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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.11.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 46216/16
Petre BASARABĂ
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 22 novembre 2022 en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu :

la requête no 46216/16 contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Petre Basarabă (« le requérant ») né en 1957 et résidant à Drobeta Turnu-Severin, représenté par Me A. Tudor, avocate à Suceava, a saisi la Cour le 29 juillet 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. Dans la nuit du 20 au 21 avril 2009, le requérant appela deux fois le service d’ambulances parce que son épouse accusait des maux de tête et des nausées. La première fois, les intéressés refusèrent l’hospitalisation. La seconde fois, l’infirmière venue sur place constata que la patiente était dans le coma. Cette dernière fut transportée d’urgence à l’hôpital de Drobeta TurnuSeverin (« l’hôpital ») où un neurologue établit le diagnostic de coma « probablement » dû à une hémorragie cérébrale. Le requérant sollicita le transfert en hélicoptère de son épouse à Bucarest, ce que l’équipe médicale lui déconseilla. Il insista et le transfert fut autorisé, en ambulance. À l’hôpital de Bucarest, le requérant sollicita une intervention chirurgicale, qui fut pratiquée le 22 avril 2009. Toutefois, le décès survint le 25 avril 2009.

2. Le 21 avril 2010, le requérant saisit le parquet d’une plainte pénale contre le personnel du service d’ambulances et celui de l’hôpital.

3. Le 13 juillet 2011, le parquet prononça un nonlieu pour les faits d’homicide involontaire et de négligence en service concernant le personnel de l’ambulance. Sur contestation du requérant, le tribunal de première instance de Drobeta Turnu-Severin (« le tribunal ») renvoya, le 14 décembre 2011, l’affaire au parquet pour un supplément d’enquête. Le tribunal jugea, en effet, que le parquet n’avait pas correctement identifié toutes les personnes qui avaient soigné l’épouse du requérant et lui enjoignit de faire des vérifications supplémentaires afin de déterminer notamment la composition de l’équipage de l’ambulance, si les documents médicaux avaient été falsifiés, s’il y avait eu faute médicale et la manière dont avait été décidé le transfert. Le tribunal sollicita une expertise médico-légale.

4. Par la suite, le parquet élargit l’enquête aux médecins de l’hôpital.

5. Le 23 juillet 2012, le service départemental de médecine légale de Mehedinţi rendit un rapport d’expertise médico-légale qui conclut que : l’état général de la patiente était très grave à son arrivée, de sorte qu’elle n’avait pas de chances de survie ; il n’y avait eu aucune nécessité de la transférer vers un autre hôpital; les délais dans lesquels avait eu l’intervention médicale n’avaient pas eu de poids décisif dans son décès; si la patiente avait été hospitalisée lors de la première intervention de l’ambulance, elle aurait eu des chances de survie.

6. Le 7 janvier 2014, en se fondant sur le rapport d’expertise médicolégale, le parquet mit fin aux poursuites pénales (scoatere de sub urmărire penală) contre l’infirmière de l’ambulance et contre le médecin neurologue. Le parquet prononça aussi un non-lieu en faveur de l’autre ambulancier et de trois autres médecins.

7. Le 16 avril 2014, sur contestation du requérant, le tribunal retourna le dossier au parquet afin que ce dernier engageât des poursuites pénales pour faux, ainsi que pour un supplément d’enquête quant aux faits d’homicide et de négligence en service.

8. Le parquet reprit l’enquête et demanda une nouvelle expertise médicolégale. Selon les affirmations du Gouvernement, non-contredites par le requérant, le parquet écarta, le 9 septembre 2014, les questions adressées à l’expert par l’intéressé, au motif qu’elles étaient les mêmes que celles proposées par les enquêteurs.

9. L’expertise fut rendue par l’institut médicolégal de Craiova à une date non précisée. Elle confirma comme cause du décès un accident vasculaire, le fait que l’hospitalisation dans la foulée de la première intervention de l’ambulance aurait augmenté les chances de survie, que la prise en charge avait été lente et déficitaire et que, compte tenu de la gravité de l’état de la patiente, ces déficiences n’avaient pas été décisives dans le décès. Le rapport conclut qu’il n’y avait pas eu de faute médicale de la part du personnel médical.

