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Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 51531/14
Antonio MANFREDI
contre l’Italie
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 22 novembre 2022 en un comité composé de :
Péter Paczolay, président,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 51531/14 contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. A. Manfredi (« le requérant ») né en 1988 et résidant à Castrovillari (Cosence), représenté par Me N. Raffaelli, avocate à Catanzaro, a saisi la Cour le 4 juillet 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Cette affaire concerne l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre du requérant, militaire, pour désobéissance aggravée, à l’issue de laquelle celui-ci fut acquitté. Le requérant se plaint que cette procédure ait méconnu le principe ne bis in idem car une procédure disciplinaire le concernant basée sur les mêmes faits avait eu lieu auparavant.
2. Le 28 juin 2011, le requérant fut informé qu’une procédure disciplinaire avait été ouverte à son encontre en raison de ce que, le 31 mai 2011, il avait refusé, de manière irrespectueuse et provocatoire, d’apposer sa signature sur une contestation disciplinaire dérivant du fait qu’il avait omis de se raser. Il lui était également reproché d’être sorti du bureau dans lequel cet ordre lui était imparti, malgré la demande contraire de ses supérieurs hiérarchiques. Le requérant avait finalement signé la contestation litigieuse deux heures plus tard.
3. Le 26 août 2011, une sanction disciplinaire fut infligée au requérant en raison de ce qu’il avait exécuté avec négligence grave l’ordre qui lui avait été imparti par ses supérieurs. La punition y relative consistait en onze jours de retenue de rigueur (consegna di rigore). Pendant la durée de la punition, le requérant ne pouvait pas bénéficier de sa sortie libre et devait se présenter devant son supérieur du lundi au vendredi de 18h30 à 20h00 et à 22h00 et, les samedis et dimanches, à 10h00, 13h00, 16h00, 19h00 et 21h00. La punition fut exécutée. Cette mesure était disciplinée par l’article 1355 du décret législatif no 66 du 15 mars 2010 (« Code de l’ordre militaire ») et par le décret du Président de la République no 90 du 15 mars 2010 (« Texte unique des dispositions règlementaires en matière de système juridique militaire »), notamment par son article 451, qui liste les comportements punissables par la retenue de rigueur.
4. Le requérant présenta un recours hiérarchique afin d’obtenir l’annulation de la mesure qui lui avait été imposée. Par une décision du 16 décembre 2011, le Commandement de l’artillerie fit droit à sa demande et annula la mesure litigieuse. Il remarqua en particulier que le droit de défense du requérant, notamment sa possibilité d’accès au dossier et les délais pour exercer sa défense, avaient été violés. La sanction disciplinaire fut donc effacée du registre du requérant.
5. Par un jugement déposé le 20 février 2013, le tribunal militaire de Vérone condamna le requérant à une peine d’un mois et vingt jours de réclusion militaire pour désobéissance aggravée et continue en raison de son refus de signer, le 31 mai 2011, le document concernant la contestation disciplinaire qui lui était reprochée et du fait de quitter le bureau dans lequel cet ordre lui était imparti, en désobéissant à la demande contraire de ses supérieurs hiérarchiques.
6. Le requérant interjeta appel, faisant valoir, entre autres, la méconnaissance du principe ne bis in idem. Par un arrêt du 11 décembre 2013, la cour militaire d’appel acquitta le requérant. La cour d’appel, citant mutatis mutandis l’affaire Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, CEDH 2009), releva qu’il n’y avait pas eu de violation du principe ne bis in idem en l’espèce car la première procédure disciplinaire entamée à l’encontre du requérant, ayant eu lieu exclusivement devant des instances militaires et ne comportant pas l’application d’une sanction de la part d’un tribunal, n’était pas de nature pénale.
7. Invoquant l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, le requérant se plaint de la violation du principe ne bis in idem, estimant avoir été soumis à une procédure pénale deux fois pour les mêmes faits.
8. Invoquant les articles 8 et 13 de la Convention, il se plaint des effets négatifs que la procédure pénale entamée à son encontre a eu sur son droit au respect de sa vie privée et familiale.
9. À l’appui de l’article 6 § 1 de la Convention, il dénonce aussi, de manière générale, ne pas avoir bénéficié d’un tribunal indépendant et impartial devant les instances pénales.
