Přehled
Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 57165/17
Şevkiye AKGÜN et autres
contre la Türkiye
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 8 novembre 2022 en un comité composé de :
Egidijus Kūris, président,
Pauliine Koskelo,
Jovan Ilievski, juges,
et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,
Vu la requête no 57165/17 dirigée contre la République de Türkiye et dont trois ressortissants de cet État (« les requérants ») – la liste des requérants et les précisions pertinentes figurent dans le tableau joint en annexe – représentés par Me N. Paşa, avocate à İzmir, ont saisi la Cour le 24 avril 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La requête concerne le décès de M. Ali Demir, à la suite de l’usage de la force par la police. M. Ali Demir est le frère de Şevkiye Akgün et le fils de Mehmet et Nesrin Demir.
2. Le 22 octobre 2005, vers 4 h 40 du matin, la police fut informée d’une tentative de vol aggravé dans un restaurant.
3. Le même jour, vers 5 h 40, la police somma la voiture dans laquelle se trouvaient M. Ali Demir et quatre autres personnes de s’arrêter.
4. Le conducteur de la voiture refusa d’obtempérer et fonça sur les policiers pour prendre la fuite. Il heurta violemment la voiture de police.
5. Lors de cette tentative de fuite, le passager assis à la place arrière gauche de la voiture tira à six reprises sur les policiers par la fenêtre.
6. Malgré les avertissements et les tirs de sommation de la police, la voiture poursuivit sa fuite.
7. Les policiers tirèrent alors en direction de la voiture des coups de feu qui blessèrent grièvement M. Ali Demir, lequel était assis au milieu de la banquette arrière du véhicule.
8. L’intéressé ne put être sauvé. L’autopsie classique pratiquée sur le défunt par les médecins légistes de l’institut médicolégal permit de constater qu’il avait succombé à des blessures causées par deux balles tirées à distance.
9. Une enquête pénale fut ouverte. Elle fut menée par le procureur de la République, qui entendit en personne tous les individus impliqués dans l’incident et tous les témoins directs.
10. Eu égard au rôle joué par la police dans cet incident, le procureur décida de confier les recherches scientifiques au laboratoire d’analyses criminelles de la gendarmerie nationale.
11. L’enquête pénale et la procédure devant la Cour d’assises contre les policiers impliqués dans l’incident, auxquelles les requérants purent participer, permirent de faire les constats suivants :
– les personnes impliquées dans le vol avaient des casiers judiciaires ;
– elles avaient volé au restaurant des denrées alimentaires et des boissons alcoolisées en quantité ;
– la voiture avait également été volée ;
– le pistolet utilisé par le passager assis à la place arrière gauche de la voiture était un pistolet à blanc ;
– six douilles provenant de ce pistolet avaient été retrouvées sur les lieux ;
– il n’était pas possible de distinguer ce pistolet d’un pistolet à balles réelles ni par sa forme, ni par le bruit qu’il émettait lors d’un tir ;
– plusieurs témoins avaient déclaré que les policiers avaient d’abord effectué un tir de sommation en l’air avant de viser la voiture ;
– les personnes impliquées dans le vol avaient poursuivi leur fuite malgré les tirs de semonce, allant jusqu’à foncer directement sur les policiers pour tenter de s’échapper ;
– la voiture des policiers avait été sérieusement endommagée à cette occasion ;
– les agissements des personnes qui se trouvaient dans la voiture avaient été de nature à mettre en danger la vie d’autrui, de sorte que les policiers avaient été contraints de faire usage de leurs armes à feu.
12. Dès lors, les autorités judiciaires considérèrent que la situation avait rendu absolument nécessaire l’usage de la force et que celui-ci avait été strictement proportionné aux circonstances.
13. Elles estimèrent en effet que les personnes impliquées étaient soupçonnées d’avoir commis une infraction à caractère violent et que l’attitude qu’elles avaient adoptée lors du contrôle de la police avait représenté une menace pour la vie et l’intégrité physique des policiers et des civils qui se trouvaient à proximité du lieu de l’incident.
14. Saisie d’un recours individuel, la Cour constitutionnelle fit notamment les constats suivants lors de son examen de la proportionnalité :
– les faits avaient eu lieu au petit matin près d’une station-service, sur une route où circulaient d’autres voitures ;
– les personnes impliquées dans l’incident étaient des voleurs ; non seulement elles avaient tenté de prendre la fuite en heurtant la voiture des policiers, mais l’un des passagers avait aussi tiré à six reprises sur les policiers, ce qui démontrait qu’elles représentaient une menace pour autrui ;
– les coups de feu avaient été tirés par des policiers à distance dans le seul but de répondre à une attaque armée ; les policiers avaient visé les pneus arrière de la voiture pour l’arrêter et ce n’était pas dans l’intention de tuer qu’ils avaient fait usage de leur arme.
15. Dans son examen du volet procédural du droit à la vie (article 17 de la Constitution, correspondant à l’article 2 de la Convention), la Cour constitutionnelle rappela d’abord les principes découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Elle estima ensuite que l’enquête menée au sujet du décès du proche des requérants avait été suffisamment prompte, adéquate et complète. À cet égard, elle observa que les investigations avaient débuté immédiatement après l’incident, qu’elles avaient été menées avec la diligence requise et que les autorités avaient pris les mesures adéquates pour recueillir et préserver les éléments de preuve relatifs aux faits. Elle nota également que les requérants avaient bénéficié d’un accès suffisant aux informations produites par l’enquête pour leur permettre de participer de manière effective à la procédure devant la Cour d’assises et la Cour de cassation. Elle conclut enfin que les investigations menées par le parquet et la procédure devant les juridictions pénales avaient été indépendantes et impartiales.
