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Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 59012/19
Silvio BERLUSCONI et FINANZIARIA D’INVESTIMENTO FININVEST S.P.A.
contre l’Italie
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 8 novembre 2022 en un comité composé de :
Alena Poláčková, présidente,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 59012/19 contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Silvio Berlusconi, né en 1936 et résidant à Rome et la société italienne Finanziaria d’investimento Fininvest S.p.A. (« les requérants »), représentés par Mes A. Saccucci et N. Ghedini, B. Nascimbene, A. Porto et R. Vaccarella, avocats à Rome, Milan et Padoue, avaient saisi la Cour le 31 octobre 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. L’affaire concerne le refus opposé par la Banque Centrale Européenne à l’achat par la deuxième requérante d’actions d’une banque italienne.
2. Lors de l’introduction de la requête, le premier requérant, M. Berlusconi, contrôlait indirectement avec 61,21% des actions la deuxième requérante, la société Fininvest S.p.A., qui à son tour détenait des participations importantes dans le Groupe Mediolanum, l’un des leaders dans le secteur des services bancaires, des assurances et de la prévoyance, ayant comme holding principal une société financière, Mediolanum S.p.A. (le « holding financier »), laquelle à son tour contrôlait totalement Banca Mediolanum S.p.A. (la « banque »).
3. Les requérants saisirent les juridictions administratives car en octobre 2014 la Banque d’Italie, en tant qu’autorité de supervision bancaire, à la suite de la condamnation de M. Berlusconi pour fraude fiscale, avait suspendu le droit de vote de Fininvest S.p.A., quant à la partie qui dépassait la limite de 9,99 % des actions, dans le holding financier. Et ce au motif que M. Berlusconi ne remplissait plus la condition d’honorabilité fixée par la nouvelle législation applicable (auparavant uniquement aux banques, mais étendue ensuite aux sociétés financières) pour maintenir une participation qualifiée (à savoir, notamment, plus de 10% des actions et/ou des droits de vote de la banque). La Banque d’Italie avait, en outre, ordonné le placement des actions excédentaires dans un trust et leur cession au terme d’un délai fixé.
4. Le 3 novembre 2014, les fonctions de surveillance bancaire furent transférées à la Banque centrale européenne (BCE) sur la base du règlement de l’UE no 1024/2013.
5. Fin 2015, le holding financier et la banque fusionnèrent et cette dernière fut placée au sommet du Groupe Mediolanum.
6. En juillet de la même année, la Banque d’Italie – agissant désormais au sein de la BCE – exprima l’avis que l’ordre de vente des actions excédentaires devait être entendu comme visant également les nouvelles actions issues de la fusion.
7. Dans son arrêt du 3 mars 2016, le Conseil d’État accueillit le recours des requérants contre l’ordre de vente émis par la Banque d’Italie. Il jugea que la nouvelle législation sur les exigences d’honorabilité ne pouvait concerner les actions déjà détenues par les sociétés financières mais uniquement l’achat de nouvelles. Au demeurant, l’avis de la Banque d’Italie de juillet 2015 ne constituait pas un nouvel ordre de vente des actions excédentaires, de sorte qu’il pouvait être ignoré car il concernait le régime des nouvelles actions après fusion.
8. Par une décision d’octobre 2016, à l’issue d’une nouvelle procédure d’autorisation d’acquisition, la BCE s’opposa, sur proposition de la Banque d’Italie, à l’acquisition par Fininvest S.p.A. d’actions de la banque au motif que toute autorisation à l’achat était devenue impossible faute d’honorabilité dans le chef du premier requérant.
9. La même année, les requérants saisirent le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de la décision de la BCE (T-913/16 - Fininvest et Berlusconi/BCE).
10. En parallèle, ils attaquèrent les actes de la Banque d’Italie par le biais d’une action en exécution (giudizio di ottemperanza) devant le Conseil d’État en soutenant que la proposition faite à la BCE violait l’arrêt du 3 mars 2016, lequel avait déjà acquis force de chose jugée. Le Conseil d’État entama une procédure préjudicielle en demandant à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de dire s’il appartient aux juridictions nationales ou à celles de l’Union européenne (UE) de contrôler la légalité, notamment, des propositions adoptées par une autorité nationale compétente (ANC), en l’espèce, la Banque d’Italie, dans le cadre d’une procédure d’autorisation relative à l’acquisition d’une participation qualifiée dans un établissement bancaire. Et ce malgré l’introduction d’un giudizio di ottemperanza.
