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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.10.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requêtes nos 34009/18 et 34602/18
Ludovic GHEORGHE contre la Roumanie
et Rică DRAGOMIR contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 18 octobre 2022 en un comité composé de :

Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu les requêtes dirigées contre la Roumanie et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »), par les requérants dont les noms et renseignements figurent dans le tableau joint en annexe (« les requérants »), aux dates qui y sont indiquées,

Vu la décision de porter les requêtes à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») représenté par son agente, Mme O.-F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. L’affaire concerne la condamnation pénale des requérants pour évasion fiscale et blanchiment d’argent.

2. Par un réquisitoire du 3 juin 2016, le parquet près le tribunal départemental de Ialomiţa (« le parquet ») renvoya les requérants en jugement. Il exposa que, lorsqu’ils étaient gérants de deux sociétés commerciales, les requérants avaient enregistré des factures fictives dans le but de soustraire indument leurs sociétés au paiement de la TVA. Le réquisitoire précisait notamment que les intéressés avaient fait des virements bancaires sur le compte de la société commerciale N., qui était une société « fantôme », et que les sommes virées ne correspondaient pas à des opérations commerciales réelles. Quatre autres personnes furent également renvoyées en jugement pour des faits connexes (« les coïnculpés »).

3. Au cours de l’enquête menée par le parquet, les requérants furent entendus. Ils nièrent les faits qui leur étaient reprochés et soutinrent qu’ils avaient conclu un contrat avec la société N. et qu’ils avaient obtenu des services en échange des sommes virées sur le compte de cette société. Les coïnculpés furent aussi entendus, parmi lesquels F.V. et C.L. déclarèrent notamment qu’ils avaient créé la société N. dans le but de délivrer des factures fictives et que cette société n’avait pas exercé d’activité commerciale.

4. L’affaire fut jugée par le tribunal départemental de Ialomiţa (« le tribunal départemental ») qui procéda à l’audition des requérants et des coïnculpés. Les requérants ne firent pas de déclarations, invoquant leur droit au silence. Les coïnculpés F.V., C.L. et G.N. reconnurent en revanche avoir commis les faits reprochés et demandèrent à être jugés selon la procédure simplifiée (procedura simplificată a recunoaşterii învinuirii).

5. Le tribunal départemental procéda également à l’audition de plusieurs témoins. Il ne ressort pas des éléments du dossier soumis à la Cour que les témoins aient fait des déclarations incriminantes à l’égard des requérants.

6. Le tribunal autorisa, à la demande de ces derniers, la réalisation d’une expertise comptable.

7. Par un jugement du 9 mai 2017, le tribunal départemental prononça un non-lieu (a încetat procesul penal) en faveur des requérants pour l’infraction d’évasion fiscale. Il observa que les intéressés avaient payé les sommes dues au titre de la TVA et qu’ils avaient ainsi réparé le préjudice causé. Il leur infligea une amende administrative de 1 000 lei roumains à chacun.

8. Ensuite, il acquitta les requérants du chef de blanchiment d’argent. Se fondant sur le rapport d’expertise comptable, il jugea que le virement par les requérants des sommes d’argent vers le compte de la société N. ne remplissait pas à lui seul l’élément matériel de l’infraction de blanchiment d’argent. À cet égard, il nota que l’accusation n’avait pas prouvé que les requérants avaient récupéré l’argent après avoir effectué les virements sur le compte de la société N.

9. Le parquet interjeta appel et critiqua l’acquittement des requérants pour les faits de blanchiment d’argent. Les requérants aussi interjetèrent appel et demandèrent à être acquittés du chef d’évasion fiscale.

10. Par une décision du 19 décembre 2017, communiquée aux requérants le 14 mars 2018, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») fit droit à l’appel du parquet et rejeta celui des requérants. Elle considéra que les normes incriminant le blanchiment d’argent n’exigeaient pas l’établissement d’un bénéfice profitant à l’inculpé. De plus, l’infraction était réputée commise en cas de transfert d’argent lorsque l’inculpé ou bien connaissait que l’argent provenait de la commission d’une infraction ou bien poursuivait une dissimulation de l’origine illicite de l’argent. De même, en application de ces mêmes normes, les éléments de connaissance de la provenance des biens ou du but poursuivi pouvaient être déduits des circonstances factuelles de l’affaire.

