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QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 29874/18
Adriana-Ioana HANGANU et Edan-Ayaan GĂDĂLEAN
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 27 septembre 2022 en un comité composé de :
Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu :
la requête no 29874/18 contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, Mme Adriana-Ioana Hanganu (« la requérante ») et M. Edan-Ayaan Gădălean (« le requérant ») nés en 1974 et 2013 respectivement et résidants à Mihai Viteazu, représentés par Me D.M. David, avocate à Cluj-Napoca, ont saisi la Cour le 4 juin 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme O.-F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. V.M.G., le partenaire de la requérante et le père du requérant, était militaire. Le 21 novembre 2014, il décéda au cours d’une mission, à la suite d’un accident d’hélicoptère.
2. Une enquête pénale fut ouverte d’office le jour de l’accident par le parquet près le tribunal militaire de Cluj (« le parquet »). Les requérants se constituèrent parties civiles.
3. Les 21 et 22 novembre 2014, une enquête fut menée sur les lieux de l’accident. Ensuite, les autorités procédèrent à l’identification et l’autopsie des cadavres des victimes.
4. Le 21 novembre 2014, le ministère de la Défense (« le ministère ») constitua une commission d’investigation technique composée de quatorze membres, tous militaires.
5. Le parquet ordonna, le 22 janvier 2015, un examen de l’épave de l’hélicoptère et ensuite, le 4 février 2015, un examen du carburant et des lubrifiants utilisés afin de déterminer les circonstances du vol, l’état de l’hélicoptère et des instruments de communication. Les conditions météorologiques et la condition médicale et psychologique de l’équipage et leur parcours professionnel furent aussi examinées.
6. Le 10 juin 2015, une commission de l’État-major des forces aériennes rendit un rapport de constatation technico-scientifique qui répondait aux vingt-quatre questions posées par le parquet. La commission était composée de sept membres qui avaient participé à la commission d’investigation technique (paragraphe 4 ci-dessus). Elle conclut que l’accident avait été causé par une combinaison de facteurs, dont principalement les mauvaises conditions météorologiques et la réduction de la visibilité.
7. Le 16 juin 2012, la commission d’investigation technique (paragraphe 4 ci-dessus) rendit un rapport d’investigation technique qui confirma les conclusions du rapport de constatation technico-scientifique (paragraphe 6 ci‑dessus) et conclut à l’existence d’une situation imprévisible.
8. Le rapport de constatation technique et le rapport d’investigation technique furent classifiés « secret de service ». Il ressort du dossier que le ministère procéda à leur déclassification et que les requérants et leurs avocats y eurent accès.
9. Le 26 avril 2017, les requérants demandèrent l’examen de plusieurs éléments de preuve : l’audition de cinq témoins, la réalisation d’une nouvelle expertise par des experts indépendants et l’accès aux communications enregistrées au bord de l’hélicoptère ainsi que celles de l’équipage avec le centre de contrôle.
10. Par une ordonnance du 19 juin 2017, le parquet rejeta leurs demandes au motif que les témoins avaient déjà été entendus en avril 2016, que la transcription des communications avec le centre de contrôle avait été versée au dossier et que les copies des déclarations testimoniales et de la transcription des communications avaient été transmises à leur représentant. Le parquet indiqua que les enregistrements réalisés au bord de l’aéronef n’étaient pas utilisables en raison de problèmes techniques. S’agissant de la nouvelle expertise, le parquet considéra qu’elle n’était pas nécessaire au vu du nombre suffisant de preuves versées au dossier, dont notamment le rapport de constatation technico-scientifique, le rapport d’investigation technique (paragraphes 6 et 8 ci‑dessus) et le procès-verbal d’enquête sur le lieu de l’accident. Le parquet entendait que les preuves existantes permettaient un examen détaillé de la manière dont l’hélicoptère et le vol avaient été préparés et dont les membres de l’équipage avaient rempli leurs attributions. Il nota que les parties civiles avaient refusé d’assumer les coûts, élevés par ailleurs, d’une nouvelle expertise technique.
11. Le parquet entendit trente-cinq personnes, dont le seul survivant de l’accident qui déclara que les conditions météorologiques s’étaient dégradées pendant le vol et que l’accident était survenu soudainement, sans qu’il perçoive l’impact avec le sol. Il précisa que ni le pilote ni le copilote n’avait jamais discuté de la possibilité d’arrêter la mission.
