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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.11.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 74017/17
Jorge Paulo MARTINS PEREIRA PENEDOS
contre le Portugal

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 22 novembre 2022 en une Chambre composée de :

Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Tim Eicke,
Jon Fridrik Kjølbro,
Branko Lubarda,
Armen Harutyunyan,

Anja Seibert-Fohr,
Ana Maria Guerra Martins, juges,

et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 11 octobre 2017,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne la condamnation du requérant à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour trafic d’influence, prononcée par le tribunal d’Aveiro dans un jugement du 5 septembre 2014 puis confirmée par la cour d’appel de Porto dans un arrêt du 5 juillet 2017. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, le requérant soutient que ses droits de la défense n’ont pas été respectés et que la procédure pénale dirigée contre lui n’a donc pas été équitable. Sous l’angle de l’article 7 de la Convention, il allègue également que l’infraction pénale pour laquelle il a été condamné manquait de prévisibilité.

EN FAIT

  1. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3. Le requérant est un ressortissant portugais né en 1969 et résidant à Lisbonne. Il a été représenté devant la Cour par Me Sá Fernandes, avocat à Lisbonne.

  1. L’ouverture de l’enquête pénale

4. Au moment des faits, le requérant était avocat de profession.

5. Le 7 novembre 2008, le département d’investigation et d’action pénale (« le DIAP ») d’Aveiro décida d’ouvrir une enquête pour corruption passive, association de malfaiteurs, fraude et trafic d’influence (procédure pénale no 362/08.1JAAVR ; « l’enquête pénale ») contre le dirigeant de plusieurs entreprises de traitement de déchets industriels, M.G., et trentetrois autres personnes dont le requérant et son père, J.P., qui était le président du conseil d’administration de la REN (Redes Energéticas Nacionais), société anonyme à capital majoritairement public.

6. Le 20 janvier 2009, le juge d’instruction criminelle près le tribunal d’Aveiro (ci-après, « le JIC ») décida de placer le dossier de cette enquête sous secret d’enquête (segredo de justiça).

  1. Le placement du requérant sur écoute et sa mise en examen

7. Au cours de l’enquête pénale, le JIC autorisa l’écoute et l’interception de conversations téléphoniques de plusieurs suspects, dont celles du requérant et d’A.V.

8. Le requérant fut ainsi placé sur écoute entre mai et août 2009.

a) L’interception des communications téléphoniques, le versement des enregistrements au dossier d’enquête et l’ouverture d’une procédure administrative par le Procureur général de la République

9. Dans le cadre de ces écoutes téléphoniques, les autorités d’enquête prirent connaissance de conversations téléphoniques ou d’échanges de messages électroniques entre le requérant ou A.V. et le Premier ministre de l’époque, J.S., au sujet d’un plan qui visait à écarter des journalistes gênants et à contrôler les médias au Portugal.

10. Le 6 mai 2009, le DIAP établit un rapport au sujet des écoutes effectuées et le transmit au Procureur général de la République qui décida d’ouvrir une procédure de suivi et de contrôle interne (processo de acompanhamento e controlo interno- procédure no 62/2009).

11. Le 23 juin 2009, conformément à l’article 187 §§ 1, 7 et 8 du code de procédure pénale (« CPP » – paragraphe 66 ci-dessous), le DIAP demanda l’autorisation au JIC d’extraire une copie certifiée conforme de la totalité des enregistrements des conversations ou des messages électroniques impliquant le requérant ou A.V. en vue de déterminer la nécessité d’ouvrir une nouvelle enquête pour atteinte à l’État de droit (atentado ao estado de direito), infraction prévue par l’article 9 de la loi no 34/87 du 16 juillet 1987.

12. Le même jour, le JIC fit droit à cette demande en application de l’article 187 §§ 1 a), 4 a), 7 et 8 du CPP (paragraphe 66 cidessous).

13. Le 25 juin 2009, conformément à l’article 188 §§ 1, 4 et 7 du CPP, le DIAP transmit au JIC les enregistrements de conversations téléphoniques du requérant et d’A.V. tenues entre le 15 et le 24 juin 2009. Il demanda que ces enregistrements fussent écoutés et transcrits aux fins de l’enquête pénale. Par ailleurs, il sollicita l’autorisation du JIC pour extraire du dossier d’enquête les enregistrements qui seraient pertinents pour une éventuelle enquête du chef d’atteinte à l’État de droit.

14. Le 29 juin 2009, après avoir pris connaissance des enregistrements en question, le JIC considéra que certains étaient pertinents pour l’enquête pénale et ordonna leur transcription et le versement au dossier des supports techniques contenant ces enregistrements. Il décida que ceux qui n’étaient pas pertinents pour cette enquête devaient rester dans le dossier de l’enquête pénale en vertu de l’article 188 § 12 du CPP. Il considéra ensuite qu’un certain nombre d’enregistrements révélaient bien l’existence d’un plan du gouvernement visant à contrôler les médias au Portugal ; par conséquent, il fit droit à la demande du DIAP à cet égard (paragraphe 13 ci-dessus).

15. Le 7 juillet 2009, le DIAP transmit l’enregistrement de communications téléphoniques du requérant, tenues entre le 25 juin 2009 et le 2 juillet 2009, aux mêmes fins que précédemment. Il demanda par ailleurs, au titre de l’article 188 § 6 alinéa b) du CPP, la destruction des supports techniques contenant des enregistrements non pertinents pour l’enquête pénale qui figuraient dans le dossier.

16. Le 8 juillet 2009, après avoir pris connaissance du contenu des enregistrements de ces conversations téléphoniques, le JIC ordonna la transcription de ceux qu’il jugeait pertinents pour l’enquête pénale et le versement des supports techniques y relatifs dans le dossier. Il décida, en outre, de garder dans le dossier d’enquête ceux qui n’étaient pas pertinents, conformément à l’article 188 § 12 du CPP, et d’éliminer les supports techniques contenant des conversations avec un avocat, en application de l’article 188 § 6 alinéa b) du CPP. Il ordonna enfin l’extraction d’une copie certifiée conforme des enregistrements pertinents aux fins d’une éventuelle enquête pour atteinte à l’État de droit.

17. Le 16 juillet 2009, le DIAP transmit au JIC l’enregistrement de conversations téléphoniques tenues entre le 3 et le 13 juillet 2009 dans lesquelles intervenaient le requérant ou A.V.

18. Le 20 juillet 2009, après avoir pris connaissance de leur contenu, le JIC ordonna le versement au dossier de l’enquête pénale des supports techniques contenant les conversations en cause et la transcription de ces conversations. Par ailleurs, conformément à l’article 188 § 12 du CPP, il ordonna le maintien dans le dossier des supports techniques contenant des conversations non pertinentes.

19. Le 4 août 2009, le DIAP adressa au JIC une autre demande concernant, entre autres, l’enregistrement de conversations téléphoniques tenues par le requérant entre le 23 juillet et le 2 août 2009. Il demandait au JIC d’ordonner l’extraction d’une copie des enregistrements aux fins de son versement à la procédure ouverte par le Procureur général de la République (paragraphe 10 ci-dessus).

20. Le 7 août 2009, le JIC fit droit à la demande du DIAP. Après avoir pris connaissance du contenu des enregistrements, il ordonna le versement au dossier de l’enquête pénale des supports contenant les conversations pertinentes ainsi que la transcription de ces conversations. Il décida que les supports non pertinents resteraient quant à eux dans le dossier conformément à l’article 188 § 12 du CPP. Le JIC ordonna enfin l’extraction des enregistrements pertinents concernant une éventuelle atteinte à l’État de droit.

