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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.9.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 23831/19
Ekrem TARHAN
contre la Türkiye

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 27 septembre 2022 en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,

Jovan Ilievski,

Diana Sârcu, juges,

et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 23831/19 contre la République de Türkiye et dont un ressortissant turc, M. Ekrem Tarhan (« le requérant »), né en 1959 et résidant à Istanbul, représenté par Me O. Çelik, avocat à Batman, a saisi la Cour le 22 avril 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne le refus des autorités judiciaires, sur le fondement du principe de bonne foi, de prendre en compte dans la détermination du montant d’une indemnité d’expropriation la valeur des constructions érigées sur le bien par le propriétaire à une date postérieure à celle où il a eu connaissance de l’opération d’expropriation.

2. En 2011, la direction générale de l’eau (« la DGE ») décida d’exproprier d’urgence un certain nombre de terrains à Siirt dans le cadre d’un projet de barrage hydraulique.

3. Le 31 octobre 2011, elle informa le requérant que son terrain agricole faisait l’objet d’une procédure d’expropriation et l’invita à un entretien pour négocier le prix de vente. Elle précisa qu’à défaut de négociations ou d’accord sur le prix, elle saisirait le tribunal de grande d’instance de Siirt (« le TGI ») pour déterminer l’indemnité d’expropriation.

4. Le 17 juillet 2013, la DGE saisit le TGI d’une action en détermination de l’indemnité et de transfert de propriété.

5. Le TGI observa que deux bâtiments inachevés et dont la construction avait débuté, selon les experts, il y a moins d’un an (c’est-à-dire bien après le 31 octobre 2011) se trouvaient sur le terrain du requérant. Il releva que ces constructions étaient sans lien avec la destination économique du bien, qui était un terrain agricole, de surcroit situé dans un secteur éloigné des zones habitables. Aux yeux du TGI, les bâtiments n’avaient pas été érigés pour être utilisés mais dans le seul but d’accroître la valeur du terrain et donc le montant de l’indemnité d’expropriation.

6. Il estima que les principes de loyauté et de bonne foi ainsi que l’équité s’opposaient à ce que ces constructions soient prises en compte dans la détermination du montant de l’indemnité d’expropriation.

7. Il rappela qu’en vertu de l’article 2 du code civil chacun était tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations de bonne foi et que l’abus de droit ne pouvait bénéficier de la protection de la loi.

8. En conséquence, le TGI octroya au requérant une indemnité correspondant à la valeur du bien, telle qu’évaluée par les experts, mais faisant abstraction de l’existence des bâtiments. Il prit néanmoins en compte dans la fixation de l’indemnité la valeur d’un certain nombre d’arbres qui avaient pourtant été plantés récemment.

9. Cette solution fut finalement confirmée par l’Assemblée générale civile de la Cour de cassation (« l’AGC ») par un arrêt du 13 décembre 2017.

10. Le recours individuel du requérant fut rejeté par la Cour constitutionnelle. En ce qui concerne plus particulièrement le grief tiré de la durée de la procédure, la haute juridiction le déclara irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant devait saisir la commission d’indemnisation.

11. Le requérant soutient que le refus de prise en compte de la valeur des bâtiments dans le calcul du montant de l’indemnité constituerait une atteinte à son droit au respect de ses biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

12. Invoquant l’article 6 de la Convention, il affirme que l’AGC aurait rendu un arrêt en sens contraire le 8 novembre 2017 et y voit une atteinte à son droit à un procès équitable. Il considère en outre que la durée de la procédure n’a pas été raisonnable.

APPRÉCIATION DE LA COUR

  1. Sur le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

13. La Cour rappelle que sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 48, CEDH 1999II).

14. Elle observe que les tribunaux ont octroyé une indemnité sur la base d’une expertise et en considérant que le bien était un terrain agricole. Elle rappelle qu’en principe il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne notamment en ce qui concerne la qualification d’un bien exproprié, sauf lorsque l’appréciation des tribunaux se révèle arbitraire ou manifestement déraisonnable (Kurtuluş c. Turquie (déc.), no 24689/06, 28 septembre 2010).