11. Dans son arrêt du 19 décembre 2018 (C-219/17 Silvio Berlusconi et autres/Banca d’Italia et autres), la CJUE estima que le Traité sur le fonctionnement de l’Union (article 263) confère aux juridictions de l’UE une compétence exclusive pour contrôler la légalité des actes adoptés, à l’issue d’un processus décisionnel dans lequel les actes d’une ANC constituent des étapes intermédiaires, par une institution de l’UE, telle que la BCE. Cette dernière ayant aussi une compétence exclusive pour décider d’autoriser ou non ce type d’acquisition, il appartenait aux seules juridictions de l’UE de déterminer, à titre incident, si la légalité de la décision de la BCE d’octobre 2016 était affectée par les éventuels défauts des actes préparatoires adoptés par la Banque d’Italie. La légalité de ces actes ne pouvait donc pas être contrôlée par les juridictions nationales et ce même en présence d’une action en exécution devant celles-ci.
12. Le 3 mai 2019, se fondant sur la décision préjudicielle susmentionnée, le Conseil d’État déclara irrecevable l’action en exécution.
13. En avril 2021, les Chambres Réunies de la Cour de cassation rejetèrent le pourvoi des requérants en jugeant que, dans son arrêt de 2019, le Conseil d’État avait correctement décliné sa compétence au profit de la CJUE. La Haute Juridiction prit soin de préciser que la protection des droits des requérants accordée par la juridiction de l’UE ne pouvait passer pour déficitaire par rapport à celle du système italien.
14. En mai 2022, le Tribunal de l’UE rejeta le recours en annulation des requérants en affirmant que la BCE s’était à juste titre opposée en octobre 2016 à l’acquisition d’actions de la banque.
15. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants dénoncent une atteinte au principe de sécurité juridique et la violation du droit à un tribunal en ce que la Banque d’Italie aurait méconnu l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du Conseil d’État de mars 2016 et de ce fait empêché l’exécution de la même décision. Ils stigmatisent aussi la décision du Conseil d’État de mai 2019 s’alignant simplement sur l’arrêt de la CJUE no C-219/17.
APPRÉCIATION DE LA COUR
16. Les requérants se plaignent en substance de ce qu’ils appellent le « segment interne » de la deuxième procédure d’autorisation et du fait que le Conseil d’État aurait nié la compétence des autorités nationales en la matière, alors que, selon eux, la CJUE avait reconnu un pouvoir discrétionnaire aux autorités judiciaires nationales.
17. La Cour rappelle que même lorsqu’ils appliquent le droit de l’UE, les États contractants demeurent soumis aux obligations qu’ils ont librement contractées en adhérant à la Convention. Néanmoins, lorsque deux conditions – absence de marge de manœuvre pour les autorités nationales et déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’UE – sont réunies, ces obligations doivent être appréciées à la lumière de la présomption de conformité avec la Convention, telle qu’établie dans la jurisprudence de la Cour. L’État demeure entièrement responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses obligations juridiques internationales (Ilias et Ahmed c. Hongrie [GC], no 47287/15, § 96, 21 novembre 2019 et les références y citées).
18. La Cour note qu’en l’espèce tant les juridictions de l’UE que le Conseil d’État ont nié le fondement même sur lequel les requérants prétendent établir la compétence et la responsabilité de l’Italie, à savoir que les actes de la Banque d’Italie dans la deuxième procédure d’autorisation devraient être isolés de la procédure devant la BCE.
19. Dans son arrêt de 2018, la CJUE estima, d’une part, que les juridictions de l’UE ont, en l’espèce, une compétence exclusive pour contrôler la légalité des actes adoptés par une institution de l’UE telle la BCE et, d’autre part, que celle-ci est seule compétente à décider d’autoriser ou non l’acquisition litigieuse à la fin de la procédure en cause, indépendamment du pouvoir de proposition de l’ANC.
20. L’année suivante, le Conseil d’État déclara irrecevable le giudizio di ottemperanza sur la base de la décision susmentionnée.
21. Contrairement à la thèse des requérants selon laquelle la Cour de Luxembourg aurait reconnu un pouvoir discrétionnaire aux autorités nationales, la Cour juge que celles-ci ne pouvaient que reconnaître la compétence exclusive en la matière des juridictions de l’UE. Par conséquent, le principe de la présomption Bosphorus (Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, §§ 101-104, 23 mai 2016, et les références qui y sont citées) s’applique et, compte tenu de l’absence d’insuffisance manifeste de la protection des droits garantis par la Convention susceptible de la renverser, les actions de l’État défendeur échappent en l’espèce à la juridiction de la Cour (Avotiņš, précité, § 112).
22. Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 1er décembre 2022.
Liv Tigerstedt Alena Poláčková
Greffière adjointe Présidente