21. Le 9 septembre 2009, toujours conformément à l’article 188 §§ 1, 4 et 7 du CPP, le DIAP transmit au JIC, entre autres, les enregistrements de conversations téléphoniques tenues par A.V. entre le 25 août et le 4 septembre 2009, et demanda au juge de les écouter, d’ordonner le versement au dossier d’enquête des enregistrements pertinents et la transcription de ces derniers.

22. Le 10 septembre 2009, le JIC fit droit à ces demandes et ordonna par ailleurs le maintien des enregistrements non pertinents dans le dossier.

23. Les 18 et 28 septembre 2009, faisant suite à deux demandes du DIAP des 16 et 24 septembre 2009 et après avoir pris connaissance du contenu de conversations téléphoniques tenues, entre autres, par A.V., le JIC considéra que les enregistrements en question n’étaient pas pertinents pour l’enquête pénale et ordonna le maintien des supports techniques correspondants dans le dossier conformément à l’article 188 § 12 du CPP.

24. Faisant droit à une demande du DIAP du 13 octobre 2009, le JIC ordonna, par une décision du 26 octobre 2009, l’extraction d’une copie certifiée conforme des supports techniques contenant les enregistrements de conversations du requérant et d’A.V.

b) La mise en examen du requérant

25. Le 28 octobre 2009, le requérant fut mis en examen (constituído arguido) dans le cadre de l’enquête pénale. Le 17 novembre 2009, il fut entendu en cette qualité par le juge d’instruction. Au terme de son audition, il déclara qu’il s’opposait à l’élimination de toute pièce du dossier contenant l’enregistrement de communications téléphoniques dans lesquelles il intervenait. Il arguait qu’il souhaitait connaître leur contenu afin de déterminer leur pertinence pour sa défense, conformément à l’article 188 § 8 du CPP.

c) Les décisions par lesquelles le président de la Cour suprême, agissant en qualité de juge d’instruction, ordonna la destruction d’éléments du dossier de l’enquête pénale

26. À des dates non précisées, le Procureur général de la République, agissant dans le cadre des compétences qui lui étaient conférées par l’article 4 § 1 a) du statut du ministère public et l’article 113 § 1 a) de la loi organique sur les tribunaux judiciaires (paragraphe 68 ci-dessous), informa le président de la Cour suprême des décisions que le JIC avait prises relativement à des éléments (produtos) qui contenaient l’enregistrement de conversations téléphoniques ou de messages électroniques échangés entre A.V. et le Premier ministre, J.S. (paragraphes 10, 12, 14, 16, 21 et 24 ci-dessus), et précisa que ces éléments n’étaient pas pertinents pour l’enquête en cause.

27. Le 3 septembre 2009, le 27 novembre 2009, le 26 janvier 2010 et le 18 juin 2010, le président de la Cour suprême, agissant en qualité de juge d’instruction, déclara, conformément à l’article 11 § 2 b) du CPP, que les décisions litigieuses du JIC portant sur tous les éléments qui contenaient des conversations téléphoniques ou des échanges de messages électroniques entre A.V. et le Premier ministre étaient frappées de nullité en vertu de l’article 119 alinéa e) du CPP (paragraphe 66 ci-dessous). Il décida de ne valider ni l’enregistrement des échanges litigieux, ni leur transcription, ni l’extraction de la copie conforme de ces enregistrements. Il ordonna ensuite, conformément à l’article 188 § 6 alinéa c) du CPP (paragraphe 66 ci-dessous), la destruction de tous les supports techniques contenant les enregistrements de conversations téléphoniques ou des échanges de messages électroniques entre A.V. et le Premier ministre au motif que ces éléments n’étaient pas pertinents pour l’enquête pénale et portaient atteinte aux droits du Premier ministre.

28. Le 19 janvier 2010, le JIC autorisa les accusés à consulter le dossier d’enquête, à l’exception des décisions relatives à l’extraction de copies certifiées conformes d’enregistrements aux fins d’autres enquêtes pénales qui se trouvaient couvertes par le secret de l’enquête (paragraphe 6 ci-dessus), ainsi que des éléments contenant les enregistrements d’écoutes téléphoniques dont l’élimination avait été ordonnée par le président de la Cour suprême (paragraphe 27 ci-dessus).

29. Dans une demande adressée le 8 février 2010 au procureur près le tribunal d’Aveiro, le requérant indiqua qu’il avait appris par la presse que des conversations téléphoniques dans lesquelles il intervenait avaient été utilisées aux fins de l’ouverture d’une enquête pénale pour atteinte à l’État de droit. Il demanda à avoir accès auxdites écoutes et déclara qu’il s’opposait à la destruction de toutes les écoutes qui avaient été autorisées par le JIC étant donné qu’elles pouvaient se révéler pertinentes pour sa défense, ce qu’il prétendait déterminer en y ayant accès.

30. Le 12 février 2010, le JIC débouta le requérant de sa demande.

31. Le 8 avril 2010, le Procureur général de la République demanda au JIC d’exécuter les décisions du président de la Cour suprême (paragraphe 27 ci-dessus).

32. Le 13 avril 2010, le requérant réitéra sa demande auprès du JIC en vue d’obtenir l’accès aux écoutes téléphoniques litigieuses qui figuraient dans le dossier. Arguant qu’il bénéficiait de ce droit en vertu de l’article 188 § 8 du CPP (paragraphe 66 ci-dessous), il demanda à ce que l’ordonnance du président de la Cour suprême ne fût pas exécutée.

33. Le 14 avril 2010, le JIC transmit la demande du requérant au président de la Cour suprême. Par ailleurs, il demanda aux procureurs et inspecteurs en charge de l’enquête pénale (paragraphe 5 ci-dessus) de lui remettre les CD originaux et toute copie contenant les enregistrements des conversations téléphoniques dans lesquelles intervenaient le Premier ministre et A.V. aux fins de l’exécution des décisions par lesquelles le président de la Cour suprême avait ordonné leur destruction (paragraphe 27 ci-dessus).

34. Le 15 avril 2010, le président de la Cour suprême rejeta la demande d’accès aux écoutes téléphoniques litigieuses formulée par le requérant. Il releva, premièrement, que les décisions ordonnant la destruction des enregistrements litigieux avaient acquis force de chose jugée. Il considéra, deuxièmement, que le requérant n’avait pas le droit d’accéder à ces enregistrements étant donné que ceux-ci n’étaient pas pertinents pour l’enquête et qu’ils étaient frappés de nullité. Il fit observer, troisièmement, que l’interception de la moitié de ces enregistrements avait été annulée par une décision du 3 septembre 2009 (paragraphe 27 ci-dessus), autrement dit alors que le requérant n’avait pas encore qualité d’accusé dans le cadre de l’enquête (paragraphe 25 ci-dessus). Le président de la Cour suprême ordonna ainsi l’exécution immédiate des décisions qu’il avait rendues au sujet des enregistrements litigieux.

35. Le 16 avril 2010, le JIC procéda à la destruction des CD versés au dossier d’enquête qui contenaient les enregistrements litigieux, conformément à la décision rendue par le président de la Cour suprême.

36. Le 27 octobre 2010, l’enquête pénale fut clôturée.

37. Le 26 novembre 2010, ayant découvert qu’il existait toujours dans le dossier d’enquête des CD contenant des enregistrements de conversations téléphoniques et des échanges de messages électroniques entre A.V. et le Premier ministre, le DIAP en informa, au titre des articles 187 à 190 du CPP (paragraphe 66 ci-dessous), le président de la Cour suprême afin qu’il statuât à cet égard dans le cadre de ses compétences découlant de l’article 11 § 2 b) du CPP, soulignant que ces éléments n’étaient pas pertinents pour l’enquête pénale.

38. Le 23 décembre 2010, après avoir vérifié leur contenu, le président de la Cour suprême considéra que les éléments en cause n’étaient pas pertinents pour l’enquête pénale et ordonna leur destruction conformément à l’article 188 § 6 c) du CPP.

