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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
8.11.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

Requête no 29614/12
Eugenio ZAPPACOSTA et autres
contre l’Italie

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 8 novembre 2022 en un comité composé de :

Péter Paczolay, président,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 29614/12 dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État, M. E. Zappacosta, M. S. Giordano et M. F. Pepe dont les renseignements figurent dans le tableau joint en annexe (« les requérants »), représentés par Me M. Damiani, avocat à Rome, ont saisi la Cour le 23 avril 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. L. D’Ascia, les griefs concernant l’atteinte au principe du contradictoire et à celui de l’égalité des armes (article 6 § 1 de la Convention) et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente requête porte sur la condamnation des requérants, à l’issue d’une procédure devant la Cour des comptes, à payer des dommages-intérêts pour le préjudice que les intéressés ont causé aux Finances publiques alors que ceux-ci avaient été acquittés pour les mêmes faits à l’issue d’une procédure pénale.

2. À l’époque des faits, les requérants étaient gendarmes en service auprès du tribunal de Rome. En 1993, une procédure pénale fut engagée contre les intéressés et plusieurs coïnculpés pour appropriation et altération de timbres fiscaux et de documents classés au greffe du tribunal de Rome. Cette enquête révéla un environnement criminel dans le cadre duquel des timbres fiscaux étaient détachés des documents originaux, nettoyés, et ensuite revendus.

3. La procédure pénale se termina en 2003 par l’acquittement des requérants, en partie, au motif que les faits en question ne s’étaient pas produits et, en partie, en raison de la décriminalisation de certains faits.

4. Entre-temps, en 2001, les requérants avaient fait l’objet d’une procédure devant la Cour des comptes en raison des dommages qu’ils avaient causés aux Finances publiques.

5. Par un jugement du 27 décembre 2005, ils furent acquittés, la Cour des comptes ayant conclu que, sur le plan pénal, il n’avait pas été démontré que les intéressés avaient soustrait les timbres litigieux.

6. Certains des coïnculpés condamnés en première instance interjetèrent appel. Le 21 avril 2006, le procureur introduisit un appel incident.

7. Dans le mémoire par lequel ils se sont constitués parties à la procédure, présenté devant la Cour des comptes le 20 juin 2006, les requérants demandèrent l’audition de leurs témoins à charge interrogés au cours de la procédure pénale, dont les déclarations recueillies avaient été acquises au dossier (notamment, les déclarations de G.R. faites au sujet de M. Zappacosta et celles de A.D., D.P. et G.R. faites au sujet de M. Pepe et M. Giordano).

8. Par un arrêt rendu par la section juridictionnelle d’appel de la Cour des comptes, déposé au greffe le 26 octobre 2011, les requérants furent condamnés à payer à l’administration des dommages-intérêts d’un montant de 25 000 euros chacun.

9. La Cour des comptes rappela que, selon une jurisprudence constante, un arrêt d’acquittement au pénal pouvait toutefois être une source d’éléments de preuve pour conclure à la responsabilité administrative (Cour des comptes, siégeant en section plénière, arrêt no 5 du 27 janvier 1998).

10. Elle prit notamment en compte les témoignages à charge des requérants, de G.R. (1995), de A.D. (8 novembre 1994) et de D.P. (19 décembre 1993) qui avaient été réitérés dans le cadre d’un débat contradictoire au cours de la procédure pénale, ainsi que les aveux de A.D. (6 février 1994), les déclarations de S.M. (13 juillet 1994), de M. Pepe (6 février 1994, 6 novembre 1994 et 7 décembre 1994) et de M. Giordano (11 mai 1995).

11. M. Zappacosta introduisit ensuite une procédure extraordinaire en révocation.

12. Par un jugement de 2013, la Cour des comptes fit en partie droit à cette demande. Reconnaissant que l’intéressé avait été en service auprès du tribunal de Rome pendant une période plus courte que celle prise en compte dans l’arrêt de condamnation, la Cour des comptes réduisit le montant des dommages-intérêts que M. Zappacosta devait payer.

