Přehled
Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 9825/21
Vittorio CARBONAI
contre l’Italie
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 29 novembre 2022 en un comité composé de :
Péter Paczolay, président,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 9825/21 contre la République italienne et dont un ressortissant italien, M. Vittorio Carbonai (« le requérant ») né en 1952 et résidant à Cividale dei Friuli, représenté par M. C. Monai, avocat à Cividale del Friuli, a saisi la Cour le 29 janvier 2021 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat d’Etat,
les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par le requérant,
les observations communiquées par l’organisation non gouvernementale AIRE Centre, dont le président de la section avait autorisé la tierce intervention,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. L’affaire concerne l’impossibilité pour le requérant, « parent social » d’une fille née en 2014 avec laquelle il a vécu depuis sa naissance pendant une période de 4 ans, de maintenir une relation avec elle après la séparation de son ex-compagne (la mère), suite à la rupture de la relation de couple.
2. En septembre 2019, après des tentatives des services sociaux de trouver un accord des parties concernant le droit de visite, le requérant saisit le tribunal de Udine en demandant la reconnaissance du droit de visite à l’égard de l’enfant.
3. Le 5 décembre 2019, le tribunal de Udine déclara le recours irrecevable en raison de l’absence de légitimation du requérant.
4. Le requérant fit appel de cette décision.
5. Par une décision du 25 mars 2020 la cour d’appel confirma le rejet du recours en raison de l’absence de légitimation du requérant au motif que, selon l’article 337 ter du code civil, seulement les ascendants et les parents de chaque branche parentale peuvent maintenir une relation avec l’enfant, le « parent social » n’étant pas reconnu dans la législation interne.
6. À la suite du rejet du recours par les tribunaux, le 19 mai 2020, le requérant, s’appuyant sur l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt no 225 de 2016 des dispositions visant à protéger les intérêts de l’enfant, demanda au parquet auprès du tribunal pour enfants au sens de l’article 336 du code civil d’intervenir afin de protéger ses droits parentaux.
7. Le 26 mai 2020, le parquet demanda aux services sociaux de rédiger un rapport sur la situation personnelle et familiale de la mineure, de vérifier en particulier si la mère de l’enfant et le requérant avaient des comportements préjudiciables et s’il était nécessaire de prévoir une limitation de l’autorité parentale de la mère ou de prendre des mesures dans l’intérêt de l’enfant.
8. Le rapport du 26 novembre 2020 constata que la mineure était exposée à l’extrême conflictualité du requérant et de son ex-compagne s’agissant en particulier des choix éducatifs concernant l’enfant. Selon le rapport il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de reconnaître au requérant un rôle éducatif.
9. Le 27 novembre 2020, se basant sur les rapports des services sociaux, le parquet déclara qu’il n’y avait pas la nécessité de procéder avec la demande du requérant en raison de l’extrême conflictualité entre lui et son ex-compagne.
10. Le 26 janvier 2021 le requérant réitéra ses demandes au parquet.
11. Par une décision du 27 janvier 2021, le parquet, considérant que sur la base des investigations déjà effectuées il n’était pas nécessaire d’intervenir afin de limiter l’autorité parentale de la mère, décida de ne pas donner suite à la demande du requérant.
12. Invoquant les articles 6, 8 et 12, le requérant allègue avoir subi une atteinte à son droit au respect de la vie familiale en raison de l’impossibilité de maintenir une relation avec l’enfant de son ex-compagne, suite à la rupture de la relation de couple. Il se plaint de l’impossibilité de demander la reconnaissance du droit de visite à l’égard de l’enfant devant une autorité judiciaire et de faire valoir son droit reconnu par l’article 8 de la Convention en tant que « parent social ».
APPRÉCIATION DE LA COUR
13. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants (voir, notamment, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l’espèce, elle estime plus approprié d’examiner les griefs formulés par le requérant exclusivement sous le seul angle de l’article 8 de la Convention.
14. La Cour estime qu’elle n’a pas à se prononcer sur les exceptions préliminaires de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement, la requête étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.