39. La décision rendue par le président de la Cour suprême le 23 décembre 2010 fut portée à la connaissance du requérant le 29 décembre 2010. L’intéressé interjeta appel contre cette décision, voyant dans la destruction des pièces en question sans qu’il ait eu la possibilité de les consulter une atteinte à ses droits de la défense. Il soutenait aussi que l’interprétation de l’article 188 § 6 c) du CPP qui avait été faite au regard de l’article 32 §§ 1 et 8 de la Constitution (paragraphe 64 ci-dessous) était inconstitutionnelle, mais aussi contraire aux articles 6 § 1 et 8 de la Convention. Par une décision du président de la Cour suprême du 27 janvier 2011, le recours fut jugé irrecevable (paragraphe 42 ci-dessous).

  1. L’acte d’accusation

40. Le 22 octobre 2010, le parquet prononça l’acte d’accusation. Il inculpa le requérant du chef de trafic d’influence en se fondant notamment sur des enregistrements de conversations téléphoniques dans lesquelles l’intéressé intervenait. Il était reproché à ce dernier d’avoir reçu des sommes d’argent et d’avoir bénéficié d’un prêt non rémunéré en échange d’informations privilégiées obtenues auprès de son père, J.P. (paragraphe 5 ci-dessus), ou de décisions favorables aux entreprises de M.G. dans le cadre de procédures de passation de marchés publics et d’adjudication publique lancées par la REN.

  1. La demande d’ouverture de l’instruction et le renvoi du requérant en jugement

41. Le 9 décembre 2010, le requérant demanda l’ouverture de l’instruction contradictoire (instrução - contrôle judiciaire de l’enquête par le juge d’instruction[1]), soutenant que l’acte d’accusation était nul en ce qu’il se fondait sur des écoutes téléphoniques selon lui frappées de nullité puisque les enregistrements d’autres écoutes téléphoniques avait été détruits au cours de l’enquête. Dans sa demande, il plaidait que les décisions que le président de la Cour suprême avait rendues le 3 septembre 2009, le 27 novembre 2009, le 26 janvier 2010 et le 18 juin 2010 (paragraphe 27 ci-dessus) étaient aussi frappées de nullité car son droit au contradictoire n’avait selon lui pas été respecté.

42. La question de la nullité des décisions rendues par le président de la Cour suprême, que le requérant avait soulevée dans sa demande d’ouverture de l’instruction et dans sa demande du 29 décembre 2010 (paragraphe 39 cidessus), fut transmise au président de la Cour suprême qui, le 27 janvier 2011, la déclara irrecevable au motif qu’une décision prise au titre de l’article 11 § 2 b) du CPP n’était pas susceptible de recours. Au demeurant, il rappela que le requérant ne disposait pas du droit de prendre connaissance du contenu des enregistrements litigieux (paragraphe 27 ci-dessus) étant donné qu’il n’intervenait pas, en l’occurrence, dans les conversations en cause. Il releva par ailleurs que cette question avait déjà été tranchée par la décision, devenue définitive dans l’intervalle, qu’il avait rendue le 15 avril 2010 (paragraphe 34 ci-dessus).

43. Le requérant contesta, dans le cadre d’un recours devant le Tribunal constitutionnel, l’interprétation qui avait été faite de l’article 11 § 2 b) du CPP selon laquelle les décisions prises au titre de cette disposition n’étaient pas susceptibles de recours. Par un arrêt du 13 mars 2012, le Tribunal constitutionnel débouta le requérant de sa demande, concluant que l’interprétation litigieuse n’était pas frappée d’inconstitutionnalité. Pour aboutir à cette conclusion, le Tribunal constitutionnel tint compte du fait qu’une décision de renvoi en jugement confirmant un acte d’accusation n’était pas non plus susceptible de recours et que ceci n’avait pas été jugé attentatoire au droit à un recours.

44. Par une décision du 14 mars 2011, le juge d’instruction près le Tribunal central d’instruction criminelle (« le TCIC »)[2] rejeta l’argument tiré de la nullité de l’acte d’accusation (paragraphe 41 ci-dessus) et confirma ledit acte d’accusation, ordonnant le renvoi en jugement du requérant (despacho de pronúncia) pour trafic d’influence.

  1. Le mémoire en défense du requérant, le procès et le jugement du tribunal de Lisbonne du 5 septembre 2014

a) Le mémoire en défense du requérant

45. Le 4 novembre 2011, le requérant présenta son mémoire en défense (contestação) avec à l’appui une liste de vingt-deux témoins.

46. Dans son mémoire, il soutenait que l’acte d’accusation devait être considéré comme nul en ce qu’il se fondait sur des enregistrements de conversations téléphoniques alors que d’autres avaient été détruits en application de décisions du président de la Cour suprême, selon lui également nulles (paragraphe 27 ci-dessus). Il soulevait aussi une exception de nullité concernant la décision du 23 décembre 2010 par laquelle le président de la Cour suprême avait ordonné la destruction des pièces contenant l’enregistrement de communications téléphoniques au mépris, selon lui, de son droit au contradictoire (paragraphes 37 et 38 ci-dessus).

47. Quant aux faits, le requérant contestait avoir reçu des avantages matériels en échange de faveurs obtenues auprès de son père, président de la REN au moment des faits (paragraphe 5 ci-dessus). Il soutenait, au contraire, qu’il avait reçus des sommes à titre d’honoraires pour des services juridiques qu’il avait fournis aux entreprises de l’accusé principal, M.G. Il contestait aussi avoir bénéficié d’un prêt non rémunéré de M.G. contre des services, soutenant qu’il s’agissait en l’occurrence d’un prêt entre deux personnes privées qui n’était pas contraire à la loi.

b) Le procès

48. Le procès s’ouvrit le 8 novembre 2011. Au cours de 188 audiences, le tribunal entendit témoins, parties civiles et experts et se pencha sur les documents qui figuraient dans le dossier, notamment les transcriptions d’écoutes téléphoniques dans lesquelles intervenait le requérant.

49. Au cours d’une audience devant le tribunal, le 7 février 2014, le requérant soutint à nouveau que les preuves de l’accusation qui figuraient dans le dossier étaient frappées de nullité car elles consistaient essentiellement en des écoutes téléphoniques alors que d’autres avaient été détruites en exécution de plusieurs décisions du président de la Cour suprême (paragraphe 27 cidessus), avant même qu’il ait eu la possibilité de les consulter et de vérifier leur pertinence pour sa défense, ce qui était selon lui contraire à l’article 188 § 8 du CPP (paragraphe 66 ci-dessus).

50. Le même jour, le tribunal décida qu’il se prononcerait sur la question dans le cadre du jugement par lequel il statuerait sur l’affaire.

c) Le jugement du tribunal d’Aveiro du 5 septembre 2014

51. Le 5 septembre 2014, le tribunal d’Aveiro rendit son jugement.

52. Concernant le requérant, le tribunal rejeta tout d’abord l’argument tiré de la nullité de l’acte d’accusation. Il observa que cet argument avait déjà été rejeté par le juge d’instruction et que, en l’occurrence, eu égard à l’ouverture de l’instruction, l’objet du procès n’était plus l’acte d’accusation mais la décision du 14 mars 2011 par laquelle le juge d’instruction avait renvoyé le requérant en jugement (paragraphe 44 ci-dessus), décision à l’égard de laquelle l’intéressé n’avait invoqué aucune nullité. Il ajouta qu’en tout état de cause l’existence de preuves frappées de nullité n’entraînait pas la nullité de l’acte d’accusation.

