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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.11.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 15743/19
Adeluța NICHIFOREL
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 22 novembre 2022 en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu :

la requête no 15743/19 contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Adeluța Nichiforel (« la requérante ») née en 1971 et résidant à Marginea, admise au bénéfice de l’assistance judiciaire et, représentée par Me A. Grigoriu, avocat à Bucarest, a saisi la Cour le 12 mars 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. Le 8 mars 2015, N.I., époux de la requérante, consulta le docteur C.F. à l’hôpital de Rădăuţi (« l’hôpital ») pour des symptômes viraux. C.F. diagnostiqua une pneumonie et prescrit des médicaments. Le Gouvernement expose que N.I. s’est ainsi vit prescrire un antibiotique, ce que la requérante ne conteste pas.

2. Le 9 mars 2015, N.I. consulta de nouveau C.F. car son état ne s’était pas amélioré. C.F. demanda une radiographie et décida ensuite de l’hospitaliser. Il lui prescrit deux antibiotiques. Les documents médicaux versés au dossier font apparaître qu’un test en vue d’identifier une éventuelle allergie aux antibiotiques a été pratiqué. La requérante le conteste vivement et allègue que le personnel médical avait demandé à son époux s’il était allergique aux antibiotiques et qu’il avait répondu qu’il ne savait pas. Il ressort également que, le 9 mars 2015, N.I. se vit injecter les antibiotiques à deux reprises, la première fois, par voie intraveineuse et, la seconde fois, par voie intramusculaire.

3. Dans la nuit du 9 au 10 mars 2015, l’état de santé de N.I. se détériora et B.L., le médecin de garde, décida son transfert à l’hôpital départemental de Suceava (« l’hôpital départemental ») qui disposait d’équipements supérieurs. En l’absence d’un équipage comportant un médecin, N.I. fut transféré dans une ambulance avec une infirmière (« équipage de Rădăuţi »). Un autre équipage comportant un médecin arriva à mi-chemin entre Rădăuţi et Suceava et lui appliqua les manœuvres de ressuscitation, sans succès. Le décès fut déclaré le 10 mars 2015.

4. Le même jour, la requérante formula une plainte pénale pour homicide involontaire. Elle dénonçait le décès de son époux, survenu, à son avis, dans des conditions suspectes lors du transfert par ambulance et avança que le décès était dû au choc anaphylactique survenu en raison de l’administration d’antibiotiques sans qu’un test d’allergie préalable fût pratiqué. Des poursuites pénales furent déclenchées le même jour.

5. La requérante ne se constitua pas partie civile. Devant la Cour, elle explique qu’elle entendait le faire pendant la procédure, comme le lui permettait le droit interne.

6. Le 13 mars 2015, une nécropsie fut pratiquée par un médecin légiste, à l’hôpital départemental, qui conclut que le décès avait été provoqué par une détresse respiratoire et un œdème pulmonaire, causés par une bronchopneumonie associée à de multiples pathologies antérieures (cardiaque, pancréatique et rénale). Des fragments de tissus furent prélevés en vue des examens histopathologique et toxicologique.

7. Le 20 octobre 2015, après avoir entendu la requérante et recueilli le rapport de nécropsie, le parquet mit en cause C.F. et B.L.

8. Le 29 janvier 2016, une commission de trois médecins légistes de l’institut de médecine légale de Iaşi rendit un rapport d’expertise. Ils avaient été invités à clarifier, notamment, si le décès de N.I. avait été provoqué par les médicaments administrés et si le traitement prescrit avait été adéquat. La commission disposait des résultats des examens histopathologique et toxicologique pratiqués auparavant (paragraphe 6 cidessus). Elle avait également recueilli l’opinion d’un pneumologue. Le rapport d’expertise confirma que la cause du décès avait été la détresse respiratoire provoquée par la bronchopneumonie et conclut qu’aucune des thérapies ou interventions réalisées n’avait contribué au décès et que la médication prescrite était correcte.

9. La requérante contesta ce rapport et demanda une nouvelle expertise pour clarifier si le décès était survenu en raison de l’administration d’antibiotiques et si l’administration d’un traitement incorrect pouvait conduire rapidement au décès. Le 15 mai 2017, les autorités en charge de l’enquête rejetèrent ces demandes au motif que les questions soulevées avaient déjà été clarifiées.