15. Elle rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre d’éventuelles ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Elle constate ensuite que le fait que le lien entre l’enfant et le requérant est entravé ne résulte pas d’une décision ou d’un acte d’une autorité publique mais est la conséquence de la séparation de ce dernier et de la mère de l’enfant.
16. La Cour renvoie aux affaires Honner c. France (no 19511/16, § 50, 12 novembre 2020), V.D. et autres c. Russie (no 72931/10, §§ 125‑131, 9 avril 2019) et Moretti et Benedetti c. Italie (no 16318/07, §§ 60-71, 27 avril 2010), qui concernaient la question du maintien d’un lien familial de facto entre des adultes et des enfants, et qu’elle a examinées sous l’angle de l’obligation positive des États parties de garantir aux personnes relevant de leur juridiction le respect effectif de leur vie familiale.
17. La Cour note que le grief du requérant porte sur l’impossibilité de demander la reconnaissance du droit de visite à l’égard de l’enfant devant une autorité judiciaire et de faire valoir son droit reconnu par l’article 8 de la Convention en tant que « parent social ».
18. La Cour observe tout d’abord que le droit italien prévoit la possibilité pour une personne ayant développé un lien familial de facto avec un enfant d’obtenir des mesures visant à la préservation de ce lien. À cet égard elle rappelle que la Cour constitutionnelle, dans sa décision no 225 de 2016, a statué que l’interruption injustifiée d’une relation significative établie et entretenue par le mineur avec un tiers (sans lien de parenté) pourrait relever de l’article 333 du code civil, qui permet au juge d’adopter des « mesures appropriées » lorsque le comportement de l’un ou des deux parents porte préjudice au mineur. Et ce sur l’appel du parquet (ainsi prévu par l’article 336 du code civil), également à la demande de l’adulte (non-parent) impliqué dans la relation en question.
19. La Cour note que dans le cas d’espèce, même s’il n’a pas été possible pour le requérant de saisir les tribunaux, le parquet, qui remplit un rôle institutionnel dans la magistrature, a agi pour donner suite à la demande du requérant et a demandé une enquête sociale afin de décider sur les mesures à prendre dans l’intérêt de l’enfant. Une fois le rapport des services sociaux déposé, le parquet a estimé qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de prendre des mesures afin de suspendre ou limiter la responsabilité de la mère ou d’autoriser le requérant à assumer un rôle parental, compte tenu des relations particulièrement conflictuelles entre le requérant et son ex-compagne et de ce que cette tension plaçait l’enfant dans une situation traumatisante.
20. La Cour note donc que le parquet a représenté les intérêts du « parent social » et que le cadre légal italien a ainsi donné au requérant la possibilité de demander un examen judiciaire de la question de la préservation du lien qu’il avait développé avec l’enfant, possibilité dont il a usé.
21. La présente affaire se distingue donc de l’affaire V.D. et autres c. Russie, précitée, qui concernait notamment le cas d’une personne qui s’était trouvée privée de la possibilité de maintenir le lien familial de facto qui s’était développé entre elle et un enfant dont elle avait été tutrice pendant plusieurs années, après le retour de ce dernier chez ses parents. La conclusion de la Cour se fondait en particulier sur le fait que, le droit russe n’ouvrant pas cette possibilité aux personnes dépourvues de liens biologiques avec l’enfant, les juridictions internes avaient rejeté la demande de la requérante tendant à l’organisation de contacts, sans même examiner les circonstances de la cause ni caractériser l’intérêt supérieur de l’enfant.
22. À la lumière de ce qui précède, après une analyse approfondie des observations des parties et du tiers intervenant et de la jurisprudence pertinente, la Cour considère que, eu égard aussi à l’ample marge d’appréciation dont il disposait, l’État défendeur n’a pas méconnu son obligation positive de garantir le respect effectif du droit du requérant à sa vie familiale.
23. Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 12 janvier 2023.
Liv Tigerstedt Péter Paczolay
Greffière adjointe Président