53. S’agissant de la nullité des décisions du président de la Cour suprême ayant abouti à la destruction des enregistrements de conversations téléphoniques dans lesquelles intervenait le Premier ministre de l’époque, J.S., le tribunal releva que le requérant n’avait à aucun moment demandé à avoir accès aux enregistrements litigieux avant la clôture de l’enquête, comme l’y autorisait l’article 188 §§ 8 et 9 du CPP. Pour ce qui est des enregistrements détruits après la clôture de l’enquête (paragraphes 37-38 cidessus), le tribunal observa que le requérant n’intervenait pas dans ces échanges puisqu’il s’agissait de conversations téléphoniques ou d’échanges de SMS entre A.V. et le Premier ministre de l’époque, J.S. Le tribunal ajouta que le requérant n’indiquait pas en quoi ces écoutes auraient pu être pertinentes pour sa défense et se limitait à formuler son grief de façon abstraite et générale, sans préciser notamment à quel sujet il aurait pu faire l’objet desdits échanges entre A.V. et le Premier ministre.

54. Il estima que l’argument du requérant selon lequel l’accusé devait avoir accès aux pièces litigieuses avant leur destruction ne faisait aucun sens dès lors qu’en l’occurrence le rôle du juge d’instruction, en sa qualité de juge des libertés, était précisément de protéger les droits d’autrui relativement à des éléments sans rapport avec la procédure.

55. Sur l’action publique, le tribunal déclara le requérant coupable de trafic d’influence, en vertu de l’article 335 § 1 a) du code pénal (« le CP », paragraphe 61 ci-dessus) et le condamna à une peine de quatre ans d’emprisonnement. Il considéra établi que M.G., qui dirigeait plusieurs entreprises de traitement de déchets industriels, dont l’entreprise O., avait eu recours au requérant, en prétextant son recrutement comme avocat, afin que ce dernier fasse usage de l’influence qu’il avait sur son père, J.P., pour obtenir des informations privilégiées et assurer l’adjudication de marchés publics de traitement des déchets industriels produits par la REN en faveur de l’entreprise O. contre des contreparties matérielles, notamment des sommes d’argent et des prêts non rémunérés. Selon le tribunal, le requérant avait quant à lui profité de sa relation avec son père pour obtenir des informations privilégiées, non accessibles à d’autres, concernant des consultations et des procédures de passation de marchés publics et d’adjudication publique prêts à être lancés par la REN dans le secteur de la gestion des déchets industriels.

56. Il conclut que les faits établis relevaient bien du trafic d’influence, M.G. ayant agi en qualité d’acheteur d’influence et le requérant en qualité de vendeur d’influence.

57. Le tribunal releva que les échanges entre M.G. et J.P. se faisaient par l’intermédiaire du requérant et qu’ils restaient secrets. À cet égard, il observa que les cadres de la REN avaient déclaré au tribunal qu’ils ignoraient l’existence de tels échanges. Il en déduisit que les concertations entre M.G. et le requérant avaient été faites à la marge des procédures de passation de marchés publics et d’adjudication publique, afin d’obtenir des décisions illégales favorables à M.G. et à l’entreprise O.

58. Pour justifier la condamnation du requérant, le tribunal tint compte des éléments de preuve suivants :

- un rapport d’expertise financière rendant compte des importants flux d’argent entre le principal accusé, M.G., et le requérant entre le 31 janvier 2006 et octobre 2009 ;

- le témoignage de l’expert financier qui avait rédigé ce rapport financier ;

- le témoignage du coaccusé N. C. qui avait relaté que le requérant avait été recruté par M.G. pour travailler au sein de l’entreprise O., qu’il disposait d’informations privilégiées sur la REN en raison de ses liens avec son père, J.P., et, qu’il n’exerçait pas des fonctions d’avocat mais en réalité des fonctions de médiation entre l’entreprise O. et la REN.

- un rapport d’audit rendant compte de l’ampleur des relations contractuelles entre la REN et l’entreprise O. ;

- le témoignage de nombreux cadres de la REN ;

- les écoutes téléphoniques sur le requérant qui avaient été versées au dossier de l’enquête pénale, confirmant que ce dernier avait été recruté par M.G. uniquement en raison de ses liens avec J.P. et afin d’obtenir des informations privilégiées de la REN et des décisions favorables dans le cadre de marchés publics.

  1. L’appel du requérant et l’arrêt de la cour d’appel de Porto du 5 avril 2017

a) L’appel du requérant

59. Le 7 novembre 2014, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Porto. En premier lieu, il contesta l’appréciation qui avait été faite par le tribunal au sujet des exceptions de nullité qu’il avait soulevées concernant la destruction des enregistrements obtenus dans le cadre d’écoutes téléphoniques. En deuxième lieu, il contesta la qualification des faits pour lesquels il avait été condamné, plaidant que les prêts non rémunérés qui lui avaient été accordés par M.G. ne pouvaient être considérés comme des avantages matériels au sens de l’article 355 § 1 du CP. Il soutenait aussi que l’infraction n’était constituée que lorsqu’il y avait eu abus d’influence par des moyens contraignants ou agressifs, ce qui n’était selon lui pas le cas.

b) L’arrêt de la cour d’appel de Porto du 5 avril 2017

60. La cour d’appel de Porto rendit le 5 avril 2017 un arrêt qui fut porté à la connaissance du requérant le 12 avril 2017. Elle y confirmait la condamnation de l’intéressé à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour trafic d’influence, ainsi que l’analyse qui avait été faite par le tribunal au sujet des enregistrements de conversations téléphoniques.

61. Concernant la destruction des enregistrements litigieux, la cour d’appel se prononça notamment comme suit :

« (...) Le régime de la destruction d’éléments provenant d’écoutes téléphoniques, énoncé à l’article 188 § 6 du CPP, fait prévaloir la protection des droits fondamentaux des personnes concernées par ces écoutes sur le principe du contradictoire. Il amène le juge d’instruction, en tant que juge des libertés, à mettre en balance les exigences des éventuels droits de la défense de l’accusé avec les droits des personnes placées sur écoute et dont les droits fondamentaux sont ainsi atteints. Aussi, cette mise en balance peut l’amener à faire prévaloir les droits de ces dernières de façon absolue en considérant que les conversations en cause n’ont aucun intérêt pour l’enquête en cours (ainsi, dans de tels cas, il n’existera même pas de conflit d’intérêts). Cette appréciation est faite sans que l’accusé ne soit entendu précisément parce qu’une telle audition viendrait compromettre la sauvegarde de ce qu’on l’on prétend protéger : en effet, si l’accusé avait accès à ces éléments relatifs aux écoutes, l’atteinte à la vie privée que la destruction prétend éviter serait un fait accompli (...). Le législateur fait donc confiance au jugement du « juge des libertés » même si la destruction a des effets irréversibles (comme dans la présente espèce). L’alternative serait de faire dépendre la protection des droits fondamentaux de personnes affectées par les écoutes de ce que l’accusé considère, de manière arbitraire, comme pouvant être utile à sa défense. Ce régime et l’interprétation qui en est faite sont aujourd’hui considérés comme constitutionnels par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel. En outre, ils ne sont pas contraires à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il n’est donc pas pertinent (ni possible) de savoir maintenant si les droits de la défense de l’accusé ont été enfreints par la décision du juge d’instruction (dans le cas présent, le président de la Cour suprême) ayant ordonné la destruction des éléments contenant les écoutes téléphoniques en cause. Il suffit que le juge en question ait considéré qu’une telle atteinte n’était pas établie et qu’il ait ordonné la destruction litigieuse afin de sauvegarder les droits des personnes ciblées par de telles écoutes, comme l’y autorise l’article 188 § 6 du CPP.

(...) »

62. S’agissant de la qualification des faits, la cour d’appel de Porto considéra que l’obtention de prêts non rémunérés constituait bien un avantage matériel. Elle rejeta aussi l’argument du requérant relativement à l’abus d’influence et estima qu’à l’instar d’autres infractions pénales, telles que l’abus sexuel ou l’abus de pouvoir, l’abus d’influence n’impliquait pas nécessairement le recours à des moyens contraignants ou agressifs. Elle déclara qu’une interprétation contraire réduirait la portée de l’infraction.