10. Entretemps, les autorités de l’enquête avaient procédé à l’audition des témoins, dont C.F. et B.L., les deux infirmières qui avaient administré les antibiotiques à N.I., l’équipage de l’ambulance de Rădăuţi ainsi que la personne qui avait partagé la chambre de l’hôpital avec N.I. Aucune de ces personnes ne purent donner des précisions concrètes quant à la réalisation d’un test d’allergie.

11. Le 19 mai 2017, le parquet classa l’affaire. Il écarta l’hypothèse avancée par la requérante selon laquelle le décès était dû à la réaction allergique aux antibiotiques comme non soutenue par les expertises médicolégales.

12. La requérante contesta le classement et réitéra ses allégations tirées de l’absence de test d’allergie. Elle faisait valoir qu’aucun des témoins entendus n’avaient pu clarifier qui avait réalisé ce test et quand.

13. Par une décision du 9 janvier 2019, le tribunal de première instance de Rădăuţi (« le tribunal ») confirma le classement, jugeant qu’il n’y avait pas de preuves ou d’indices qui pouvaient démontrer de manière raisonnable les faits d’homicide involontaire tels qu’incriminés par la loi. Le tribunal nota qu’il ne pouvait pas être établi avec certitude qu’un test d’allergie avait été pratiqué, mais jugea que toutes les preuves scientifiques, obtenues dans la procédure pénale et la procédure disciplinaire (paragraphes 14-15 cidessous), démontraient qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le décès de N.I. et les thérapies et les interventions réalisées à l’hôpital. Il conclut donc que la thèse de la requérante selon laquelle le décès était le résultat d’une faute médicale n’était pas soutenue par les éléments de preuve.

14. Entretemps, en mars 2015, la requérante avait également saisi l’ordre des médecins de Suceava d’une plainte pour dénoncer le décès de son époux. Les médecins C.F. et B.L. furent entendus. Le 19 octobre 2015, la commission de discipline de l’ordre de Suceava rejeta la plainte, estimant que C.F. n’avait pas commis d’erreur médicale.

15. Le 16 novembre 2018, saisie par la requérante, la commission supérieure de discipline de l’Ordre des médecins de Roumanie confirma cette décision, sur la base de documents médicaux et après avoir recueilli l’avis d’un professeur des universités. La commission observa que N.I. s’était vu administrer deux doses d’antibiotiques, ce qui écartait la thèse de l’allergie, car la réaction allergique apparaissait en général après la première injection et que les problèmes respiratoires apparus après la seconde injection étaient la conséquence de sa maladie. La commission conclut qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’administration des antibiotiques et le décès. S’agissant des accusations que la requérante soulevait contre l’hôpital, la commission jugea qu’elles ne relevaient pas de la compétence de l’Ordre des médecins, mais de l’autorité de santé publique de Suceava, compétente en vertu de la loi no 95/2006 portant réforme dans le domaine de la santé (« la loi no 95/2006 »)

16. La requérante n’a pas engagé une action civile séparée ou une action fondée sur la loi no 95/2006.

APPRÉCIATION DE LA COUR

17. Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante allègue que le décès de son époux a été provoqué par une erreur médicale qui n’a pas été sanctionnée.

18. Les principes applicables ont été résumés dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal, ([GC], no 56080/13, §§ 185-196 et 214-221, 19 décembre 2017).

19. Aucune question ne se pose sous le volet matériel de l’article 2 de la Convention (ibidem, §§ 185-196). L’époux de la requérante a été pris en charge et a bénéficié de soins médicaux et l’intéressée n’allègue pas d’ailleurs qu’il s’était vu refuser des soins. En outre, l’enquête interne n’a pas décelé d’erreurs de diagnostic ou de traitement (paragraphes 13 et 15 cidessus). La question de savoir si un test d’allergie a été réalisé, a été examinée et, même en l’absence d’une réponse certaine (paragraphe 13 cidessus), les autorités ont conclu que le décès n’avait pas été provoqué par une réaction allergique (paragraphes 13 et 15 ci-dessus). Cette question ne révèle aucun problème structurel du système de soins médicaux. En outre, la Cour ne saurait retenir l’argument de la requérante, présenté uniquement devant elle, selon lequel il n’y avait pas en l’occurrence un cadre réglementaire pour protéger la vie des patients et notamment la réalisation de tests d’allergie ou le transport en ambulance des malades.