10. Le 11 mai 2015, le parquet rejeta les objections soulevées par le requérant quant au rapport. Le parquet nota aussi que ce dernier rapport avait reçu l’avis favorable de la commission de contrôle de l’institut médicolégal de Craiova,

11. Le 12 mai 2015, le parquet classa l’affaire et, en se fondant sur la dernière expertise, conclut qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’activité du personnel médical et le décès.

12. Par une décision définitive du 3 février 2016, le tribunal rejeta la contestation du requérant et confirma le classement. Il jugea qu’il n’y avait pas eu de faute médicale en l’espèce et que les déficiences du système médical n’avaient pas provoqué le décès, compte tenu de la gravité de l’état initial de la patiente. S’agissant des faits de faux, le tribunal nota certaines différences entre les horaires d’intervention consignés sur les documents médicaux et ceux indiqués par le requérant, mais conclut que cet aspect n’avant pas eu de conséquence sur le décès.

13. Il ressort du dossier que la plainte disciplinaire du requérant auprès du collège des médecins du département de Mehedinţi n’a pas été examinée au motif que le requérant avait dénoncé l’incident de manière générale sans mettre en cause un ou des médecins en particulier. Le 23 mai 2012, le collège des médecins de Roumanie rendit un avis concluant qu’il n’y avait pas eu de faute disciplinaire en l’espèce.

14. Le requérant n’a engagé ni une action en responsabilité civile délictuelle, ni une action fondée sur la loi no 95/2006 sur la réforme dans le domaine de la santé (« la loi no 95/2006 »).

APPRÉCIATION DE LA COUR

15. Invoquant les articles 2 et 6 de la Convention, le requérant allègue que le décès de son épouse était le résultat d’une négligence médicale et critique le défaut d’effectivité de l’enquête.

16. En application du principe jura novit curia (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018), la Cour examinera la requête sous l’angle du seul article 2 de la Convention. Elle rappelle que les principes applicables ont été résumés dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal, ([GC], no 56080/13, §§ 185-196 et 214-221, 19 décembre 2017).

17. Aucune question ne se pose sous le volet matériel de l’article 2 de la Convention. L’épouse du requérant a été prise en charge et a bénéficié de soins médicaux. Le rapport de nouvelle expertise médico-légale a fait état de certaines déficiences, tout en concluant que celles-ci n’avaient pas été décisives au vu la gravité de la pathologie de la patiente (paragraphe 9 cidessus). Ces déficiences ou le choix de transporter la patiente en voiture plutôt qu’en hélicoptère ne sont pas suffisants pour que la Cour retienne un refus de soins. En outre, aucun problème structurel du système de soins médicaux ni de manquement par l’État à son obligation de mettre en place un cadre réglementaire pour protéger la vie des patients ne sont décelés (Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 194195).

18. La Cour recherchera dès lors si les autorités nationales ont respecté leur obligation procédurale de mener une enquête afin d’identifier et éventuellement punir les personnes responsables du décès. Elle n’examinera pas en détail l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement parce que le grief est manifestement mal fondé pour les raisons suivantes.

19. La Cour rappelle que la voie civile est à privilégier dans les affaires de simple négligence médicale (Scripnic c. République de Moldova, no 63789/13, § 31, 13 avril 2021, et les affaires qui y sont citées). La personne lésée peut faire usage d’une ou plusieurs voies de droit disponibles, y compris la voie pénale, à cette différence que les autorités ne sont pas forcément tenues d’ouvrir d’office une enquête. C’est lorsque les intéressés engagent une telle procédure pénale que les obligations procédurales peuvent donc entrer en jeu (ibidem).

20. Puisque le requérant n’a engagé ni une action civile ni une action fondée sur la loi no 96/2006, la Cour examinera l’effectivité des procédures pénale et disciplinaire, les seules engagées en l’espèce.

