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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.10.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 3145/15
José Miguel FISCHER RODRIGUES CRUZ DA COSTA
contre le Portugal

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 18 octobre 2022 en un comité composé de :

Tim Eicke, président,
Faris Vehabović,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête no 3145/15, dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. José Miguel Fischer Rodrigues Cruz da Costa (« le requérant »), né en 1984, représenté par Me S. Magalhães, avocate à Braga, a saisi la Cour le 5 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe, le grief formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

Vu les observations du Gouvernement défendeur, et

Notant que le requérant a omis de présenter ses observations dans le délai qui lui était imparti,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. Au moment des faits, le requérant était détenu à la prison de Paços de Ferreira.

2. La requête concerne une décision par laquelle le tribunal de l’exécution des peines (le « TEP ») de Porto rejeta le 6 juin 2013 la demande de congé pénal (licença de saída jurisdicional) qui avait été formulée par le requérant le 17 avril 2013. Dans sa décision, le TEP tint compte d’un avis du conseil technique de la prison (Conselho técnico do estabelecimento prisional) qui rendait compte du comportement de l’intéressé au sein de la prison et considérait que ce dernier ne témoignait pas d’un jugement autocritique par rapport à sa condamnation.

3. Le 17 juin 2013, le requérant interjeta appel de la décision du TEP.

4. Le 15 novembre 2013, la cour d’appel de Porto déclara l’appel irrecevable en application des articles 196 § 1 et 235 du code d’exécution des peines (le « CEP »).

5. À une date non précisée, le requérant introduisit un recours devant le Tribunal constitutionnel. Il soutenait que les articles 196 § 1 et 235 du CEP étaient inconstitutionnels en ce qu’ils permettaient au ministère public d’interjeter appel de tout jugement accordant, rejetant ou annulant un congé pénal alors que le détenu ne pouvait le faire que dans ce dernier cas de figure.

6. Par un arrêt (no 560/2014) du 15 juillet 2014, le Tribunal constitutionnel déclara que les dispositions litigieuses n’étaient pas contraires à la Constitution. Dans son arrêt, il rappela que le congé pénal était un moyen de flexibiliser l’exécution d’une peine de prison, sans pour autant changer le statut du détenu. Il nota que toute décision en la matière revêtait, dans une certaine mesure, un caractère discrétionnaire. Il releva ensuite que la voie d’appel dont disposait le ministère public contre des décisions rendues par des TEP accordant, rejetant ou annulant un congé pénal résultait du fait qu’il incombait audit organe de veiller à la légalité de l’exécution des peines. Il considéra, en conséquence, que cette voie de recours bénéficiait au détenu, et il conclut que les dispositions attaquées ne portaient pas atteinte au principe de l’égalité des armes, étant donné, par ailleurs, qu’en cas d’appel interjeté contre une décision accordant un congé pénal à un détenu, celui-ci pouvait faire valoir sa position devant le tribunal supérieur.

7. En mai 2017, le requérant se vit accorder un congé pénal. Le 18 juin 2018, il fut placé en liberté conditionnelle.

APPRÉCIATION DE LA COUR

8. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas pu faire appel de la décision du TEP rejetant sa demande de congé pénal (paragraphe 2 ci-dessus).

9. Le Gouvernement plaide l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention aux faits de l’espèce.

10. La Cour note d’emblée que le volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable à la procédure litigieuse dès lors que le contentieux pénitentiaire ne concerne pas, en principe, le bien-fondé d’une accusation en matière pénale (Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 97, CEDH 2009). Il reste à rechercher si le requérant disposait en l’espèce d’un « droit de caractère civil » afin de déterminer si les garanties procédurales prévues à l’article 6 § 1 de la Convention étaient applicables au litige relatif à sa demande de congé pénal.

11. La Cour renvoie aux principes généraux exposés dans l’arrêt Boulois c. Luxembourg ([GC], no 37575/04, §§ 90-94, CEDH 2012).

12. En l’espèce, la Cour constate qu’en vertu des articles 76 § 2 et 79 § 2 du CEP, un congé pénal peut être accordé à tout détenu à condition que l’intéressé ait purgé une durée minimale de sa peine et qu’il relève du régime ordinaire ou ouvert (Petrescu c. Portugal, no 23190/17, § 36, 3 décembre 2019). Selon l’article 78 du CEP, lorsque le TEP statue sur une demande de congé pénal, il doit tenir compte du comportement de l’intéressé en prison, de l’environnement familial et social prévu pour l’accueillir, de ses antécédents ainsi que des besoins de la victime. Enfin, le détenu peut renouveler sa demande de congé pénal à l’expiration d’un délai de quatre mois suivant une décision de rejet, voire d’un délai plus court si le TEP le prévoit expressément dans la décision de rejet (article 84 du CEP).

13. Il est à noter, par ailleurs, que dans un arrêt (no 752/2014) du 12 novembre 2014 rendu dans une affaire distincte de celle du requérant, le Tribunal constitutionnel a considéré que le congé pénal n’était pas un droit reconnu aux détenus. Il a aussi relevé que les décisions de TEP s’y rapportant présentaient un caractère discrétionnaire, réitérant ainsi les appréciations qu’il avait faites dans son arrêt no 560/2014 relatif à la présente espèce (paragraphe 6 ci-dessus).

14. Eu égard aux constatations qui précèdent, la Cour estime que le requérant ne pouvait se prétendre, de manière défendable, être titulaire d’un « droit » reconnu dans l’ordre juridique interne. Elle accueille donc l’exception soulevée par le Gouvernement et conclut à l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention en l’espèce (comparer avec Boulois, précité, § 104, et Jaurietta Ortigala c. Espagne (déc.), no 24931/07, 22 janvier 2013).

15. Il s’ensuit que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 17 novembre 2022.

Crina Kaufman Tim Eicke
Greffière adjointe f.f. Président