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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
11.10.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 23234/16
CLINIQUE PSYCHIATRIQUE DES FRÈRES ALEXIENS contre la Belgique
et 3 autres requêtes
(voir liste en annexe)

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 11 octobre 2022 en un comité composé de :

Darian Pavli, président,

Andreas Zünd,

Frédéric Krenc, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes nos 23234/16 et 3 autres contre le Royaume de Belgique et dont quatre associations de droit belge, la liste des requérantes et les précisions pertinentes figurent dans le tableau joint en annexe ( « les requérantes »), ont saisi la Cour le 22 avril 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter les requêtes à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. Les requêtes concernent l’application aux requérantes – quatre associations sans but lucratif (« ASBL ») – de l’exigence de mixité contenue dans trois décrets adoptés par la Région wallonne le 9 janvier 2014 visant à instaurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les organes de gestion de certains établissements de droit privé (« les décrets »). Ces décrets prévoient le principe suivant lequel les organes de gestion des établissements concernés ne peuvent être composés de plus de deux tiers de personnes de même sexe.

2. Les décrets prévoient que les établissements concernés peuvent introduire une demande de dérogation auprès du ministre de tutelle. Une dérogation peut être accordée si l’établissement démontre que l’exercice de son objet social implique ou a pour conséquence la non-mixité. Le ministre peut également accorder une dérogation temporaire, renouvelable une fois, si l’établissement démontre l’impossibilité de s’y conformer sur la base de données objectives et des dispositions prises en vue d’accroître la participation équilibrée des femmes et des hommes dans son organe de gestion. Le ministre peut encore accorder une dérogation temporaire d’une durée de douze mois si en raison d’un événement soudain affectant son organisation interne, l’établissement ne peut plus se conformer à l’obligation de mixité.

3. Les décrets sanctionnent la violation de l’exigence de mixité par un retrait du titre de fonctionnement ou de l’agrément.

4. Ils prévoient que tous les deux ans, le Gouvernement évalue les effets de l’exigence de mixité et la nécessité de son maintien.

5. Les requérantes contestèrent ces décrets devant la Cour constitutionnelle.

6. Par un arrêt no 145/2015 du 22 octobre 2015, la Cour constitutionnelle rejeta, pour l’essentiel, les recours. Elle considéra que les décrets attaqués, qui participent du but légitime de garantir une représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des organes de gestion d’établissements et d’organismes, n’ont ni pour objectif ni pour effet de régler la liberté d’association des personnes auxquelles ils s’adressent. Elle jugea que la liberté d’association n’empêche pas que des organismes privés qui souhaitent collaborer étroitement avec un établissement de droit public ou œuvrer à une mission d’intérêt général soient soumis à des modalités de fonctionnement et de contrôle qui se justifient en raison de ce rapport particulier avec l’exercice de missions de service public. Elle souligna les possibilités de dérogations prévues par les décrets. Elle affirma que la différence de traitement invoquée par les requérantes reposait sur un critère objectif et justifié, à savoir le caractère public ou non des organes de gestion des établissements ou des organes visés. Elle releva enfin que, dans le secteur public, il existe déjà des règles imposant des quotas et que la volonté du législateur était d’agir en priorité sur le secteur privé.

7. Selon le Gouvernement, aucune sanction du fait du non-respect de l’exigence de mixité instaurée par les décrets n’a été mise en œuvre depuis l’entrée en vigueur de ces derniers.

APPRÉCIATION DE LA COUR

8. Invoquant les articles 11 et 14 de la Convention, les requérantes se plaignent que l’exigence de mixité instaurée par les décrets constitue une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté d’association et emporte une discrimination à leur égard.

9. Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité. Il soutient en premier lieu que les requérantes n’ont pas la qualité de « victimes », au regard de l’article 34 de la Convention, des violations alléguées en sorte que les requêtes doivent être déclarées irrecevables.

10. Le Gouvernement observe, sur la base des statuts des requérantes, que seule la première requérante a pour objet social l’exploitation des établissements de soins. Il relève par ailleurs que seule la première requérante est visée par les décrets et bénéficie d’un agrément, tandis que les trois autres requérantes ne sont ni un établissement pour ainés bénéficiant d’un titre de fonctionnement ou un établissement pour ainés candidat à un titre de fonctionnement, ni un organe privé agréé ou candidat à l’agrément. Il fait valoir que le seul fait que les deuxième, troisième et quatrième requérantes aient, quant à elles, pour objet social la défense ou la représentation des intérêts d’entités visées par les décrets ne suffit pas à leur conférer la qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

11. Quant à la première requérante, le Gouvernement considère qu’en dépit du fait qu’elle fasse partie des associations visées par les décrets, elle n’a pas fait valoir que la législation critiquée ait été appliquée à son égard ou produit des preuves plausibles et convaincantes de la probabilité que cette hypothèse survienne dans un futur proche. D’après le Gouvernement, la première requérante se borne en substance à affirmer que la législation en cause ne serait pas conforme à la Convention. Il souligne que la première requérante n’a pas perdu son agrément en dépit du fait qu’elle ne se soit pas conformée à l’obligation de mixité. Il rappelle que les décrets prévoient la possibilité de dérogations et relève que la première requérante n’a formulé aucune demande de cet ordre.

