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QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 32916/20
Camelia BOGDAN
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 27 septembre 2022 en un comité composé de :
Tim Eicke, président,
Faris Vehabović,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 32916/20 dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Camelia Bogdan (« la requérante ») née en 1981 et résidant à Bucarest, représentée par Mme A.L. Zaharia, a saisi la Cour le 13 juillet 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, les griefs fondés sur les articles 6 § 1 de la Convention (droit d’accès à un tribunal) et 8 (droit au respect de la vie privée) et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Le 2 avril 2018, à la suite d’une procédure disciplinaire engagée par le Conseil supérieur de la magistrature (« CSM »), la requérante, juge à la cour d’appel de Bucarest, fit l’objet d’une décision d’exclusion de la magistrature. Le 31 mai 2018, la requérante interjeta un recours contre la décision disciplinaire. Dans l’attente de l’examen du recours, en application des dispositions de la loi 303/2004 (article 651 § 2) elle fut suspendue de ses fonctions. Le 21 juin 2019, la Haute Cour rejeta finalement la contestation de l’intéressée contre la décision de suspension, en la déclarant irrecevable.
2. Le 1er septembre 2021, la requête a été communiquée au Gouvernement et une proposition de règlement amiable a été présentée en même temps. La représentante de la requérante en a aussi été informée. La lettre qui lui a été adressée précisait notamment qu’en vertu de l’article 62 § 2 du règlement de la Cour, une stricte confidentialité s’attachait aux négociations menées en vue d’un règlement amiable.
3. Par un courriel du 7 décembre 2021, la requérante sollicita auprès de la cour d’appel de Cluj la réinscription au rôle d’une action civile en réparation qu’elle avait introduite contre certaines publications. À cette occasion, elle joignit, entre autres, copies des lettres de communication que la Cour avait envoyées dans le cadre de la présente affaire, ainsi que les copies des déclarations de règlement amiable adressées aux parties. Parmi les destinataires de ce courriel figuraient, hormis l’adresse du greffe de la cour d’appel, les adresses électroniques de quatre autres personnes. Dans son courriel, l’intéressée précisa « souhaiter poursuivre ses actions au niveau interne, en dépit de sa situation financière précaire qui en ressortait et de la proposition de règlement amiable formulée par la Cour (...) ». Copie de ce courriel fut versée au dossier par le Gouvernement.
4. En décembre 2021, trois médias (www.antena3.ro; www.grupul.ro et www.jurnalul.ro) publièrent les copies des lettres envoyées par la Cour aux parties dans la présente affaire le 1er septembre 2021, y compris les copies des déclarations amiables, et critiquèrent le non-respect par la requérante du règlement de la Cour en matière de confidentialité de la procédure de règlement amiable.
APPRÉCIATION DE LA COUR
5. La requérante se plaint de l’incompatibilité de la procédure disciplinaire avec le droit d’accès à un tribunal et le droit au respect de la vie privée (articles 6 § 1 et 8 de la Convention).
6. À titre préliminaire, le Gouvernement soutient que la divulgation par la requérante de la proposition de règlement amiable constitue une violation de la règle de la confidentialité des négociations relatives au règlement amiable. Il invoque l’article 39 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :
Article 39 de la Convention
« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut se mettre à la disposition des intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire s’inspirant du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles.
2. La procédure décrite au paragraphe 1 est confidentielle.
(...) »
7. Le Gouvernement expose que la requérante a divulgué devant les instances nationales toutes les informations concernant la procédure de règlement amiable dans la présente affaire, contrairement à ce que prévoient les articles 39 § 2 de la Convention et 62 § 2 du règlement de la Cour. Ainsi, il soutient que l’intéressée a enfreint la règle de la confidentialité des négociations et abusé, par conséquent, de son droit de recours individuel au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
8. La requérante affirme avoir envoyé lesdites informations à la cour d’appel de Cluj, à l’occasion d’une procédure interne visant à faire protéger sa réputation, dans le but de se conformer aux recommandations faites par la Cour lors de sa première requête en matière d’épuisement des voies de recours internes (Camelia Bogdan c. Roumanie, no 36889/18, § 108, 20 octobre 2020). Elle souligne qu’aucune négociation en vue d’un règlement amiable n’avait eu lieu en l’espèce et que, par conséquent, la base légale à l’appui de l’exception soulevée par le Gouvernement n’y trouve pas d’application. Enfin, selon elle, les informations ont été publiées par des médias contrôlés par D.V. et non par elle-même.
9. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 39 § 2 de la Convention et de l’article 62 § 2 du règlement de la Cour (« le règlement ») les négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable sont confidentielles. Cette règle, telle qu’elle est comprise par la Convention et le règlement de la Cour, doit être interprétée à la lumière de l’objectif général qui consiste à faciliter le règlement amiable en protégeant les parties et la Cour contre d’éventuelles pressions (Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 68, 15 septembre 2009). Lorsque les requérants ou leurs avocats révèlent sciemment les détails de la négociation menée en vue d’un éventuel règlement amiable, la Cour peut, dans certaines circonstances, rejeter la requête pour abus du droit de recours individuel (Eskerkhanov et autres c. Russie, nos 18496/16 et 2 autres, § 24, 25 juillet 2017, avec les références qui y sont citées).
10. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note que la requérante a été informée, le 1er septembre 2021, par le biais de sa représentante, qu’en vertu de l’article 62 § 2 du règlement, une stricte confidentialité s’attachait aux négociations menées en vue d’un règlement amiable (paragraphe 2 ci-dessus). L’intéressée avait donc connaissance de cette exigence. Or, peu après la communication de la requête, elle révéla à la cour d’appel de Cluj, ainsi qu’à des tierces personnes, les détails des négociations menées en l’espèce en vue de la conclusion éventuelle d’un accord portant règlement amiable, y compris le montant de la réparation proposée (paragraphe 3 ci-dessus). À la suite du courriel envoyé par la requérante à la cour d’appel de Cluj, plusieurs articles de presse ont révélé les détails de la négociation en vue du règlement amiable, y compris les copies des lettres de la Cour accompagnées des déclarations de règlement amiable (paragraphe 4 ci-dessus).
11. La Cour renvoie aux principes résumés au paragraphe 9 ci-dessus et constate que la requérante a dévoilé en l’espèce les détails des négociations menées en vue d’un règlement amiable de sa requête devant la Cour au greffe d’une juridiction nationale, dans le cadre d’une procédure interne introduite par elle afin de faire protéger sa réputation, alors que ce type d’informations ne doit pas être utilisé dans d’autres procédures contentieuses (Hadrabová et autres c. République tchèque (déc.), nos 42165/02 et 466/03, 25 septembre 2007).
12. La Cour n’est pas convaincue par les explications de la requérante. Elle conclut que le fait pour celle-ci de dévoiler, à une juridiction nationale, ainsi qu’à des tierces personnes, les détails des négociations menées en l’espèce en vue d’un règlement amiable a porté atteinte au principe de confidentialité énoncé aux articles 39 § 2 de la Convention et 62 § 2 du règlement et que, dans les circonstances de l’espèce, ce comportement constitue un abus du droit de recours individuel au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention (Mătăsaru c. Moldova (déc.), no 44743/08, 21 janvier 2020).
13. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 20 octobre 2022.
Crina Kaufman Tim Eicke
Greffière adjointe f.f. Président