant les infractions d’abus sexuels à l’égard des mineurs pendant la période allant de 1974 à 1984 dans trente-quatre États contractants[1] et concernant également la période précédant l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote.
- La période allant de 1974 à 1984
40. Pendant ladite période, dans un peu plus que la moitié des États objet de la recherche (au moins l’Albanie, l’Allemagne [*la République fédérale d’Allemagne avant la réunification], la Belgique, la France, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, la Roumanie, la Croatie, la Macédoine du Nord, la Serbie, la Slovénie et le Monténégro [*faisant alors toutes les cinq partie de la Yougoslavie], la République tchèque et la Slovaquie [*formant alors la Tchécoslovaquie], la République de Moldova et l’Ukraine [*faisant alors toutes les deux partie de l’URSS], ainsi que dans les trois pays baltes [*relevant alors de facto de l’URSS]), il n’était déjà pas nécessaire qu’une plainte officielle soit déposée par la victime ou son représentant pour ouvrir une enquête ou une instruction pénale du fait de toute ou de presque toute infraction à caractère sexuel commise sur un mineur, les autorités ayant le pouvoir de le faire d’office.
41. S’agissant du délai de prescription pour cette catégorie d’infractions, la majorité absolue des États soit fixaient la date de départ du délai de prescription à la majorité de la victime, c’est-à-dire à ses dix-huit ans, ou à un âge plus avancé, jusqu’à ses trente-cinq ans, soit décrétaient que ce délai ne pouvait pas expirer avant que la victime eût atteint un certain âge (cinq États). Qui plus est, sept États avaient rendu toutes ou certaines infractions en question imprescriptibles. D’autre part, seuls trois États continuent de fixer le point de départ du délai de prescription à partir du moment où l’infraction est commise. Enfin, dans au moins douze États, l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote a entraîné une modification plus ou moins importante des dispositions matérielles des codes pénaux respectifs de ces États.
42. Dans l’ex-Union soviétique (aux fins de la recherche, la République de Moldova, et l’Ukraine, ainsi que, de facto, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie), le dépôt par la victime d’une plainte n’était requis qu’en cas de viol commis à l’égard d’une femme sans circonstances aggravantes, ce qui excluait le viol d’une mineure et toute autre infraction sexuelle commise sur les mineurs (des deux sexes). En Albanie, conformément au code de procédure pénale en vigueur entre 1953 et 1980, le dépôt d’une plainte était nécessaire pour ouvrir une enquête sur une infraction à caractère sexuel commise sur un mineur. Toutefois, le nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur en 1980, conféra au parquet le droit d’ordonner d’office une enquête et d’instruire tous les délits de ce type.
43. Parmi les autres États (un peu moins que la moitié) qui demandaient le dépôt d’une plainte officielle pour ouvrir une enquête ou une instruction pénale, au moins huit États pouvaient être classés dans une catégorie spécifique, celle où l’exigence du dépôt d’une plainte était la règle générale, mais où l’ouverture d’office de poursuites pouvait être ordonnée dans un nombre non négligeable de cas (au lieu d’être une simple exception). Il s’agissait de la Grèce, la Hongrie, l’Espagne, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal et Saint-Marin. À Malte, l’ouverture de poursuites pénales pour toute infraction à caractère sexuel commise sur un mineur (y compris le viol) nécessitait une plainte de la victime ou de son représentant légal, sauf dans deux exceptions : 1) en cas de viol, de séquestration ou d’attaque indécente, commis avec « violence publique » ou autrement troublant l’ordre public, ou 2) en cas d’abus de l’autorité parentale ou celle du tuteur, y compris en cas de corruption ou de prostitution d’un mineur. En Hongrie, une plainte était exigée pour pouvoir ouvrir une enquête sur les faits d’abus sexuels commis sur un mineur, sauf en présence de circonstances aggravantes.
