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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.11.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 57068/16
Aurelia VLĂSCEANU
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 22 novembre 2022 en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu :

la requête no 57068/16 contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Aurelia Vlăsceanu (« la requérante ») née en 1971 et résidant à Bucarest, représentée par Me A. Lazăr, avocat à Bucarest, a saisi la Cour le 19 septembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, le grief concernant l’effectivité de l’enquête relative au décès de la mère de la requérante et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. En avril 2006, N.F., la mère de la requérante, accusant une détérioration de son état de santé, consulta plusieurs médecins, dont des généralistes, un diabétologue, un cardiologue et un médecin du service des ambulances. Les médecins lui prescrivirent un traitement et préconisèrent des examens plus poussés.

2. Le 14 avril 2006, N.F. fut conduite en urgence à l’hôpital, où elle décéda, le même jour, des suites d’une thrombophlébite.

3. Le 15 mai 2006, la requérante forma une plainte disciplinaire contre six médecins.

4. Le 30 octobre 2007, l’Ordre des médecins de Bucarest constata que N.F. avait présenté un cas atypique de thrombose que les médecins C.M., A.E. et R.G. n’avaient pas identifié alors que la patiente présentait des facteurs de risque. Il leur appliqua la sanction de la réprimande et les condamna à suivre une formation professionnelle.

5. Sur contestation de la requérante, l’Ordre des médecins de Roumanie réexamina l’affaire et recueillit l’avis d’un professeur des universités. Le 26 septembre 2008, l’Ordre des médecins jugea que C.M., A.E. et S.M. avaient commis des fautes disciplinaires. En particulier, le diabétologue S.M. n’avait pas diagnostiqué la thrombophlébite ; A.E., cardiologue, n’avait pas identifié ce diagnostic et n’avait pas recommandé les examens nécessaires et l’administration d’un traitement par anti-coagulants ; et C.M., le médecin urgentiste, n’avait pas hospitalisé N.F., le 9 avril 2006. L’Ordre des médecins confirma les sanctions déjà imposées et constata que les trois autres médecins mis en cause (dont R.G.) n’avaient pas commis de faute disciplinaire.

6. En avril 2008, la requérante forma une plainte pénale assortie d’une constitution de partie civile. Les autorités procédèrent à des actes d’enquête, dont notamment l’audition de la requérante et des médecins visés, dont S.M., C.M., A.E. et R.G., et la réalisation d’une expertise médicolégale. Celle-ci fut confiée à l’Institut national de médecine légale (« l’institut »).

7. Le 1er avril 2009, un expert de l’institut rendit un rapport et conclut que le décès avait été provoqué par la pathologie que N.F. présentait déjà, compliquée par une thrombophlébite profonde, et que le traitement pour la thrombophlébite avait été appliqué avec du retard pour les raisons suivantes : la symptomatologie était atypique ; la patiente ne s’était pas rendue dans un hôpital pour des examens en cardiologie ; un traitement par anti-coagulants n’avait pas était prescrit.

8. Le 2 septembre 2019, la commission d’avis et de contrôle de l’institut demanda une nouvelle expertise.

9. Le 9 juin 2010, une commission de trois experts de l’institut rendit un rapport qui confirma les causes du décès et conclut qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre les agissements des médecins accusés et le décès. Un expert désigné pour représenter le médecin S.M. rendit séparément son avis (opinie expertală) pour acquiescer aux conclusions du rapport.

10. Le 5 novembre 2010, le parquet classa l’affaire.

11. Sur contestation de la requérante, le 16 mars 2011, le tribunal de première instance de Bucarest (« le tribunal ») renvoya l’affaire au parquet pour déclencher les poursuites pénales contre S.M., C.M., A.E. et R.G. Le tribunal jugea aussi que le dernier rapport d’expertise n’était pas complet et dûment motivé et demanda la réalisation d’un nouveau rapport.

12. Le 17 février 2012, la requérante informa le parquet qu’elle désignait l’expert V.B. pour la représenter lors de la réalisation de la nouvelle expertise.

13. Le 26 septembre 2012, la commission supérieure de l’institut rendit un avis comportant les précisions suivantes : N.F. présentait des symptômes atypiques de thrombose ; le diagnostic de thrombophlébite ne pouvait être confirmé que par des examens spécifiques ; un traitement par anti-coagulants réalisé dans un hôpital aurait offert des chances de survie.

14. Le 7 novembre 2012, la requérante fut informée par les autorités qu’un nouveau rapport d’expertise devait être réalisé. À cette occasion, elle fut aussi informée des clarifications (obiectivele) demandées aux experts. Il s’agissait en particulier des questions que le médecin S.M. et les autorités de l’enquête avaient posées aux experts pour recueillir leur opinion. Ces questions portaient sur la manière d’établir un diagnostic de thrombophlébite et le traitement à réaliser.

15. Le 9 décembre 2013, la police transmit à l’institut les clarifications ponctuelles pour lesquelles l’opinion des experts était recherchée (paragraphe 14 ci-dessus). Il était également indiqué que l’expert désigné par la requérante devait participer à la réalisation de l’expertise.

16. Le 25 février 2015, une commission de trois experts de l’institut rendit un supplément (completare) au nouveau rapport d’expertise (paragraphe 9 cidessus) et répondit ponctuellement aux questions posées. Ce rapport fait état, dans sa partie introductive, des experts désignés par la requérante et par S.M. pour représenter leurs intérêts. Il est signé par les seuls experts de l’institut.

17. Le 19 juin 2015, la requérante fut informée par les autorités de l’enquête du contenu du supplément au rapport.

18. Le 26 octobre 2015, le parquet classa l’affaire au motif que les faits n’étaient pas constitutifs d’une infraction pénale.