13. Les requérants se plaignent que leur demande à la Cour des comptes de faire réinterroger les témoins à charge qui avaient été auditionnés dans le cadre de la procédure pénale soit restée sans réponse. Le respect du principe du contradictoire et de celui de l’égalité des armes protégés par l’article 6 § 1 de la Convention est en cause.

APPRÉCIATION DE LA COUR

14. Le Gouvernement fait valoir que les faits que les requérants auraient commis ont été confirmés lors de plusieurs interrogatoires menés au cours de l’enquête. Il se réfère notamment aux interrogatoires suivants :

Le 8 novembre 1994, A.D. a déclaré connaître M. Pepe et M. Giordano et être au courant que ces derniers s’étaient emparés de dossiers se trouvant dans les archives du tribunal de Rome. Il a expliqué qu’il était clair que ces dossiers n’étaient pas utilisés à des fins professionnelles car, à la place de la feuille de suivi usuelle, des brouillons parfois mal déchirés s’y trouvaient, sur lesquels le numéro des dossiers dont les gendarmes en cause avaient besoin était noté.

Le 13 juillet 1994, M. a déclaré que les certificats de validité des demandes d’immatriculation de certaines sociétés auprès de la chambre de commerce (domande di vigenza), remplis par les gendarmes en question, étaient clairement produits dans l’intérêt d’une tierce personne et non pas pour des besoins professionnels. Il a ajouté que sur ces documents étaient apposés des timbres fiscaux dont la validité était douteuse, car il était évident que ces timbres avaient déjà été utilisés auparavant. M. a indiqué aussi que les documents en question lui avaient été apportés par M. Pepe.

Les 15 et 22 mars 1995, G.R., un gendarme, a décrit l’activité illégale de M. Zappacosta. Il a aussi déclaré avoir vu plusieurs fois M. Pepe et M. Giordano en train de livrer des sacs bien remplis aux fonctionnaires chargés de traiter les demandes d’immatriculation des sociétés auprès de la chambre de commerce. Ces déclarations auraient été confirmées dans le cadre du débat contradictoire au cours de l’audience tenue le 11 mars 2002 devant le tribunal de Rome, pendant laquelle G.R. avait déclaré se rappeler des aveux qu’il avait faits en 1995 et que les faits relatés étaient vrais.

Le 19 décembre 1993, D.P. a affirmé que les gendarmes en cause demandaient souvent aux fonctionnaires chargés de produire les documents d’immatriculation en question de leur accorder des faveurs à ce sujet.

Le 6 février 2002, H. a affirmé dans le cadre du débat contradictoire qu’il connaissait probablement M. Zappacosta en personne, mais sans savoir qu’il s’agissait de lui.

Le 7 décembre 1994, M. Pepe a déclaré s’être emparé de manière informelle des dossiers du greffe du tribunal.

Le 17 mai 1995, M. Zappacosta a indiqué que M. Pepe et M. Giordano produisaient les certificats de validité (certificati di vigenza).

Le 11 mai 1995, M. Giordano a reconnu avoir participé à l’activité illicite et précisé la conduite imputable aux autres coïnculpés.

15. Le Gouvernement fait valoir que ces déclarations ont été reprises par la Cour des comptes dans l’arrêt de condamnation des requérants.

16. Concernant le grief des requérants portant sur une méconnaissance du principe du contradictoire, il soutient que la condamnation des requérants n’a pas uniquement été fondée sur les déclarations des témoins litigieux mais sur d’autres éléments tels que des écoutes téléphoniques, des filatures, les aveux des personnes intéressées faits dans la phase de l’enquête et dans les témoignages des coïnculpés. Il ajoute que les requérants ont eu la possibilité de connaître leur accusation et de présenter leurs mémoires. Selon lui, le principe du contradictoire n’a donc pas été violé en l’espèce.