44. En Grèce, entre 1974 et 1984, le dépôt d’une plainte, condition préalable à l’ouverture d’une enquête pour toutes les infractions à caractère sexuel – y compris si la victime était mineure –, dépendait non pas de l’âge mais du sexe de la victime. Si la victime était de sexe féminin, le dépôt de la plainte par celle-ci (ou par un ou deux de ses parents dans le cas de victimes mineures) était une condition préalable à l’ouverture des poursuites pénales. Cependant, entre 1960 et 1976, il y avait une exception à la règle susmentionnée : même si la victime d’une infraction sexuelle était une femme ou une fille, le procureur de la République près le tribunal de première instance avait l’obligation d’engager des poursuites pénales si le délit avait « fait scandale ou éveillé la curiosité commune ». En revanche, si la victime était de sexe masculin, le procureur avait l’obligation d’ordonner d’office une enquête par la police ou par un magistrat et ensuite, le cas échéant, de porter une accusation contre l’auteur de l’infraction. En 1984, cette différence fondée sur le sexe fut abolie, et le dépôt par la victime d’une plainte (ou par ses parents en cas de minorité) devint une condition préalable pour que le procureur engageât des poursuites pénales, que la victime fût un homme ou une femme et quel que fût son âge. Il y avait cependant deux exceptions : cette condition ne s’appliquait pas au crime de viol (article 344 du code pénal grec) ni à l’infraction de sollicitation d’enfants (mineur de douze ans) à des fins sexuelles (article 337), pour lesquels le procureur avait le droit et l’obligation d’ordonner d’office l’ouverture d’une enquête.
- La période allant de 1984 à l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote
45. Quant à cette période, l’ouverture d’office d’une enquête pour toutes sortes d’abus sexuels commis sur des enfants était la norme dans la majorité absolue des États, seuls six États exigeaient le dépôt d’une plainte par la victime ou son représentant légal. Après l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote, seul un État (Saint-Marin) continuait d’exiger jusqu’en 2016 (la loi no 57 du 6 mai 2016 ayant prévu l’ouverture d’office d’une enquête) en tant que règle générale, le dépôt d’une plainte.
46. S’agissant en outre du délai de prescription pour cette catégorie d’infractions, la majorité absolue des États à l’étude soit fixaient la date de départ du délai de prescription à la majorité de la victime, c’est-à-dire à ses dix-huit ans (seize États), ou à un âge plus avancé, jusqu’à ses trente-cinq ans, soit décrétaient que ce délai ne pouvait pas expirer avant que la victime eût atteint un certain âge (cinq États). Qui plus est, sept États avaient rendu toutes ou certaines infractions en question imprescriptibles. D’autre part, seuls trois États continuent de fixer le point de départ du délai de prescription à partir du moment où l’infraction est commise.
47. Dans au moins douze États, l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote a entraîné une modification plus ou moins importante des dispositions matérielles des codes pénaux respectifs. En particulier, en France, le délai de prescription du crime de viol et des délits d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle sur mineur, instauré par la loi no 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, reste de trente ans pour le viol et proxénétisme sur mineur de 15 ans ou moins ; et dix ans pour l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle à compter de la majorité de la victime. Lorsque l’agression sexuelle ou l’atteinte sexuelle est commise sur un mineur âgé de quinze ans, le délai de prescription est porté à vingt ans à compter de la majorité de la victime. En outre, depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, le délai de prescription est allongé en cas de non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineurs. Il est porté à 10 ans pour les agressions sexuelles et 20 ans pour les viols.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 et 8 DE LA CONVENTION
48. La requérante allègue avoir été victime, avec sa sœur, de violences sexuelles de la part de leur oncle quand elles étaient mineures et que les autorités internes ont manqué à leur obligation positive qui leur aurait incombé de garantir son intégrité physique et psychologique. Elle invoque les articles 3 et 8 de la Convention.
49. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants (voir, notamment, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l’espèce, elle estime plus approprié d’examiner le grief formulé par la requérante sous le seul angle de l’article 3 de la Convention (voir, pour une approche similaire, X et autres c. Bulgarie [GC], no 22457/16, § 149, 2 février 2021). Cette disposition est libellée comme suit :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
- Sur la recevabilité
50. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
- Sur le fond
- Thèse des parties
a) La requérante
51. La requérante rappelle que, nonobstant l’introduction en 1996 d’une nouvelle loi en matière d’abus sexuels prévoyant que le parquet ordonne d’office des poursuites si les victimes sont des mineurs, aucun régime transitoire n’a été prévu pour protéger les victimes d’abus sexuels commis avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi.