15. Elle observe que si, aux fins de la fixation de l’indemnité d’expropriation, les tribunaux ont fait abstraction de la présence de deux bâtiments sur le terrain, ils ont dûment exposé les raisons motivant une telle approche.

16. La Cour estime que les motifs retenus par ces derniers sont loin d’être déraisonnables.

17. En effet, le requérant a entamé la construction de bâtiments sur son terrain alors qu’il avait parfaitement connaissance de la procédure d’expropriation. L’intéressé n’a pas contesté ce point. Il n’a toutefois pas indiqué un quelconque motif permettant d’expliquer les raisons ayant motivé ces constructions dont il savait pourtant qu’elles ne pourraient être utilisées. D’ailleurs, le requérant n’a jamais indiqué la destination et l’utilité des constructions en cause. Ces dernières ont été érigées sur un terrain agricole éloigné des zones d’habitation et n’ont aucun lien avec une activité agricole.

18. Dans ces circonstances, la Cour n’aperçoit aucun élément permettant de remettre en cause l’approche des juridictions nationales qui ont estimé que le seul but poursuivi par l’intéressé était d’accroitre de façon injustifiée le montant de l’indemnité d’expropriation et qu’un tel comportement contrevenait aux principes de bonne foi et de loyauté.

19. Elle considère dès lors que l’indemnité versée à l’intéressé était raisonnablement en rapport avec la valeur de son bien et qu’en statuant comme ils l’ont fait les tribunaux n’ont pas méconnu le juste équilibre voulu par l’article 1 du Protocole no 1.

20. Il en découle que cette partie de la requête est irrecevable pour défaut manifeste de fondement (article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention).

  1. Sur les griefs tirés de l’article 6 de la Convention

21. En ce qui concerne le grief tiré de l’article 6 de la Convention relatif à la prétendue divergence jurisprudentielle, la Cour renvoie aux principes découlant de sa jurisprudence en la matière, lesquels sont résumés dans l’arrêt Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie ([GC], no 13279/05, §§ 49-58, 20 octobre 2011).

22. Elle observe d’emblée que l’arrêt de l’AGC du 8 novembre 2017 sur lequel s’appuie le requérant ne concerne pas exactement le même point que celui qui a fait l’objet de sa cause dans la mesure où l’arrêt en question vise, non pas les constructions, mais les plantations.

23. Cela étant, à supposer un instant qu’il ait pu y avoir une divergence dans la jurisprudence de la Cour de cassation, rien n’indique que celle-ci ait été profonde et persistante.

24. En effet, le requérant ne présente qu’un seul exemple dans lequel l’AGC aurait adopté une solution opposée à celle retenue dans sa cause.

25. Par ailleurs, il convient de noter qu’une loi portant sur le point qui faisait l’objet de la prétendue divergence a été adoptée (la loi no 6495 du 12 juillet 2013 portant modification de l’article 25 du code de l’expropriation et précisant que les constructions et plantations réalisées après l’annonce de la procédure d’expropriation ne doivent pas être pris en compte dans la fixation de l’indemnité).

26. Enfin, il convient de préciser que le système turc dispose en tout état de cause d’un mécanisme susceptible de remédier à ce type de divergence jurisprudentielle et d’uniformiser la jurisprudence (Turan et autres c. Turquie (déc.), nos 31924/06 et 9498/10, § 55, 13 décembre 2016).

27. L’arrêt de l’AGC mentionné par le requérant ne saurait dès lors constituer la preuve d’une atteinte au principe de sécurité juridique.

28. Il s’ensuit que cette partie de la requête est elle aussi manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

29. S’agissant du grief tiré de l’article 6 de la Convention concernant la durée de la procédure, la Cour observe que le requérant a omis de faire usage de la voie de recours indiquée par la Cour constitutionnelle.

30. Il en découle que cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (article 35 §§ 1 et 4 de la Convention).

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 20 octobre 2022.

Dorothee von Arnim Branko Lubarda
Greffière adjointe Président