12. Par une ordonnance du 23 juin 2017, le parquet classa l’affaire et décrit les faits ainsi : en raison du manque de visibilité dû aux conditions météorologiques, l’hélicoptère s’est trop approché du sol et a frôlé les couronnes de plusieurs arbres, ce qui a endommagé l’aéronef ; l’équipage n’a plus pu le contrôler, notamment en raison de la détérioration des pales du rotor ; après son contact avec le sol, un incendie s’est déclenché à bord et l’aéronef a été détruit. Le parquet nota que les enregistrements effectués à bord pendant le vol n’étaient pas utilisables car l’équipement de sauvegarde des données (înregistratorul protejat (fişierul de voce)) n’avait pas fonctionné correctement.
13. Le parquet rechercha les causes possibles de l’accident. Il nota que le vol avait été préparé adéquatement, que l’état de l’hélicoptère et du carburant étaient corrects et que les membres de l’équipage avaient été examinés par le médecin militaire avant la mission et déclarés aptes. Il exclut ainsi l’existence d’un dysfonctionnement technique ou d’une erreur humaine. En revanche, il estima que l’accident avait été causé par la visibilité très réduite, due aux conditions météorologiques, qui avait impacté la manière dont l’équipage avait perçu la distance du sol. L’équipage avait donc perçu tardivement la présence des arbres. Le parquet conclut que l’accident était imprévisible.
14. Les requérants saisirent le tribunal militaire de Cluj (« le tribunal militaire »). Ils soutenaient notamment qu’il n’y avait pas eu de cas fortuit et que le pilote était coupable car il n’aurait pas dû partir en mission ou l’arrêter quand les conditions météorologiques avaient commencé à se dégrader.
15. Par une décision du 10 novembre 2017, communiquée aux requérants le 5 décembre 2017, le tribunal militaire confirma le classement. Il jugea que la cause de l’accident était imprévisible et que l’accident n’avait pas été provoqué par des problèmes techniques ou par des erreurs de l’équipage.
16. Le tribunal nota que le parquet avait examiné un ensemble complexe et complet d’éléments de preuve et avait examiné l’affaire avec soin. Il jugea que la réalisation d’une nouvelle expertise aurait entraîné des retards inutiles. Il acquiesça aux conclusions du rapport de constatation technico‑scientifique. Il confirma enfin qu’il y avait eu en l’espèce cas fortuit et rejeta les arguments des requérants tirés de la faute professionnelle du pilote.
17. Devant la Cour, les requérants allèguent que le juge du tribunal militaire, par le langage utilisé lors de l’audience publique du 18 octobre 2017, avait fait preuve de partialité subjective.
18. Enfin, le requérant, représenté par la requérante, engagea une action en responsabilité civile délictuelle contre le ministère, au motif que ce dernier avait omis de conclure une assurance vie au nom de son père. Cette procédure est toujours pendante.
19. Invoquant les articles 2, 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants dénoncent le manque d’effectivité de l’enquête.
APPRÉCIATION DE LA COUR
20. En application du principe jura novit curia (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018), la Cour examinera la requête sous l’angle du seul article 2 de la Convention, qui impose une obligation procédurale de mener une enquête effective (Armani Da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, § 229, 30 mars 2016).
21. Elle n’examinera pas l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, soulevée par le Gouvernement, car la requête est manifestement mal fondée pour les raisons suivantes.
22. Les principes généraux applicables à l’espèce sont résumés dans l’arrêt Mikhno c. Ukraine (no 32514/12, §§ 131-134, 1er septembre 2016). Les critères que la Cour examine sont : l’adéquation des mesures d’investigation, la promptitude de l’enquête, la participation des proches du défunt à celle-ci et l’indépendance de l’enquête (Mikhno, précité, § 132, et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 225, 14 avril 2015).
23. L’examen de la Cour ne portera que sur l’enquête pénale menée en l’espèce. En effet, la procédure civile engagée par le requérant ne vise pas les causes du décès de son père (paragraphe 18 ci-dessus).
