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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 40814/20
Rachida ABDELHADI et autres
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 15 septembre 2022 en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Ivana Jelić,
Mattias Guyomar, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 10 septembre 2020,
Vu la déclaration déposée par le gouvernement défendeur le 6 avril 2022 et invitant la Cour à rayer la requête du rôle, ainsi que la réponse de la partie requérante à cette déclaration,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
FAITS ET PROCÉDURE
1. La liste des requérants figure en annexe. Ils ont été représentés devant la Cour par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, MM. F. Alabrune et B. Chamouard, respectivement directeur des affaires juridiques et sous-directeur des droits de l’homme au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
3. Mohamed Abdelhadi disparut en décembre 2001, à l’âge de 27 ans. À la demande de l’un des requérants, une enquête aux fins de recherche d’une personne disparue fut diligentée par le procureur de la République de Villefranche-sur-Saône en 2008. Des investigations furent accomplies, mais cette procédure fut égarée.
4. Le 15 mars 2015, un tiers révéla que Mohamed Abdelhadi avait été tué. Une information judiciaire fut ouverte. Le meurtrier du défunt et son complice furent confondus et mis en examen. Le corps du défunt, dissimulé à la suite des faits, fut retrouvé. L’auteur principal, placé en détention provisoire, invoqua la prescription de l’action publique.
5. Par un arrêt du 11 décembre 2019, la Cour de cassation jugea que le meurtre était prescrit.
6. La présente requête a été introduite par dix membres de la famille du défunt. Les requérants concluaient à la violation des articles 2 et 6 de la Convention.
7. La requête a été communiquée au Gouvernement.
EN DROIT
8. Invoquant une violation des articles 2 et 6 § 1 de la Convention, les requérants soutiennent que les autorités internes ont omis de mener une enquête officielle effective à la suite de la disparition de Mohamed Abdelhadi et que la prescription de l’action publique les a privés d’accès à un tribunal.
9. Après l’échec d’une tentative de règlement amiable, le Gouvernement a informé la Cour qu’il envisageait de formuler une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par la requête par une lettre du 6 avril 2022. Il a en outre invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l’article 37 de la Convention.
10. La déclaration était ainsi libellée :
« Je soussigné, Benoît Chamouard, co-Agent du Gouvernement français, déclare que le Gouvernement offre de verser conjointement à Mme Rachida Abdelhadi et aux neuf autres requérants la somme globale de 36 000 euros (trente-six mille euros) au titre de la requête enregistrée sous le numéro 40814/20.
Cette somme ne sera soumise à aucun impôt et sera versée à part égale, soit 3 600 euros pour chaque requérant, sur le compte bancaire indiqué par les requérants, ou le cas échéant selon la répartition indiquée par les requérants, dans les trois mois à compter de la date de décision de radiation rendue par la Cour sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention. Le paiement vaudra règlement définitif de la cause.
Le Gouvernement reconnaît qu’en l’espèce, la perte du dossier de la procédure d’enquête préliminaire laquelle a entraîné une impossibilité de prouver un acte de nature à interrompre la prescription, a entraîné une violation de l’article 2 dans son volet procédural et de l’article 6 de la Convention. »
11. Les termes de la déclaration unilatérale ont été transmis aux requérants, afin qu’ils puissent présenter leurs commentaires éventuels. Ceux-ci n’ont pas présenté d’observations dans le délai imparti.
12. La Cour rappelle que l’article 37 § 1 c) de la Convention lui permet de rayer une affaire du rôle si :
« (...) pour tout autre motif dont [elle] constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête ».
13. En vertu de cette disposition, la Cour peut rayer des requêtes du rôle sur le fondement d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur, même si les requérants souhaitent que l’examen de leur affaire se poursuive. Les principes applicables en pareille hypothèse ont été résumés dans les arrêts Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003-VI) et Jeronovičs (Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, §§ 64-66, 5 juillet 2016).
14. En particulier, dans les affaires concernant des personnes disparues ou qui ont été tuées par des auteurs inconnus et lorsque figurent au dossier des commencements de preuve venant étayer les allégations selon lesquelles l’enquête menée sur le plan interne a été en deçà de ce que requiert la Convention, une déclaration unilatérale doit pour le moins renfermer une concession en ce sens, ainsi que l’engagement, de la part du gouvernement défendeur, d’entreprendre une enquête qui soit pleinement conforme aux exigences de la Convention telles que la Cour les a définies dans des affaires antérieures semblables (Tahsin Acar (question préliminaire), précité, § 84, et jurisprudence citée). La Cour a jugé qu’il en va de même lorsqu’est en cause l’obligation de mener une enquête officielle effective sur une blessure mortelle intervenue dans des circonstances suspectes, nonobstant l’absence de la qualité d’agent de l’État de leur auteur (Mishina c. Russie, no 30204/08, §§ 23-30, 3 octobre 2017). Toutefois, la Cour a admis qu’il peut être impossible, de jure ou de facto, de rouvrir une enquête pénale sur les faits qui se trouvent à l’origine des requêtes dans certaines situations, et notamment lorsque la procédure pénale a été close en raison de l’écoulement du délai de prescription (Taşdemir et autres c. Turquie (déc.), no 52538/09, §§ 14‑24, 12 mars 2019, et Karaca c. Turquie (déc.), no 5809/13, §§ 13‑24, 12 mars 2019).
15. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour rappelle en premier lieu que sa jurisprudence relative à l’obligation de mener une forme d’enquête officielle effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme est claire et abondante. La Cour juge de manière constante qu’une telle enquête doit également être mise en œuvre lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances permettant de considérer que sa vie était en danger (voir parmi beaucoup d’autres Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 132, CEDH 2001‑IV, et Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90 et 8 autres, § 191, CEDH 2009), et ce y compris lorsque cette disparition n’est pas imputable à un agent de l’Etat (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 226, CEDH 2004‑III, Girard c. France, no 22590/04, §§ 67 et 76‑81, 30 juin 2011, et Yuriy Slyusar c. Ukraine, no 39797/05, §§ 76 et s., 17 janvier 2013).
16. La Cour relève en deuxième lieu que les faits litigieux ne prêtent pas à controverse entre les parties.
17. Elle constate en troisième lieu que le Gouvernement défendeur concède, dans le cadre de sa déclaration unilatérale, que l’enquête diligentée à la suite du signalement de la disparition de Mohamed Abdelhadi n’a pas satisfait aux exigences de l’article 2 et, par ailleurs, que la perte des actes de l’enquête a entraîné la violation de l’article 6.
18. S’intéressant en quatrième lieu aux modalités du redressement que le Gouvernement défendeur entend fournir aux requérants, la Cour note que la déclaration unilatérale ne comprend pas l’engagement de rouvrir l’enquête litigieuse. Pour autant, elle constate qu’il a définitivement été jugé par les juridictions internes que l’action publique relative aux faits criminels à l’origine de la présente requête était prescrite, de sorte que la réouverture de la procédure est impossible de jure. Au demeurant, les circonstances du meurtre dont Mohamed Abdelhadi a été victime ont été élucidées et il n’a pas été allégué que d’autres individus que ceux qui ont été confondus aient pu être impliqués (Taşdemir, précité, § 18, et Karaca, précité, § 18).
19. Par ailleurs, la Cour relève que le montant de l’indemnisation proposée par le Gouvernement, à savoir la somme conjointe de 36 000 euros, est comparable aux montants alloués par elle dans des affaires similaires (voir, par exemple, Girard, précité, § 115, Tahsin Acar, précité, § 264, et Yuriy Slyusar, précité, § 96).
20. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la poursuite de l’examen de la requête n’est plus justifiée et que le respect des droits de l’homme de l’exige pas. En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle.
21. La Cour interprète cette déclaration en ce sens que la somme précitée devra être versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour rendue conformément à l’article 37 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement devra verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
22. Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
- Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur concernant l’article 2 et 6 de la Convention et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements ainsi pris ;
- Décide de rayer la requête du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.
Fait en français puis communiqué par écrit le 6 octobre 2022.
Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente
ANNEXE
Liste des requérants
No | Prénom NOM | Sexe | Année de naissance | Nationalité | Lieu de résidence | Lien de parenté avec le défunt |
1. | Rachida ABDELHADI ép. KHELLAS | F | 1972 | algérienne | Fréjus | Sœur |
2. | Azzedine ABDELHADI | M | 1979 | français | Villefranche‑sur‑Saône | Frère |
3. | Boubeker ABDELHADI | M | 1944 | algérien | Villefranche‑sur‑Saône | Père |
4. | Chahrazed ABDELHADI | F | 1985 | française | Villefranche‑sur‑Saône | Sœur |
5. | Kamel ABDELHADI | M | 1987 | français | Villefranche‑sur‑Saône | Frère |
6. | Noual ABDELHADI | F | 1982 | française | Tassin la Demi-Lune | Sœur |
7. | Rokia ABDELHADI | F | 1981 | française | Montpellier | Sœur |
8. | Smaïn ABDELHADI | M | 1990 | français | Villefranche‑sur‑Saône | Frère |
9. | Wissem ABDELHADI | M | 1992 | français | Nîmes | Frère |
10. | Yakout DAHOU ép. ABDELHADI | F | 1956 | algérienne | Villefranche‑sur‑Saône | Mère |