52. En effet, selon la loi applicable au moment des faits, la plainte aurait dû être déposée dans les trois mois après la commission des faits. Cela n’a pas été possible dans le cas de la requérante, étant donné qu’elle a pris conscience des violences qu’elle a subies seulement après un long travail de psychothérapie commencé en 1997.
53. L’intéressée argue avoir été privée d’une réponse indispensable concernant les crimes commis et soutient que les autorités ont manqué à leur obligation positive de sauvegarder ses droits fondamentaux.
54. De plus, elle rappelle avoir été doublement assujetti à V.S. car c’étaient ses parents qui la confiaient à celui-ci et que de toute manière jusqu’à sa majorité ces derniers auraient dû déposer plainte en son nom.
55. Le refus d’une telle protection a aggravé sa souffrance et sa frustration et a provoqué des dommages et une victimisation secondaire, rendant ainsi plus difficile le chemin de la guérison.
56. La requérante rappelle en outre que, s’agissant du principe de non-rétroactivité en matière pénale, la Cour a affirmé que les règles sur la rétroactivité contenues dans l’article 7 de la Convention ne s’appliquent qu’aux dispositions définissant les infractions et les peines qui les répriment. En effet, la Cour a estimé raisonnable l’application, par les juridictions internes, du principe tempus regit actum en ce qui concerne les lois de procédure (Mione c. Italie (déc.), no 7856/02, 12 février 2004, et Rasnik c. Italie (déc.), no 45989/06, 10 juillet 2007 ; voir également Martelli c. Italie (déc.), no 20402/03, 12 avril 2007, et Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96 et 4 autres, §§ 147-149, CEDH 2000-VII). Par conséquent, la requérante fait valoir que l’article 609 septies est un article de nature procédurale dès lors qu’il introduit la possibilité de poursuivre ex officio les délits sexuels contre les mineurs, pour lesquels était nécessaire un dépôt de plainte.
57. Selon l’intéressée, le problème découle de l’absence de dispositions transitoires dans la loi no 66 de 1996, qui auraient dû prévoir expressément la poursuite d’office même pour des crimes commis antérieurement à cette loi, ce qui n’aurait pas été contraire à l’article 7 de la Convention et aurait protégé plus efficacement les victimes d’abus.
58. S’agissant du long délai à la suite duquel le GIP a classé la plainte, la requérante rappelle que ce délai a eu des répercussions sur sa vie et qu’entre temps des témoins sont décédés. De plus, elle rappelle que le GIP a retardé et compromis de manière inexcusable la possibilité d’obtenir une réponse de la justice italienne mettant en péril de la même manière l’action civile.
59. Quant à la procédure civile et au rejet des demandes d’indemnisation, la requérante suppose que les seules preuves réelles des abus (les déclarations faites par elle et sa sœur) ont été ignorées par les juges.
b) Le Gouvernement
60. Le Gouvernement fait valoir que le procureur de Gênes a effectué une enquête complète : il a entendu la requérante et sa sœur et a versé au dossier les expertises effectuées par le docteur M., spécialiste des questions d’abus sexuels sur les enfants. Il considère qu’il n’y a eu aucune négligence dans le déroulement de l’enquête pénale.
61. Il rappelle que le nouvel article 609 septies ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce en raison du principe d’interdiction de la rétroactivité pénale. Il s’agit d’un principe contenu également dans l’article 7 de la Convention auquel on ne peut pas déroger, même en cas d’urgence.
62. Le Gouvernement rappelle que, dans l’affaire Scoppola c. Italie (no 2) ([GC], no 10249/03, 17 septembre 2009), la Cour a affirmé que l’article 442 § 2 du code de procédure pénale est une disposition de droit pénal matériel concernant la sévérité de la peine à infliger en cas de condamnation selon la procédure abrégée. Cette disposition ne doit pas être appliquée rétroactivement.
63. Il souligne que, même à considérer que l’article 609 septies du code pénal puisse être appliquée rétroactivement, la Cour de cassation a affirmé dans son arrêt no 2733 du 8 juillet 1997 que cet article, introduit par la loi no 66 du 15 février 1996, qui prévoyait un système de poursuite d’office pour les crimes de violences sexuelles, ne pouvait s’appliquer aux faits commis avant l’entrée en vigueur de ladite loi. Par conséquent, en l’espèce, le procureur a correctement demandé le classement de l’affaire en raison du dépôt tardif de la plainte. Cela est conforme au principe de légalité.