17. S’agissant de la violation supposée du principe d’égalité des armes, le Gouvernement soutient que, dans le cas d’espèce, les requérants ont demandé, à titre subsidiaire, une nouvelle audition de certains témoins et, à titre principal, l’obtention de la suspension de la procédure comptable. De plus, lors de leur comparution devant la Cour des comptes, les intéressés auraient déclaré se reporter à la présentation des faits fournie par le procureur de la République.

18. Enfin, le Gouvernement soutient que la Cour des comptes a procédé à une appréciation différente des éléments de preuve que celle effectuée au cours du procès pénal, ce qui en soi ne constitue pas une violation du droit à un procès équitable.

19. De leur côté, les requérants prétendent avoir dûment contesté l’ensemble des accusations formulées à leur encontre. Se référant aux interrogatoires cités par le Gouvernement dans ses observations, ils soulignent que, lors de son témoignage de 2002, H. a plutôt nié connaître M. Zappacosta.

20. De plus, G.R. aurait changé sa version des faits au cours de ses interrogatoires. À l’audience du 11 mars 2002, il a affirmé clairement et à plusieurs reprises ne pas se souvenir des faits tels qu’ils étaient relatés à ces occasions.

21. Les requérants soulignent aussi que la demande d’audition de témoins aurait été formulée à titre principal et non pas à titre subsidiaire, contrairement à ce que le Gouvernement affirme.

22. La Cour constate que la condamnation des requérants à l’issue de la procédure comptable entamée contre eux a été corroborée par plusieurs éléments de preuve, notamment les témoignages dont le Gouvernement dresse une liste exhaustive dans ses observations (paragraphes 14 et suivants ci-dessus). Contrairement aux affirmations des requérants, il ressort du dossier que les témoins ayant tenu des déclarations accusatoires contre eux les ont confirmées dans le cadre du débat contradictoire au cours de la procédure pénale. Les requérants ont aussi eu la possibilité de présenter leurs mémoires devant la Cour des comptes.

23. Il y a également lieu de relever que, tel que le Gouvernement le fait valoir, d’après le procès-verbal du débat contradictoire du 6 février 2002, H. n’a pas nié connaître M. Zappacosta. Par ailleurs, la Cour des comptes n’a pas basé sa décision sur le témoignage de H.

24. Quant aux affirmations de G.R., il ressort du procès-verbal de l’audience du 11 mars 2002 que ce dernier a confirmé, entre autres, ses déclarations accusatoires de 1995.

25. En outre, les requérants ne contestent pas la position du Gouvernement selon laquelle leur condamnation a aussi été fondée sur des éléments autres que les témoignages litigieux, à savoir des écoutes téléphoniques et des filatures. Enfin, la Cour note que l’acquittement des intéressés au pénal n’a concerné qu’une partie de l’affaire, la partie restante de celle-ci ayant été clôturée en raison de la décriminalisation des faits.

26. La Cour rappelle que le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes protégés par l’article 6 § 1 de la Convention exigent un « juste équilibre » entre les parties, à savoir que chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires (voir, parmi beaucoup d’autres, Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, § 119, 23 mai 2016, et Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 146, 19 septembre 2017). Elle constate que ces principes n’ont pas été méconnus en l’espèce.

27. Au vu des considérations qui précèdent et de l’ensemble des éléments en sa possession, pour autant que les faits litigieux relèvent de sa compétence, la Cour conclut que les griefs des requérants ne font apparaître aucune apparence de violation des droits et libertés consacrés par la Convention et qu’ils sont donc manifestement mal fondés.

28. Il s’ensuit que cette requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 1er décembre 2022.

Liv Tigerstedt Péter Paczolay
Greffière adjointe Président


ANNEXE

No

Prénom NOM

Année de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

1.

Eugenio ZAPPACOSTA

1964

italienne

Giulianova

2.

Salvatore GIORDANO

1958

italienne

Rome

3.

Francesco PEPE

1961

italienne

Rome