20. La Cour recherchera dès lors si les autorités nationales ont respecté leur obligation procédurale de mener une enquête afin d’identifier et éventuellement punir les personnes responsables du décès. Elle n’examinera pas en détail l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement au motif que la requérante n’a pas engagé d’action en responsabilité civile parce que le grief est manifestement mal fondé pour les raisons suivantes.

21. La Cour note que la requérante a poursuivi seulement les procédures pénale et disciplinaire (paragraphe 16 ci-dessus). Son argument principal a été que le décès de son époux avait été provoqué par une réaction allergique. Or, il a été établi tant dans la procédure pénale que dans la procédure disciplinaire que le décès n’avait pas été provoqué par une réaction allergique, mais par les pathologies du patient (paragraphes 13 et 15 ci-dessus). L’affaire est donc différente de l’affaire Altuğ et autres c. Turquie (no 32086/07, § 78, 30 juin 2015). En l’espèce, l’enquête pénale a certes laissé un doute quant à la question de savoir si un test d’allergies avait été réalisé, mais il a été établi qu’il n’y avait pas eu de lien de causalité entre le décès et les thérapies et les interventions réalisées à l’hôpital (paragraphe 13 cidessus). La Cour ne saurait reprocher aux autorités de ne pas avoir dissipé ce doute dans la mesure où les éléments versés au dossier dont notamment les documents médicaux et les déclarations des témoins (paragraphes 2 et 10 ci-dessus) ne permettent pas de tirer des conclusions certaines. La requérante n’a d’ailleurs pas indiqué quels autres actes d’enquête les autorités étaient tenues de déployer à cet égard.

22. Les autorités de l’enquête pénale ont notamment procédé aux actes d’enquête habituels, en demandant la réalisation d’une expertise médicolégale et en procédant à l’audition des témoins. L’enquête s’est déroulée avec célérité et sa durée n’est pas mise en cause. La requérante y a été associée et elle a pu proposer des arguments et demander des preuves. Le rejet de ses demandes est motivé et n’apparaît pas arbitraire (paragraphe 9 cidessus). Devant la Cour, la requérante reproche aux autorités d’enquête d’avoir consigné les déclarations des témoins de manière stéréotypée et aux juridictions nationales de ne pas avoir censuré un tel procédé. Toutefois, il n’apparaît pas qu’elle ait soulevé cet argument devant le tribunal (paragraphe 12 ci-dessus). En tout état de cause, les déclarations des témoins n’ont pas apporté d’éléments certains quant à la réalisation du test d’allergie et le tribunal a noté que cette question demeurait incertaine (paragraphe 13 cidessus). La décision du tribunal est d’ailleurs fondée sur des éléments de preuve scientifiques obtenus dans les procédures pénale et disciplinaire (ibidem).

23. La requérante expose devant la Cour que l’enquête pénale n’a pas élucidé les conditions du transfert de son époux en ambulance alors que la gravité de la situation réclamait la présence d’un médecin (paragraphe 3 cidessus). Toutefois, il n’apparaît pas qu’elle ait soulevé cet argument devant le tribunal (paragraphe 12 ci-dessus). En outre, il a été suggéré à la requérante pendant la procédure disciplinaire que d’autres types de procédures étaient disponibles pour autant que la responsabilité de l’hôpital pouvait être mise en cause (paragraphe 15 cidessus). D’ailleurs, la Cour rappelle que, dans les affaires de simple négligence médicale, la voie civile est à privilégier (Scripnic c. République de Moldova, no 63789/13, § 31, 13 avril 2021, et les affaires qui y sont citées).

24. Dès lors, la Cour conclut que les autorités nationales ont mené une enquête pénale effective. Elle a permis d’identifier les causes du décès et d’écarter la thèse de la négligence médicale grave. L’absence d’une issue favorable à la requérante ne peut pas en elle-même conduire à la conclusion que l’État défendeur a failli à l’obligation positive qui lui incombe au titre de l’article 2 de la Convention (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 221).

25. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 15 décembre 2022.

Crina Kaufman Branko Lubarda
Greffière adjointe f.f. Président