64. Quant au retard pris par le GIP pour classer la plainte, le Gouvernement argue que ce retard n’a eu aucun effet sur la requérante, vu que l’action civile a été introduite deux ans après le classement de l’enquête pénale. Ce retard n’est pas le résultat d’une faute ou d’une négligence imputable à l’État italien, mais résulte d’une réorganisation normale et correcte de l’ordre de procédure ainsi que du choix du GIP de traiter en priorité les affaires suffisamment étayées.
65. S’agissant du rejet de la demande d’indemnisation introduite par la requérante, le Gouvernement avance qu’il s’agit d’un grief de quatrième instance. En particulier, il a répété que les déclarations faites par l’intéressée et sa sœur étaient incluses dans les éléments de preuve évalués, dont elles constituaient même la partie fondamentale, et a estimé que de telles déclarations, en tout état de cause, étaient peu fiables.
- Appréciation de la Cour
66. La Cour renvoie aux principes généraux applicables en la matière tels qu’énoncés dans l’affaire M.C. c. Bulgarie (no 39272/98, §§ 149-152, CEDH 2003-XII) et plus récemment dans l’affaire X et autres c. Bulgarie ([GC], no 22457/16, §§ 176-178 et 184-192, 2 février 2021). Pour ce qui est plus précisément de l’obligation procédurale de mener une enquête effective, elle rappelle que, lorsqu’une personne allègue de manière défendable avoir été victime d’actes contraires à l’article 3 de la Convention, les autorités nationales doivent mener une enquête officielle effective propre à permettre l’établissement des faits ainsi que l’identification et la punition, le cas échéant, des personnes responsables (ibidem, § 184). Elle redit également que l’obligation procédurale de mener une enquête effective découlant de l’article 3 de la Convention doit être interprétée, lorsque des abus sexuels sur des mineurs sont potentiellement en jeu, à la lumière des obligations découlant des autres instruments internationaux applicables.
67. Se tournant vers le cas d’espèce, elle relève que les allégations de viol et d’agression sexuelle qu’aurait subis la requérante sont suffisamment graves pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention (comparer avec X et autres c. Bulgarie, précité, § 193). Eu égard au rapport psychologique dressé par le docteur M., spécialiste dans les questions d’abus sexuels sur les enfants, et aux conclusions du parquet selon lesquelles il y avait des indices sérieux donnant à penser que V.S. avait imposé des rapports sexuels à la requérante et sa sœur, elle juge que ces allégations étaient défendables et qu’il incombait dès lors aux autorités nationales de mener une enquête suffisamment approfondie afin d’éclaircir toutes les circonstances de la cause (ibidem, §§ 201 et 213).
68. La Cour rappelle qu’à l’époque des faits, après avoir mené une enquête, les autorités ont classé la plainte de la requérante au motif que la plainte avait été déposée tardivement (paragraphe 13 ci-dessus).
69. Elle note que le droit pénal interdisait les abus sexuels allégués par la requérante et prévoyait la poursuite pénale des responsables (paragraphe 21 ci-dessus). En effet, les allégations de l’intéressée, et de sa sœur, ont donné lieu, malgré le temps écoulé, à l’ouverture d’une enquête pénale en vertu des dispositions pertinentes du code pénal en vigueur à l’époque des faits. Quinze ans après les faits, en février 1999, à la suite de la plainte déposée par la requérante, le procureur a mené une enquête. Il a entendu l’intéressée et sa sœur ainsi que leur mère, et les rapports du psychologue qui les suivait ont été versés au dossier.
70. En juillet 1999, tout en soulignant la gravité des faits subis par la requérante et sa sœur, le procureur demanda au GIP de classer l’affaire (paragraphe 11 ci-dessus) au motif que la plainte était tardive (n’ayant pas été déposée dans les trois mois suivant la majorité de l’intéressée – paragraphe 23 ci-dessus), la loi telle qu’en vigueur à l’époque des faits ne prévoyait pas la possibilité d’engager une procédure d’office (paragraphe 21 ci-dessus). Par une décision du 15 janvier 2003, le GIP classa l’affaire sans suite.