  1. Développements postérieurs

63. Le requérant purge sa peine d’emprisonnement depuis le 15 décembre 2020.

  1. Le cadre juridique pertinent
    1. La Constitution

64. En ses parties pertinentes, l’article 32 de la Constitution de la République portugaise, intitulé « Garanties de la procédure pénale », dispose ce qui suit :

« 1. La procédure pénale garantit tous les droits de la défense et comporte des voies de recours.

(...)

8. Sont frappées de nullité toutes les preuves obtenues (...) en violation du droit au respect de la vie privée (...), du droit au respect de la correspondance et des télécommunications.

(...) »

  1. Le code pénal

65. Au moment des faits, l’article 335 § 1 a) du CP était ainsi libellé :

« Toute personne qui, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, avec son consentement ou son accord explicite, demande ou accepte, pour elle-même ou pour un tiers, un avantage matériel ou non, ou la promesse d’un tel avantage, en échange de l’exercice abusif de son influence réelle ou prétendue auprès d’une entité publique encourt :

a) une peine de six mois à cinq ans d’emprisonnement, sauf si une peine plus sévère est prévue par une autre disposition légale, lorsque le but recherché est l’obtention d’une décision favorable illégale ;

(...) »

  1. Le code de procédure pénale

66. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi no 48/2007 du 29 août 2007, se lisent comme suit :

Article 11

Compétence de la Cour suprême

« (...)

2. Il est de la compétence du président de la Cour suprême, en matière pénale :

(...)

b) d’autoriser l’interception, l’enregistrement et la transcription de conversations ou de communications dans lesquelles interviennent le président de la République, le président du Parlement ou le Premier ministre, et d’en décider l’élimination au titre des articles 187 à 190 ;

(...)

3. Il est de la compétence des chambres criminelles de la Cour suprême, en matière pénale :

a) de juger le président de la République, le président du Parlement ou le Premier ministre pour les crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions ;

(...) »

Article 119

Nullités irréparables

« Les nullités suivantes sont irréparables (nulidades insanáveis) et doivent être relevées d’office à tout stade de la procédure, en sus de celles prévues par d’autres dispositions légales :

(...)

e) la méconnaissance des règles de compétence du tribunal (...) ;

(...) »

Article 187
Admissibilité [écoutes téléphoniques]

« 1. L’interception et l’enregistrement de conversations ou de communications téléphoniques ne peuvent être utilisés pendant une enquête que s’il existe des raisons de croire que cette mesure est indispensable à la découverte de la vérité ou si la preuve serait, d’une autre façon, impossible ou très difficile à obtenir ; ils sont autorisés par une ordonnance motivée du juge d’instruction et sur demande du ministère public, lorsqu’il s’agit d’infractions :

a) punies d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale supérieure à trois ans ;

b) relatives au trafic de stupéfiants ;

c) de détention d’arme interdite ou de trafic d’armes ;

d) de contrebande ;

e) d’injure, menace, contrainte, intrusion dans la vie privée ou perturbation de la paix et de la tranquillité, lorsqu’elles sont commises par la voie téléphonique ;

f) de menace de commission d’une infraction ou d’abus et simulation de signes de danger ; ou

g) d’évasion, lorsque l’accusé a été condamné à une des infractions prévues aux points précédents.

(...)

4. L’interception et l’enregistrement (...) ne peuvent être autorisés (...) qu’à l’égard de :

a) un suspect ou une personne mise en examen ;

b) une personne utilisée comme intermédiaire, par rapport à laquelle il existe des raisons fondées de croire qu’elle reçoit ou transmet des messages destinés à un suspect ou à une personne mise en examen ou provenant d’un suspect ou d’une personne mise en examen ou ;

c) la victime d’une infraction, avec son consentement (...).

5. L’interception et l’enregistrement de conversations ou de communications entre une personne mise en examen et son défenseur sont interdits, sauf si le juge a des raisons fondées de croire qu’elles constituent l’objet ou un élément de l’infraction.

(...)

7. Sans préjudice de ce qui est prévu à l’article 248, l’enregistrement de conversations ou de communications ne peut être utilisé dans une autre procédure, en cours ou qui pourrait être ouverte, que s’il résulte de l’interception d’un moyen de communication utilisé par une personne indiquée au paragraphe 4 et dans la mesure où il est indispensable pour prouver une des infractions figurant au paragraphe 1.

8. Dans les cas prévus au paragraphe précédent, les supports techniques des conversations ou des communications et les ordonnances qui ont autorisé les interceptions par lesquelles celles-ci ont été obtenues sont versés, par ordonnance judiciaire, au dossier de la procédure dans laquelle ils doivent être utilisés comme élément de preuve, une copie devant en être extraite si nécessaire. »

Article 188
Formalités des opérations [écoutes téléphoniques]

« 1. L’organe de police criminelle qui effectue l’interception et l’enregistrement, auxquels se réfère l’article précédent dresse un procès-verbal (auto) et élabore un rapport dans lequel il indique les passages pertinents à titre de preuve, en décrit de façon succincte le contenu et explique leur portée (alcance) pour la découverte de la vérité.

2. Ce qui est indiqué au paragraphe précédent n’empêche pas l’organe de police criminelle qui procède à l’investigation de prendre connaissance du contenu de toute communication interceptée afin de pouvoir pratiquer les actes conservatoires nécessaires et urgents pour préserver les moyens de preuve.

3. L’organe de police criminelle indiqué au paragraphe 1 porte à la connaissance du ministère public, tous les quinze jours à partir de la première interception effectuée dans la procédure, les supports techniques correspondants ainsi que les procès-verbaux et les rapports.

4. Le ministère public porte à la connaissance du juge les éléments indiqués au paragraphe précédent dans un délai maximum de quarante-huit heures.

5. Pour prendre connaissance du contenu de conversations ou de communications, le juge est assisté, lorsqu’il l’estime nécessaire, d’un organe de police criminelle et nomme, si nécessaire, un interprète.

6. Sans préjudice de ce qui est prévu au paragraphe 7 de l’article précédent, le juge ordonne la destruction immédiate des supports techniques et des rapports manifestement étrangers à la procédure :

a) qui concernent des conversations où ne sont pas intervenues les personnes indiquées au paragraphe 4 de l’article précédent ;

b) qui portent sur des domaines couverts par le secret professionnel, le secret de la fonction publique ou le secret d’État ; ou

c) dont la divulgation peut porter gravement atteinte aux droits, libertés et garanties.

Tous les intervenants sont tenus au secret relativement aux conversations dont ils ont pris connaissance.

7. Pendant l’enquête, le juge ordonne, à la demande du ministère public, la transcription et le versement au dossier des conversations et communications indispensables à l’application d’une mesure de contrainte (medida de coacção) ou d’une garantie patrimoniale, autre que le contrôle judiciaire.

8. À partir de la clôture de l’enquête, l’auxiliaire du ministère public (assistente) et l’accusé peuvent examiner les supports techniques des conversations ou communications et obtenir, à leurs frais, la copie des passages qu’ils entendent transcrire afin de les verser au dossier de la procédure, ainsi que les rapports mentionnés au paragraphe 1, jusqu’à l’expiration des délais prévus respectivement pour solliciter l’ouverture de l’instruction ou présenter un mémoire en défense.

9. Seules peuvent valoir comme preuve les conversations ou communications :

a) dont le ministère public demande la transcription à l’organe de police criminelle qui a effectué l’interception et l’enregistrement et qu’il indique comme moyen de preuve dans l’acte d’accusation ;

b) que l’accusé transcrit à partir des copies prévues au paragraphe précédent et qu’il annexe à sa demande d’ouverture de l’instruction ou à son mémoire en défense ;

(...)