19. La requérante contesta la décision de classement et avança que l’enquête et notamment les expertises médico-légales n’étaient pas complètes.

20. Par une décision du 15 mars 2016, mise au net le 2 juin 2016, le tribunal confirma le classement, au motif qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre les actions des quatre médecins et le décès de N.F.

21. La requérante n’indique pas si elle a engagé une action civile séparée ou une action fondée sur la loi no 95/2006 portant réforme dans le domaine de la santé (« la loi no 95/2006 »).

APPRÉCIATION DE LA COUR

22. La requérante invoque les articles 2 et 6 de la Convention pour dénoncer la durée excessive et le défaut d’effectivité de l’enquête pénale. Elle allègue que les expertises médico-légales sont incomplètes et contradictoires et se plaint que l’expert qu’elle avait désigné n’a pas pu y participer.

23. En application du principe jura novit curia (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018), la Cour examinera la requête sous l’angle du seul article 2 de la Convention. Elle rappelle que les principes applicables ont été résumés dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal, ([GC], no 56080/13, §§ 185-196 et 214-221, 19 décembre 2017).

24. La Cour recherchera si les autorités nationales ont respecté leur obligation procédurale de mener une enquête afin d’identifier et éventuellement punir les personnes responsables. Elle n’examinera pas en détail l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement au motif que la requérante n’aurait pas engagé d’action en responsabilité civile séparée car le grief est manifestement mal fondé pour les raisons suivantes.

25. La Cour examinera l’effectivité des deux procédures poursuivies, les procédures pénale et disciplinaire. Il s’avère que les autorités nationales ont procédé à des actes d’enquête afin d’établir les faits et d’identifier les causes du décès. Des experts ont notamment été consultés et ont conclu que le décès était dû à une pathologie préexistante et compliquée par une thrombophlébite (paragraphes 7 et 9 ci-dessus). Leurs opinions quant aux causes du décès sont unanimes et non contestées par la requérante.

26. En réalité, la requérante met en cause une erreur de diagnostic ainsi que le défaut de prescription d’examens médicaux appropriés et l’absence de traitement adéquat. Or, les instances disciplinaires ont bien établi l’existence des fautes disciplinaires de la part de trois médecins et leur ont appliqué des sanctions (paragraphes 4 et 5 ci-dessus). Le fait que l’enquête pénale n’ait pas abouti à leur condamnation pénale n’est pas décisif en soi, les procédures, pénale et disciplinaire, étant conçues pour protéger des intérêts différents. Il n’était pas reproché aux médecins poursuivis un comportement intentionnel, mais plutôt une carence ou un défaut d’action. La procédure pénale étant réservée pour les omissions les plus graves, la Cour ne saurait censurer la décision des autorités nationales d’appliquer seulement des sanctions disciplinaires au lieu des sanctions pénales. D’ailleurs, dans les affaires de simple négligence médicale, un recours civil est à privilégier (Scripnic c. République de Moldova, no 63789/13, § 31, 13 avril 2021, et les affaires qui y sont citées).

27. L’affaire a été certes renvoyée par le tribunal au parquet pour compléter l’enquête. Or, en vertu du principe de subsidiarité, la tâche de redresser la situation dans l’ordre juridique interne revient premièrement aux juridictions nationales (voir, mutatis mutandis, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-70, 25 mars 2014). En l’espèce, la prolongation de l’enquête n’a pas eu de répercussion sur son efficacité dans la mesure où elle a conduit à l’obtention des précisions supplémentaires de la part des experts médicolégaux (paragraphes 13 et 16 ci-dessus).

28. De plus, la requérante a été associée à la procédure et rien dans le dossier n’indique que ses demandes de preuves ou ses objections à la manière dont les actes de procédure ont été réalisés ont été ignorées par les autorités (voir, mutatis mutandis, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 303, CEDH 2011 (extraits), avec les références citées ; et Gray c. Allemagne, no 49278/09, §§ 87 et suiv., 22 mai 2014). La requérante a été notamment informée du contenu des expertises médico-légales et a pu désigner un expert pour la représenter (paragraphes 12 et 15 ci-dessus). Aucun élément au dossier n’indique que cet expert ait été empêché de participer à l’expertise. En tout état de cause, il n’apparaît pas que la requérante ait soulevé de tels arguments devant le tribunal (paragraphe 19 ci-dessus).

29. Pour autant que la requérante dénonce la durée de l’enquête pénale, qui a été de huit ans, la Cour note qu’elle a été menée dans les délais de prescription décidés par le droit interne et que la décision de classement était motivée par des raisons de fond. Il n’apparaît pas que le passage du temps ait eu un impact défavorable à propos de la manière dont les actes d’enquête ont été réalisés, par exemple en entraînant la disparition des preuves ou en rendant difficile l’obtention de déclarations complètes (voir, a contrario, Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 139, 31 janvier 2019 où les témoins avaient été entendus entre huit et neuf ans après les faits). La Cour prend aussi note de l’argument du Gouvernement selon lequel les autorités de l’enquête ne sont pas restées inactives et qu’elles ont respecté les recommandations et les indications données par le tribunal, en réalisant notamment des expertises médico-légales supplémentaires (paragraphe 11 cidessus). Dès lors, il n’a pas été établi, en l’occurrence, que la durée de l’enquête a pu avoir à elle seule des répercussions sur son effectivité (voir, mutatis mutandis, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 171, 25 juin 2019).

30. Dès lors, compte tenu des procédures qui ont été poursuivies, l’enquête menée par les autorités nationales apparaît effective. Elle a permis de clarifier les circonstances du décès de la mère de la requérante et d’écarter la thèse de la négligence médicale grave et sa durée n’a pas nui à son effectivité.

31. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 15 décembre 2022.

Crina Kaufman Branko Lubarda
Greffière adjointe f.f. Président