21. S’agissant de l’enquête pénale, il est à noter que les autorités nationales ont procédé à des actes d’enquête afin d’établir les faits et d’identifier les causes du décès. Deux rapports d’expertise médico-légale ont notamment été réalisés et, selon leurs conclusions, le décès avait été dû à la gravité de la pathologie de la patiente (paragraphes 5 et 9 ci-dessus). Ces opinions médicales sont cohérentes et complètes au regard des circonstances spécifiques de l’espèce et le requérant n’a pas avancé devant la Cour d’arguments pour mettre en doute leurs conclusions (voir, a contario, Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, no 54969/09, §§ 102-111, 25 juin 2019, et Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32146/05, §§ 83-84, 16 février 2010). Dans la procédure interne, il a pu formuler des objections quant au dernier rapport d’expertise, qui ont été examinées par le parquet. Il est vrai que ce dernier rapport a mis en évidence des déficiences dans la prise en charge de la patiente, mais il a aussi conclu que celles-ci n’ont pas provoqué le décès, compte tenu de la pathologie grave (paragraphe 9 cidessus). Il s’ensuit que les autorités de l’enquête ont pris les mesures raisonnables afin d’établir les causes du décès.

22. L’affaire a été certes renvoyée, deux fois, par le tribunal au parquet pour compléter l’enquête. Toutefois, la Cour note que la police et le parquet ont respecté les indications données par le tribunal. La prolongation de l’enquête n’a pas eu de répercussion sur son efficacité dans la mesure où elle a conduit à la réalisation des expertises médico-légales. En élargissant l’enquête aux médecins qui avaient examiné la patiente, les autorités ont pu examiner leurs actions et décisions professionnelles et écarter ainsi leur responsabilité pénale. De même, les autorités ont examiné et écarté l’hypothèse de la falsification alléguée des documents médicaux (paragraphe 12 cidessus).

23. Pour autant que le requérant dénonce la durée de l’enquête pénale, la Cour note qu’elle a été menée dans les délais de prescription décidés par le droit interne et que la décision de classement était motivée par des raisons de fond. Il n’apparaît pas que le passage du temps ait eu un impact sur la manière dont les actes d’enquête ont été réalisés, par exemple en entraînant la disparition des preuves ou en rendant difficile l’obtention de déclarations complètes (voir, a contrario, Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 139, 31 janvier 2019 où les témoins avaient été entendus entre huit et neuf ans après les faits). La Cour prend aussi note de l’argument du Gouvernement selon lequel les autorités ne sont pas restées inactives et ont vérifié les pistes d’enquête suggérées par le requérant afin d’éclaircir les circonstances de l’affaire. Dès lors, il n’a pas été établi en l’occurrence que la durée de l’enquête a pu avoir à elle seule des répercussions sur son effectivité (voir, mutatis mutandis, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 171, 25 juin 2019).

24. De plus, le requérant a été associé à la procédure et rien dans le dossier n’indique que ses demandes de preuves ou ses objections à la manière dont les actes de procédure ont été réalisés ont été ignorées par les autorités (paragraphes 8 et 10 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 303, CEDH 2011 (extraits), avec les références citées).

25. S’agissant de la procédure disciplinaire, la Cour note que sa portée a été limitée (paragraphe 13 ci-dessus). Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, elle estime que ce défaut n’est pas imputable aux autorités.

26. Dès lors, la Cour conclut que les autorités nationales ont mené une enquête pénale effective. Elle a permis d’identifier les causes du décès et d’écarter la thèse de la négligence médicale grave et sa durée n’a pas nui à son effectivité. L’absence d’une issue favorable au requérant ne peut pas en elle-même conduire à la conclusion que l’État défendeur a failli à l’obligation positive qui lui incombe au titre de l’article 2 de la Convention (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 221).

27. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 15 décembre 2022.

Crina Kaufman Branko Lubarda
Greffière adjointe f.f. Président