11. Les personnes dont les conversations ou communications ont été écoutées et transcrites peuvent examiner les supports techniques les contenant jusqu’à la clôture de l’audience [devant le tribunal de première instance].

12. Les supports techniques contenant des conversations ou des communications n’ayant pas été transcrites pour valoir comme moyen de preuve sont conservés dans une enveloppe scellée (...) et détruits lorsque la décision ayant mis un terme à la procédure a acquis force de chose jugée.

(...) »

Article 268

Actes relevant de la compétence du juge d’instruction

« 1. Au cours de l’enquête, il est de la compétence exclusive du juge d’instruction de :

a) procéder au premier interrogatoire judiciaire d’un accusé détenu ;

b) procéder à l’application d’une mesure de contrainte ou de garantie patrimoniale (...) ;

c) procéder aux perquisitions et saisies dans un cabinet d’avocats, un cabinet médical ou un établissement bancaire (...) ;

d) prendre connaissance en premier lieu de la correspondance saisie au titre de l’article 179 § 3 ;

e) déclarer la perte, en faveur de l’État, de tout bien saisi en cas de classement sans suite d’une affaire par le ministère public (...) ;

f) réaliser tout acte expressément réservé par la loi au juge d’instruction.

2. Le juge accomplit les actes indiqués au paragraphe précédent, à la demande du ministère public, de l’autorité de la police criminelle en cas d’urgence ou risque de retard, de l’accusé ou de l’auxiliaire du ministère public.

(...) »

Article 269

Actes devant être ordonnés ou autorisés par le juge d’instruction

« 1. Au cours de l’enquête, il est de la compétence exclusive du juge d’instruction d’ordonner ou d’autoriser :

a) la réalisation d’expertises (...) ;

b) la réalisation d’examens (...) ;

c) les perquisitions à domicile en application et dans les limites de l’article 177 ;

d) la saisie de correspondance en application de l’article 179 § 1 ;

e) l’interception, l’enregistrement ou la transcription de conversations ou de communications en application des articles 187 et 189 ;

f) la réalisation de tout acte dont la loi prévoit qu’il doit être ordonné ou autorisé par le juge d’instruction.

(...) »

  1. Autres dispositions pertinentes

67. Le Procureur général de la République représente le ministère public auprès de la Cour suprême (article 4 § 1 a) du statut du ministère public et article 113 § 1 a) de la loi organique sur les tribunaux judiciaires, tels qu’en vigueur au moment des faits).

GRIEFS

68. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soutient que la procédure pénale à l’issue de laquelle il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement n’a pas été équitable dès lors que ses droits de la défense tels que garantis par l’article 6 § 3 b) de la Convention n’ont pas été respectés. Il allègue que les enregistrements des communications téléphoniques obtenues dans le cadre d’écoutes téléphoniques ont eu un poids décisif sur sa condamnation et qu’il n’a pas eu accès à certains enregistrements d’autres communications téléphoniques, autorisés par le JIC et versés au dossier, qui auraient pu servir pour sa défense si leur destruction n’avait pas été ordonnée par le président de la Cour suprême qui a estimé qu’ils étaient frappés de nullité (paragraphes 26 et 38 ci-dessus). Par ailleurs, le requérant soutient que le processus décisionnel qui a abouti aux décisions litigieuses n’a pas été équitable. Il fait observer, premièrement, que les décisions que le président de la Cour suprême a rendues ne lui ont pas été notifiées afin qu’il puisse se prononcer à leur égard, et voit dans cette omission une violation du principe du contradictoire et de son droit de se défendre, alors même qu’il avait déclaré dès sa mise en examen qu’il s’opposait à la destruction de tout enregistrement de communications téléphoniques obtenu dans le cadre d’écoutes téléphoniques. Il soutient, deuxièmement, que le président de la Cour suprême a excédé les compétences qui lui étaient conférées par l’article 11 § 1 b) du CPP et manqué à son devoir d’indépendance et d’impartialité. Il allègue, troisièmement, que ce dernier a omis de motiver ses décisions et statué sans ménager un juste équilibre entre les droits du Premier ministre et ses droits de la défense. Il plaide, quatrièmement, que les juges ayant statué en première instance ont eu accès à des enregistrements d’écoutes qui figuraient dans le dossier alors que leur destruction avait été ordonnée par le président de la Cour suprême et que lui-même n’y a pas eu accès. Il y voit une violation du principe de l’égalité des armes.

69. Invoquant l’article 7 § 1 de la Convention, le requérant soutient, par ailleurs, qu’il a été condamné sur la base d’une disposition légale qui manquait de prévisibilité. Il plaide que les juridictions internes l’ont condamné en faisant une interprétation vague de « l’abus d’influence » prévu à l’article 335 § 1 du CP, sans opérer de distinction avec l’usage normal et légitime de l’influence dans le cadre de toute activité de lobbying qu’il pouvait être amené à exercer au bénéfice des entreprises de M.G. pour lesquelles il travaillait comme avocat.

EN DROIT

  1. Sur le grief fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention

70. Le requérant allègue que la procédure pénale menée contre lui n’a pas été équitable parce qu’il n’a pu avoir accès aux écoutes téléphoniques dont la destruction avait été ordonnée par le président de la Cour suprême à l’issue d’une procédure selon lui également inéquitable. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention.

71. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 33, série A no 247-B). Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], no 37685/10 et 22768/10, § 124, 20 mars 2018) et, eu égard aux circonstances de l’espèce, elle juge superflu d’examiner séparément sous l’angle du paragraphe 3 b) les allégations du requérant, celles-ci s’analysant en un grief selon lequel l’intéressé n’a pas bénéficié d’un procès équitable. Aussi se bornera-t-elle à examiner la question de savoir si, considérée dans son ensemble, la procédure a revêtu un caractère équitable (Edwards, précité, § 34) conformément à l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, (...), qui décidera (...), soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...). »

  1. Principes généraux

72. La Cour rappelle que l’équité d’un procès pénal doit être assurée en toutes circonstances. Toutefois, la définition de la notion de procès équitable ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais elle est, au contraire, fonction des circonstances propres à chaque affaire. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 120, 9 novembre 2018, et les nombreuses références qui y sont citées). Pour ce faire, elle peut prendre en considération le poids de l’intérêt public qu’il y avait à poursuivre l’infraction concernée et à punir son auteur et le mettre en balance avec l’intérêt que l’individu avait à ce que les preuves à charge soient recueillies légalement. Néanmoins, les préoccupations d’intérêt général ne sauraient justifier des mesures vidant de leur substance même les droits de la défense d’un requérant (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 97, CEDH 2006 IX).

73. La Cour rappelle que tout procès pénal, y compris ses aspects procéduraux, doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense : c’est là un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable. Le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie (Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, § 51, 16 février 2000, Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 60, CEDH 2000‑II, Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 44, CEDH 2000‑II, Edwards et Lewis c. Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 et 40461/98, §§ 46 et 48, CEDH 2004‑X, et Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 146, CEDH 2005‑IV). De surcroît, l’article 6 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge (Fitt, précité, § 44).

74. Cela étant, le droit à la divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu. Dans une procédure pénale donnée, il peut y avoir des intérêts concurrents – tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions – qui doivent être mis en balance avec les droits de l’accusé. Dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense afin de préserver les droits fondamentaux d’un autre individu ou de sauvegarder un intérêt public important. Toutefois, seules sont légitimes au regard de l’article 6 § 1 les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires. De plus, si l’on veut garantir un procès équitable à l’accusé, toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (Jasper, précité, § 52, Rowe et Davis, précité, § 61, Fitt, précité, § 45, Edwards et Lewis, précité, §§ 46 et 48, et Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 107, CEDH 2015).

