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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.10.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 57737/19
Elena MIHĂILESCU
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 18 octobre 2022 en un comité composé de :

Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu :

la requête no 57737/19 contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Elena Mihăilescu (« la requérante ») née en 1954 et résidant à Râmnicu Vâlcea, représentée par Me R. Munteanu, avocate à Râmnicu Vâlcea, a saisi la Cour le 25 octobre 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.-F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par la requérante,

les observations communiquées par R.C., dont la présidente de la section avait autorisé la tierce intervention,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête a comme objet le décès de la fille de la requérante, survenu le 29 août 2012, après une stimulation ovarienne effectuée en vue d’une procréation artificielle, ainsi que l’enquête relative à la responsabilité du médecin l’ayant traitée. Dans le formulaire de requête, la requérante faisait mention des procédures, pénale et disciplinaire, qu’elle avait engagé et qui visaient le médecin, R.C.

2. La requête a été communiquée au Gouvernement défendeur le 2 décembre 2020 et une proposition concrète de règlement amiable a été communiquée aux parties, qui ont été informées du caractère confidentiel des négociations menées en vue d’un règlement amiable, en vertu de l’article 62 § 2 du règlement de la Cour (« le règlement »).

3. Après la communication de la requête, le docteur R.C. a demandé l’autorisation d’intervenir dans la procédure devant la Cour et a soumis des informations relatives à une procédure civile pendante alors devant les juridictions nationales. Il s’agissait, plus précisément, d’une procédure en responsabilité civile délictuelle que la requérante et son époux avaient engagé, en octobre 2019, contre le docteur R.C. et par laquelle les intéressés demandaient la réparation du préjudice subi en raison du décès de leur fille.

4. Il ressort des éléments soumis par les parties par la suite que la requérante et son époux étaient représentés, dans le cadre de cette procédure civile, par la même avocate qui représente la requérante devant la Cour. Il ressort également que la requérante a versé au dossier devant le tribunal compétent pour examiner la procédure civile, une copie intégrale de la proposition de règlement amiable, y compris du montant proposé par le greffe de la Cour. Devant le tribunal interne, elle a versé au dossier ce document en original et en français ainsi qu’une traduction en roumain faite par un traducteur assermenté.

5. La procédure civile est toujours pendante devant les tribunaux internes.

APPRÉCIATION DE LA COUR

6. Le Gouvernement soutient que la divulgation par la requérante de la proposition de règlement amiable constitue une violation de la règle de la confidentialité des négociations relatives au règlement amiable et invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour abus de droit de pétition.

7. La requérante, qui ne nie pas avoir divulgué aux juridictions nationales les termes de la proposition de règlement amiable faite par le greffe aux parties de la présente procédure, a expliqué qu’elle a soumis au tribunal interne des informations relatives à la procédure devant le Cour afin de lui donner tous les éléments pertinents pour l’examen équitable de son affaire civile.

8. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 39 de la Convention et de l’article 62 § 2 du règlement, les négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable sont confidentielles (Mătăsaru c. République de Moldova (déc.), no 44743/08, § 36, 21 janvier 2020). Dans ce contexte, une violation intentionnelle, par un requérant, de l’obligation de confidentialité imposée aux parties par ces dispositions, peut être qualifiée d’abus du droit de recours et aboutir au rejet de la requête (Hadrabová et autres c. République tchèque (déc.), nos 42165/02 et 466/03, 25 septembre 2007 et Popov c. République de Moldova (no 1), no 74153/01, § 48, 18 janvier 2005).

9. La règle de confidentialité des négociations du règlement amiable revêt une importance particulière dans la mesure où elle vise à préserver les parties et la Cour elle-même de toute tentative de pression et le non-respect intentionnel de cette règle s’analysera en un abus de procédure (Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, §§ 66 et 68, 15 septembre 2009, Tsonev c. Bulgarie, (déc.), no 44885/10, § 25, 8 décembre 2015 et Öztürk c. Turquie (déc.), no 60309/10, § 13, 3 mars 2020).

10. Par ailleurs, si des développements importants surviennent au cours de la procédure devant la Cour et si le requérant ne l’en informe pas, l’empêchant ainsi de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause, sa requête peut être aussi rejetée comme étant abusive (Bekauri c. Géorgie (déc.), no 14102/02, §§ 21-23, 10 avril 2012, et Simonetti c. Italie (déc.), nos 50914/11 et 58323/11, § 19, 10 juillet 2012).

11. En l’espèce, il est à noter que la requérante a engagé une action civile en octobre 2019 et qu’elle n’en a pas informé la Cour (paragraphe 3 cidessus). Or, l’existence d’une procédure civile est un élément essentiel pour l’examen de l’effectivité de l’enquête relative aux circonstances du décès de la fille de la requérante survenu en raison de la négligence médicale alléguée, élément qui devait être porté à l’attention de la Cour. En effet, dans les affaires de simple négligence médicale, l’exercice d’un recours civil est la voie de droit à privilégier (Scripnic c. République de Moldova, no 63789/13, § 31, 13 avril 2021).

12. La partie requérante a confirmé avoir informé le tribunal interne de la procédure de règlement amiable devant la Cour et avoir divulgué la proposition chiffrée de règlement amiable envoyée par le greffe aux parties (paragraphes 4 et 7 ci-dessus). La requérante était représentée par une avocate et avait été informée par écrit qu’une stricte confidentialité s’attachait aux négociations menées en vue d’un règlement amiable, en vertu de l’article 62 § 2 du règlement (paragraphe 2 ci-dessus). La Cour juge donc établi que la requérante est responsable de la divulgation des informations confidentielles.

13. En outre, la Cour ne saurait exclure que la divulgation aux juges internes de la proposition de règlement amiable faite par la Cour a pu les soumettre à une certaine pression, puisque ces derniers étaient appelés à examiner une requête de la requérante portant sur les mêmes faits que ceux portées par elle devant la Cour.

14. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que le comportement de la requérante, représentée de surcroît par une avocate, constitue une violation de la règle de confidentialité qui doit également être considéré comme un abus du droit de recours.

15. Dès lors, la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 17 novembre 2022.

Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président