71. La Cour doit donc examiner si l’application des dispositions pénales en pratique a été défectueuse au point de constituer une violation des obligations positives de l’État défendeur au titre de l’article 3 de la Convention et si le fait qu’aucune disposition régissant l’application du nouveau régime, qui exonère la partie lésée de l’obligation de porter plainte, n’ait été prévue pour protéger les victimes d’abus sexuels commis avant l’entrée en vigueur de la loi de 1996, était compatible avec l’article 3 de la Convention.
72. La Cour considère que les mécanismes pénaux devraient être mis en œuvre de manière à tenir compte de la vulnérabilité particulière de la requérante qui aurait été victime d’abus sexuels de la part de son oncle lorsqu’elle était mineure (A et B c. Croatie, précité, § 121).
73. Elle rappelle notamment que les États ont l’obligation positive, inhérente aux articles 3 et 8 de la Convention, d’adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement le viol et de les appliquer en pratique au travers d’une enquête et de poursuites effectives (M.C. c. Bulgarie, précité, § 153, et B.V. c. Belgique, no 61030/08, § 55, 2 mai 2017). Cette obligation positive commande en outre la criminalisation et la répression effective de tout acte sexuel non consensuel (M.G.C. c. Roumanie, no 61495/11, § 59, 15 mars 2016, et Z. c. Bulgarie, no 39257/17, § 67, 28 mai 2020).
74. À cet égard, la Cour rappelle que, dans les cas où des enfants ont été potentiellement victimes d’abus sexuels, le respect des obligations positives découlant de l’article 3 requiert, dans le cadre des procédures internes engagées, la mise en œuvre effective du droit des enfants à ce que leur intérêt supérieur prime, ainsi que la prise en compte de leur particulière vulnérabilité et de leurs besoins spécifiques (A et B c. Croatie, précité, § 111, et M.M.B. c. Slovaquie, no 6318/17, § 61, 26 novembre 2019; voir également M.G.C. c. Roumanie, précité, §§ 70 et 73). Ces exigences sont également énoncées aujourd’hui dans d’autres instruments internationaux pertinents en l’espèce, tels que la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention de Lanzarote (paragraphe 36-38 ci-dessus).
75. La Cour observe qu’à l’époque des faits, les autorités ont mené une enquête suffisamment approfondie à partir du moment où elles ont eu connaissance des allégations défendables d’abus sexuels sur mineur (voir le rappel des principes pertinents dans X et autres c. Bulgarie, précité, § 213). Toutefois, en ce qui concerne l’extinction de l’action publique, la décision du GIP, en prononçant le classement des poursuites pour cause de tardivité de la plainte, a rendu impossible la continuation de l’enquête sur les violences sexuelles alléguées.
76. La Cour considère qu’en l’espèce les autorités d’enquête ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles et que celles-ci ont analysé avec soin les éléments dont elles disposaient avant de classer l’affaire. Les dispositions en matière pénale en vigueur à l’époque des faits (paragraphes 21 et 23 ci-dessus) sanctionnaient effectivement les actes sexuels contre les mineurs et criminalisaient tout acte sexuel non consensuel avec un mineur.
77. La Cour a résumé sa jurisprudence sur l’obligation procédurale découlant des principes convergents des articles 2, 3 et 4 de la Convention dans l’affaire S.M. c. Croatie ([GC] no 60561/14, §§ 311-320, 25 juin 2020). Elle a notamment relevé que, bien que la portée générale des obligations positives de l’État puisse varier selon que le traitement contraire à la Convention a été infligé avec la participation d’agents de l’État ou qu’il l’a été par des particuliers, les exigences procédurales sont les mêmes (Sabalić c. Croatie, no 50231/13, § 96, 14 janvier 2021). En particulier, les autorités ont l’obligation d’agir dès qu’une plainte officielle a été déposée. Toutefois, même en l’absence de plainte expresse, une enquête doit être menée s’il existe d’autres indices suffisamment clairs donnant à penser qu’on se trouve en présence de cas de torture ou de mauvais traitements. Les autorités doivent agir d’office dès que l’affaire est portée à leur attention (Membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et autres c. Géorgie, no 71156/01, § 97, 3 mai 2007).