75. La Cour rappelle, par ailleurs, que lorsque des preuves ont été dissimulées à la défense au nom de l’intérêt public, il ne lui appartient pas de dire si pareille attitude était absolument nécessaire car, en principe, c’est aux juridictions internes qu’il revient d’apprécier les preuves produites devant elles (Fitt, précité, § 46). La Cour a quant à elle pour tâche de contrôler si le processus décisionnel appliqué dans un cas donné a satisfait autant que possible aux exigences du contradictoire et de l’égalité des armes et était assorti de garanties aptes à protéger les intérêts de l’accusé (Previti c. Italie (déc.), no 45291/06, § 180, 8 décembre 2009).

76. La Cour n’a ainsi pas à se prononcer sur l’admissibilité de principe de tel ou tel type d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne, ou encore sur la culpabilité du requérant. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’« illégalité » en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 89, 10 mars 2009, Lee Davies c. Belgique, no 18704/05, § 41, 28 juillet 2009, et Prade c. Allemagne, no 7215/10, § 33, 3 mars 2016).

  1. Application de ces principes à la présente espèce

77. En l’espèce, le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès à des éléments du dossier de l’enquête pénale qui contenaient des enregistrements d’écoutes téléphoniques obtenues dans le cadre de cette enquête, dont il allègue qu’ils auraient pu servir pour sa défense (paragraphe 68 ci-dessus).

78. La Cour note qu’il s’agissait d’enregistrements de communications téléphoniques ou de messages électroniques entre le coaccusé A.V. et le Premier ministre de l’époque, J.S. (paragraphes 9 et 26-27 ci-dessus), et que le requérant a été empêché de prendre connaissance de ces éléments parce qu’ils avaient été considérés comme frappés de nullité et supprimés en exécution de cinq décisions rendues par le président de la Cour suprême le 3 septembre 2009, le 27 novembre 2009, le 26 janvier 2010, le 18 juin 2010 et le 23 décembre 2010 (paragraphes 27 et 38 ci-dessus). Elle observe qu’en l’occurrence ce dernier avait statué en qualité de juge d’instruction en vertu de l’article 11 § 2 b) du CPP qui lui conférait les compétences du juge d’instruction énoncées aux articles 187 à 190 du CPP en matière d’écoutes téléphoniques impliquant le Premier ministre (paragraphe 66 ci-dessus).

79. Comme elle l’a relevé dans l’arrêt Sérvulo & Associados – Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal (no 27013/10, § 109, 3 septembre 2015), la Cour observe qu’en droit portugais, dans toute enquête pénale, le ministère public est l’autorité qui dirige l’enquête et qui établit l’acte d’accusation, le juge d’instruction n’intervenant que pour autoriser certains actes de procédure ou pour contrôler leur régularité conformément aux articles 268 et 269 du CPP (paragraphe 66 ci-dessus). Dans le cadre de toute enquête pénale, le juge d’instruction intervient donc comme garant des libertés, à l’instar du juge des libertés et de la détention en France (ibidem, § 109).

80. Pour les besoins de la présente espèce, la Cour note plus particulièrement que c’est au juge d’instruction qu’il incombe :

- d’autoriser l’interception de communications téléphoniques dans le cadre d’une enquête pénale aux termes de l’article 269 § 1 e) du CPP (paragraphe 66 ci-dessus) ;

- de vérifier si les conditions établies à l’article 187 §§ 1 et 4 du CPP ont été respectées ;

- de décider si les supports techniques contenant les enregistrements de communications téléphoniques sont pertinents pour l’application d’une mesure de contrainte et, dans ce cas, si ceux-ci doivent être transcrits et versés au dossier de l’enquête pénale, en vertu de l’article 188 § 7 du CPP.

81. La Cour note enfin que c’est aussi au juge d’instruction qu’il revient de statuer en ce qui concerne la destruction de tous les supports techniques étrangers à la procédure contenant notamment des conversations couvertes par le secret professionnel ou dont la divulgation pourrait porter atteinte aux droits et libertés d’autrui, conformément à l’article 188 § 6 du CPP (paragraphe 66 ci-dessus). C’est donc à ce titre que le président de la Cour suprême a ordonné, en l’espèce, la destruction de tous les éléments du dossier qui contenaient des communications téléphoniques ou des échanges de messages électroniques dans lesquels intervenait le Premier ministre.

82. La Cour relève que le président de la Cour suprême a fondé ses décisions sur le fait que, d’une part, les décisions qui avaient été prises par le JIC étaient frappées de nullité pour défaut de compétence aux termes de l’article 119 alinéa e) du CPP (paragraphes 12, 14, 16, 21, 24 et 66 ci-dessus) et, d’autre part, les éléments litigieux n’étaient pas pertinents pour l’enquête en question et portaient atteinte aux droits du Premier ministre (paragraphe 27 ci-dessus).

83. Le requérant ne soutient pas que les éléments litigieux contenaient des preuves à charge dont il n’aurait pu avoir connaissance. Il allègue, en revanche, qu’ils contenaient peutêtre des preuves qui auraient pu être pertinentes pour sa défense, et que le président de la Cour suprême n’a pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts qui étaient en conflit. Aux yeux de la Cour, cette thèse reste toutefois hypothétique (comparer avec M c. PaysBas, no 2156/10, § 68, 25 juillet 2017 (extraits) et R.E. c. Suisse, no 28334/08, § 24, 22 avril 2014) et invérifiable puisque ces éléments n’ont jamais été révélés. Lorsque le tribunal d´Aveiro a rejeté l´argument du requérant tiré de la nullité de l´acte de l´accusation, il s´est expressément fondé sur cette omission (paragraphe 53 ci-dessus ; voir, a contrario, Matanović c. Croatie, no 2742/12, § 179, 4 avril 2017). La Cour ne saurait donc spéculer, dans la présente espèce, sur l’utilité des éléments de preuve en question pour la défense du requérant et sur la mise en balance opérée par le président de la Cour suprême, d’autant que le requérant n’a précisé ni au niveau interne (paragraphe 25, 29, 32, 39, 41, 49 et 59 ci-dessus) ni devant la Cour en quoi des conversations entre le coaccusé A.V. et le Premier ministre (paragraphe 26 ci-dessus) auraient pu être pertinentes pour contester les accusations de trafic d’influence formulées contre lui. La Cour ne peut donc que souscrire à l’analyse faite par les juridictions internes (paragraphes 53 et 61 ci-dessus) sur ce point.

84. La Cour rappelle qu’une procédure par laquelle la partie poursuivante pourrait décider elle-même ce qui est pertinent ou non pour l’affaire, et donc décider ce qui est à verser ou non dans le dossier pénal accessible à la défense et soumis à la juridiction de jugement, sans autres garanties procédurales pour les droits de la défense, ne saurait être compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (Natunen c. Finlande, no 21022/04, § 47, 31 mars 2009, et Matanović, précité, § 158). En l’espèce, le président de la Cour suprême n’intervenait pas comme organe d’accusation (voir, a contrario, Matanović, précité, §§ 183-184) mais en qualité de juge d’instruction, pour contrôler la légalité des écoutes téléphoniques et protéger les droits et libertés en cause. Il ne disposait pas du pouvoir d’ouvrir une enquête. La Cour estime que les allégations du requérant ne sont pas suffisamment étayées pour jeter le doute sur l’effectivité du contrôle que le président de la Cour suprême a exercé sur les mesures litigieuses en qualité de juge d’instruction (comparer avec Sérvulo & associados, précité, § 110) ou sur son indépendance ou impartialité. Elle est également d’avis qu’il ne lui appartient pas d’établir si le président de la Cour suprême a appliqué de manière incorrecte le droit interne, en l’occurrence l’article 11 § 2 b) du CPP.