12. Les requérantes contestent la thèse du Gouvernement. Elles font valoir qu’on ne saurait inférer l’absence de qualité de « victime » du fait que les autorités n’ont pas encore appliqué la sanction prévue par les décrets incriminés, dès lors que lesdites autorités peuvent décider à tout moment de la mettre en œuvre. Elles considèrent que ce n’est pas parce que des possibilités de dérogation à la norme existent que la norme n’existerait point. Elles observent que le Gouvernement lui-même reconnaît que la première requérante bénéficie d’un agrément et est donc directement concernée par la mesure litigieuse. Elles considèrent que la deuxième requérante bénéficie d’un agrément comme fédération des centres de coordination des soins et de l’aide à domicile en vue de l’octroi de subventions, que la troisième requérante bénéficie aussi de subventions de la Région wallonne, que ses affiliés se voient octroyer les agréments prévus par le code de l’action sociale et de la santé et qu’elle est au surplus susceptible, elle-même, d’être touchée par l’application du décret litigieux. Elles allèguent enfin que la troisième requérante est également une victime potentielle des décrets querellés.

13. La Cour rappelle qu’elle n’est pas compétente pour se livrer à un examen in abstracto des normes législatives internes (voir, notamment, Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah c. France (déc.), no53430/99, 6 novembre 2001). Il ne suffit donc pas à un requérant de soutenir devant la Cour qu’une loi viole par sa simple existence les droits dont il jouit aux termes de la Convention. Cette loi doit avoir été appliquée à son détriment (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 101, CEDH 2014). La Cour a cependant admis que même en l’absence d’acte individuel d’exécution, une personne pouvait être considérée comme « victime » si elle était obligée de changer de comportement sous peine de poursuites ou si elle faisait partie d’une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation critiquée (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, et Michaud c. France, no 12323/11, §§ 51-52, CEDH 2012). Ainsi, pour qu’un requérant puisse se prétendre « victime » d’une violation de la Convention, il doit exister un lien suffisamment direct entre celui-ci et la violation alléguée. Le statut de « victime » ne peut dès lors être accordé à une association que si elle est directement touchée par la mesure litigieuse (Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France, nos 48151/11 et 77769/13, §§ 93-94, 18 janvier 2018).

14. En l’espèce, s’agissant, tout d’abord, des deuxième, troisième et quatrième requérantes, la Cour prend note de l’affirmation du Gouvernement selon laquelle elles ne sont pas visées par les décrets litigieux et, par conséquent, par l’obligation de mixité dénoncée. Les requérantes n’ayant apporté aucun élément de nature à contredire cette affirmation, la Cour constate qu’elles n’ont pas la qualité de « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.

15. S’agissant, ensuite, de la première requérante, les parties s’accordent à reconnaître qu’elle fait bien partie des entités visées par les décrets litigieux. La Cour relève toutefois qu’elle ne s’est pas conformée à l’obligation qu’elle critique et que le Gouvernement indique, sans être contredit, qu’elle n’a fait l’objet, depuis l’entrée en vigueur du décret en 2014, d’aucune mesure sur le fondement du décret litigieux. Elle n’a ainsi fait l’objet d’aucun retrait d’agrément en dépit du non-respect de l’exigence de mixité. La première requérante ne fait dès lors état d’aucune mesure individuelle de nature à porter atteinte, à ce jour, aux droits et libertés garantis par la Convention dont elle aurait fait l’objet en application des décrets (voir Est Video Communication SA et autres c. France (déc.), 8 octobre 2002, no 66286/01).

16. La première requérante ne peut être suivie lorsqu’elle fait valoir en se référant à l’arrêt Paposhvili c. Belgique ([GC], no 41738/10, § 132, 13 décembre 2016) qu’une requête peut être déclarée recevable si celle-ci a trait à une question d’intérêt général. Dans cette affaire, le requérant avait fait l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire qui le frappait directement.

17. Plus encore, la Cour note en l’espèce que les décrets prévoient la possibilité de solliciter une dérogation à l’obligation de mixité litigieuse (paragraphe 2 ci-dessus), possibilité dont la première requérante n’indique pas avoir usé à ce jour, sans que cette dernière n’apporte de justifications ni d’éléments de nature à démontrer que cette possibilité serait d’emblée vouée à l’échec. Dans ces conditions, la première requérante ne peut pas davantage prétendre à la qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

18. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les griefs tirés de la violation des articles 11 et 14 de la Convention sont incompatibles ratione personae avec les dispositions de celle-ci. Partant, ils doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Fait en français puis communiqué par écrit le 10 novembre 2022.

Olga Chernishova Darian Pavli
Greffière adjointe Président


ANNEXE

Liste des requêtes

No.

Requête No

Nom de l’affaire

Introduite le

Association requérante

Représenté par

1.

23234/16

Clinique Psychiatrique des Frères Alexiens c. Belgique

22/04/2016

CLINIQUE PSYCHIATRIQUE DES FRÈRES ALEXIENS

Jean BOURTEMBOURG

2.

23238/16

Fédération de l’Aide et des Soins à Domicile asbl c. Belgique

22/04/2016

FÉDÉRATION DE L’AIDE ET DES SOINS À DOMICILE ASBL
BRUXELLES
belge

Jean BOURTEMBOURG

3.

23283/16

Solival asbl c. Belgique

22/04/2016

SOLIVAL ASBL

Jean BOURTEMBOURG

4.

24341/16

Asbl UNESSA c. Belgique

22/04/2016

ASBL UNESSA

Jean BOURTEMBOURG