La Cour note que, dans le cas d’espèce, la plainte a été déposée par la requérante, les autorités ont ouvert l’enquête et les faits de la cause ont été portés à l’attention du parquet et du GIP.
Elle souligne que, sans préjudice de l’ouverture d’une procédure d’enquête dès que la victime présente un grief défendable de traitement interdit ou qu’il existe un commencement de preuve, rien dans la jurisprudence de la Cour ne s’est opposée, s’agissant de l’applicabilité de l’article 3 à des actes commis par des particuliers, à ce que la mise en œuvre des poursuites soit subordonnée à un dépôt de plainte dans un délai prévu par la législation applicable.
La Cour est donc d’avis que, dans le cas d’espèce, au cours de la période où les faits se sont déroulés, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote, l’obligation procédurale de mener une enquête effective découlant de l’article 3 de la Convention ne devait pas être interprétée, même lorsque des abus sexuels avaient été commis par des particuliers sur des mineurs ou des personnes vulnérables, comme imposant aux États d’engager des poursuites d’office, ou d’autoriser le dépôt de plaintes sans limite de temps à compter de la commission de l’infraction ou de la majorité des mineurs.
78. À cet égard, la Cour constate qu’il ressort des éléments de droit comparé dont elle dispose qu’à l’époque des faits (c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote, qui a prévu que les poursuites concernant les infractions sexuelles commises sur les mineurs ne soient pas subordonnées à la déclaration ou à l’accusation émanant d’une victime et que la procédure puisse se poursuivre même si la victime se rétracte – voir paragraphe 38 ci-dessus), les États contractants ont eu recours à des moyens très divers pour gérer les enquêtes, s’expliquant par le reflet de nombreuses différences observées dans leur évolution historique et leur diversité culturelle (paragraphes 40-47 ci-dessus).
79. Après l’entrée en vigueur de la Convention de Lanzarote, l’ouverture d’office d’une enquête, sans qu’elle soit subordonnée à une plainte de la victime, pour toutes sortes d’abus sexuels sur des enfants est devenue la norme dans la majorité absolue des États, y compris en Italie, seul un État ayant continué d’exiger, en tant que règle générale, le dépôt d’une plainte. Une évolution similaire concerne l’allongement des délais de prescription.
80. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la réponse procédurale des autorités nationales à l’allégation de la requérante d’abus sexuels commis par son oncle n’a pas été défectueuse au point de constituer une violation des obligations positives de l’État défendeur au titre de l’article 3 de la Convention.
81. Elle tient toutefois à rappeler que l’obligation procédurale découlant de l’article 3, lorsqu’elle concerne, comme dans le cas d’espèce, des abus sexuels commis sur les enfants, doit aujourd’hui être interprétée à la lumière des obligations découlant des autres instruments internationaux applicables et, plus particulièrement, de la Convention de Lanzarote (X et autres c. Bulgarie, précité).
82. En ce qui concerne la non-applicabilité aux faits de la cause de la nouvelle loi (loi no 662 de 1996) entrée en vigueur après la commission des faits allégués, la Cour note qu’une telle décision n’est pas incompatible avec la jurisprudence de la Cour et qu’aucun instrument international applicable, dont la Convention de Lanzarote – qui n’était pas encore en vigueur à l’époque des faits – ne requiert une application rétroactive de la règle selon laquelle les poursuites pénales ne doivent pas être subordonnées au dépôt d’une plainte.
83. Au demeurant, la Cour note que la Cour de cassation elle-même, dans son arrêt no 2733 du 8 juillet 1997 (paragraphe 30 ci-dessus), a exclu l’application par les juridictions internes du principe tempus regit actum en ce qui concerne l’article 609 septies, introduit par la loi no 662 de 1996, en jugeant qu’en droit italien la réforme législative a introduit une norme de nature mixte, matérielle et procédurale, qui détermine à la fois une condition de poursuite et de sanction, en imposant ainsi l’application de la norme la plus favorable à l’auteur de l’infraction (voir Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, §§ 110-113, 17 septembre 2009).