85. S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée du principe du contradictoire dans le cadre de la procédure devant le président de la Cour suprême, la Cour partage l’analyse des juridictions internes selon laquelle accorder au requérant l’accès aux éléments litigieux pour qu’il puisse se prononcer quant à leur pertinence pour sa défense aurait été à l’encontre des fins qui justifiaient l’intervention du président de la Cour suprême au titre de l’article 11 § 2 alinéa b) du CPP, à savoir garantir les droits fondamentaux du Premier ministre et le respect de la légalité en matière d’écoutes téléphoniques (paragraphe 54 et 61 ci-dessus).

86. À titre surabondant, la Cour constate que la condamnation du requérant à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour trafic d’influence ne s’est pas uniquement fondée sur des écoutes téléphoniques qui avaient été versées au dossier de l’enquête pénale, mais également sur un ensemble de preuves, notamment un rapport d’expertise financière, les clarifications apportées par l’expert qui avait rédigé ce rapport, les déclarations faites par de nombreux témoins dont celles du coaccusé N.C. (paragraphes 55-58 ci-dessus). Or, le requérant ne soutient pas qu’il n’a pas pu exercer ses droits de défense par rapport à ces preuves à charge.

87. Eu égard à l’ensemble des observations et constatations qui précèdent, la Cour estime qu’on ne saurait conclure que la procédure pénale a enfreint son droit à un procès équitable.

88. Il s’ensuit que le grief fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

  1. Sur le grief fondé sur l’article 7 § 1 de la Convention

89. Le requérant soutient qu’il a été condamné pour trafic d’influence sur la base d’une disposition légale qui manquait de clarté et de prévisibilité, en violation de l’article 7 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

  1. Principes généraux

90. L’article 7 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé. Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines – « nullum crimen, nulla poena sine lege » – (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260A). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 78, CEDH 2013, Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, § 154, CEDH 2015, et Avis consultatif concernant l’applicabilité de la prescription aux poursuites, condamnations et sanctions pour des infractions constitutives, en substance, d’actes de torture [GC] demande no P16-2021-001, Cour de cassation arménienne,§ 67, 26 avril 2022).

91. Il découle du principe de la légalité des délits et des peines que la loi pénale doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment, de façon à être accessible et prévisible dans ses effets (G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 242, 28 juin 2018). Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef (Del Río Prada, précité, § 79, G.I.E.M. S.R.L. et autres, précité, § 242, et Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996V).

92. La tâche qui incombe à la Cour est, notamment, de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Del Río Prada, précité, § 80, et références citées).

93. La Cour réaffirme qu’il ne lui incombe pas normalement de se substituer aux juridictions internes. Elle a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect par les États contractants des engagements résultant pour eux de la Convention. Eu égard au caractère subsidiaire du système de la Convention, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, et si l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales est manifestement arbitraire (Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 189, CEDH 2010, et Vasiliauskas, précité, § 160). Plus généralement, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il appartient d’interpréter la législation interne (Rohlena c. République tchèque [GC], no 59552/08, § 51, CEDH 2015, et Jidic c. Roumanie, no 45776/16, § 83, 18 février 2020). Il en va de même lorsque le droit interne renvoie à des dispositions du droit international général ou d’accords internationaux (Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 72, CEDH 2008), ou que les juridictions nationales appliquent des principes de droit international (Kononov, précité, § 196, et Vasiliauskas, précité, § 160). La Cour rappelle en outre qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation et la qualification juridique des faits (Rohlena, précité, § 51) ou de se prononcer sur la responsabilité pénale individuelle du requérant (Kononov, précité, § 187).

94. Toutefois, la Cour rappelle qu’elle doit jouir d’un pouvoir de contrôle plus large lorsque le droit protégé par une disposition de la Convention, en l’occurrence l’article 7, requiert l’existence d’une base légale pour l’infliction d’une condamnation et d’une peine. L’article 7 § 1 exige de la Cour qu’elle recherche en l’espèce si la condamnation du requérant reposait à l’époque pertinente sur une base légale. En particulier, elle doit s’assurer que le résultat auquel ont abouti les juridictions internes compétentes était en conformité avec l’article 7 de la Convention, peu important à cet égard qu’elle adopte une approche et un raisonnement juridiques différents de ceux développés par celles-ci. L’article 7 deviendrait sans objet si l’on accordait un pouvoir de contrôle moins large à la Cour (Kononov, précité, § 198, Rohlena, précité, § 52, et Vasiliauskas, précité, § 161).

95. En somme, sur le terrain de l’article 7 § 1 de la Convention, la Cour doit rechercher si, au moment où elle a été commise, l’action de l’intéressé constituait une infraction définie avec suffisamment d’accessibilité et de prévisibilité par le droit interne ou le droit international (Korbely, précité, § 73, Kononov, précité, § 187, et Vasiliauskas, précité, § 162).

  1. Application de ces principes à la présente espèce

96. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été condamné à une peine d’emprisonnement pour trafic d’influence (paragraphe 55 ci-dessus). L’infraction était prévue par l’article 335 § 1 a) du CP (paragraphe 65 cidessus) qui sanctionne d’une peine d’emprisonnement quiconque abuse, en échange d’avantages matériels, de l’influence dont il dispose auprès d’une autorité publique. Aux yeux de la Cour, la condamnation du requérant se fondait sur une base juridique accessible et prévisible au sens de sa jurisprudence en la matière. Le requérant pouvait donc savoir que ses actions engageraient sa responsabilité pénale, d’autant plus qu’il exerçait au moment des faits la profession d’avocat (paragraphe 4 ci-dessus ; comparer avec Stoica c. France (déc.), no 46535/08, 20 avril 2010).

97. Par ailleurs, la Cour constate que l’acte d’accusation, confirmé par la suite par la décision de renvoi en jugement, décrivait les actes qui étaient reprochés à l’intéressé, lesquels rentraient dans le champ d’application de la disposition susmentionnée (paragraphes 40 et 44 ci-dessus). Ces actes ont ensuite été analysés par les juridictions internes qui ont jugé établi que, en échange d’avantages matériels qui lui avaient été procurés par M.G., le requérant avait agi auprès de son père, J.P., alors président du conseil d’administration de la REN, société à capital majoritairement public (paragraphe 5 ci-dessus), pour obtenir des informations privilégiées et des décisions favorables aux entreprises de M.G. dans des procédures de marchés publics et d’adjudication publique (paragraphes 55-56 et 62 ci-dessus).

98. S’agissant de l’argument du requérant fondé sur le fait que les actions qui lui étaient reprochées relevaient davantage de l’activité de lobbying que du trafic d’influence, la Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence constante, il n’entre pas dans ses attributions de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales, l’appréciation de la responsabilité pénale d’un requérant incombant en premier lieu aux juridictions internes (Vasiliauskas, précité, § 164, et les références qui y sont citées). En outre, elle relève que les juridictions internes ont jugé établi que les concertations entre le requérant et M.G. s’étaient faites dans le secret (paragraphe 57 ci-dessus) et non en toute transparence, comme cela est le cas de l’activité de lobbying.

99. Dans ces circonstances, la Cour est d’avis que le requérant a été condamné pour des actions qui, au moment où elles ont été commises, étaient bien constitutives d’une infraction d’après le droit national et qu’aucune apparence de violation de l’article 7 § 1 de la Convention ne saurait être décelée en l’espèce.

100. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 15 décembre 2022.

Ilse Freiwirth Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffière adjointe Présidente


[1] En ce qui concerne l’instruction contradictoire, voir le paragraphe 99 de l’arrêt Correia de Matos c. Portugal ([GC], no 56402/12, 4 avril 2018).

[2] En ce qui concerne le TCIC, voir le paragraphe 58 de l’arrêt Sérvulo & Associados – Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal (no 27013/10, 3 septembre 2015).