16. La Cour constitutionnelle ajouta cependant que la procédure pénale n’avait pas été suffisamment prompte, notamment devant la Cour de cassation, ce qui était de nature à emporter violation du volet procédural de la disposition de la Constitution protégeant le droit à la vie. Elle alloua aux requérants la somme de 30 000 livres turques (environ 10 000 euros à l’époque des faits) pour dommage moral.
17. Les requérants allèguent que le décès de leur proche est dû à un usage excessif de la force par la police et se plaignent de la manière dont l’enquête relative à cet incident a été conduite.
APPRÉCIATION DE LA COUR
18. La Cour estime que les faits appellent un examen sous l’angle de l’article 2 de la Convention.
19. Examinant le grief des requérants sous l’angle du volet matériel de l’article 2 de la Convention, la Cour, à la lumière des éléments du dossier, considère d’emblée qu’il n’est pas établi au-delà de tout doute raisonnable que M. Ali Demir a été tué délibérément par les forces de l’ordre.
20. La Cour note également que nul ne conteste que le décès du proche des requérants a été causé par le tir d’un policier. Il s’ensuit que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent démontrer que la situation rendait l’usage de la force meurtrière absolument nécessaire et qu’il n’était pas excessif ou injustifié au regard de l’article 2 § 2 de la Convention (Kalkan c. Turquie, no 37158/09, § 62, 10 mai 2016, et Bektaş et Özalp c. Turquie, no 10036/03, § 57, 20 avril 2010).
21. Dans ce contexte, la Cour recherche non seulement si le recours à une force meurtrière contre le proche des requérants était légitime, mais aussi si l’opération était encadrée par des règles et organisée de manière à réduire autant que possible les risques liés à l’usage de la force meurtrière (comparer Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, § 60, CEDH 2004-XI). Elle examine également si les autorités ont fait preuve de négligence dans le choix des mesures prises en la circonstance pour atteindre leur objectif (comparer Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 95, CEDH 2005-VII).
22. La Cour relève que les tribunaux internes ont clairement établi que, avant le tir mortel, l’une des personnes soupçonnées de vol qui se trouvait dans la voiture en fuite était armée, et qu’en tirant sur les policiers, cette personne s’était comportée d’une manière susceptible d’être interprétée comme une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour qui que ce fût. Le fait que l’arme utilisée s’est par la suite révélée factice ne change pas ce constat dès lors qu’il a été établi qu’il n’était pas possible de distinguer le pistolet utilisé d’un pistolet à balles réelles, ni par sa forme, ni par le bruit qu’il émettait lors d’un tir.
23. Par ailleurs, la Cour juge établi que l’opération de police était encadrée par des règles et organisée de manière à réduire autant que possible les risques liés à l’usage de la force meurtrière et que les policiers ont fait usage de leur arme pour arrêter les passagers d’une voiture qui mettaient en danger la vie et l’intégrité physique d’autrui en tentant de se soustraire violemment à un contrôle de police.
24. Concernant les griefs des requérants relatifs au volet procédural de l’article 2 de la Convention, les principes généraux concernant l’exigence de mener une enquête officielle effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme ont été résumés, entre autres, dans l’affaire Kalkan (précité, §§ 71-75). Les investigations doivent notamment être approfondies, impartiales et attentives. L’enquête menée doit être effective également en ce sens qu’elle doit permettre d’identifier et – le cas échéant – de sanctionner les responsables. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. En outre, les proches de la victime doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes (ibid.).
25. En l’espèce, compte tenu des circonstances de la cause, et du fait que l’ensemble des circonstances matérielles a été soumis à un contrôle rigoureux par la Cour constitutionnelle, que l’enquête pénale menée en l’espèce a été suffisamment approfondie et indépendante et que les requérants y ont été associés à un degré suffisant pour la sauvegarde de leurs intérêts et l’exercice de leurs droits, la Cour ne remet pas en cause les conclusions des juridictions internes qui, en l’espèce, ont considéré que la situation avait rendu l’usage de la force absolument nécessaire et qu’un tel usage n’avait été ni excessif ni injustifié dans les circonstances de la cause. S’agissant plus particulièrement de la célérité de la procédure pénale, la Cour observe que la Cour constitutionnelle a reconnu que celle-ci n’avait pas été prompte et qu’elle a alloué une somme aux requérants pour le dommage moral subi (paragraphe 16 ci-dessus), de sorte qu’aucun problème ne se pose dès lors à cet égard.
26. Partant, la requête doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 1er décembre 2022.
Dorothee von Arnim Egidijus Kūris
Greffière adjointe Président
ANNEXE
Liste des requérants
Requête no 57165/17
No | Prénom NOM | Année de naissance/ d’enregistrement | Nationalité | Lieu de résidence |
1. | Şevkiye AKGÜN | 1971 | turque | İZMİR |
2. | Mehmet DEMİR | 1944 | turc | İZMİR |
3. | Nesrin DEMİR | 1945 | turque | İZMİR |