84. Par ailleurs, selon la recherche du droit comparé (voir paragraphes 40-47 ci-dessus), nonobstant les différences – qui ont évoluées dans le temps – des législations des États contractants concernant l’ouverture d’une enquête à la suite d’une plainte ou d’office pour des infractions sexuelles commises sur les mineurs, l’obligation procédurale découlant de l’article 3 ne peut être interprétée comme imposant aux États de prévoir la rétroactivité de la nouvelle loi qui supprime l’obligation de porter plainte.
85. Concernant le grief tiré du manque de célérité de l’enquête, compte tenu du temps que le GIP a pris pour classer l’affaire, la Cour note qu’à la suite de la décision du parquet de demander le classement, la requérante et sa sœur ont fait opposition à cette demande. Elle constate que tout d’abord la procédure a duré quatre ans environ, mais celle-ci a notamment connu un ralentissement significatif seulement dans sa dernière phase à savoir après la demande de classement des poursuites, formulée le 12 juillet 1999, presque un an après la plainte, et la décision de classement du GIP, rendue le 15 janvier 2003 après l’opposition formulée par la requérante.
86. Quoi qu’il en soit, eu égard à l’activité du GIP, qui consiste seulement à accueillir les demandes de classement du parquet, la Cour estime que le ralentissement constaté entre la demande de classement du parquet et la décision du GIP ne suffit pas à mettre en cause l’effectivité de l’enquête dans son ensemble (a contrario, parmi d’autres, Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 139, 31 janvier 2019). En ce qui concerne en outre le fait que, à une date non précisée, la requérante a fait opposition à la demande de classement, la Cour ne dispose d’aucun moyen lui permettant d’estimer le temps écoulé dans le traitement de l’opposition ou la manière dont la procédure s’est déroulée.
87. À cet égard, la Cour rappelle que l’obligation de mener une enquête effective est une obligation de moyens et non de résultat. Il n’existe pas un droit absolu à obtenir l’ouverture de poursuites contre une personne donnée, ou la condamnation de celle-ci, lorsqu’il n’y a pas eu de défaillances blâmables dans les efforts déployés pour obliger les auteurs d’infractions pénales à rendre des comptes (A, B et C c. Lettonie, no 30808/11, § 149, 31 mars 2016, et M.G.C. c. Roumanie, précité, § 58). Il n’appartient au demeurant pas à la Cour de se prononcer sur les allégations d’erreurs ou d’omissions particulières de l’enquête ; elle ne saurait se substituer aux autorités internes dans l’appréciation des faits de la cause ni statuer sur la responsabilité pénale de l’agresseur présumé (B.V. c. Belgique, précité, § 61, et M. et C. c. Roumanie, no 29032/04, § 113, 27 septembre 2011).
88. Au demeurant, dans la mesure où la requérante avance que la durée la procédure pénale aurait empêché les juridictions de faire entendre un témoin, entre-temps décédé, la Cour tient à souligner que le système interne se fonde sur le principe d’autonomie de l’action en responsabilité civile devant la juridiction civile et sur celui du caractère accessoire de l’action civile dans le procès pénal (voir paragraphe 29 ci-dessus). La Cour note que la requérante qui a saisi les juridictions civiles deux ans et trois mois après la décision de classement du GIP, aurait pu les saisir bien avant, lorsque le classement n’avait pas encore été prononcé (mutatis mutandis Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 198, 25 juin 2019).
89. S’agissant du fait que les déclarations de la requérante et sa sœur n’auraient pas été prises en compte par les juridictions civiles, la Cour relève que la cour interne a souligné que les déclarations rendues par la requérante et sa sœur constituaient même la partie fondamentale des éléments de preuve examinés, mais estima que de telles déclarations étaient peu fiables. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation à celle des juridictions nationales, leur appréciation sur ce point n’étant pas arbitraire ou manifestement déraisonnable.
90. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les autorités italiennes ont agi avec la diligence requise par le volet procédural de l’article 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans les circonstances de l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable ;
- Dit qu’il n’y pas a eu violation de l’article 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er décembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Liv Tigerstedt Marko Bošnjak
Greffière adjointe Président
[1] L’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la République tchèque, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la Macédoine du Nord, Malte, la République de Moldova, le Monténégro, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse, la Türkiye et l’Ukraine.