24. La Cour observe que les autorités ont procédé aux investigations nécessaires pour établir les circonstances et les causes de l’accident et identifier les éventuels coupables. Des actes d’enquête relatifs à la préparation du vol et de la mission ont été réalisés (paragraphes 3 et 5 ci‑dessus). Des examens techniques approfondis ont été également réalisés (paragraphes 6 et 8 ci‑dessus). Le parquet a entendu des témoins, dont le seul survivant (paragraphe 11 ci-dessus). Le parquet a refusé de manière motivée les demandes des requérants d’examen de preuves supplémentaires (paragraphe 10 ci-dessus) et ses raisons ne sont pas arbitraires. Les requérants allèguent que les autorités ne se sont pas penchées sur l’éventuelle faute du pilote, mais tant le parquet que le tribunal militaire ont examiné et écarté cette thèse (paragraphes 13 et 16 ci-dessus).
25. Les requérants allèguent aussi que l’obligation qui leur a été faite de supporter les coûts d’une expertise indépendante a limité leur droit d’accès à un tribunal. Toutefois, ce n’est pas un argument décisif dans la mesure où ils n’ont pas établi comment une expertise réalisée par des experts indépendants pouvait influencer de manière considérable l’issue de l’enquête. Il semble plutôt qu’ils entendaient principalement prouver la faute du pilote. Or, cette piste d’investigation a été dûment examinée (paragraphe 24 ci-dessus ; voir, Mustafa Tunç et Fecire Tunç, précité, § 175). Pour autant qu’ils allèguent que les autorités n’ont pas prouvé le caractère inutilisable des enregistrements faits à bord de l’hélicoptère, la Cour juge cet argument spéculatoire. Elle ne saurait dès lors le retenir.
26. La Cour estime que l’enquête menée par le parquet a été complète et que le tribunal militaire a procédé à son propre examen indépendant des faits. Le fait que les autorités ont jugé que la cause de l’accident a été un cas fortuit ne saurait changer ce constat (voir, mutatis mutandis, Mustafa Tunç et Fecire Tunç, précité, §§ 206-209).
27. L’enquête a été ouverte le 21 novembre 2014, le jour même de l’accident, et a été menée promptement, sans période d’inactivité de la part des autorités. Elle a pris fin le 5 décembre 2017, quand la décision du tribunal militaire a été communiquée aux requérants. La durée de l’enquête d’environ trois ans apparaît raisonnable.
28. De plus, les requérants ont eu accès aux preuves versées au dossier, dont notamment les rapports techniques qui ont été déclassifiés pendant la procédure (paragraphe 8 ci-dessus). Leurs demandes de preuves ont été examinées par les autorités qui les ont rejetées de façon motivée (paragraphe 10 ci-dessus). Quant aux arguments des intéressés selon lesquels les annexes à ces rapports n’avaient pas été déclassifiés et que le tribunal militaire n’avait pas vérifié si la classification des rapports était justifiée, il n’apparaît pas qu’ils les aient soulevés devant le tribunal militaire (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour observe que les requérants ont dûment été associés à la procédure.
29. Contrairement aux allégations des requérants, aucune question ne se pose quant à l’indépendance structurelle du parquet militaire ou du tribunal militaire (Mikhno, précité, §§ 164-170).
30. Le grief principal des requérants devant la Cour réside dans le défaut d’indépendance de la commission militaire qui a réalisé la constatation technico‑scientifique. Toutefois, il n’apparaît pas qu’ils aient soulevé cet argument devant le tribunal militaire (paragraphe 14 ci-dessus). En tout état de cause, il est à noter qu’ils n’ont pas expliqué concrètement en quoi cette commission manquerait d’indépendance. De surcroît, la réalisation d’une expertise sur les circonstances de la survenue d’un accident aérien pendant une opération militaire requiert des compétences techniques particulières, propres aux professions militaires (voir, mutatis mutandis, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, §§ 321-324, CEDH 2011 (extraits)).
31. S’agissant du défaut allégué d’impartialité du juge du tribunal militaire (paragraphe 17 ci-dessus), aucune manifestation inadéquate de la part du juge correspondant n’est à relever.
32. La Cour conclut ainsi que l’enquête menée par les autorités nationales a rempli les exigences de l’article 2 de la Convention. L’absence d’une issue favorable aux requérants ne peut pas, à elle seule, conduire à la conclusion que l’État défendeur a failli à ses obligations positives (voir, mutatis mutandis, Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 221, 19 décembre 2017)
33. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 20 octobre 2022.
Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président