11. La cour d’appel jugea ensuite que le virement de sommes importantes par les requérants vers la société commerciale N., qui n’exerçait pas d’activité commerciale effective, était une « circonstance factuelle objective » sur la base de laquelle des présomptions pouvaient être faites (prezumţiile deduse din circumstanţele faptice). Elle conclut que les virements effectués, dont le montant était largement supérieur à celui des sommes dues au titre de la TVA par les sociétés gérées par les requérants, ne pouvaient se justifier autrement que par l’intention des intéressés de récupérer ces sommes, après avoir payé des « commissions » aux autres coïnculpés qui avaient facilité l’opération en délivrant des factures fictives. La cour d’appel condamna chacun des requérants à une peine de trois ans de prison, avec un sursis à l’exécution.

APPRÉCIATION DE LA COUR

12. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge approprié de les examiner conjointement en une seule décision.

13. Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention, les requérants allèguent que la procédure pénale engagée contre eux a été inéquitable. En particulier, ils se plaignent de leur condamnation en appel, après un acquittement par le tribunal départemental et sans un examen des nouveaux éléments de preuve. La Cour examinera ce grief sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention (Chiper c. Roumanie, no 22036/10, § 59, 27 juin 2017, et Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, § 41, 1er décembre 2020).

Les principes généraux pertinents ont récemment été résumés dans l’arrêt Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande (no 38797/17, §§ 3038, 16 juillet 2019).

14. La Cour note que le tribunal départemental a prononcé un non-lieu pour les faits d’évasion fiscale (paragraphe 7 ci-dessus) et que la cour d’appel, en rejetant leur appel, a confirmé le jugement rendu en première instance. Dès lors, aucune question d’équité ne se pose en l’espèce quant aux faits d’évasion fiscale.

15. Ensuite, il ne ressort pas des éléments présentés à la Cour que la condamnation des requérants pour les faits de blanchiment d’argent ait été fondée sur les dépositions des témoins (paragraphe 5 ci-dessus). La présente affaire se distingue donc sur ce point de l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 31-32, 26 juin 2012).

16. Ensuite, la Cour note, à l’instar du Gouvernement, que la cour d’appel n’a pas établi une nouvelle situation de fait, mais qu’elle a interprété de manière différente les conditions requises par le droit interne en ce qui concerne l’existence de l’infraction de blanchiment d’argent (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). La cour d’appel a dès lors rendu une décision différente de celle du tribunal départemental uniquement sur une question de droit. Les requérants n’ont pas démontré qu’un examen direct des éléments de preuve par la cour d’appel était susceptible d’influer sur la manière dont cette juridiction a appliqué le droit interne aux faits de la cause (voir, mutatis mutandis, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 47-48, 26 avril 2016 et Ignat c. Roumanie, no 17325/16, §§ 53-54, 9 novembre 2021). L’argument des requérants selon lequel la cour d’appel aurait dû examiner de nouveaux éléments de preuve n’est pas convaincant dans la mesure où cette juridiction a tranché seulement une question de droit.

17. De manière générale, la Cour observe que la cour d’appel a donné des motifs concrets et détaillés pour justifier sa décision de condamner les requérants. Le fait qu’elle ait utilisé des présomptions dans son raisonnement ne saurait porter atteinte à l’équité de la procédure, dans la mesure où elle a expliqué dans son arrêt que ces présomptions étaient fondées sur des éléments factuels (paragraphe 11 cidessus ; voir, mutatis mutandis, Sievert c. Allemagne, no 29881/07, § 66, 19 juillet 2012).

18. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la condamnation des requérants à l’issue de la procédure en appel n’a pas méconnu le droit des intéressés à un procès équitable.

19. Il s’ensuit que les requêtes doivent être rejetées pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Fait en français puis communiqué par écrit le 17 novembre 2022.

Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président


ANNEXE

No

Requête no

Nom de l’affaire

Introduite le

Requérant
Année de naissance
Lieu de résidence
Nationalité

Représenté par

1.

34009/18

Gheorghe c. Roumanie

11/07/2018

Ludovic GHEORGHE

1972

Amara

Roumain

Marius CONSTANTIN

2.

34602/18

Dragomir c. Roumanie

11/07/2018

Rică DRAGOMIR

1969

Amara

Roumain

Marius CONSTANTIN