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Pour ce qui est du grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, même en admettant que le requérant ait épuisé les voies de recours internes, ce dernier ne s’étant pas pourvu en cassation, la Cour estime que cette partie de la requête est de toute manière irrecevable pour les raisons qui suivent. Elle observe que la question préliminaire qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la sanction infligée au requérant à l’issue de la procédure disciplinaire entamée à son encontre, à savoir, les onze jours de retenue de rigueur, était une sanction de nature pénale.
11. Elle relève ensuite que cette classification repose sur trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Le premier de ces critères est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième est la nature même de l’infraction et, le troisième est le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé.
12. Pour ce qui est de l’autonomie de la notion de « matière pénale », il convient de rappeler que « la Convention permet sans nul doute aux États, dans l’accomplissement de leur rôle de gardiens de l’intérêt public, de maintenir ou établir une distinction entre droit pénal et droit disciplinaire ainsi que d’en fixer le tracé, mais seulement sous certaines conditions. (...) Si les États contractants pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire plutôt que de pénale, ou poursuivre l’auteur d’une infraction « mixte » sur le plan disciplinaire de préférence à la voie pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 se trouverait subordonné à la volonté souveraine des États. (...) Une latitude aussi étendue risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention. La Cour a donc compétence pour s’assurer, sur le terrain de l’article 6 et en dehors même des articles 17 et 18, que le disciplinaire n’empiète pas indûment sur le pénal » (voir Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande [GC], nos 68273/14 et 68271/14, § 76, 22 décembre 2020).
13. Quant au premier critère, dans le cas présent, il y a lieu de relever que la sanction infligée au requérant était de nature disciplinaire sur le plan interne. Cela ressort clairement des textes définissant l’infraction en cause, à savoir, la Code de l’ordre militaire et le Texte unique des dispositions règlementaires en matière de système juridique militaire (voir paragraphe 3 ci-dessus). Le premier critère Engel est toutefois d’un poids relatif et ne sert que de point de départ (ibid. § 85).
14. Pour ce qui est de la nature de l’infraction, la Cour observe que, dans le cas d’espèce il était reproché au requérant de ne pas avoir apposé sa signature sur une contestation disciplinaire pour avoir omis de se raser. La nature de l’infraction et la sanction y relative ne touchaient donc qu’une catégorie spécifique de la population, à savoir des militaires, et non pas un grand groupe de personnes.
15. Enfin, pour ce qui est du troisième critère, à savoir le degré de sévérité de la sanction, la Cour relève que celle-ci avait consisté en onze jours de retenue de rigueur (voir paragraphe 3 ci-dessus). La Cour relève que, selon les textes de droit interne applicables en l’espèce, l’infraction reprochée au requérant n’était punissable que par une retenue et ne pouvait pas faire l’objet d’une mesure de détention.
16. La Cour observe ensuite avoir conclu à plusieurs reprises à l’applicabilité de l’article 4 du Protocole no 7 estimant que, selon les critères établis dans l’arrêt Engel (précité), la sanction qui était en cause dans chaque espèce était de nature pénale. Néanmoins, ces affaires se différencient de la présente espèce. Notamment, dans l’affaire Mihalache c. Roumanie ([GC], no 54012/10, 8 juillet 2019) il s’agissait d’une sanction de détention ; dans l’affaire Sismanidis et Sitaridis c. Grèce (nos 66602/09 et 71879/12, 9 juin 2016) il était question d’une sanction comportant des conséquences patrimoniales importantes ; dans l’affaire A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, 15 novembre 2016), la classification de la sanction comme étant de nature pénale était opérée par le droit interne et, enfin, dans l’affaire Ruotsalainen c. Finlande (no 13079/03, 16 juin 2009), la mesure était dirigée à l’encontre de l’ensemble des citoyens et non pas d’une catégorie déterminée.
17. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que les décisions internes, notamment l’arrêt de la cour militaire d’appel du 11 décembre 2013, ont été dûment motivées et que la sanction faisant l’objet de la première procédure entamée à l’encontre du requérant était de nature disciplinaire et non pas pénale. Ainsi, l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce et cette partie de la requête doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
18. Concernant les griefs tirés des articles 6, 8 et 13 de la Convention (voir paragraphes 8 et 9 ci-dessus), la Cour estime que ceux-ci n’ont pas été suffisamment étayés et décide de les rejeter pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 15 décembre 2022.
Liv Tigerstedt Péter Paczolay
Greffière adjointe Président